Jean Baptiste Édouard Arnaud, Libourne le Décidé

Portrait du compagnon boulanger Arnoux Amédée Garnier, Provençal l’Enfant Chéri.

Jean Baptiste Édouard Arnaud est né le 28 mai 1816 à Libourne (Gironde). Son père, Pierre Benjamin Arnaud, boulanger, et sa mère Suzanne Peichez, lui firent donner une bonne instruction ; malheureusement un incident avec le directeur de la pension vint interrompre ses études, et fut cause qu’il apprit le métier de boulanger, car on le destinait à une autre carrière.

Animé d’un caractère franc et loyal, autant que libéral, Libourne le Décidé donna en maintes circonstances des preuves de sa franchise et de sa droiture, comme on pourra s’en convaincre en lisant le premier chapitre de sa vie dans ses Mémoires.

À sa sortie d’apprentissage, il s’embaucha pour la première fois comme ouvrier chez un patron boulanger qui occupait en même temps d’autres personnes à divers travaux ; tout le monde était nourri à la maison, mais il voulait qu’aucun ouvrier ou employé ne mangeât à la table des maîtres. Libourne, qui ne comprenait pas et lui en ayant fait l’observation, il lui fut répondu qu’on ne pouvait pas faire de changement à cette règle. Blessé dans son amour-propre, notre jeune démocrate demanda à être immédiatement réglé et quitta l’entreprise.

Il partit pour Bordeaux le 26 mars 1836 : connaissant son tempérament, il n’était certainement pas fâché de mettre du chemin entre son père et lui… Mais ce départ est un faux départ. À peine arrivé à Bordeaux, il revient au pays : « je me rappelle bien n’avoir guère fatigué mes membres dans les boulangeries bordelaises, j’étais trop près de mon pays pour cela, et je comptais beaucoup trop sur les bontés de mes parents. Aussi j’engage bien les jeunes gens qui entreprennent le Tour de France […] de ne jamais s’arrêter dans les villes qui avoisinent leur lieu de naissance… ». Au plus mal avec son père, il prend son deuxième départ le 20 septembre 1836, six mois après le premier, avec 100 francs en poche, une jolie somme.

Dès son arrivée à Bordeaux, avec Berniard, un ami dont il avait fait la connaissance en route, il fréquente la société des compagnons boulangers, mais ils savent qu’il en existe une autre, celle des sociétaires boulangers. Pour Arnaud, « la meilleure et la plus belle est celle des compagnons du Devoir ». Ils sont indécis, à quelle société adhérer ? Ils vont choisir les compagnons du Devoir, peut- être seulement pour le prestige et le respect que procure le titre de compagnon du Devoir, avec ces belles couleurs portées sur le cœur lors des cortèges de la Saint-Honoré. Il y sera reçu le jour de la Toussaint 1836.

Libourne est sur le tour durant une période où les boulangers sont les plus isolés, et les aventures ne lui manqueront pas. Il se dirige vers Blois, où il a rendez-vous avec un ami, Lagrave, un charpentier, qui attend d’être initié. Lagrave demande à Arnaud d’être discret avec ses coteries : « s’ils savaient que j’ai seulement trinqué avec un soi-disant, ils seraient capables de me chasser de leur présence ». Arrivé à Blois, Libourne se présente en tenue de boulanger sur un chantier. Il y trouve un compagnon, comme lui originaire de Libourne, et lui demande s’il connaît Lagrave : « Ah ! Ah ! dit l’autre, il paraît que le petit renard s’amuse à fréquenter les soi-disant de la raclette ! C’est bon à savoir… Sortez d’ici si vous avez envie de conserver vos oreilles ! »

Un autre jour, se trouvant avec son camarade chez les sociétaires, il eut à soutenir une sérieuse discussion, à l’issue de laquelle, menacés, ils auraient sûrement subi un mauvais sort sans sa présence d’esprit : ne pouvant sortir du cabaret, Libourne s’approcha d’une fenêtre et dit avec assurance qu’un grand nombre de compagnons étaient autour de la maison, qu’à la première attaque, il briserait une vitre et qu’aussitôt la maison serait envahie !

Signature de J.B Arnaud au bas d’une Marque Secrète,
«Libourne le Décidé, Régénérateur du Tour de France» Tours, Toussaint 1845

La Mère des sociétaires, ayant entendu ce propos, et connaissant le danger de ces bagarres, invita ses pensionnaires au calme, et félicita la retraite des deux jeunes imprudents, car il n’y avait personne dans la rue.

Il défendit avec courage et énergie sa corporation contre les attaques incessantes dont elle était l’objet à cette époque, mais à la suite des rixes dont il fut témoin et acteur, il se fit l’apôtre de la réconciliation et la prêcha dans toutes les occasions et circonstances, par tous les moyens possibles : la parole, les chansons et les écrits.

Il ne passait d’ailleurs pas inaperçu dans la rue, notre boulanger poète ! En effet, un ami de Libourne, le voyant passer, parmi une joyeuse bande, la canne en bandoulière, les gants accrochés à la poitrine, trouve qu’ils ont plutôt l’air d’aventuriers que d’honnêtes boulangers, enfants de l’atelier… Il faut dire qu’il porte un grand feutre à la Henri IV, dont il a relevé les bords, pour y fixer cette déclaration : « Admirant l’opulence de nos belles cités, je visite la France, reine des libertés, prêchant la tolérance et la fraternité, l’amour et la science, sœur de l’égalité ». Nous avons vraiment là un compagnon boulanger tout à fait atypique !

Après Bordeaux, il remonte la côte ouest, La Rochelle, Nantes, Angers, Tours. Il arrivera jusqu’à Blois, puis rentrera au pays natal.

Dans l’une de ses chansons, il fait dire à ses parents :
Va, fils ingrat, et sur le tour de France
De nous jamais tu n’auras plus d’argent !
N’avons-nous pas aussi payé tes dettes ?
Par quel démon es-tu donc inspiré ?

Mais sans doute, contre l’hostilité de son père, sait-il jouer de la pitié de sa mère :
Je m’en souviens, quand j’ai quitté mon père
En repartant pour la troisième fois,
C’était touchant de voir ma pauvre mère
Autour de moi entrelacer ses bras.

Puis il repart encore, en 1838, et ce sera pour Tours, Blois, Paris, Sens, Auxerre, Lyon, Avignon, Marseille, Nîmes, Montpellier, Toulouse, Agen, et enfin, retour à Libourne. Il participe activement à des réunions avec un grand nombre de corps d’état, tailleurs de pierre, charpentiers, menuisiers, mais toujours sans résultat (voir le chapitre Assemblée générale). Il accomplit ses trois Tours de France, toujours dans l’espoir de faire réformer les règlements des compagnonnages, et d’arriver à une entente fraternelle entre tous les compagnons.

Fervent disciple de Jean-Francois Piron, Vendôme la Clef des Cœurs, et d’Agricol Perdiguier, Avignonnais la Vertu, il composa comme eux de fort belles chansons, et obtint dans de nombreuses réunions de sérieuses promesses de réconciliation.

Mais l’égoïsme et le brutal fanatisme de l’époque ne purent être détruits, malgré l’appui d’une masse de compagnons de différents compagnonnages, et les rixes à peine apaisées dans des villes, recommençaient dans d’autres.

Arnaud souhaitait même voir disparaître les cannes et les couleurs de compagnons, ne voyant dans ces attributs que des sources des conflits entre sociétés : il fallait oser à l’époque ! Son engagement était si important, qu’il se permettait même de signer sur les documents officiels « Libourne le Décidé, le régénérateur du Tour de France ».

C’est lassé, épuisé en santé et en ressources, qu’il décida de renoncer à voyager sur le Tour de France, pour s’engager à bord de la corvette La Camille, destinée aux croisières des côtes occidentales d’Afrique.

Il partit le 13 janvier 1845, après avoir lutté pendant huit années consécutives, en emportant le ferme espoir que d’autres après lui, en suivant ses doctrines, parviendraient à amener les compagnons à de meilleurs sentiments.

Il emportait aussi avec lui le vivant souvenir de la Mère Jacob, pour qui il avait écrit un grand nombre de chansons, et aussi un souvenir beaucoup plus tendre pour l’une de ses filles, Louise.

En 1859, il publiera ses Mémoires d’un compagnon du Tour de France, édité à Rochefort par la librairie Nouvelle Amand Giraud, 78, rue des Fonderies. Son ouvrage fait partie des meilleurs, relatant réellement le compagnonnage de cette époque et son quotidien. Dès 1848, il avait aussi publié un chansonnier intitulé : Le Régénérateur du tour de France, à l’Imprimerie du Commerce Victor Mangin, quai de la Fosse, à Nantes.

Alors qu’il est au service des armées, 1er commis aux vivres de 1re classe à Constantine en Algérie, lors d’un retour en France, il est atteint d’une crise d’asthme qui dégénère en pneumonie et entre à l’hôpital royal de Rochefort le 14 mars 1864. Il y décède un mois plus tard, le 13 avril à 7 heures du matin, à l’âge de 47 ans. Une impasse de Libourne porte aujourd’hui son nom.

Extrait du livre « Le Pain des Compagnons » L’histoire des compagnons boulangers et pâtissiers

Laurent Bourcier, Picard la Fidélité, C.P.R.F.A.D.

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