Le gâteau des rois

LE GÂTEAU DES ROIS, PAR LE COMPAGNON JAMAIN (1895)

Dans le numéro 133 du 3 mars 1895 le journal L’Union Compagnonnique publia un article sur « Le Gâteau des Rois » signé de François JAMAIN, Bordelais le Soutien du Devoir, compagnon charron du Devoir. Né en 1857 à Monségur (Gironde), il fut reçu à Marseille en 1877 et adhéra à l’Union Compagnonnique de Bordeaux en 1893. Il s’est bien documenté pour écrire cet article qui ne relève pas de sa spécialité !


Gâteau des rois contemporain (photo Wikipédia)

« La fête des rois se célèbre, on peut dire, partout : Républicains, conservateurs et même socialistes, prennent plaisir à faire de leurs petits marmots des roitelets d’un jour. Mais chaque pays, chaque province, modifie son programme suivant son caractère, son génie et ses aptitudes.

C’est ainsi que les éléments qui composent le gâteau des rois sont très variés : à Paris, ce sont les galettes ; à Lyon et dans l’Est, les brioches au levain ; à Marseille et en Provence, les gâteaux en pâte et en levain sucré ;


Gâteau des Rois de Marseille (photo villedemarseille.fr : le gâteau des Rois : une vraie tradition provençale).

À Toulouse et dans la Gascogne, les gâteaux de Limoux ;

Gâteau de Limoux ou limos (photo du site audetourisme.com)

À Bordeaux et dans l’Ouest, les capters (1) au cédrat ;


Gâteau des Rois bordelais, photo du site de l’AANA
(Agence de l’Alimentation Nouvelle-Aquitaine, crédit papinou-fotolia).

À Brest et dans la Bretagne, les gâteaux en pâte de levain au sucre Bourbon ; dans le Nord, les gâteaux de Terviers [sic, pour Verviers] à la cannelle et au sucre candi ;


Gâteau de Verviers (photo gastronomie-wallonne.be)

Dans le Poitou, le gâteau assez grossier appelé fouasse, à l’usage de la campagne.


Marchande de fouaces aux environs de Melle (Deux-Sèvres) (photo extraite de : Jean-Pierre BERTRAND : Pains et gâteaux traditionnels de Vendée, Editions Siloë (1999).

Il faut le dire, et ce, à l’avantage des nouvelles générations, le cortège des cérémonies variées, qui accompagnait autrefois la fête des Rois, tend de plus en plus à disparaître dans les provinces, sauf cependant en Normandie où l’on a encore conservé les anciennes coutumes.

En Normandie, la fête commence le 2 janvier et dure deux jours. Le premier jour est appelé « criée des Rois ». Sitôt la nuit, les collines s’illuminent de feux de joie. Maîtres, valets et enfants se livrent à une course échevelée à travers les champs, les bois, les prairies et les plants de pommiers, agitant des baguettes d’osier allumées, appelées Coulines. Ces feux, rappelant la lumière miraculeuse qui guidait les Rois Mages, sont d’un effet fantastique. Pendant cette rapide excursion, ils chantent à gorge déployée de naïfs couplets en patois bas-normand ; puis tout le monde se retire pour souper. C’est le côté sérieux de la fête.

Lorsque arrive le moment de tirer le gâteau, on l’apporte devant le chef de famille qui le découpe en autant de parts qu’il y a de convives, sans oublier la part à Dieu. Il recouvre le tout d’une serviette, fait tourner trois fois le plat d’Orient en Occident, en l’honneur des trois Mages, puis il appelle le plus jeune de la compagnie. Celui-ci récite le Bénédicité et introduit sa main sous la serviette.
-Pour qui ? demande le maître de la maison ?
-L’enfant répond : pour Dieu ! et tire une part que l’on met de côté pour le premier pauvre qui vient la demander.
Chaque autre part tirée est portée au convive par l’enfant qu’une personne accompagne en tenant, au-dessus du plat, une salière emplie de sel ; probablement pour montrer que celui qui va être roi devra assaisonner toutes ses actions du sel de la sagesse… Tout cela est fort édifiant.

Partout on retrouve cette part à Dieu, ou part du pauvre, détachée du festin, tirée la première du gâteau et donnée au pauvre qui vient la réclamer à la porte en chantant une chanson de circonstance qui varie suivant les localités. Quelques-unes de ces chansons sont suppliantes, par exemple :

Nous sommes d’un pays étrange
Venus en ce lieu,
Pour demander à qui mange
La part du bon Dieu.

D’autres frisent la menace, mais toutes se rapprochent sur un point : la Charité.


La part du pauvre, gravure XIXe siècle.

C’est surtout dans les maisons d’éducation que se conserve la tradition des fêtes joyeuses. Les Jésuites donnent à la fête des Rois dans leurs collèges, une solennité particulière.

Jésuites de Montréal (Québec) en 1857 (site archivesjesuites.ca)

Au réfectoire, chaque table ayant élu son roi par la voie du sort…de la fève, il suit de là qu’une pluie de royautés s’est abattue sur la maison en moins d’un quart d’heure. Il n’y a cependant qu’une couronne ; à qui la donner ?

Voici comment l’on procède. Un nouveau gâteau, avec la fève, est préparé, autour duquel se réunissent, pour se le partager, les rois élus, candidats inquiets à la monarchie. Et celui à qui tombe la fève, perle rustique d’une couronne éphémère, celui-là est proclamé… le Roi des Rois, Rex Regina. Alors, oh ! alors ! pour le roi des rois, quelle allégresse, quel triomphe, quelles franches acclamations de tout un peuple, ses condisciples, ses amis.

Le roi des rois est hissé sur le pavois, les rois subalternes prêtent leurs épaules de quinze ans pour promener sur sa Sédia (2) leur jeune monarque. Des hourrahs l’accueillent sur tous le parcours.

J’ignore si un sceptre arme son bras, ou si un laurier ceint son front juvénile, mais ce que je sais, c’est que le nouveau roi reçoit du Recteur le pouvoir de lever toutes les punitions !
Puis vient le jour à son déclin qui annonce la fin de cette gracieuse royauté d’un jour, laquelle on ne manquerait pas de punir si elle se dissipait à l’étude ou causait au dortoir.

F. JAMAIN, C :. Charron D :.:.


François JAMAIN en 1894.

(1) Nous n’avons pas trouvé la signification de « capters ». Un boulanger ou un pâtissier peut-il éclairer les lecteurs ?

(2) la Sedia (chaise, en latin) était la chaise à porteur où était assis le pape lors de certaines cérémonies solennelles. Ici, c’est la simple chaise du réfectoire qui est élevée par les jeunes gens, comme s’il s’agissait d’une chaise de cérémonie.

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