LES ANNEAUX D’OR

Beaucoup d’entre eux à l’oreille portaient
En argent blanc, en or qui brille
Portaient pendus des outils d’artisan
Compas, équerre, truelle en miniature
Petit marteau ou petite cognée, la bisaiguë, la ratissoire
Des scies ou des tarauds ou des fers à cheval.
Frédéric Mistral, Calendal.


LES « ANNEAUX » AU FIL DE L’HISTOIRE

La pratique du perçage de certaines parties du corps est apparue dans les sociétés primitives. Au Néolithique, en Afrique, des petits disques en pierre ou en os étaient insérés aux lobes des oreilles, sans aucun doute pour raison magique. Des boucles d’oreilles ont été retrouvées dans la tombe de Toutankhamon (1330 avant J.-C.). Ces boucles d’oreilles portées par les ennemis africains des Égyptiens étaient représentées sur les murs de leurs temples. Elles étaient portées tant par les femmes que par les hommes.

Une croyance prétendait que pour éviter que les esprits malveillants entrent dans le corps ou pour préserver l’oreille des sons et des paroles néfastes, il fallait placer des amulettes près des oriÿces, croyance que l’on retrouve dans bon nombre de civilisations.

Au Moyen Âge, en Occident, l’austérité religieuse pousse à l’extrapolation du sens premier des écrits, comme, par exemple, cet extrait de la Genèse où Jacob demande à ceux qui l’entourent de se séparer des anciens objets de culte « païens » :
« et ils donnèrent à Jacob tous les dieux de l’étranger qui étaient entre leurs mains et les boucles qu’ils avaient aux oreilles et Jacob les enfouit sous le chêne qui est à Sichem ».

Le perçage n’est donc pas compatible avec la religion chrétienne qui professe que « Dieu est parfait, il nous a faits à son image » pourquoi donc modifier cette image ? Afin de se débarrasser de cette pratique païenne, l’Église l’a associée à l’Enfer, mais malgré l’austérité moyenâgeuse, la pratique du port de la boucle d’oreille a survécu.

Au XVIII XIXe siècle :

Un extrait de l’étude de l’allemand Konrad Vanja, intitulée :
L’anneau d’oreille masculine aujourd’hui nous éclaire sur le port d’anneaux aux oreilles.

« Au XVIIIe siècle l’on trouve des artistes, comme le peintre munichois Cosmas Damian Asam, mais aussi des princes et des militaires qui portent des anneaux d’oreilles, comme, par exemple, Moritz de Saxe, général au service des Français. La Révolution française engendre une nouvelle image de l’homme ainsi que des modes nouvelles. On a déjà beaucoup écrit sur le pantalon des sans-culottes, que le chanteur Chenard a introduit en 1792 à Paris, mais moins sur son anneau d’oreille comme attribut de la mode. À cette époque, l’on se moque pourtant de cet accessoire de mode qui pourtant a ses adeptes à travers l’Europe, jusqu’aux rangs les plus élevés de l’administration bavaroise. Le roi Maximilien 1er Joseph, qui était déjà venu en France avant la Révolution, portait un anneau à l’oreille. Et la bourgeoisie ne tarde pas à suivre son exemple. Si un petit nombre d’étudiants portent ce bijou, bon nombre de soldats et d’officiers y adhèrent jusqu’au milieu du XIXe siècle, en Bavière même jusqu’à la guerre franco-allemande en 1870-1871. Parmi les porteurs d’anneaux l’on trouve des capitaines célèbres tout comme des bandits qui suivent cette mode. À partir de la seconde moitié du XIXe siècle, les porteurs d’anneaux (qui à cette époque sont toujours portés sur les deux oreilles), vont être considérés comme ridicules, voire comme des marginaux.
L’anneau peut avoir une connotation positive en tant que symbole d’un groupe particulier. C’est le cas des bergers de l’Appenzell en Suisse, où il est devenu aujourd’hui un symbole revendiqué de la région, employé en tant que tel par le tourisme et la publicité. Depuis la fin du XIXe siècle, ce sont surtout les compagnons qui font leur tour d’apprentissage, qui portent fièrement la marque de leur métier accrochée à l’anneau d’oreille. »

L’élément le plus intéressant dans cet extrait est :
« … À partir de la seconde moitié du XIXe siècle les porteurs d’anneaux qui à cette époque sont toujours portés sur les deux oreilles ».
En effet, les anneaux ornementaux étaient portés aux deux oreilles comme le sont aujourd’hui les anneaux compagnonniques dits joints, et comme l’étaient les anneaux des compagnons à cette époque.


Musicien avec un anneau à l’oreille ; Le Monde illustré, 1865.

À noter qu’au XVIIIe siècle les anneaux aux oreilles sont attestés également hors du compagnonnage mais comme bijoux d’homme en général. C’est alors un signe d’élégance, pas uniquement porté, comme nous avons tendance à le croire, par les voyageurs (marins *, charretiers, compagnons, gitans).

* Au port d’anneaux en or par les marins, il est donné deux explications qui sont aussi particulières l’une que l’autre. La première : l’anneau à l’oreille favoriserait une bonne vue, peut-être l’acupuncture asiatique en est-elle à l’origine ; la seconde : en cas de noyade, lorsque le corps était retrouvé, la vente de l’anneau d’or permettait de donner une tombe convenable au défunt.

En effet, sous le Directoire, le port d’anneaux aux oreilles est à la mode et se répand plus particulièrement dans l’armée comme l’atteste Médard Bonnart dans ses mémoires *, celui-ci nous dit qu’en 1797 :
« Je me fis habiller suivant la saison, et d’une manière commode à ma position. Je reçus un habit du corps (car les sous-offciers étaient protégés), pour la façon et les agréments duquel je payai largement le tailleur. J’achetai un chapeau à cornes, couvert de toile cirée noire. Je fis confectionner un gilet de peluche de soie teinté en écarlate d’un côté, et bleu de l’autre, ce qui pouvait faire croire que j’en avais deux, le retournant à volonté : il s’agrafait par-derrière. J’avais deux chemises de toile de coton rayées bleu et blanc, une cravate de taffetas noir, pantalon bleu foncé en charivari, doublé d’une forte toile, fermant du haut en basavec des boutons d’ivoire, une paire de bottines. Je fis placer à mes oreilles des anneaux en or, c’était la mode alors. Je me vêtis presque toujours de cette manière pendant la guerre. »

* Histoire de Médard Bonnart chevalier des ordres royaux et militaires de Saint-Louis et de la Légion d’honneur, capitaine de Gendarmerie, en retraite. Vol. 1, page 333.

Les grognards de Napoléon :

Nous connaissons l’influence certaine des pratiques et du vocabulaire militaires sur le compagnonnage. Nous nous devons donc d’ouvrir cette parenthèse sur les anneaux sous l’Empire. Le portrait du grenadier que nous décrit Hippolyte de Mauduit, sergent du 1er régiment de grenadiers à pied de la Garde impériale dans son ouvrage Les derniers jours de la Grande Armée (Les derniers jours de la Grande Armée. Imprimerie L. Martinet, Paris, 1850.) est particulièrement précis, en voici quelques extraits :
« Longtemps éprouvé par les marches, les fatigues, les privations, les bivouacs, par le soleil comme par les frimas, le grenadier de la Garde était sec et maigre, l’obésité était inconnue dans nos rangs. […] La figure du grenadier était martiale et son attitude imposante, son teint, peu ou point coloré, mais hâlé, ses joues, creuses, son nez, proéminent et généralement aquilin, son front demi-chauve par l’effet de sa plaque de grenadier ou rasé à l’ordonnance, son œil vif et fier, une épaisse et belle moustache brunie par le soleil, et parfois grisonnante ombrageait cette mâle figure. Une queue, artistement tressée et poudrée chaque matin complétait l’ensemble de cette tête modèle. Un cachet particulier de la coquetterie du grenadier de la Garde était la boucle d’oreille, c’était sa première dépense en arrivant au corps ; elle était de rigueur. »

Alain Pigeard dans son Dictionnaire de la Grande Armée (Dictionnaire de la Grande Armée. Édition Tallandier, 2002.), nous dit ceci :
« Sous l’Empire, le port des boucles d’oreilles est d’un usage répandu dans l’armée, du maréchal Murat jusqu’au moindre fifre. Dans la Garde impériale, c’est même la première dépense que l’on fait en arrivant au corps. Un camarade perce alors l’oreille et y introduit un fil de plomb, jusqu’au jour où le budget du soldat lui permettra d’acquérir un anneau d’or du diamètre de l’écu de trois francs, à moins qu’il puisse aller jusqu’à celui de cinq francs, voire acquérir un deuxième anneau. Cet usage s’est perpétué sous la Restauration, principalement dans la garde royale, et a disparu après 1830. »

Ces anneaux étaient la dernière chose qu’un soldat vendait. D’ailleurs à Vilnius, au printemps 2001, un charnier de milliers de sque- lettes a été découvert. Il s’agissait des restes des grognards de Napoléon, tombés quelques jours après le passage de la Bérézina, pendant la re- traite de Russie en 1812. L’étude d’Olivier Sutour, professeur d’anthropologie, nous donne des détails sur cette découverte :
« Il y avait 3 260 squelettes enterrés dans le fossé d’une fortification. En décembre 1812, la température est descendue à – 38 °C. Le passage de Vilnius s’est soldé par la mort de 40 000 soldats. Sur le terrain, il ne restait que des os, des bouts de tissus et quelques bottes. Pas d’armes, très peu d’argent, et des boucles d’oreilles, classiques chez les grognards. »

Après la Restauration, le port des anneaux diminue et finit par disparaître pour se fossiliser en particulier dans certains compagnonnages.

Les compagnons, affirmation et provocations :

Le port d’anneaux par des compagnons, mais aussi par des Sociétaires, s’enrichit au début au XIXe siècle des attributs du métier en pendentifs. En effet, lors de la première moitié de ce siècle, les compagnonnages perdent les repères qu’ils possédaient sous l’Ancien Régime, la monarchie et son autorité « divine », les corporations de maîtres, et la notion de communauté autour de cet ensemble. Ils sont à la recherche d’une identité et pour cela s’inventent des racines légendaires et arborent des marques ostentatoires d’appartenance à un groupe. Les pendentifs en sont une parfaite démonstration. Cette pratique est signalée dans plusieurs autobiographies de compagnons.

Agricol Perdiguier, Avignonnais la Vertu, compagnon menuisier du Devoir de Liberté, est le premier à donner quelques détails. Dans le Livre du Compagnonnage qu’il publie en 1840, un paragraphe intitulé « Boucles d’oreilles » relate les faits suivants :
« Les charpentiers drilles portent suspendus à l’une de leurs boucles d’oreilles une équerre et un compas, à l’autre la bisaiguë, les maréchaux portent un fer à cheval, les couvreurs un martelet et une aissette, les boulangers la raclette. Chacun de ces états croit avoir le seul droit d’embellir ainsi ses boucles d’oreilles. Les accessoires des boucles d’oreilles ont entraîné des batailles. »

Pendants d’oreilles, pelle et rouable croisés et étoile à cinq branches ; coupe-pâte ; Musée Vendéen, Fontenay-le-Comte.

Arnaud, Libourne le Décidé, compagnon boulanger du Devoir, nous dit dans Mémoire d’un Compagnon (1859) que, lors de son passage à Azay-le-Rideau avec deux autres boulangers, ils sont agressés par des compagnons d’un autre corps d’état. Une rixe a lieu, puis nos boulangers se réfugient à l’Hôtel du Grand Cerf. « Vous êtes sans doute, dit quelqu’un, ceux qui ont la fâcheuse réputation de se dire Compagnons du Devoir » en s’adressant à nos trois boulangers, reconnus à l’ivoire de la pomme de leur canne. Aux boucles d’oreilles portées par ce provocateur et aux outils qui y sont suspendus, Libourne le Décidé reconnaît un compagnon doleur. Ils sont chez la Mère des doleurs !

Compagnon boulanger du Devoir portant des anneaux aux oreilles, nous observons la taille importante de ces anneaux.
Extrait d’une lithographie dédiée aux compagnons boulangers.
Imprimerie lithographique Godfroy, Saumur (milieu XIXe) ; musée du Compagnonnage, Tours.

À Lyon, étant choisi pour représenter les compagnons boulangers dans une assemblée générale organisée par les compagnons passants tailleurs de pierre, il s’adresse à la Sagesse Lyonnais : « Il faudrait d’abord ne plus porter aux oreilles ces insignes qui engendrent des disputes, plus de ces cannes gigantesques, plus de rubans, plus enfin de ces marques distinctives, grotesques et incompatibles avec les idées de notre temps. »

Comment démontrer son courage et son engagement pour la cause compagnonnique boulangère, face à ces farouches compagnons qui leur arrachent cannes et couleurs à chaque occasion possible ? En portant les pendentifs comme eux ! C’est pousser au maximum la provocation envers toutes les corporations qui leur vouent une haine viscérale, c’est de la surenchère, en particulier à l’égard des charpentiers et des doleurs, les premiers se considérant comme la corporation mère du compagnonnage, et les seconds s’estimant « violés » par les soi-disant compagnons boulangers, deux corporations où le port des anneaux et pendentifs est très répandu.

Nous trouvons trace de ces pendentifs de métier, portés aux oreilles par les compagnons boulangers dans un courrier du ministre de la Justice adressé au ministre de l’Intérieur, daté du 27 décembre 1825, celui-ci, d’après un rapport du procureur général d’Aix, annonce l’arrestation à Marseille par des agents de police de garçons boulangers qui portaient pour signe de ralliement un petit instrument d’or aux oreilles.

Qui porte les pendentifs comme les compagnons charpentiers, tanneurs et autres doleurs ?

Il y a bien sûr les corporations qui ont la volonté de s’affirmer du Devoir comme les boulangers, à savoir les sabotiers, les maréchaux, mais il existe également une réponse outre-Rhin : les charpentiers et couvreurs germaniques.

Ce compagnonnage de charpentiers allemands a traversé un siècle sans profond changement : indépendance totale, aucune relation particulière avec les structures administratives d’État, conservation de traditions, de rites, de coutumes qui peuvent paraître désuets à notre époque, comme leur tenue vestimentaire qui peut nous induire en erreur sur la date du carnaval.

Un compagnonnage imperméable, contrairement au compagnonnage français, mais ce compagnonnage existe, il vit et vivra encore. Ces compagnons sont aujourd’hui ce que nous avons été il y a 160 ans, nous pourrions les comparer en biologie aux scorpions, lézards ou autres crocodiles descendants des dinosaures.

Pour mieux connaître le compagnonnage français du XVIIIe siècle et du début du XIXe siècle, les historiens devraient se pencher davantage sur le cas de ces compagnonnages germaniques. Cela apporterait certainement des réponses aux questions qui se posent sur les rites et coutumes des compagnonnages antérieurs à la Révolution de 1789. C’est probablement chez eux que se trouve la réponse à la question du pourquoi des anneaux : L’on porte des anneaux pour y accrocher les outils de notre métier.

En effet, aujourd’hui, les compagnons charpentiers, couvreurs et maçons allemands qui voyagent en Europe portent les symboles de leur profession, leurs outils, en pendentifs aux anneaux d’oreille.

Dans la revue compagnonnique d’entre-deux-guerres Les Muses du Tour de France *, page 192, Abel Boyer, Périgord Cœur Loyal, compagnon maréchal-ferrant du Devoir, dans un article intitulé « Compagnonnages disparus », cite les nautoniers navigant la Dordogne :

* Les Muses du Tour de France : Encyclopédie illustrée du Compagnonnage et du Travail. Réédition Laffitte Reprints, Marseille, 1979, p. 192.

« Mais, en fouillant mes souvenirs d’enfance, je revois ces immenses vallées de la Dordogne, quand aux fontes des neiges du Mont-Dore l’eau croît et transforme la rivière en vaste fleuve. Au fil de l’eau, d’immenses piles de bois formant radeau descendent vers le couchant, les nautoniers juchés sur leurs merrains assemblés, dirigent de leurs longues perches leur vaisseau géant. Ce sont d’habiles pilotes qui, de père en fils, tous les ans, vont du Mont-Dore à Bordeaux. On les appelle les merriandous et ils passent dans notre pays pour des personnages de légende. Ce sont eux qui coupent les bois dans leurs montagnes, construisent leurs radeaux sur les bords des grands lacs ou les rives de ses affluents, et quand les neiges fondent, ils s’embarquent pour les grandes ventes. Ils ont certaines coutumes et usages qui doivent tenir du compagnonnage, quelques fois il en descend quelques-uns dans nos vallées pour scier de long les immenses peupliers ou les troncs de noyers, ils chantent haut et jurent fort, et ce qui m’intriguait le plus, c’étaient les grands pendants qu’ils portaient aux oreilles… »

Nous avons bien là une pratique identitaire partagée.
Ni Perdiguier, ni Arnaud n’emploient le terme « joints », ils uti- lisent tous les deux le terme « anneaux » ou « boucles d’oreilles », un nom tout à fait banal, et dans lequel il est très difficile de trouver une symbolique particulière.
Perdiguier se focalise sur les outils, car ils « ont engendré des batailles ». Il faut rappeler que Perdiguier s’est fait un devoir de régénérer le compagnonnage, notamment en essayant de faire cesser les rixes sanglantes entre les différents Devoirs. Aussi Perdiguier a-t-il en horreur tout ce qui s’apparente de près ou de loin à des marques ostentatoires d’un exclusivisme étroit – chacun de ces états croit avoir seul le droit d’embellir ainsi ses boucles d’oreilles – et qui est pour lui, intrinsèquement une source de conflits.

Aucun ne fait allusion à l’anneau de l’esclave affranchi, comme le fait Jean Bernard, a Fidélité d’Argenteuil, dans la revue La France, été 1986, sur « Le Compagnonnage aujourd’hui », p. 180 :
« Chez les Égyptiens, c’était l’esclavage. Les Hébreux, au milieu de pays qui sacrifiaient à cette économie, n’avaient pas le droit de garder une personne qui travaillait pour eux en famille plus de sept ans. Une personne louée, au bout de sept ans, on lui demandait si elle voulait rester dans la maison ou partir, et si elle partait, d’après la Bible, on lui faisait présent des produits de la maison (des poules, des légumes, des fruits, etc.) et puis elle partait, elle était libre. Si l’homme ou la femme demandait à rester chez soi, alors on lui clouait l’oreille à la porte de la maison, on lui passait un petit anneau d’or dans l’oreille. Et cet anneau d’or, c’est celui que portent les compagnons. C’est l’anneau qui prouvait que l’homme était libre. Au Moyen Âge, le paysan n’avait pas le droit de quitter sa terre, mais le compagnon, lui, avait le droit de quitter sa terre : Il avait cet anneau d’or aux oreilles. De même que les marins, faits pour le voyage, avaient l’anneau d’or. »

Jean Bernard propose cette origine qu’il a extraite de la Bible, ce qui correspond à son idéologie religieuse, mais je ne pense pas que celui-ci puisse véritablement éclairer les chercheurs.
La Bible parle du perçage d’oreilles pour les hommes : « Si ton esclave te dit : Je ne veux pas sortir de chez toi, parce qu’il t’aime, toi et ta maison, et qu’il se trouve bien chez toi, alors tu prendras un poinçon et tu lui perceras l’oreille contre la porte, et il sera pour toujours ton esclave. Tu feras de même pour ta servante ». (Deut. 15 : 16-17 et Ex. 21 : 5-6). Dans l’ancien Israël, un esclave (serviteur) qui voulait demeurer avec son maître se faisait percer l’oreille. Il y a une certaine nuance entre les écrits de la Bible et l’explication de J. Bernard. Celui-ci interprète la pose de l’anneau comme un symbole de liberté, alors que c’est tout à fait le contraire, l’esclave est à tout jamais, toute sa vie, lié à son maître… mais il est vrai, apparemment de son plein gré.

Puis, il se contredit dans ses propos, il nous dit :
[…] une personne louée pendant sept ans, on lui demandait si elle voulait rester dans la maison ou partir, et si elle partait, on lui faisait présent des produits de la maison […] elle était libre…
et dans un second temps :
Si l’homme ou la femme demandait à rester chez soi, alors on lui clouait l’oreille à la porte de la maison, on lui passait un petit anneau d’or dans l’oreille […] C’est l’anneau qui prouvait que l’homme était libre.
Si je ne suis pas fou, dans cette explication, tout le monde est libre, celui qui n’a pas d’anneau et celui qui en porte !

Cette explication sur l’origine des joints est fortement véhiculée au sein de tous les compagnonnages par les compagnons eux-mêmes, mais en fait, ce ne serait qu’une réponse choisie, consciemment ou inconsciemment, par les compagnons afin de combler leur propre ignorance à ce sujet, mais aussi pour trouver de nobles et pieuses racines à cette pratique.

Je mets en doute l’histoire du compagnon portant une boucle d’oreille au Moyen Âge (théorie très populaire au sein de tous les Devoirs contemporains). En effet, lors de cette période, le port d’anneaux était considéré comme pratique diabolique, pouvons-nous imaginer des ouvriers, en relation directe avec les hommes d’Église sur les chantiers de cathédrales, portant des anneaux, comme ambassadeurs du diable ?

Nicolas Adell-Gombert, historien du compagnonnage, dans son étude : « Un bijou d’homme, les joints des compagnons du tour de France » (Publiée dans l’ouvrage Corps et objets.), nous dit au sujet de la description de Perdiguier :
« Il faudra revenir sur cette description plus en détail, mais l’on peut déjà remarquer que, dans sa formulation, Perdiguier semble considérer ces boucles d’oreilles comme allant de soi. Il ne se donne pas la peine d’en justifier la présence. Un fossé le sépare ici de ceux qui se sont penchés et se penchent encore sur le compagnonnage.
Ainsi le premier véritable historien du compagnonnage, Étienne Martin Saint-Léon, présente un jugement sans détour : « dans certains compagnonnages, les Premiers en ville portent des boucles d’oreilles […] il serait à souhaiter que cet usage quelque peu bizarre, fût partout abandonné. »

Ce qui allait de soi est devenu « quelque peu bizarre », mais comme nous le signale Nicolas Adell-Gombert, le fait que Martin Saint-Léon nous informe que dans certaines corporations le Premier en ville porte des boucles d’oreilles n’est pas significatif, car à cette époque le Premier en ville changeait en moyenne tous les six mois, voire moins, et cette charge était remplie évidemment par un compagnon itinérant. Ces boucles d’oreilles sont donc en relation directe avec l’itinérant, mais absolument pas avec l’état de Premier en ville.

Qu’en est-il donc de la spécificité des joints avec leurs insignes ?

Une hypothèse… Au XIXe siècle, les différents compagnon- nages se livraient à des luttes fratricides sanglantes de telle façon qu’un historien du compagnonnage, Émile Coornaert, mentionne que « le plus voyant de leurs aspects multiples ressortait de rixes et de batailles incessantes ». Le même auteur cite La Gazette des Tribunaux du 2 août 1837 qui se demandait comment « ces hommes si bons, si généreux, si empressés à secourir leurs sociétaires deviennent si inhumains ».

Ces rixes étaient la plupart du temps provoquées par la vue des signes distinctifs d’un compagnonnage rival, tels que la canne, la couleur, et les pendentifs aux oreilles.

On pourrait alors simplement supposer qu’anneaux (joints) et pendentifs étaient simplement une manière de surenchérir dans la présentation de son identité compagnonnique, une façon de s’assurer que la bataille aura bien lieu, et qu’elle se déroulera avec une rage particulière.

Mais selon toute vraisemblance cette surenchère n’était pas d’une nécessité absolue pour en venir aux dernières cruautés.

Les réponses seraient donc à chercher plutôt dans l’issue des batailles que dans leurs causes. Comme toujours, la victoire se mesure aux trophées que l’on rapporte, dont les plus précieux sont ceux conquis directement sur l’adversaire.

On regardait d’un œil admiratif le compagnon qui avait su arracher la canne ou les couleurs d’un autre. Dans cette perspective, les anneaux et pendentifs apparaissent comme plus difficilement accessibles.

Ils sont l’ultime fierté de celui sur le point de rompre.

Dessin réalisé par un compagnon boulanger du Devoir en souvenir de son Tour de France, nous observons deux anneaux d’or aux oreilles ; musée du Compagnonnage, Tours.

Ils n’en demeurent pas moins des trophées potentiels, et la difficulté de la conquête ne la rend que plus belle. Travaillant dans un atelier à Toulouse en 1901, Abel Boyer, Périgord Cœur Loyal, compagnon maréchal-ferrant, fait la rencontre du père de sa patronne qui, jadis, a fait le Tour de France. Ce dernier lui recommande de passer chez la Mère à Chalon :
« Les raclettes qui sont suspendues au bas du règlement, c’est moi qui les ai conquises sur un boulanger ».
Les plus grandes conquêtes laissent toujours un souvenir ému…
Un détail de l’affaire de Tours citée plus haut du 14 avril 1845, consolide l’hypothèse du trophée, l’attaque par-derrière de Dechezelles, dans le seul but de s’approprier l’insigne accroché à la boucle d’oreille du Sociétaire Jou. C’est le trophée qui doit être ramené chez la Mère, à la Cayenne ! Et qui sera évidemment baptisé de plusieurs litres de vin rouge, en trinquant à la prospérité du Devoir et du courageux héros !

Extrait de règlement en vigueur vers 1880 :
« […] tout compagnon reconnu avoir été dans des maisons de tolérance, prostitution, avec cannes, couleurs et insignes aux oreilles, sera exclu pour un an hors de chambre et payera 10 francs d’amende, ceux qui n’auront que les insignes seront à l’amende de trois francs. »
Le terme « joints » n’est pas employé. Une particularité de ce règlement réside dans la façon dont il est rédigé, en effet il n’est pas dit qu’il est interdit aux compagnons de fréquenter les maisons de tolérance, mais il ne faut pas y apporter sa canne, ses couleurs et ses insignes d’oreilles. Il n’existe pas d’article de règlement interdisant aux compagnons boulangers portant les anneaux de fréquenter les bordels. Ce qui veut dire que tout le monde peut aller au bordel, à condition de ne pas apporter sa canne, ses couleurs et d’enlever ses insignes, car ces derniers sont facilement identifiables. Ce sont eux qui sont importants, car ils représentent la société compagnonnique à laquelle appartient le « visiteur » à la recherche de plaisir. Les anneaux, les supports, dans ce règlement de 1880 n’ont aucune importance, c’est le pendant, le blason d’oreille qui a une valeur.

Le port de pendants chez les compagnons boulangers en 1864 :

Dans le Ralliement des Compagnons du Devoir (N° 137, p. 7.) du 9 juin 1889, débute le 1er chapitre des « Aventures amoureuses et autres de deux Compagnons du Devoir à La Rochelle », par J. Joguet, Rochelais le Courageux, compagnon boulanger du Devoir.
Le récit de ces aventures se prolonge sur plusieurs numéros jusqu’en 1890. L’action se situe en 1864 à La Rochelle. Un épisode se rapporte à une affaire de port d’in- signes et de boucles d’oreilles. Joguet est alors Premier en Ville et le rouleur est un dénommé Blois. Voici les extraits les plus importants de ce récit :

  • Ralliement des Compagnons du Devoir, 11 mai 1890 : N° 159, p. 7. :
    Un jour, il nous vint, adressée aux hommes en place, une lettre sur un des coins de laquelle était écrit le mot : Pressé. Elle venait de Surgères, petite ville ouverte, située à trente-deux kilomètres de La Rochelle, et émanait d’un compagnon maréchal qui nous était inconnu ; elle était à peu près ainsi formulée :
    « Surgères, le … juin 1864 [sic].
    Chers Pays, les Compagnons boulangers à La Rochelle,
    Un jeune homme de votre corporation, pouvant avoir une vingtaine d’années, travaille à Surgères chez Monsieur Jeanneau, boulanger, il a été, comme je l’ai su, envoyé là, par vous, hommes en place de la Chambre de La Rochelle. Depuis quelques jours, il se pare à ses oreilles d’insignes compagnonniques de votre corporation, en même temps il se dit Compagnon. Je l’ai topé, n’ayant pu répondre à mes questions, je reconnus qu’il ne devait pas appartenir à la grande famille. Je vous engage d’aviser à ce sujet parce que sa fanfaronnade orgueilleuse pourrait lui coûter cher. Il y a ici, plusieurs autres Compagnons de différentes corporations qui ne sont pas d’humeur à lui laisser porter tels pendants s’il n’est pas digne de cela. Pour éviter des conséquences fâcheuses que tous nous pourrions déplorer, il serait urgent de savoir si vraiment il est Compagnon et, par conséquent, en droit de porter des insignes. […] Angevin. »

[…] Je fis, comme d’usage, lecture de la correspondance reçue depuis notre dernière assemblée, en terminant par la lettre du Compagnon maréchal. Cette lecture faite, tous nous reconnûmes que le jeune homme signalé dans cette lettre était un aspirant, un Blois des environs de Romorantin. Alors l’assemblée décida, séance tenante, que le Rouleur et le premier en ville partiraient le lendemain pour Surgères et aux frais de la Société, pour savoir si ce que contenait la lettre du Pays Angevin était la pure vérité, ou une mystification de sa part.

Pendants de compagnon boulanger du Devoir portés aux oreilles :
pelle et rouable croisés et étoile à cinq branches ; coupe-pâte (XIXe siècle).

  • Ralliement des Compagnons du Devoir, 27 juillet 18909 : […] nous allons à la rencontre du Pays Blois. […] :
    Mon cher compatriote, c’est pour vous que nous sommes venus ici. Et en peu de mots, il lui dit pourquoi. Le jeune aspirant, à cette révélation, qu’il était loin d’attendre de notre part rougit et nous avoua qu’il avait porté un coupe-pâte à une oreille, mais que le délateur qui nous avait dit ou écrit cela n’était pas fort savant sur le port des insignes des Compagnons boulangers. […]
    Mes chers Pays, c’est un tort que vous avez eu de vous déranger pour si peu de choses. D’abord, quel est celui qui vous a écrit ? Je serais bien aise de connaître ce personnage, qui, comme je vous l’ai déjà dit, n’est pas connaisseur dans le port des insignes […] Je vais donc vous dire ce dont on me fait un si grand crime. Comme je viens de vous le dire, je me suis paré d’un coupe-pâte, pendant à une de mes oreilles. J’ai peut-être eu tort, je l’avoue ; cependant je vous assure que ceci n’eut lieu qu’une seule fois et que je ne recommencerai plus. C’est par vaillantise que je l’ai fait, et je vais vous dire pourquoi. Il y a quelques jours, un client au patron, chez lequel je porte du pain, un vannier, qui n’est point Compagnon, voyant que j’avais des anneaux dans les oreilles, me dit : – Pays Blois, êtes-vous donc Compagnon boulanger, que vous avez des boucles d’oreilles ? – Oui, Monsieur, lui répondis-je, depuis peu de temps, il est vrai, mais je le suis. – Eh bien ! me dit-il, pourquoi ne portez-vous pas tout l’attirail que souvent j’ai remarqué aux ouvriers de votre corporation ?

Coupe-pâte porté à la chaîne de montre par un compagnon boulanger du Devoir de Tours vers 1875-1880.

Le récit reprend avec un court passage au n°165 du Ralliement des Compagnons du Devoir, par la rencontre des deux compagnons boulangers et du compagnon maréchal qui avait signalé l’affaire :

  • […] – ceci ne dépend que de moi, lui dis-je ; et le lendemain, je pris ce coupe-pâte que vous voyez et me le mis à l’oreille gauche. En effet, Blois nous montrait un coupe-pâte qui pendait en breloque à sa chaîne de montre. Alors, pour revenir à votre correspondant, nous dit-il, c’est ici que vous devez voir qu’il n’est pas fort connaisseur ; en effet portant cet insigne à l’oreille gauche, il aurait dû voir que je n’étais pas compagnon, puisque je le portais en rendurci (sociétaire boulanger). Ce n’était donc pas à vous qu’il devait s’adresser, si cela l’avait tant soit peu offensé. Et pourquoi ne m’en parla-t-il pas, à moi-même ; si cela m’eut plu, j’aurais pu lui dire le motif qui m’avait fait agir de la sorte ; cela vous aurait épargné cette longue course.
    En silence, j’approuvai le Pays Blois, en pensant aux déboires que nous avions eus pendant notre voyage, en songeant que nous n’étions pas encore de retour, et que d’autres désagréments pouvaient nous attendre, ce qui eut lieu en effet. Nous lui demandâmes alors comment il se faisait qu’il avait ce coupe-pâte, pourquoi il l’avait acheté sans qu’il fût compagnon, alors que notre règlement lui en défendait le port, s’il voulait rester en bonne harmonie avec la société.
    Ce coupe-pâte, jamais je ne l’ai acheté, nous dit-il. Lorsque je travaillais à Angers, j’eus une querelle avec un rendurci, qui comme moi, portait le pain, c’était auprès de la statue du Roi René, dont nous étions peu éloignés, que devait avoir lieu notre pugilat. Bien que mon adversaire eût quelques années de plus que moi, je fus plus fort et plus adroit que lui, je parvins à le défaire de dessus ses quilles et à le terrasser. C’était précisément un jeune homme des environs d’ici, un Saintonge ; alors je lui arrachai ce coupe-pâte, qu’il portait avec orgueil. En ce moment, deux agents de police en tournée, nous ayant remarqués, venaient au pas de course pour nous pincer. Je m’en aperçus et je m’esquivai au plus vite, mon adversaire en fit autant, et nous prîmes notre course comme deux voleurs pris en flagrant délit. Il aurait été presque juste de me donner cette épithète, puisque j’emportais le coupe-pâte du sociétaire.
    Chez les deux mères, la nouvelle fut vite répandue que deux boulangers s’étaient battus, la police alla même y faire des recherches pour nous flanquer au violon. Voyant cela, les chefs des deux sociétés décidèrent, d’un commun accord, que nous partirions tous les deux le lendemain matin, ce qui eut lieu. Mon partenaire prit la route de Tours, ne s’arrêtant pas à Saumur, puisque ces oiseaux-là, comme vous savez, n’ont pas de pied-à-terre et moi, je partis pour Nantes, où j’ai pu travailler quelque temps avant de me rendre à La Rochelle, qu’avec tant d’ardeur, je désirais voir, après le splendide tableau qui, plus d’une fois, m’en avait été tracé.
    Blois dit à son compatriote qu’il avait eu tort de garder ce coupe-pâte, qui ne lui appartenait pas, que celui-ci constituait une inégalité qui ressemblait à un vol et qu’il aurait dû le faire tenir chez la mère des sociétaires avant son départ. « J’aurais bien fait de faire cela », dit le jeune Blois. D’abord cela aurait été une honte pour lui et une gloire pour moi, car il s’est bien gardé de parler de sa défaite…

Le récit continue le 28 septembre 1890, N° 168, p. 8. : le maréchal et les boulangers se reconnaissent et en viennent à parler du port indu des anneaux par l’aspirant boulanger :

  • Pays Angevin […] en effet, vous ne vous étiez pas trompé dans vos conjectures : ce jeune homme n’est pas Compagnon. Mais, où vous pourriez bien être dans l’erreur, c’est en disant s’il est de chez nous ou, autrement dit, de la même secte que celle dont nous sommes. […] — Il est vrai, dit-il, que vous avez deux sociétés dans votre corporation ; mais j’ignorais que dans l’autre on portait aussi des insignes.  Cela est pourtant, dit Blois, et veuillez nous dire avec franchise si l’ouvrier de chez M. Jeannot portait les insignes tels que nous les portons nous-mêmes.
    Je dois vous dire que non, il n’avait seulement qu’une raclette. Dites un coupe-pâte, interrompit Blois.
    Un coupe-pâte, si vous le voulez. Excusez-moi, les Pays, ce n’est certes pas pour vous offenser que j’ai dit raclette. D’abord, aujourd’hui nous ne devons pas chercher à nous blesser, nous devons faire tous nos efforts pour nous aider en voyageant, nous soutenir dans le besoin, nous aimer même, quelle que soit la corporation à laquelle nous appartenons.
    Bravo ! Pour vos bonnes paroles, dis-je à mon tour.
    Je retire donc le mot raclette, et je dis qu’il n’avait qu’un coupe-pâte. Mais, interrompit Blois, avez-vous remarqué, cher Pays Angevin, à laquelle de ses oreilles il était suspendu, ce coupe-pâte ?
    Angevin rougit de nouveau et dit :
    Ma foi, oui, je vois maintenant que vous avez les vôtres du côté droit, tandis que le sien était à gauche. Alors, je suis dans l’erreur : Il n’est pas de chez vous. Oh ! Que je regrette mon égarement, votre dérangement et vos frais ! J’ai cru bien faire, en faisant ce que j’ai fait. Alors je lui dis :
    Calmez-vous, vous n’êtes pas si loin de la vérité que vous paraissez le croire. Si ce jeune homme n’est pas Compagnon, il est encore moins sociétaire.
    Je raconte donc à notre nouvel ami pourquoi et comment il se faisait qu’une seule fois lui et d’autres avaient pu voir le jeune Blois paré d’un insigne qu’il n’avait pas le droit de porter et qu’il ne porterait plus, quand bien même il deviendrait Compagnon, ce dont il avait fort envie. De plus, il nous avait promis de faire son possible pour découvrir celui à qui appartenait ce coupe-pâte afin de le lui renvoyer. Cela n’était nullement difficile à faire et c’est ce qu’il fit, nous l’avons su depuis.

Que nous apprennent ces « Aventures amoureuses et autres de deux compagnons du Devoir à La Rochelle » ?
Le mot « joint » n’est jamais employé, il est exclusivement question de « boucles d’oreilles ». Ce nom de « joint » ayant très certainement été adopté par les compagnonnages seulement au XXe siècle, lors de l’abandon du port des pendentifs, afin de sacraliser un simple et banal anneau, dénudé et devenu inutile… mais auquel les compagnons étaient attachés.

Les aspirants pouvaient porter des boucles d’oreilles (puisque Blois, se rendant chez le vannier, en porte) mais sans les outils de boulanger. C’est un besoin de cohésion entre deux catégories qui est recherché, tout en gardant une différence (aspirants/compagnons), donc l’on autorise à la première catégorie le port d’un élément de la catégorie « supérieure » afin de permettre également de revendiquer matériellement son appartenance à une société compagnonnique.

Les Sociétaires, ou rendurcis, portaient aussi des boucles d’oreilles (ou au moins une), le coupe-pâte accroché à l’oreille gauche, le côté du port du pendant est donc codifié à cette époque dans les deux sociétés.

Le coupe-pâte est appelé « raclette » par les compagnons d’autres corps d’état. C’est donc bien le coupe-pâte qui est à l’origine du surnom péjoratif de « soi-disant de la raclette ». La vraie raclette est un outil utilisé pour ôter la pâte restant dans le pétrin après l’avoir vidé.

Les compagnons boulangers avaient institué un règlement minimum sur le port des anneaux :

  • Liberté de porter des anneaux si on est aspirant ou compagnon ;
  • Port des outils réservé aux seuls compagnons ;
  • Obligation de porter le coupe-pâte du côté droit et donc le rouable et la pelle du côté gauche.

Nous rencontrons à plusieurs reprises une étoile à cinq branches suspendue à la pelle et au rouable. L’étoile étant un thème très apprécié chez les compagnons boulangers, nous rencontrons en effet le nom de compagnon L’Étoile du Devoir uniquement dans ce corps d’état.

Pendant de chaîne de montre d’un compagnon boulanger du Devoir de Liberté (voir chapitre Les compagnons boulangers du Devoir de Liberté) ayant probablement été auparavant pendant d’oreille. Coll. Rochereau.

Chez les Sociétaires boulangers en 1845 :

Un extrait des Archives départementales d’Indre-et-Loire, Série U, tribunal correctionnel, nous confirme que les Sociétaires boulangers du Tour de France portaient également un pendentif à l’oreille :

  • Coups et blessures.
    Délit du 14 avril 1845. Dechezelle Henry, compagnon boulanger. Mandat d’amener. Signalement : 26 ans, 1,60 m.
    Henry Dechezelle, compagnon boulanger, garçon chez le Sr Baron, maître boulanger avenue de Grammont, à Tours. Interrogatoire 21 avril 1845.
    Henry Dechezelle, ouvrier boulanger dit Tourangeau, né à L’Ile- Bouchard, 26 ans. Demeurant chez M. Baron maître boulanger à Saint-Étienne-Extra (un quartier de Tours).
    « Je ne suis pas compagnon * mais je fréquente les compagnons boulangers. Le 14, je revenais de porter mon pain, je rencontrai Jou, le garçon de M. Gaultier ; il m’a traité de soi-disant, nous nous sommes bousculés en nous portant l’un et l’autre des coups de poing, je lui en ai donné, mais il m’en a porté aussi. Il est faux que je lui aie arraché sa boucle d’oreille. »
    Il dit qu’il avait sa hotte sur le dos, et pas lui. Dit qu’à Pâques, Jou l’a « attaqué avec plusieurs de ses camarades au château du Coq ; ils m’ont maltraité mais pour cela je n’ai pas porté plainte ».
    * ( Beau mensonge, car Dechezelles Henry fut reçu compagnon boulanger du Devoir 4 mois auparavant, à Tours le jour de Noël 1844, sous le nom de Tourangeau Cœur Sensible. Entre 1851 et 1854, il travaille à Savonnières. Mentir en niant son appartenance est la seule façon de ne pas mettre en cause la société compagnonnique à laquelle il appartient.)
    Procès-verbal d’information, 21 avril 1845 du témoin Pierre Jou, garçon boulanger, sociétaire, 25 ans, dit rendurci dit Tourangeau, demeurant aux Portes de Fer chez M. Gaultier, boulanger.
    Dit qu’il allait porter son pain « aux pratiques » (clients), dans le chemin de Saint-Avertin, lorsqu’un individu l’a attaqué par-derrière, lui a arraché « une boucle d’oreille avec des insignes que je portais à l’oreille droite ». Blessures, bagarre. L’agresseur s’enfuit, mais Jou le reconnaît : c’est Henry Dechezelle, « il appartient à la société des compagnons ».
    Trois autres témoins confirment le récit de Jou.

Dans ce rapport de justice, nous relevons deux éléments intéressants : Le premier, le port des insignes aux oreilles n’est pas une exclusivité des compagnons du Devoir, ils sont aussi portés par les Sociétaires dits rendurcis , le second élément, Jou nous dit que lorsque l’individu l’a attaqué par-derrière, il lui a arraché « une boucle d’oreille avec des insignes que je portais à l’oreille droite ». Ce qui laisse penser que les compagnons boulangers du Devoir portaient deux anneaux avec pendants et que les Sociétaires boulangers portaient un ou deux anneaux, mais un seul avec pendant.

Perdiguier nous dit dans Mémoires d’un Compagnon, au sujet d’une conduite de maréchal-ferrant :
[il] s’éloigne, ayant un sac de peau de chèvre sur le dos, sa longue canne en main, sa gourde pendant au côté, deux belles boucles d’or ornées d’un fer à cheval à ses oreilles…
Il nous dit également à propos des compagnons charpentiers :
[ils] portent suspendus à l’une de leurs boucles d’oreilles une équerre et un compas, à l’autre la bisaiguë.
Perdiguier est très précis dans ses propos, ce sont deux boucles d’oreilles que portent les compagnons qu’il cite.

Gaston Duhameau, Blois l’Ami des Compagnons sera le dernier compagnon boulanger à porter le blason à ses anneaux les jours de Saint-Honoré, cela entre les deux guerres. À l’heure où j’écris ces lignes, quelques compagnons boulangers et pâtissiers restés fidèles au Devoir arborent de nouveau les insignes du métier aux oreilles les jours de Saint-Honoré ou de grande commémoration.

Paris, Saint-Honoré 1869 (Journal Le Gaulois, 17 mai 1869, Gallica) :
Les compagnons et les aspirants boulangers du Devoir de la ville de Paris célébraient hier la fête annuelle de leur patron Saint-Honoré. On s’était donné rendez-vous chez la mère, rue Geoffroy-l’Angevin. La mère des compagnons boulangers est généralement la maîtresse de l’établissement où l’on se réunit, une marchande de vins ou une aubergiste.
La mère doit aide et protection aux compagnons en détresse, et jamais de mémoire de boulanger, une mère n’a failli à ce devoir. À Paris, la mère des compagnons boulangers est la veuve Clermont, marchande de vins. Une bonne grosse mère, je vous assure. À midi précis, le cortège se mettait en marche.
Voici l’ordre du cortège :
La musique, les plus anciens compagnons, les boutonnières enrubannées.
Quelques-uns portent des boucles d’oreilles représentant les insignes de l’ordre du devoir, une pelle à enfourner et une étoile. La mère, en toilette de gala et en voiture découverte et à deux chevaux, accompagnée par le premier en ville et le président de l’association, les quatre plus jeunes aspirants portant un petit dais en velours sur lequel sont posées six couronnes de pain bénit, les compagnons boulangers et les aspirants.
Le cortège s’est rendu à Saint-Roch, où un service divin a été célébré en l’honneur du Saint-Honoré. Après le service, promenade, puis banquet à quatre heures, chez Ragache à Vaugirard. La fête s’est terminée par un grandissime bal de nuit.


Annonce publicitaire parue dans le journal Le Compagnon du Tour de France, le 1er février 1937.
À noter que cette boutique se trouvait à côté du siège du Grand Orient de France, la clientèle ne devant pas être uniquement compagnonnique mais également et principalement maçonnique.

Paris, Saint-Honoré 1875 (Journal Le Figaro, 16 mai 1875, Gallica) :
C’était hier, 15 mai, la Saint-Honoré, fête des boulangers. À cette occasion une messe a été dite à dix heures du matin, à l’église de la Trinité.
Un nombre considérable de boulangers, patrons et garçons, y assistaient.
Nous avons vu le cortège, qui, parti de chez la Mère, Mme Semmartin, dite Bigourdin la belle prestance [sic], 13, rue Geoffroy- l’Angevin, s’est rendu à l’église par la rue Montmartre, les boulevards et la chaussée d’Antin. En tête était un tambour, puis quinze musiciens précédant l’oriflamme portée par quatre jeunes filles en blanc. Derrière, les pains bénits sur deux brancards, le cortège de la Mère et enfin les compagnons aux boucles d’oreilles d’or représentant les instruments de leurs métiers, aux longues cannes et rubans multicolores. Des bals ont terminé la journée.

 

Les joints :
Avec la disparition des rixes, les reconnaissances entre corps d’état, 1860 pour les boulangers, les fraternisations inter-corporatives, la provocation n’a plus lieu d’être, elle est même punie par les règlements et les insignes aux oreilles deviennent vestiges des malheurs passés qui doivent disparaître. Les compagnons créent donc une symbolique « autour des oreilles » qui n’est plus celle de la revendication d’appartenance à un groupe par les outils, mais celle de l’appartenance à la fraternité. Les boucles d’oreilles ou les anneaux sont baptisés « joints » et deviennent les maillons d’une chaîne, comme les compagnons sont les maillons du Devoir. Cette symbolique de la chaîne n’émerge qu’après 1840 dans les compagnonnages.

Le nombre de facettes des joints contemporains apparait sûrement en même temps que leur appellation « joints », afin de les différencier des anneaux simples. Nous rencontrons en grande majorité dans les compagnonnages sept facettes, c’est le cas des boulangers pâtissiers, sept, un chiffre symbolique cher aux compagnons. Il se peut qu’à l’origine, ce ne soit qu’un simple bijoutier parisien, fournisseur des différentes sociétés, qui ait proposé de faire sept facettes afin de rendre les joints plus jolis… et que cela, ayant plu aux compagnons de la place, se soit propagé sur le Tour de France.
Ensuite une symbolique particulière en rapport avec le chiffre sept s’y serait greffée.


Joint à sept facettes d’un compagnon pâtissier du Devoir (2014).

Du XXe siècle à nos jours :

Depuis le début du XXe siècle, une baisse significative du port des joints semble avoir lieu. Claudette Joannis dans « Un bijou rituel compagnonnique : le joint » (Revue du Louvre n° 1, 1996, page 90.) nous donne cette explication :
« L’anneau à l’oreille est devenu une mode adoptée par les marginaux et les artistes, véhiculant à son tour de nouvelles significations sans liens avec le sens premier. Témoins de cette évolution, beaucoup de compagnons considèrent cette déviation comme un sacrilège. Aussi préfèrent-ils abandonner ces joints qui faisaient leur fierté et illustraient leur fidélité à l’idéal compagnonnique […] Cette baisse a fait émerger une certaine élite : « les jointés ». Plus profondément, c’est l’idée même de l’élite qui s’insinue à l’intérieur du compagnonnage. […] Ainsi tous les compagnons reçus sont égaux en droits et en devoirs, et de même à chaque grade. Or les joints viennent, au sein de cette égalité, placer de la distinction en mettant à part une poignée d’hommes. Les « jointés » n’ont ni plus de droits, ni un pouvoir plus étendu que les autres compagnons. Cependant les joints leur confèrent une certaine « auctoritas », un charisme inégalable… »

Joints d’un compagnon boulanger du Devoir par Sylvie Belloc Brangoulo,
fille du compagnon boulanger du Devoir, Pierre Belloc, Bordelais l’Inviolable (1927-2008).

Nicolas Adell Gombert nous dit encore :
« Cependant les joints, les boucles elles-mêmes, demeurent (suite à l’abandon du port des pendentifs). Ils persistent tout en tendant vers une sorte de degré zéro de la boucle d’oreille. En dehors du fait que les pendentifs ont disparu, les joints sont aujourd’hui portés collés au lobe de l’oreille. Ils tendent à se fondre avec elle-même. Mieux encore, ces anneaux sont « sans rivet ni soudure et la fermeture à crochet est invisible ».

Claudette Joannis donne la qualité fondamentale de ces nouveaux joints : L’invisibilité. C’est un renversement capital. Il ne s’agit plus d’exhiber, d’affirmer, encore moins de faire prévaloir un certain goût esthétique… Le joint agit presque comme un anti-bijou. Et c’est précisément dans ce dernier qu’il faut, semble-t-il, chercher le sens nouveau qui se cache sous le paradoxe de cette parure invisible.

L’évolution formelle des joints s’accompagne également d’une évolution dans leur usage. Les joints signalent l’appartenance d’un compagnon à un Devoir.
« Ils sont le corps de métier dans le corps de l’individu ». Ils relient entre eux, l’étymologie en atteste, les membres d’une communauté de métier.
Cependant il faut préciser que tous les compagnons ne portent pas les joints au sein d’un même Devoir et d’une même corporation. Ces marques servent donc autant à réunir qu’à distinguer. Il y a là un paradoxe qu’il conviendrait de résoudre en déterminant de façon précise ce que l’on veut relier et ce que l’on veut différencier. Les joints unissent d’abord et avant tout. En effet, en même temps qu’ils différencient les hommes entre eux, les joints lient celui qui les porte non plus tellement aux autres membres du groupe mais à une morale supérieure, concentrant l’ensemble des valeurs chères au compagnonnage et que les compagnons nomment le Devoir. La différence par rapport à l’époque précédente, réside dans le fait que les joints sont devenus un outil de distinction, de différenciation entre les compagnons au sein même de la corporation, et non plus vis-à-vis d’autres corps de métier.

Nous observons, et cela depuis 1990, chez les compagnons boulangers-pâtissiers et autres corps d’état, comme les compagnons charpentiers du Devoir, un retour important du port des joints, mais aussi une « arrivée », comme c’est le cas actuellement chez les compagnons menuisiers du Devoir de Liberté (pratique nouvelle dans cette corporation), très certainement une façon d’affirmer son appartenance à « sa » corporation, une fidélité inébranlable aux traditions de celle-ci, dans la continuité des compagnons qui portaient les anneaux au XIXe siècle.

Ces anneaux provoquent avant tout la curiosité. Le compagnon boulanger René Edeline, Tourangeau la Franchise, était souvent questionné par ses camarades de chambrée en Algérie lors de son service militaire (1936-1937) à propos des joints qu’il portait et il répondait : « C’est pour mes yeux, mon médecin m’a prescrit ça ! »


Maurice Ribet, Normand la Franche Gaîté,
sous l’uniforme de l’infanterie de marine et
portant aux oreilles les joints, vers 1955-1956.

— Anecdote rapportée par Gilbert Bastard *, Île de France la Liberté, compagnon tanneur corroyeur, à son fils Laurent, ce compagnon ayant servi sous les drapeaux en compagnie de Tourangeau la Franchise. Ce dernier avait sûrement entendu comme moi l’histoire du « Pourquoi de l’anneau d’or des marins ? »
* (Né le 26 juillet 1914 à Saint-Germain-lès-Arpajon. Reçu par les compagnons selliers et cordonniers en 1935. Apprentissage chez son père Henri Bastard, Vendéen la Liberté, à La Suze-sur-Sarthe (72), Bolbec, tannerie Suplisson, directeur des Tanneries de la Rille à Saint-Hilaire-sur-Rille (61) jusqu’à sa retraite en 1973. Père de Laurent Bastard, directeur du musée du Compagnonnage de Tours. Décédé le 10 janvier 1994.)

À l’Union Compagnonnique et dans certains compagnonnages de l’A.O.C.D.D. et de la Fédération compagnonnique des métiers du bâtiment, il existe des cérémonies particulières pour la prise des joints. Il semble qu’elles ne soient pas antérieures à la Seconde Guerre mondiale.

Chez les compagnons boulangers du Devoir il n’a jamais existé, et il n’existe aucun rituel ou cérémonie particulière pour le port des « joints ». Nous n’observons là qu’une façon de s’affirmer compagnons du Devoir et d’en assumer le titre.

Les règlements des compagnons boulangers et pâtissiers :

Une proposition concernant les rites au congrès de Nîmes de 1946 : « Qu’il soit interdit à un compagnon qui a porté les joints et les quitter, de les faire porter à sa femme ou à sa fille ». Ainsi qu’une décision de congrès (Bordeaux 1968), six mois de « Lumière » minimum, et connaissance des reconnaissances.

Ces propositions ou décisions étant depuis bien longtemps oubliées, d’autres règlements, ou même reconnaissances, apparaissent, sortis tout droit de l’imagination de compagnons boulangers ou pâtissiers. Ces règlements ne sont que des idées personnelles de compagnons influents, données et appliquées à ce sujet. Le compagnon boulanger a toute liberté pour porter les joints, et cela quand il le veut et comme cela a toujours été… Mais aussi toute liberté de les enlever.
Jean Pebayle, Bordelais l’Enfant Chéri quittera ses joints lors de ses déplacements pour participer aux réunions préparatoires de la naissance de l’A.O.C.D.D. sous l’occupation allemande. D’autres retireront ces anneaux pendant toute la durée de la Seconde Guerre mondiale, certains ne les reporteront jamais où les feront porter par leur épouse comme le compagnon René Edeline, Tourangeau la Franchise (d’où très probablement la proposition de congrès de 1946).

Nous avons donc découvert que les anneaux porteurs de pendentifs avaient subi un « recyclage », ils sont devenus des symboles :
« les joints ». Mais que sont devenus les pendentifs ? Au rebut au fond de tiroirs. Non, ce serait très mal connaître la psychologie compagnonnique. Eux aussi vont être « recyclés » !


Jean Garnier, Berry la Renaissance du Devoir (1876-1946),
compagnon boulanger du Devoir,
pelle et rouable croisés en suspens à la chaÎne de montre.
Musée du Compagnonnage, Tours.

C’est Gaston Duhameau, Blois l’Ami des Compagnons, qui nous en apporte la preuve. Il fera transformer son pendant (pelle et rouable entrecroisés) en épingle de cravate, avec en ajout, une petite équerre et compas en or, offerts le jour de sa réception par la Mère des compagnons boulangers de Blois, Blésoise la Bien Aimée.
Ces épingles vont orner également la boutonnière des redingotes et costumes. D’autres pendentifs descendront un étage plus bas et se retrouveront sur le ventre de leurs propriétaires accrochés à la chaîne de leur montre à gousset.

Gaston Duhameau « Blois l’Ami des Compagnons, Compagnon boulanger du Devoir a, pour la fête patronale du métier : la Saint-Honoré, suspendu à ses joints les outils du métier ». Extrait de l’ouvrage de R. Edeline « Il a été, il est, il sera… Les Compagnons du Tour de France », photographie Robert Doisneau.

Pendant de chaîne de montre : coupe- pâte, pelle et rouable croisés, étoile à cinq branches suspendue ; accouplé à un petit médaillon, souvenir de la Sainte-Baume (recto : un compagnon charpentier du Devoir ; verso : Marie- Madeleine) ayant appartenu à Louis Laumer Leclerc, Blois la Sagesse, compagnon boulanger du Devoir (1862-1914).

De nos jours, quelques compagnons boulangers et pâtissiers se font encore fabriquer le blason de leur corps d’état en or, afin d’arborer fièrement leur appartenance, sur leur costume les jours de fête, en particulier de congrès et de Saint-Honoré. De 1990 à 2010, ces épingles de cravates, ainsi que les joints d’une grande majorité de compagnons boulangers et pâtissiers ont été fabriqués par Sylvie Belloc Brangoulo, la fille du défunt compagnon boulanger Pierre Belloc, Bordelais l’Inviolable (1927-2008). Voici plusieurs de ses réalisations :

Épingle de cravate, pelle, rouable, équerre et compas, balance et coupe- pâte suspendue. Pendant d’oreille d’un compagnon boulanger/pâtissier (XXIe).
Pendant d’oreille contemporain d’un compagnon boulanger R.F.A.D. (XXIe). Pendants d’oreilles d’un compagnon boulanger/pâtissier (XXIe).

Les joints
(Air de la chanson sans le refrain : À notre Mère)

Personne à ma connaissance
Sur le joli Tour de France
N’a jamais pensé chanter
Ces charmants petits objets
Que l’on appelle « les joints ».
L’or dont la fine ciselure
Symbolise la droiture
Avec laquelle vous devez
Œuvrer vos beaux métiers
Pour faire respecter « les joints ».

Ce n’est pas sans amertume
Qu’on voit mourir les coutumes
Qui nous aidaient à penser
À servir la renommée
De nos belles sociétés.

Je vois bien à vos sourires
Ce que vous allez me dire :
Ils sont bien lourds à porter
Dans l’ingrate société
Qui fait fi de nos métiers.

Notre époque toujours sévère
Pour tout ce qu’aimaient nos pères
Ne doit pas vous empêcher
De porter avec fierté
Et de faire honneur « aux joints ».

Jeunes Pays et Coteries
Dans la solennelle nuit
Où l’assemblée des anciens
Fera de vous un des siens
Recevez aussi « les joints ».
C’est au beau pays de Loire
Qu’il aime à chanter la gloire
Du Devoir de Liberté
Guépin aussi appelé
L’immortelle Liberté ! *

Saint Joseph 1968.

* François Giojuzza, Guépin l’Immortelle Liberté (2016t), signe lui-même traditionnellement dans le dernier couplet. À noter que dans l’ouvrage de Garry, intitulé Les compagnons en France et en Europe, 1973, pages 358-359, cette chanson est signée Pierre le Saintonge, C.M.D.D.D.L. Pierre le Saintonge n’est pas l’auteur de cette chanson, et encore moins compagnon menuisier du Devoir de Liberté, il est compagnon menuisier du Devoir.

 

Extrait du livre « Le pain des Compagnons » L’histoires des compagnons boulangers et pâtissiers

Laurent Bourcier, Picard la Fidélité, C.P.R.F.A.D.

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