L’orge est une céréale peu gourmande en terre et climat, de ce fait on la retrouve dans le pain à des périodes historiques difficiles. Les années où la moisson n’a pas été bonne et où les hommes sont au champ de bataille plutôt qu’au champ de la ferme.
A l’époque de la Convention, le décret français du 26 brumaire an II (15.11.1793), 200 ans avant le décret du pain de tradition, voulait instituer en règle républicaine le pain de l’égalité.
«Prônant que la richesse et la pauvreté devant disparaître, il ne sera plus composé un pain de fleur de farine pour les riches et un pain de son pour les pauvres.»
« Le pain de l’égalité sera composé des trois-quart de froment et d’un quart de seigle ou d’un quart d’orge dans les lieux où on ne trouvera pas une quantité suffisante de seigle»
La même année (1793), un des premiers dictionnaire wallon-françois, en région liégeoise donne curieusement comme traduction de pain d’orge, une expression latine «tibi marli», ce qui peut se traduire par «Pour toi Sacristain», ce n’était pas pour le curé en tout cas, mais bien pour un degré en dessous.
Les expressions proverbiales pour l’aspect ; «grossier comme un pain d’orge» et pour le goût ; «il est mauvais comme du pain d’orge» prouve s’il le fallait la piètre réputation de ce type de pain.
C’est d’ailleurs comme produit de substitution du froment que l’on traite la farine d’orge et cela encore après la guerre 1940-45.
L’Italie très riche en pains régionaux présente deux pains d’orge («orzo») dans un inventaire réalisé fin du siècle passé.
Un en Sardaigne et l’autre dans les Pouilles. Les deux ont en commun de n’être fabriqué que deux fois l’an de par leurs présentations.
Très fine feuille de pâte à pain cuite puis recuite pour le sarde et petit pain sec pour l’autre.
Ce dernier porte le nom de «friselle» ( de écraser) dans les Pouilles,
Le deuxième est le plus connu des deux, à l’origine c’était un pain de berger qui partait en transhumance pour plusieurs mois, ce pain devait se conserver longtemps.
Le vrai pain d’orge sarde porte le nom de «S’oriattu»
Une fois réalisée, la pâte à pain est abaissée très finement et à la cuisson cette feuille éclate en deux comme le pain «pita».
Après un léger refroidissement à l’aide d’un grand couteau on sépare en deux ce pain creux et on repasse au four les fines feuilles pour bien les sécher et se garder.
Aujourd’hui le «pane carasau» est appelé par/pour les touristes ; «carta musica» puisqu’on fait plus de bruit en mangeant ce pain que lorsqu’on mange du pop-corn.
Ce pain est présent dans les épiceries fines et restaurant en recherche de plat typique.
Fort semblable au «pane d’orzo / S’oriattu», il n’est pas composé d’orge, mais de blé dur.
Et comme souvent pour les recettes de pains régionaux anciens, le levain aussi a disparu en lieu et place, la levure.
On passe ainsi du produit de substitution au produit de diversification régionale.
Et si c’est en terme de variation que la panification de l’orge vous intéresse, en professionnel de la pâte, sachez que les spécialistes allemands dans «Speltz und Schälgetreide –Grains vêtus et grains nus», ne remplace que 20 % de froment par l’orge pour des pains de mie ou le procédé d’ébouillantage «Brühstuck» d’une partie de la pâte semble donner un bon résultat, l’orge étant riche en gommes (pentosanes).
Pour des pains plus en croûte, du type baguette, les professeurs Calvel et Nuret en 1948, vont jusqu’à 30 %, mais avec des critiques sur l’aspect de la croûte (coup de lame creux et moins jetés) et du goût (amertume). Le professeur Calvel signale que pour l’orge, il y aura intérêt à faire des pâtes douces, froide et de réduire la fermentation, surtout l’apprêt.
On trouve dans le Monde des pains à presque 100% d’orge, mais plat, azyme et dont la farine a été grillée préalablement jusqu’à blondir à l’aide d’huile de sésame, cela existe au Tibet, un pays d’origine de cette céréale rustique
Incorporé a 30% et travaillé un peu comme le seigle auvergnat est la meilleure solution de panification, qui donne un pain dense au gout fruité et sucré.
Marc Dewalque – Artisan Boulanger – Belgique.