L’itinérance des ouvriers

Nous rencontrons aux XVIIIe et XIXe siècles de nombreux voyageurs à pied sur les routes de France.

Certains, issus de la paysannerie, se déplacent en fonction des moissons, des vendanges, des différentes récoltes. d’autres se déplacent pour se faire embaucher sur les grands travaux de l’État, la construction de canaux, et plus tard, la construction des voies de chemins de fer, ou par exemple l’assèchement des Landes…

Nous connaissons aussi les célèbres maçons de la Creuse migrant vers la capitale, les conscrits rejoignant leur régiment ou rentrant au pays après de nombreuses années de service. Le déplacement à pied, sur courte ou longue distance, fait partie du paysage rural de la France et de la vie quotidienne.

Aucun règlement de compagnonnage n’impose le voyage à pied, celui-ci n’est qu’une conséquence de la pauvreté dans laquelle se trouvaient les ouvriers itinérants de l’époque. Si l’ouvrier a un petit pécule, il utilise, bien sûr, la diligence ou bien encore le bateau.

Le départ sur le Tour

Jean Pebayle, Bordelais l’Enfant Chéri, sur le Tour de France en compagnie de son frère de réception, Fernand Faye, Bordelais le Progrès, avec lequel il arrive à Troyes en 1932. Nous observons que sur les cannes, l’embout long a été remplacé par un embout court afin de faciliter la marche.

Jean Baptiste Arnaud, Libourne le Décidé, quitte sa ville natale le 26 mars 1836 :

Adieu mon père, et vous ma bonne mère
Les yeux en pleurs, je quitte l’atelier.
Consolez-vous, je reviendrai.
L’on dit qu’il est si beau de voyager…

Mais à peine arrivé à Bordeaux il rentre à la maison :

Je me rappelle bien n’avoir guère fatigué mes membres dans les pétrins des boulangeries bordelaises, j’étais trop près de mon pays pour cela et je comptais beaucoup trop sur les bontés de mes parents. Aussi, j’engage bien les jeunes gens qui entreprennent le Tour de France […] de ne jamais s’arrêter dans les villes qui avoisinent leur lieu de naissance.

Il prendra un second départ, six mois après, le 20 septembre 1836, avec 100 francs en poche. Mais cette fois-ci, il aura soin d’adhérer à une société compagnonnique qui propose une Mère dans chaque grande ville de Devoir et de deuxième ordre. Compagnonnage, mais quelle société choisir ?

Pourquoi aller chez les Devoirants plutôt que chez les Sociétaires ? Bien souvent, c’est le hasard des choses, la destinée qui déterminent ce choix…

Barret et Gurgand nous en donnent une bonne définition dans leur ouvrage Ils voyageaient la France :

(P. Barret et J.N. Gurgand : Ils voyageaient la France ; vie et traditions des Compagnons du Tour de France au XIXe siècle. Hachette, 1980.)

Nos deux boulangers Jean-Baptiste Arnaud et Berniard hésitent eux aussi. Ils savent qu’il existe deux sociétés d’ouvriers boulangers, celle des compagnons du Devoir et celle des Sociétaires. Pour Arnaud, la meilleure et la plus belle est celle des compagnons du Devoir, mais les autres corps d’état contestent toujours aux boulangers le droit de se dire compagnons et les appellent par dérision « les soi-disant de la raclette ». Quant aux Sociétaires, les compagnons les traitent avec mépris de « rendurcis » ! Comment se décider ? « Je ne sais rien de bien positif » confesse Berniard.

Ils vont pourtant choisir les compagnons du Devoir, seulement peut-être pour les superbes tenues de parade qu’ils peuvent admirer dans les cortèges de la Saint-Honoré, la fête patronale des boulangers. Un peu plus tard, un collègue leur racontera comment il a failli devenir sociétaire :

J’arrivai à Tours sans opinion aucune, je fus conduit chez la Mère des sociétaires et je me serais étroitement attaché à cette institution sans la lâcheté que trois de ses membres venaient de commettre.

Il sera compagnon sous le nom de Manceau le Rouge.

Ci-contre; Le départ sur le tour de France. Gravure du Berquin du hameau par M. Rénal (v. 1830).

Voici ma propre expérience, bien similaire, un siècle plus tard :

En 1983, je termine mon apprentissage de boulanger-pâtissier, d’une durée de trois ans, par un stage en entreprise. J’effectue ce stage à Paris, chez Monsieur Claude Bonté lauréat en 1961 du concours « Un des Meilleurs Ouvriers de France », en pâtisserie, un professionnel hors pair qui marquera à jamais toute ma vie professionnelle. Arrivant en fin de stage, je me pose la question : que faire maintenant ? Dans ma famille, j’ai souvent entendu parler des compagnons, mon arrière-grand-père était compagnon charpentier du Devoir à la Cayenne de Paris.

À l’école de boulangerie pâtisserie de Rouen, rue d’Herbouville, nous avions quelques tomes du fameux Livre de recettes d’un compagnon du Tour de France d’Yves Thuries, Tarnais l’Indulgent, compagnon pâtissier des Devoirs Unis.

Je me suis dit, pourquoi pas… et je posai la question à Monsieur Bonté. Celui-ci me répondit avec beaucoup de sagesse : « Il existe, il me semble, deux sociétés de compagnons, je ne peux pas te dire laquelle est la meilleure, comme dans toutes les sociétés il y a des bons et des moins bons. Vas-y et tu verras ».

Ce que je fis dans les jours qui suivirent, et le hasard ou le destin a fait que je me suis présenté en premier à l’Association Ouvrière des Compagnons du Devoir, place Saint-Gervais à Paris, réservant ma visite à l’Union Compagnonnique pour un autre jour…

Je fus très bien accueilli, et après avoir rempli la fiche d’inscription au pré-stage de sélection, je retournai dans mon foyer, en oubliant quelque peu l’Union Compagnonnique. À peine une semaine plus tard, je recevais mon courrier de convocation au pré-stage. Je m’y rendis, l’on me donna une épreuve pratique et technologique. Les résultats furent positifs et deux mois après je quittai Paris pour faire mon Tour de France chez les compagnons boulangers et Pâtissiers du Devoir.

Réglementation de voyage

Entre 1810 et 1840, les compagnons boulangers ne garantissent pas l’emploi mais l’assistance. L’arrivant sans emploi, s’il est fatigué, ne peut rester que trois jours chez la Mère au frais de la société. Son menu : 250 grammes de pain, ½ litre de vin et de la viande pour 30 centimes. Si celui-ci ne trouve pas de travail, il lui est remis une somme d’argent suffisante pour gagner une autre ville.

Nous découvrons dans les punitions infligées aux compagnons certaines informations sur la durée autorisée de leur séjour en ville après leur réception, ou encore lors de leur Tour de France. Nous y voyons également les compagnons qui quittent la ville avec des dettes en souffrance. En voici quelques exemples :

Le 17 février 1844, Montélimar l’Ami du Courage fut exclu trois ans pour être parti de Lyon sans avoir payé ses dettes et pour avoir soustrait sa canne de la chambre sans la permission des hommes en place. Quimper la Belle Conduite fut exclu un an pour avoir mené une vie de débauche et pour avoir quitté Lyon sans avoir payé ses dettes.

En 1845-1846, Saintonge le Courageux fut chassé à vie pour avoir enlevé ses effets de chez la Mère, pour être parti sans avoir averti les compagnons de la Fondation et pour avoir laissé à la chambre 114 francs de dettes.

Le 2 juillet 1846, la chambre de Blois exclut pour un an Valadier, Bergerac Sans Regret, pour avoir, au travail, méprisé la Société devant son patron et un aspirant, pour avoir refusé de partir de la ville après y avoir été condamné par les compagnons établis, pour avoir dit qu’il se moquait de tout ce que la Société pouvait lui infliger et pour une grande négligence à se rendre chez la Mère.

À la même assemblée Jean Seron, Villefranche Bel Exemple, fut exclu pour six mois pour les raisons suivantes : avoir refusé de payer l’amende, avoir manqué à une assemblée, avoir dit avec colère et emportement en se retirant de la chambre avant que la séance ne soit finie :

« Puisque je suis à l’amende, je ne paierai rien, ni assemblée non plus », avoir refusé de partir de la ville malgré l’ordre des compagnons et avoir dit qu’il se moquait de tout ce que la Société pouvait lui faire.

En juillet 1848, toujours à Blois, la chambre exclut pour six mois Agenais le Bien Aimé du Tour de France pour cette faute commise à la Fondation : avoir enlevé des effets de deux autres compagnons et être parti avec. La même année, Claude, Mâconnais la Prudence, fut exclu pour avoir refusé de quitter la ville dix mois après avoir été reçu compagnon.

Le 16 avril 1849, cette même chambre exclut pour six mois Poitevin la Vigueur pour avoir refusé de partir après avoir été condamné par une assemblée générale. Et le 10 octobre 1851, ce fut au tour de Bezombes Édouard, Montauban l’Inviolable, d’être exclu pour 6 mois, d’être condamné à payer 20 francs d’amende, à passer six tours d’épreuves pour avoir refusé de partir après trois années de résidence et pour avoir tenu des propos injurieux envers la Société.

Lettre d’un compagnon boulanger adressée le 12 juin 1825 à Monsieur Mouton, père des compagnons boulangers, demeurant rue Tomassin, à Lyon. (Archives nationales F7. 9786. 1.)

Cher f. E.D.M.J., (Cher frère Enfant de Maître Jacques.)

Je vous écris ces deux mots pour m’informer de l’état de votre santé, tant qu’à la mienne, elle, est très bonne. Je vous dirai que j’ai eu le bonheur de travailler à Vienne, chez Monsieur Sanchée. Ainsi donc, mes amis, je vous prie de me faire passer ma malle le plus tôt possible, car j’en ai grand besoin. Daignez avoir la complaisance de me faire savoir si le père a reçu une lettre pour moi ; vous mettrez l’adresse en forme de lettre sur la malle. Rien autre chose que tous les aspirants de Vienne se joignent à moi pour vous faire bien des compliments. Je vous prie d’aller chez mon bourgeois dans la rue Gentil, chez Monsieur Piégay, vous lui demanderez s’il n’aurait pas reçu de lettres, vu que j’en avais adressé une chez lui à mes chers frères. J’espère que vous ne négligerez ce que je vous écris à me faire réponse de suite. Si par hasard, il y avait une lettre chez le père, vous mettriez une enveloppe et vous la mettriez sur la malle. Je vous dirai qu’il y a un compagnon de nous autres en prison à Valence, mais je ne sais pas qui c’est.

Je suis en vous embrassant de tout mon cœur. Langevin Lille d’Amour (sic) C\B\ D\ V\

P.-S. Bien des compliments à tous les aspirants.

Je vous prie de ne point mettre mon nom de compagnon sur l’adresse de ma malle. Mon adresse est chez M. Sanchée, rue Clercs, maître boulanger à Vienne.

Très pressé.

À Monsieur Mouton, père des compagnons boulangers, demeurant rue Thomassin, à Lyon, n° 26, pour remettre au rouleur.

Nous observons qu’Angevin l’Île d’Amour travaillait depuis peu à Lyon, et se trouvait désormais à Vienne, qu’il avait sûrement fait le voyage à pied. Mais une chose est certaine, c’est qu’il n’avait pas toutes ses affaires sur le dos ! Une malle remplie de ses effets personnels devait bientôt arriver, la canne et le fameux baluchon ne renfermant que le strict nécessaire.

Baluchon sur le dos

Le compagnon avec son baluchon sur le dos est l’image la plus populaire et également la plus ancrée dans l’imaginaire compagnonnique, si bien ancrée, qu’elle est devenue pour les compagnons du Tour de France une vérité. Il existe en effet beaucoup de représentations de compagnons du XIXe siècle avec canne et baluchon à l’épaule, œuvres de compagnons des XXe et XXIe siècles.

Pour les déplacements à pied, le sac à dos militaire était bien plus en vogue que le baluchon, ce dernier se balançant inconfortablement de droite à gauche à chaque mouvement du corps, la canne appuyant sur l’épaule et le poids du baluchon meurtrissant les chairs.

Les compagnons transportaient généralement de cette façon leurs outils de travail afin de pouvoir se faire embaucher le plus rapidement possible dès leur arrivée dans la ville, en attendant la malle acheminée par le service postal. Les boulangers toutefois n’étaient pas concernés car ils ne possédaient pas d’autres outils de travail que leurs mains ! Seule une minorité devait posséder ses propres coupe-pâtes et raclettes.

Les représentations compagnonniques montrent toujours le baluchon en bout de canne… Mais quel est l’idiot qui mettrait son baluchon en bout de canne, sachant très bien que, suivant le principe du levier, cette position en augmenterait le poids ! Si le baluchon devait être porté à l’aide de la canne, il serait placé le plus près possible du dos, à son contact, afin d’en diminuer la charge !

Compagnon et baluchon représentés sur la gourde en noix de coco d’un compagnon boulanger du Devoir (XIXe). Coll. S. Rochereau, photo F. Baugin.

En diligence

À partir de 1818, les grands services de transport s’organisent. Les diligences deviennent de plus en plus importantes. À son apogée, la grande diligence est divisée en trois compartiments, à savoir de l’avant vers l’arrière, le coupé (parfois le cabriolet), la berline ou l’intérieur et, à l’arrière, la rotonde peu appréciée des voyageurs.

L’arrivée de la diligence

D’une manière générale, les voitures composites à plusieurs compartiments, dont il existait une grande variété de modèles, avaient une nomenclature basée sur les modèles de voitures simples : coupé, cabriolet, berline, landau, etc. La construction de ces voitures tendit à se standardiser, autorisant des variations à partir d’éléments de base identiques. Les bagages étaient placés au-dessus, sous une bâche, et des places étaient réservées sur l’impériale pour les amateurs de plein air ou les fumeurs. L’attelage était mené par un cocher, assisté par un postillon enfourchant le premier cheval de gauche.

Jean Baptiste Arnaud, Libourne le Décidé, se rendit de Blois à Paris, avec arrêt prolongé à Orléans, à bord d’une diligence de la compagnie Laffite et Gaillard. Il avait sans doute un peu d’argent bien qu’il ait eu les poches percées… mais il aurait pu trouver moins cher. En effet les entreprises de messageries, obligées de pratiquer des voyages réguliers, proposaient des prix très intéressants lorsqu’ils avaient des places disponibles.

Libourne le Décidé profita de la solidarité compagnonnique, en effet, lorsque des compagnons étaient plusieurs à voyager à pied, et que l’un d’entre eux souffrait physiquement, ils cotisaient à la bourse commune pour offrir au souffrant le reste du voyage en diligence. C’est pourquoi lors de son déplacement entre Avignon et Marseille, Libourne, ayant mal à une jambe, fit le voyage à bord d’une diligence.

L’attaque de la diligence

Le voyage en diligence était un moyen de transport plus sécurisant, il évitait de rencontrer des bandits de grand chemin mais aussi des compagnons charpentiers et autres doleurs voyageant à pied, ne souhaitant qu’une chose, arracher cannes, couleurs et pendentifs aux oreilles de ces soi-disant compagnons boulangers. Mais il y a toujours l’exception qui confirme la règle ! Nous allons découvrir, dans un rapport du premier avocat général du parquet de la Cour royale d’Angers adressé au garde des Sceaux, daté du 27 avril 1838 (Archives nationales.), un événement qui eut lieu le 15 avril 1838, le lendemain de la réception de Pâques et qui semble à la hauteur des plus belles scènes d’attaque de diligence et digne des meilleurs westerns d’Hollywood,

Monsieur le garde des Sceaux,

J’ai l’honneur de porter à votre connaissance un fait grave, suite aux dissensions qui existent entre les différents corps d’ouvriers. Ce n’est pas la première fois que les attaques produites par ces dissensions ont ensanglanté cette contrée, mais elles ont montré dans la circonstance dont j’ai à rendre compte à Votre Excellence un caractère de préméditation et d’audace véritablement extraordinaire. Le lundi 16 de ce mois, huit ouvriers boulangers qui étaient venus de Saumur à Angers deux jours auparavant dans l’intention, à ce qu’il paraît, de se faire recevoir compagnons, avaient pris à 6 heures du matin une petite voiture publique pour retourner à Saumur. Le choix de cette heure de départ témoigne qu’ils avaient voulu éviter les coups dont ils avaient été menacés la veille à Angers par des ouvriers appartenant à d’autres corps d’état qui leur refusaient le titre de compagnon et ne leur accordaient que celui de « soi-disant ». Mais instruit de ce projet, une cinquantaine au moins de compagnons couvreurs, charpentiers, etc. étaient allés le dimanche soir passer la nuit dans les cabarets du village de la Pyramide, sur la route de Saumur à Angers. Vers 7 heures du matin, au moment où la voiture qui portait huit boulangers vint à passer, ils se présentèrent sur la route, armés de pierres et de bâtons, et, divisés en deux bandes, ils assaillirent la diligence à droite et à gauche, essayèrent d’en faire descendre de force les boulangers, frappèrent violemment ceux qu’ils pouvaient atteindre, maltraitèrent aussi le conducteur et un marinier d’Orléans qui se trouvait au nombre des voyageurs, enfin, brisèrent en partie les vitres de la voiture.

Mon substitut, près le tribunal d’Angers, ayant reçu de Saumur des certificats de médecin constatant les blessures du marinier et de trois des boulangers, a de suite rendu plainte contre les auteurs de ce guetapens, cinq dans ce moment, seize compagnons reconnus pour avoir pris part à cette scène de violence sont sous mandat de dépôt.

Attaque d’une diligence en rase campagne.

Le début du XIXe siècle fut marqué par de nombreuses attaques à main armée.

Les agresseurs étaient le plus souvent des déserteurs ou bien encore des soldats de l’Empire abandonnés à eux-mêmes.

Je me dispense, Monsieur le garde des Sceaux, de rentrer dans les détails qui sont inutiles à Votre Excellence. Mais j’ai cru devoir appeler son attention sur cet attentat qui a produit ici une impression profonde sur les ouvriers. Rien n’est absurde comme cette obstination avec laquelle les ouvriers de plusieurs corps de métier refusent de reconnaître aux garçons boulangers d’Angers le titre prétendu de compagnon.

Rien n’est déplorable et attentatoire à la liberté dont doivent jouir toutes les industries, comme les violences exercées à chaque instant sur des ouvriers assurément aussi utiles que ceux qui peuvent les attaquer.

Il serait donc essentiel que la police judiciaire ne soit pas seule à faire son devoir pour faire réprimer ce genre de désordre, qu’il conviendrait que l’administration municipale prît les mesures en son pouvoir dont l’effet serait de les prévenir. J’ai sous les yeux des arrêtés pris à Nantes, Tours, Bordeaux par l’autorité municipale pour empêcher le port public des signes caractéristiques du compagnonnage, les promenades avec cannes et couleurs, les conduites de camarades…

La diligence disparut progressivement sur les grands axes de circulation, supplantée par le chemin de fer.

En bateau

Depuis que l’homme a compris le principe de la flottaison et a su le maîtriser, il utilise tous les cours d’eau à sa disposition pour se déplacer. Le transport fluvial est donc l’un des plus vieux transports collectifs. Il a facilité les flux migratoires et surtout les échanges commerciaux, et donné naissance aux plus grandes villes de France, toutes situées sur un fleuve.

Les quatre principaux fleuves ornant le paysage de la France sont la Loire, la Seine, le Rhône et la Garonne. Ils étaient tous empruntés autrefois par une marine à voile et à rames ainsi que par des péniches et gabarres tractées par des animaux ou des hommes depuis les berges, sur les chemins de halage.

Au XVIIe siècle, la construction des grands canaux a facilité les déplacements sur l’ensemble du territoire français.

Le premier canal à relier deux bassins fluviaux fut le canal de Briare, ouvert à la navigation en 1642, créant ainsi une voie navigable entre les bassins de la Seine et de la Loire.

Puis, commencé en 1661, inauguré en 1681, le canal des Deux Mers (aujourd’hui canal du Midi) relia l’Atlantique à la Méditerranée, évitant ainsi le transport maritime pour aller de Bordeaux à Sète.

Le canal de Bourgogne, creusé à partir de 1775, fut ouvert inté- gralement à la navigation en 1832, permettant de joindre l’Yonne à la Saône, Lyon à Paris en passant par Dijon.

Au début du XIXe siècle, les premiers essais de bateaux à vapeur eurent lieu sur la Seine et de nombreuses compagnies tentèrent d’exploiter ce nouveau moyen de transport sur les rivières françaises mais de nombreux accidents (explosions, incendies, naufrages…) en ralentirent l’expansion.

À une époque où le chemin de fer n’existait pas et où les routes étaient en grande partie inutilisables à la mauvaise saison (l’automne, l’hiver et le printemps), la voie d’eau, moyen de transport idéal, assurait l’essentiel des transports de marchandises et bien souvent des passagers au moyen des coches d’eau, ces petites embarcations effectuant des services réguliers sur la plupart des rivières navigables et des canaux, généralement halés par des chevaux.

Jean Baptiste Arnaud, Libourne le Décidé, descendit la Gironde, de Bordeaux à Royan, à bord d’une chaloupe, puis il continua à pied jusqu’à Rochefort. Plus tard, il prit le bateau vapeur qui remontait la Loire de Nantes à Angers, puis le 19 mai 1840, de Chalon-sur-Saône à Lyon et en fin de parcours, celui qui descendait la Garonne de Port- Sainte-Marie à Bordeaux.

Cette même année, Agricol Perdiguier emprunta aussi à Bordeaux la voie fluviale, sur un petit bateau à voiles, pour monter vers le nord et atteindre Royan, ville située à l’embouchure de la Gironde. Sur ce bateau, il fit la connaissance d’un compagnon boulanger, ils parlèrent du topage, ce boulanger expliquant que de Toulouse à Bordeaux il avait été à plusieurs reprises topé.

Mais la construction du chemin de fer précipita le déclin du transport par voie fluviale.

Le chemin de fer

Les chemins de fer français sont nés lentement et modestement. C’est en 1827, par ordonnance du roi Louis XVIII, vingt-quatre ans après l’ouverture au public du premier chemin de fer anglais (le Surrey Iron Railway), que fut inaugurée entre Saint-Étienne et Andrézieux (dans le département de la Loire) la première voie ferrée française, longue de 23 km, destinée au transport de la houille, la traction des wagons étant effectuée par des chevaux.

Suivit en 1832 la mise en service de la ligne Saint-Étienne – Givors – Lyon (58 km) qui entra en concurrence directe avec le canal de Givors à Rive-de-Gier et connut un grand succès dès son ouverture, en partie en raison de la mauvaise gestion du canal.

Cette première ligne de voyageurs payante fut prolongée en 1836 d’Andrézieux à Roanne.

Ces modestes lignes, longues de quelques dizaines de kilomètres, étaient créées pour transporter le charbon vers la voie d’eau la plus proche (Loire ou Rhône), et accessoirement des voyageurs. Ce transport était assuré au début dans des tombereaux ouverts dans des conditions d’inconfort invraisemblable. Toutefois, très rapidement, de jolies voitures couvertes à l’impériale furent mises en service.

C’est seulement en 1837 que s’ouvrit dans la banlieue parisienne une première ligne pour voyageurs, entre Paris et Saint-Germain-en- Laye, bientôt suivie en 1839 et 1840 des deux lignes de Paris à Versailles, dites de la « rive droite » et de la « rive gauche ».

Simultanément eut lieu le 31 mai 1839 l’inauguration de la ligne de Montpellier à Sète (anciennement Cette) par le duc de Nemours.

Cependant la France accusait du retard par rapport à ses voisins européens. Ainsi, fin 1841, on ne comptait que 560 kilomètres de voies ferrées sur 4 912 kilomètres pour l’ensemble de l’Europe.

Il n’existait que trois grandes lignes : les lignes Strasbourg-Bâle et les deux lignes Paris-Orléans et Paris-Rouen, inaugurées en 1843.

Mais en 1842, une loi votée sous la monarchie de Juillet donna un élan à l’établissement de grandes lignes de chemin de fer allant de Paris vers les frontières (l’étoile de Legrand).

Un partenariat prévoyant des concessions de longue durée et associant l’aide de l’État devait permettre la réalisation d’un réseau de grands axes ferroviaires rayonnant à partir de Paris et suivant le même tracé que les routes nationales.

Ce réseau, achevé et complété sous le Second Empire et la Troisième République, s’étoffa rapidement, 3 000 kilomètres en 1852, 17 000 kilomètres en 1870, 26 000 kilomètres en 1882.

Les petites villes de province, relais de diligences, devinrent tout naturellement les principales stations des lignes ferrées. Désormais les conduites ne se faisaient plus jusqu’à la sortie de la ville, sur les champs, mais jusqu’aux gares.

L’expression mettre sur les champs disparut peu à peu du langage populaire compagnonnique, pour être remplacée définitivement par l’expression faire une conduite.

Cependant le développement du chemin de fer eut un effet pervers pour les compagnons. En effet, s’il a facilité leurs déplacements sur l’ensemble de la France, ce mode de transport a compromis les grèves. Celles de Nîmes par exemple, en avril 1845, ont échoué car, entre autres raisons, l’approvisionnement en pain de la population nîmoise a pu être assuré par les boulangers de Montpellier, le pain ayant été transporté rapidement par la toute nouvelle voie de chemin de fer !

Un mauvais souvenir

Le Petit Journal du 22 février 1867, nous instruit sur un fait divers dont aurait très bien pu être victime un compagnon boulanger lors de son Tour de France :

Un garçon boulanger nommé S… s’était rendu hier dans un bureau de placement, pour s’y faire inscrire. En sortant, après cette inscription faite, il rencontra un jeune homme qui lui proposa de louer ses services de la part de son père boulanger à Ville-d’Avray. Le sieur S… accepta la proposition, et rentra bien vite à son domicile pour y prendre sa malle contenant ses effets et son carton à chapeau qu’il désirait emporter. Il suivit le fils du boulanger chez un marchand de vin, ou deux bouteilles furent bues. Le premier proposa ensuite à son compagnon de laisser pour quelques instants ses bagages en dépôt chez le marchand de vin, et de l’accompagner au domicile de l’un de ses frères. Pendant que le fils du boulanger allait quérir son frère, le sieur S… les attendait tous deux dans un deuxième cabaret. Fatigué pourtant d’attendre inutilement, il retourna dans la boutique du premier marchand de vin afin de réclamer sa malle et son carton. Tout avait disparu, l’indigent de Ville-d’Avray était un escroc qui avait spéculé sur la crédulité de S… Celui-ci, ajoute la Gazette des tribunaux, a porté plainte.

 

Extrait du livre « Le pain des Compagnons » L’histoires des compagnons boulangers et pâtissiers

Laurent Bourcier, Picard la Fidélité, C.P.R.F.A.D.

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