Voici un extrait de l’ouvrage de Gustave de Molinari intitulé Les Bourses du Travail (Paris, Guillaumin & Cie, 1893 -appendice W-) qui nous instruit sur le placement en 1848 et en fin d’article sur la naissance de la Ligue pour la suppression des bureaux de placement en 1886 :
Le préfet de police Caussidière, obéissant aux sollicitations des ouvriers de diverses professions, prit un certain nombre d’arrêtés pour interdire l’industrie du placement.
Paris, le 29 mars 1848.
Nous, Préfet de police,
Vu les réclamations qui nous ont été adressées par les délégués des garçons marchands de vin ;
Considérant que ces réclamations ont pour objet de supprimer à l’avenir les bureaux de placement, dont les agents prélevaient des droits onéreux pour les travailleurs ;
Que l’office de ces agences reconnu utile en principe consistait à servir d’intermédiaire entre les garçons marchands de vin et leurs patrons et qu’une commission, composée de délégués, a été proposée pour remplir cet office ;
Arrêtons ce qui suit :
Art 1 — Tout bureau de placement servant d’intermédiaire entre les garçons marchand de vin et leurs patrons est interdit.
Art. 2. —Tout garçon marchand de vin sans ouvrage devra s’adresser à la Commission établie d’un commun accord entre les intéressés, et dont le siège est situé provisoirement quai de l’École, 22.
Le Préfet de police, Caussidière.
Des arrêtés analogues furent pris, à la même époque, contre les placeurs des ouvriers cuisiniers, boulangers, restaurateurs et limonadiers, coiffeurs et cordonniers-bottiers, et accordèrent le privilège du placement dans les professions correspondantes, à des commissions ouvrières.
Ce système ne tarda pas à provoquer des réclamations ; car on trouve dans la Collection officielle des Ordonnances de police, l’avis suivant :
Avis aux Ouvriers Boulangers de Paris et de la Banlieue.
Paris, le 6 juin 1848.
Nous sommes informé que de coupables manœuvres sont exercées par un certain nombre de garçons boulangers, contre les maîtres. Sous prétexte de surveiller l’exécution d’un règlement et l’observation d’un tarif convenu, on viole le domicile des boulangers et on leur impose tel ou tel ouvrier.
C’est là un abus intolérable, et que nous sommes décidé à faire cesser immédiatement, par tous les moyens que la loi met à notre disposition. Si les garçons boulangers ont des réclamations à faire, c’est au Préfet de police qu’il faut les adresser, car c’est à lui qu’il appartient de faire exécuter les règlements.
« Nous invitons, en conséquence, les ouvriers boulangers à s’abstenir de toute manifestation de cette nature, en les avertissant que des mesures énergiques seront prises pour réprimer le désordre, quelque part et de quelque façon qu’il se produise.
Le Représentant du peuple, Préfet de police,
Trouvé Chauvel.
Mais la situation créée par les arrêtés de M. Caussidière ne se prolongea pas ; ces arrêtés, pris en dehors des attributions du Préfet de police et contrairement à la loi des 2-17 mars 1791 qui garantissait la liberté de l’industrie, étaient, en effet, entachées d’illégalité ; dès que le Gouvernement provisoire eut disparu, les placeurs commencèrent à se rétablir par tolérance, et, en 1849, ils obtinrent du tribunal de simple police un jugement fortement motivé, qui déclarait nuls et de nul effet les arrêtés qui avaient aboli leur industrie (*1).
La lutte contre les placeurs fut a plusieurs reprises fédératrices au sein des mouvements ouvriers boulangers. Ces luttes furent a plusieurs reprises le thème de chansons compagnonniques de la moitié du 19 eme siecle, en particulier celle Arnaud, Libourne le décidé, compagnon boulanger du Devoir.
Le 10 juin 1860, dans le journal “L’Espérance”, Jean-Baptiste ENTRAYGUES Limousin Bon Courage proteste contre les placeurs, le « pole-emploi » privé et payant de l’époque (Les Ouvriers de Paris, alimentation, de Pierre Vinçart, -14 Bd Sébastopol- 1863) :
« Notre position présente n’est pas des plus belles, étant toujours précaire à Paris ; en province l’on est beaucoup mieux comparativement ; nous payons d’après le règlement, 10 francs à un placeur pour nous faire embaucher, et ces 10 francs sont exigibles quinze jours après que l’on est en boutique. Beaucoup d’ouvriers se plaignent des abus et désireraient être régis par eux-mêmes, ou par l’autorité municipale locale, comme en 1844, où remettre en vigueur le tarif de 1848, qui a été aboli. Quand un ouvrier quitte un bureau de placement, le placeur de l’autre bureau où il s’adresse s’informe généralement auprès de son collègue si l’ouvrier a payé son dernier embauchage et, s’il n’a pas payé, il ne peut avoir de travail.
Pour les journées, les placeurs prélèvent, pour cinq jours deux francs, pour huit jours 4 francs, et si l’ouvrier arrive à rester quinze jours, il est considéré comme embauché et doit alors dix francs. Pour les compagnons et aspirants boulangers du Devoir, ils sont forcés d’aller chez les placeurs pour avoir du travail, car chez la mère ils ne pourraient s’en procurer, la société n’étant pas autorisée à cet effet ».
Un bureau de placement à Rennes, comme il en existait dans toutes les villes de France.
Ce fut aussi le combat de Constant BOUTIN, Saumur plein d’honneur, compagnon boulanger du Devoir, contemporain d’ENTRAYGUES, Limousin bon courage
En 1869, les ouvriers boulangers de Paris se groupèrent pour lutter enfaveur du travail de jour et contre les placeurs, la lutte favorite de Saumur plein d’honneur.
Ce groupement fut le point de départ du syndicat des ouvriers boulangers de Paris.
La guerre de 1870 survint, suivie de la défaite et de la Commune ; les ouvriers boulangers n’abandonnèrent pas leurs revendications qui réapparaissent dans cette toute nouvelle Commune proclamée.
Le 6 avril 1871, une assemblée générale des ouvriers boulangers nomme à l’unanimité les délégués de la profession , Constant BOUTIN est l’un des élus.
Le 8 avril, ces délégués adressent cette pétition à la Commune :
« Au nom des principes républicains qui sont l’affranchissement des travailleurs. Les ouvriers boulangers désirants rentrer dans la vie commune d’où ils sont sortis par la fantaisie despotique du patronat, demandent à la Commune, seul gouvernement juste et qui a souci des besoins populaires :
1- un décret qui abolissent le travail de nuit et que les ouvriers commencent le travail a 5 heures du matin.
2- l’abolition immédiate des placeurs, quels que soient leurs titres, pour anéantir tout système de parasitisme. Chaque ouvrier se fera inscrire à la mairie, ce qui procurera autant de faciliter aux patrons.
3- une enquête pour rechercher les ouvriers de la corporation, qui étant sous le coup de la loi militaire, sont cachés par les patrons et les placeurs (…) A cote de cela il y a des hommes mariés, pères de famille et des hommes d’âge qui sont très souvent sans travail vu la trop grande quantité d’ouvriers boulangers agglomérés dans Paris.
Espérant cette juste Réforme, agréez citoyens nos saluts fraternels et notre dévouement.
Grégoire Robert ; Adolphe Tabouret ; C.Boutin ; Ducloux ; [illisible] ; Paris le 8 avril 1871.
Le 23 avril, un arrête à en-tête du Ministère des travaux publics paru au Journal Officiel confirmait celui de la commission exécutive donne raison aux ouvriers boulangers .
La Ligue pour la suppression des bureaux de placement fut fondée le 4 janvier 1886 ; elle débuta en adressant une pétition au Conseil municipal de Paris pour le prier de lui faire rendre justice en demandant à M. le Préfet de police de retirer la tolérance à tous les détenteurs de ces agences et en ordonner la fermeture .
Papier à entête d’un bureau de placement pour la boulangerie, 10 rue Saint-Simon à Versailles, nous observons que celui-ci est vendeur de petits matériels et dépositaire de la margarine Astra.
En 1891, un Congrès de la Fédération française des syndicats de l’alimentation, pour la suppression des bureaux de placement , issu de la Ligue, a voté une série de résolutions dans le même sens. Enfin, un meeting a eu lieu par son initiative le 23 février 1892 et il a voté l’ordre du jour suivant :
Les travailleurs de toutes les corporations, réunis au nombre de 1 200, au Tivoli Vaux-Hall, le 23 février 1892.
Considérant que l’existence des bureaux de placement est la cause majeure de la misère que l’on constate dans les corporations assujetties à leurs malhonnêtes agissements,
Déclarent se solidariser avec leurs concitoyens et les assurer de leur concours jusqu’à la complète disparition de ces exploiteurs du travail (*2) »
Dans une des réunions précédentes, convoquée à la Bourse du Travail, la Ligue avait adopté des résolutions non moins énergiques, et dans lesquelles elle invoquait, chose curieuse, la nécessité de sauvegarder le principe de la liberté du travail.
Considérant, disait-elle, que les corporations intéressées à la disparition des bureaux de placement sont suffisamment organisées pour les remplacer utilement à tous égards, et que ces derniers sont une source d’immoralité publique ;
« Considérant que les Chambres syndicales seulement peuvent exercer une influence salutaire sur leurs camarades ;
L’assemblée proteste contre les résolutions du Conseil supérieur du Travail (en faveur du maintien des bureaux), et déclare que, quelles que soient les mesures réactionnaires que l’Administration croira devoir imposer aux travailleurs, ceux-ci n’en continueront pas moins à lutter énergiquement pour sauvegarder le principe de la liberté du travail.
Bref, le but que poursuit la Ligue, c’est d’attribuer aux syndicats ouvriers le monopole du placement dans l’intérêt de la liberté du travail.
Bureau de placement des garçons boulangers à Villefranche-sur-Saône, dépositaire de la levure Springer, marchand de fonds de commerce et de matériel.
Notes
*1. Le Placement des Employés, Ouvriers et Domestiques en France, p. 119.
*2. Le Placement des Employés, Ouvriers et Domestiques en France, p. 156-161.
Laurent Bourcier, Picard la Fidélité C.P.R.F.A.D.