V.1. Fertiliser n’est pas doper !
L’emploi d’engrais touchant la fertilisation n’est pas si inoffensif pour la santé que l’on pourrait le croire à première vue. Je n’avais pas bien compris les problèmes que les engrais pouvaient créer, avant que je ne prenne conscience de la pollution qu’engendraient les nitrates. Parfois l’apport d’engrais de synthèse ne se soucie que de 3 éléments, le fameux NPK (soit azote + phosphore + potassium).
Comme le signale l’agronome Claude Bourguignon, alors qu’une céréale récoltée à maturité restitue au sol tout le potassium qu’elle a puisé si on laisse les pailles se composter sur celui-ci[1], les céréaliculteurs conventionnels utilisent parfois 10 à 150 unités de potassium à l’hectare. On voit là que « les marchands d’engrais potassiques sont de remarquables commerçants[2] ».
Autre remarque pertinente, les plantes ont besoin, non pas de ces trois éléments, mais au moins de trente deux éléments pour se développer harmonieusement. Ces éléments ne pourront se puiser dans la terre indéfiniment sans fragiliser le terrain et la plante. « On pourrait comparer nos plantes cultivées à un enfant que l’on gaverait uniquement de pâtes ». « Il serait joufflu et gros, mais très déséquilibré et il ne pourrait se maintenir en vie que grâce à des médicaments, compléments alimentaires et vitamines ». « Il en est de même pour nos plantes ». On comprend mieux pourquoi les doses de pesticides augmentent dans la céréaliculture.
C’est une perception chimique et forcée de la fertilité. Il faut entendre par forçage, les techniques qui augmentent la fertilité sans se préoccuper du climat et de l’équilibre du sol. On ne se soucie que de la quantité. Un des points où l’on a le plus forcé la fertilisation du froment est l’apport d’azote. Principal engrais sur céréale panifiable en conventionnel, l’azote sous forme de nitrates qui est le pivot de la fertilisation, disent les agronomes. Même de l’azote naturel, comme celui extrait au Chili, ou la fumure à l’aide de guano et de fumier ou lisier d’animaux d’élevage, qui seront mis sur le champ, peuvent occasionner des apports trop intenses[3].
Plus grave, la pollution des réserves d’eau par les nitrates se situe notamment dans les zones de culture intensive de froment. Un lien de cause à effet est clair. La teneur en nitrates de l’eau dépasse souvent les normes O.m.s. (Organisation Mondiale de la Santé) pourtant déjà critiquées. Le potentiel des nitrates et de ces métabolites (nitrites et nitrosamines) sur la santé laisse planer une ombre de plus sur notre avenir[4]. N’oublions pas cela, au risque de ne plus avoir une céréaliculture durable.
Autre aspect critique de l’intensification de la fumure azotée, plus les nitrates ou autres engrais azotés ne parviennent pas à être protéosynthétisés, plus ils créent des niches à pucerons et autres pestes, ces derniers voyant dans ces acides aminés libres, du pain béni[5]. Pourquoi prendre ces risques, surtout que quand on n’intensifie pas, par exemple en agriculture extensive et biologique, notamment, la qualité du gluten (portion importante des protéines du blé) moins abondant en quantité, donne le même résultat en performance technique avec 2 % en moins. Ce que quelques études démontrent[6]. Il semble mieux synthétisé dans la plante.
Pensons également en tant que boulangers que la pratique des pré-pâtes (ex. : poolish et surtout levain) est moins exigeante en gluten[7].
Vu que cet apport d’azote venant autrefois au printemps et en un temps, polluait, on aura l’idée de le fractionner pour qu’il ne percole pas tant vers les eaux souterraines, mais aussi par souci d’efficacité économique. Mais viendra un autre argument à l’analyse. Lorsque l’on regarde la teneur en acides aminés (les plus petites portions des protéines une fois dégradées par les fermentations et la digestion), ceux qui ainsi réduits « passent » comme nutriments, là on remarque que plus l’apport d’engrais azotés est tardif [8], plus la teneur change et les protéines insolubles (gluten) en profite un peu[9]. Corollairement plus la teneur en l’acide aminé lysine est réduite, et c’est justement un des acides aminé essentiel limitant qui est atteint[10].
Nous l’approfondirons (VII.7), la teneur en lysine est déjà peu avantagée dans les céréales par rapport aux légumineuses et à la viande. Elle l’est encore plus lorsque celles-ci sont panifiées, parce que la cuisson va encore la réduire. Liée avec des sucres, la lysine va être la composante de la croûte (par une des réactions de Maillard – XXI.10), devenant ainsi moins bonne en termes nutritionnels, puisque l’on constate une baisse de 15 % de la valeur alimentaire protéique du pain par rapport à la farine[11].
Il faut plusieurs années pour que les nitrates percolent et atteignent les réserves de nappes phréatiques. Nous n’avons donc pour l’instant que la pollution des fertilisants « lessivés » d’il y a 10 ans. Nous attendons la migration des apports des fameux résultats agronomiques actuels (plus de 100 quintaux/l’hectare parfois) pour la décennie à venir. Pourtant comme nous le verrons (VII.1), l’eau est, dans certains endroits, déjà trop chargée en nitrates aujourd’hui et les solutions (grâce à la mise en réseau) de la couper avec de l’eau moins « chargée » ne tiendra pas la distance à l’aune des échecs des « plans Azote » gouvernementaux souhaitant limité les rejets azotés.
La toxicité des nitrates semble bien établie, la mort de nourrissons du au lait reconstitué (les baby blues[12]), les conserves d’épinards (légumes riches en nitrates[13]) est là pour étayer nos accusations. Cette pollution de l’eau par les nitrates est telle qu’elle a été considérée comme le principal levier pour accréditer l’agriculture biologique en l’inscrivant en termes de loi, par l’intermédiaire de l’Organic Law aux States et la directive CEE no 2092/91. Les exploitants de sources d’eau minérale ont été les premiers à demander des méthodes de culture sans intrants (soit, bio) sur leurs têtes de source afin de protéger la valeur de leurs captages.
V.2.Ne récoltons pas la pollution !
La culture ne concernent toujours pas une compétence strictement boulangère. Pourtant c’est ce chapitre qui peut donner le plus d’enracinement à une démarche écologique. Personnellement ma motivation « bio » s’est beaucoup renforcée en réaction à la réalité attristante dans laquelle s’est trouvé plongé le monde agricole conventionnel.
En retournant ne fut-ce que 70-80 ans en arrière, à l’heure de l’accroissement des rendements et à l’entrée massive de l’agriculture dans le mode industriel, tout partisan de l’agriculture biologique était traité comme un personnage nostalgique ayant le goût du pessimisme et du catastrophisme exagéré ou encore irresponsable devant les défis de l’agriculture de demain.
Aujourd’hui que nombre de scandales alimentaires sont venus troubler le consommateur d’aliments à prix plancher issu de l’intensif, le respect d’un monde de production naturel grandit dans l’opinion publique. Ce type de progrès agro-industriel tel qu’on nous le présentait est devenu petit à petit synonyme de dangers et de pollution. S’il nous faut choisir entre les risques issus de la nature et les risques issus de la chimie, il est devenu impossible de voir encore les arguments des partisans de l’agrochimie tenir allègrement la route.
Les promesses de révision de l’encadrement juridique sont rarement tenues et font preuve d’un laxisme certain[14]. Bien que cela puisse être clair au niveau de l’intention et de la réflexion, on (la famille) est souvent bien loin d’avoir « la bouche militante » lorsque nous effectuons nos achats. À l’échelon politique, lorsque nous devons émettre des choix entre l’économique à court ou à long terme, c’est aussi le choix rapide qui prédomine dans nos démocraties.
V.3. La baisse des prix ! À quel prix !
C’est à l’analyse d’articles traitant des pesticides que l’on peut remarquer combien la connaissance sur ceux-ci a pris du temps et combien il est parfois difficile ensuite de réagir adéquatement lorsque l’investissement est devenu l’« establishment[15] ».
Les défenseurs des prix les plus démocratiques et ceux de la rationalisation économique en grosse unité de production se retrouvent aussi bien dans les politiques libérales et sociales. Elles ont souvent trouvé un consensus gouvernemental dans la production intensive des aliments. Le prix du froment n’a guère augmenté ces dernières décennies, il a même diminué, si l’on parle en prix constant, le prix de l’œuf non plus, le prix du lait est lui dans une impasse.
Les productions ont dû s’accroître pour maintenir un revenu décent aux producteurs. Dans le secteur des céréales, la superficie des fermes et le rendement à l’hectare ont augmenté pour y faire face. Tout cela dans un esprit de compétitivité qui s’aiguisait de plus en plus, excluant les petites entreprises. Par corollaire les jeunes débutants ou nouvelles générations d’agriculteurs verront l’investissement de départ bien difficile à rembourser.
Un mécanisme politique bien sclérosant et qui produit un bilan social catastrophique. La société moderne a décidé de sacrifier les paysans sur l’autel du productivisme et l’offrir aux exploitants agricoles de fermes-usines[16], traités de « cumulards » au niveau de l’achat des rares terres agricoles encore disponibles et l’octroi des subsides. C’est aussi croire que l’on puisse robotiser le savoir-faire (XIX.4)[17].
Par ailleurs si l’on réfléchit à une forme de solidarité agro-alimentaire mondiale, il est important de savoir que la France exporte la moitié du blé produit sur son territoire et qu’au Canada et en Australie, c’est en moyenne 75 % de la récolte qui part à l’export. Ces excédents exportables peuvent, par exemple, être écoulés sous forme d’aide alimentaire, mais il faut remarquer que cette aide fonctionne surtout comme une ristourne à l’achat et permet aux pays exportateurs de s’introduire sur un marché.
L’ex-secrétaire à l’agriculture des États-Unis, sous Ronald Reagan, John Block, expliquait en 1987 que « Les États-Unis d’Amérique ont utilisé la Banque Mondiale pour soutenir cette politique [d’approvisionnement des pays en voie de développement], allant jusqu’à mettre comme condition au prêt le démantèlement des programmes de soutien du Maroc à ses producteurs locaux »[18]. Faut-il encore s’étonner, dans ces conditions, que la migration des populations du Sud vers le Nord soit un des recours inévitable pour elles ?
V.4. Protecteurs de récolte à court terme et récolte de dangers à long terme.
En 1948, on attribue le prix Nobel de physiologie et de médecine à Paul Müller (*1899 †1965), qui découvrit les propriétés insecticides du Ddt[19]. Il est vrai qu’au début de son application, en ne mesurant que les résultats à court terme, l’insecticide a sauvé des populations de malaria et typhus transmise par les moustiques et des poux.
Plus de cinquante années après, le monde scientifique a cerné les limites de ce protecteur du paludisme et des récoltes. « Notre ignorance est plus vaste que ce que nous connaissons » et « ce que nous ignorions (de ces produits protecteurs de récolte) s’avéra plus important que ce nous savions », écrivent Théo Colborn, Diane Dumanoski et John P. Myers[20]. Ce livre préfacé par Al Gore (alors, vice-président des États-Unis et candidat malchanceux aux élections de 2001) fait suite au premier livre réalisant un impact contre les pesticides, « The Silent Spring » de Rachel Carson en 1962 qui à la lecture est toujours d’actualité.
Théo Colborn, elle, a rassemblé dans une banque des données depuis la fin des années 1980 toutes sortes d’informations aussi disparates que l’hécatombe des phoques en Mer du Nord, des dauphins en Méditerranée, de l’atrophie du pénis des alligators en Floride, d’oisillons difformes dans les Grands Lacs d’Amérique du Nord, des visons stériles dans la même région, des mœurs bizarres des goélands et des sternes toujours dans cette région des Grands Lacs fort fermés et pollués, du décimage des loutres en Angleterre, etc.
Elle a ainsi suivi la piste des poisons à retardement que sont les pesticides. Les effets d’emmagasinement des toxiques dans les organes filtrants de la pyramide alimentaire sont devenus probants lorsqu’on a voulu comparer des populations vivant dans une région polluée à une population vivant dans une région intacte, les Inuits pour le genre humain et les ours polaires pour le monde animalier[21].
Ceux-ci consommant beaucoup de graisses de phoque consommaient aussi beaucoup de poisons par l’effet accumulateur des résidus persistants dont la concentration peut être multipliée des millions de fois au bout de la chaîne. De hasard de lecture en hasard de rencontre et par les connexions des résultats d’enquêtes, la recherche de Miss Colborn finit par découvrir une forme de risque de vie sociétaire bien insidieuse. La perturbation hormonale réalisée par les matières actives de pesticides entraîne des baisses de spermatozoïdes, de la stérilité et des malformations.
Ces perturbations hormonales se réalisant parfois à des doses bien plus infimes que ce que l’on imaginait et avec des matières déclarées au début d’inoffensives. Comme par exemple, le plastique recouvrant l’intérieur des conserves et celui des éprouvettes ! Pire que le risque de l’extinction de l’espèce humaine (le titre de la version française du livre), les auteurs de Our Stolen Future, soit Notre avenir volé, voient dans le brouillage des messages hormonaux chez les animaux et probablement chez les humains, des problèmes comportementaux qui agressent la vie en société[22].
Sachez que l’industrie chimique a entrepris en vain de discréditer ce livre, tout comme le livre de Rachel Carson, mais tous les deux sont fort étayés scientifiquement.
V.5. Peste ici !
Si des livres comme ceux qui sont décrits ci-devant ne permettent plus aux autorités d’ignorer les dangers que l’on court, d’autres recherches dénoncent jusqu’à l’efficacité des produits pesticides. Tout d’abord celui de l’entomologiste californien Robert Van den Bosch dès 1977-1978. C’est un des pionniers de la lutte intégrée et biologique[23]. Celui-ci dénonce l’engrenage des pesticides. C’est-à-dire la multiplication des traitements avec des doses en progression constante, pour lutter contre la pullulation d’espèces devenues de plus en plus résistantes[24].
Le temps de produire une nouvelle molécule biocide est parfois plus long que le temps d’adaptation des nuisibles à la molécule ou matière active de ce pesticide[25]. Comme la substance n’est active que 3 – 4 mois, lors de longues durées de stockage, les traitements répétitifs ont de grande chance de dépasser les limites résiduels autorisées [26].
Le commerce des produits dits parfois protecteurs de récolte ou pesticides est en pratique uniquement régulé par la publicité de vente, celle-ci absorbée également dans la presse professionnelle qui en devient muselée au niveau budgétaire. Les organismes de contrôle castrés politiquement[27] ont ainsi rarement rempli leur rôle d’informateurs et de contrôleurs-régulateurs[28].
Toutes ces normes que sont les doses de résidus de pesticides autorisés, la D.j.a. (Dose Journalière Admissible) ou la Dl 50 (Dose Létale 50) [29] ne signifie plus grand chose. De plus, il ne mesure ni la destruction de la vie microbienne du sol, ni l’impossibilité au travers de tous les aliments ingurgités de définir le contenu additionné de chaque additif ou résidus et l’on ne sait rien de leurs interconnexions.
La mise à jour des connaissances est rarement effectuée par l’O.m.s.[30], tant cette tâche de rassurer à l’aide de D.j.a. est peu convaincante. Afin d’octroyer l’agrégation officielle, on fait ingérer les nouvelles molécules à une population (souvent des rats) en augmentant progressivement la dose. Arrivé à 50 % d’animaux morts (la dose létale), on obtient la Dl 50 par kilo de poids vif de l’animal. L’état des 50 % d’animaux restants permettrait d’en connaître plus sur l’innocuité, la carcinogénicité et génotoxicité du produit biocide testé, mais là, on n’analyse plus.
Il a fallu des initiatives de fondations privées pour mieux cerner les conséquences des traitements des terres agricoles par les quelques millions de tonnes par année[31] de produits à molécules biocides créés par l’industrie chimique. Malheureusement, ce n’est pas toujours l’état, ni surtout les entreprises qui s’en sentent citoyennes et responsables de cet avenir.
Encore un exemple qui peut désoler dans notre réalité actuelle, c’est lorsque l’emploi d’un pesticide devenait interdit dans les pays occidentaux, les firmes continuaient à le produire et à l’exporter dans les pays du Sud[32], pour les voir se ramener en l’important en termes de résidus dans les produits alimentaires importés[33].
Avant d’écrire ce livre, je ne voulais n’être que positif. Mais cette pratique que certains ont appelée l’agrochimie laisse beaucoup trop de traces destructrices pour que l’on n’en parle pas. Un pesticide est responsable non seulement de son objectif (tuer la vie ciblée), mais son spectre d’action est souvent plus large. Il inhibe lors de la croissance de la plante une synthèse convenable des apports nutritifs ou amendements du sol[34].
Cela procure à la céréale plus d’éléments non synthétisés directement assimilables dont raffolent les insectes, champignons, bactéries ou virus (les pestes). On leur procure avec cette manière de cultiver une niche, un terrain idéal[35].
La culture de céréales en agriculture biologique certifiée ne peut pas subir de traitements à l’aide de pesticides de synthèse, mais dans certains cas, lors de la conservation des grains, des traitements à l’aide de produits phyto d’origine naturelle et non rémanents sont autorisés. Ils seront revus (fig.2 dans VI.2.) dans nos discussions sur la conservation.
V.6. Ici, depuis 60 à 40 ans, l’intervention des intrants lors de la culture du blé
Du fait du métabolisme (l’assimilation des apports nutritifs) des végétaux et de la partie consommée par l’humain (racine, feuille ou fruit), les résidus seront plus ou moins présents. D’où, lors de la culture, ils seront moins présents sur céréales (fruits/graines) que dans les autres fruits et légumes[36]. Au cours de sa culture, la céréale peut voir à plusieurs étapes de celle-ci des interventions baptisées un peu vite « phytopharmaceutiques », ou produits de protection des récoltes, dits produits chimiques par ces détracteurs.
1.— Premièrement, la semence qui sera traitée aux insecticides autrefois organo-mercuriels (III.11), réalisées par des produits organophosphorés. Et actuellement malheureusement « soigné » aux chloro-nicotyl, dont le plus connu l’est sous le nom du produit commercial « Gaucho » interdit depuis peu, mais d’autres nouvelles demandes d’autorisations émanent de la même « famille » d’agents actifs.
2.— Deuxièmement, si la semence est hybride (III.10), un agent chimique (H.c.a., soit Agent Chimique d’Hybridation) sera pulvérisé sur les épillets afin de stériliser les organes mâles du froment pour créer une nouvelle variété par fécondation venant de pollen de variétés de froment différentes semées « sous le vent ».
3.— Troisièmement, mais à trois reprises ; avant et après que la germination de la graine dans le sol laisse pointer sa plantule puis encore après le tallage (fig.5 et IV.4), des traitements d’herbicides peuvent avoir lieu[37]. Ceci afin de protéger la plante naissante du froment de la concurrence d’herbes parfois proches parentes génétiques[38]. C’est dans ce cas qu’interviennent des herbicides dits sélectifs, utilisés parfois systématiquement[39] en termes de prévention.
4.— Quatrièmement, des régulateurs de croissance peuvent être employés, moins que la culture recordman en ce domaine, l’arboriculture. Pour le blé, ce type d’intervention est l’action de cytokines antagonistes de l’acide abscissique, une hormone végétale qui favorise l’élongation au niveau des nœuds[40]. C’est pour réduire le risque de verse physiologique que l’on va limiter cette élongation de la tige entre deux nœuds et épaissir ces mêmes pailles. On les appelle le plus souvent « raccourcisseurs de tige[41] ».
5.— Cinquièmement, les attaques dues aux moisissures[42] lors de la culture conduiront à des traitements de fongicides[43] qui peuvent se prolonger jusqu’au stockage.
6.— Sixièmement, la « maturation chimique » du blé consiste à pulvériser juste avant récolte du Roundup (ou autre herbicide total) agissant comme défoliant, tuant la plante et provoquant une dessiccation artificielle. Cette pratique n’est normalement pas autorisée en Europe, mais pas mal de contournement législatif se pratique malheureusement, par exemple en pulvérisant un peu avant la récolte, sous prétexte de désherber [44].
7.— Septième et dernièrement, après le décorticage des grains (enlever les balles ou cosses), qui se réalisait autrefois sur l’aire de battage au fléau, le grain sera conservé, souvent en silos. Les produits de protection du stockage du grain[45] luttant contre les charançons (VI.5) viennent après récolte et décorticage et avant la transformation. Des analyses d’une étude de 1972 comparent les teneurs en lindane (insecticide organo-chloré fort rémanent) de différents produits de mouture de froment.
En donnant l’indice 100 à la teneur (non chiffrée) du grain complet, la fleur de farine (blanche) issues du premier broyeur à cylindres divisent par 5 ou 10 la teneur, mais le son et les remoulages bis la multiplient inévitablement par 2/2,5. Ce qui a fait dire à l’auteur d’une des rare étude sur le sujet ; « qu’en règle générale, les farines blanches ont une qualité hygiénique très supérieure[46] ».
La farine complète nécessite pour cette raison plus de contrôle et de vigilance. C’est principalement ces derniers produits de traitement et leurs métabolites[47], que devrait cibler l’analyse de résidus. D’autant plus, si le son fait partie de la portion employée dans le pain ou autres produits dérivés[48].
V.7. Ici, pas de beaux restes
Les pesticides sont partout[49], cela concernera aussi la pollution de l’eau. Une mise à jour peut être réalisée par la lecture des Règlements (CE) no 1107/2009 du Parlement européen, du Conseil du 21 octobre 2009 et du 33 Règlement (UE) no 528/2012 du Parlement européen et du Conseil du 22 mai 2012[50].
Les pesticides de stockage présentant le plus grand risque de pollution du grain avant mouture. Nous les examinerons plus loin (VI.2). N’oublions pas les pesticides utilisés en culture.
Inventaire des pesticides réalisé en 2003, nécessitant une mise à jour, mais utilisé pour mieux connaître les produits de protection des plantes (PPPs). Pour les mises à jour, consultez la note 47 citée plus haut. | |||||||
fig.1. QUELQUES PRODUITS PESTICIDES CONNUS PAR L’INFORMATION GENERALE | |||||||
Non de la matière active | Dénomination de produit commercial | Famille chimique | Famille de pesticides | DL 50 | LMR en mg | Commentaires | |
Endusolfan | THIODAN ENDULSOLFAN | Organo – Chloré | Insecticide | 50/110 mg | 1 mg en F | Célèbre pour la pollution du Rhin en 1969 Organochlorés interdits après les autres |
|
Aldicarbe | TEMIK | Organo – Chloré | Insecticide | 1 mg | Un de ses composants est l’isocyanate de méthyle, responsable de la catastrophe de Bhopal en Inde par l’Union Cardibe (500 morts et 200 000 personnes atteintes relevé de 1984) | ||
Lindane | HYLOGAN GAMMA LINDAN | Organo – Chloré | Insecticide | 88 mg | 1 mg en Fr 0,1 mg en D |
Organochlorés interdits après les autres Des traces d’impuretés de matières souvent repérées |
|
Glyphosate | ROUNDUP | Organo – phosphoré | Herbicide | 4.900 mg | Le plus recensé (75 % des échantillons dans les eaux de surface), vu qu’il est choisi fréquemment | ||
Chlorméquat Chlorure ou C.C.C. | CYCOCEL STABILAN | Régulateur Croissance | Raccourcisseur de tiges | 670 mg. | 3 mg en D 2 mg en CH 0,5 mg en ex-D de l’est |
Recensé régulièrement vu qu’il est choisi fréquemment | |
Atrazine | SHELL ATRATER OLEO ATRATEX |
Triazine | Herbicide | 3.080 mg | 0,1 mg. sur fruits légumes | Recensé dans la pollution des eaux, même en traces dans les eaux embouteillées.
Le responsable de la pollution de lots de blés bio en D en 2002. |
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Nitrofène | Dérivé du benzène | Herbicide | 630 à 675 mg |
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Imidaclopride | GAUCHO | Chloro-nicotyl | Insecticide | 2.050 mg | Responsable présumé de l’hécatombe de ruchers d’abeilles. Demi-vie du produit hors normes européennes. Métabolite (oléfine) 16 X plus toxique pour les pucerons. Une graine enrobée suffit pour tuer un petit oiseau. |
Enfin n’oublions pas non plus que des pesticides sont employés en agriculture biologique et qu’ils ont aussi les toxicités évaluées en termes de DL50 et Lmr. La précaution s’impose également lors de l’application de ces produits. Cela ne se pratique pas sans limites même s’ils ne sont pas issus de synthèse chimique et qu’ils ont moins de rémanence.
Inventaire des pesticides réalisé en 2003, nécessitant une mise à jour, mais utilisé pour mieux connaître les produits de protection des plantes (PPPs). Pour les mises à jour, consultez la note 47 citée plus haut. | ||||||
fig.2 : PRODUIT DE TRAITEMENT DES GRAINS
AUTORISES EN AGRICULTURE BIO. |
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Non de la matière active | Dénomination du produit commercial | Famille chimique | Famille de pesticides | DL 50 | LMR en mg | Commentaires |
Pyréthrines naturelles | Végétale | Insecticide | 584 à 900 mg |
1 mg | Appelé poudre persane et connue 5 sc. avant J.C. Issue de chrysanthèmes Dangereux pour les poissons. |
|
Roténone | Végétale | Insecticide | 132 à 1 500 mg | |||
Sulfate de cuivre Neutralisation par chaux éteinte | La Bouillie Bordelaise
en contient |
Minérale | Insecticide Fongicide | 2 g | 0,3 à 1,4 g/kg de poids corporel | Il ne faut plus dépasser 6 kg/ha/an (soit l’équivalent de 2 traitements avec une bouillie concentrée à 20 % de cuivre métal, 12,5 kg/ha correspondant à 2,5 kg de cuivre métal par traitement). |
V.8 Vers une agriculture durable qui respecte la vie de l’agriculteur et du sol.
Il nous faut écouter les anciens, surtout lorsqu’ils ont abandonné la culture conventionnelle qui les avait pourtant gâtés en termes de rendement. Avec un apport de 20 à 30 unités d’azote à l’hectare, on avait 5 à 10 quintaux de blé en plus. On poussera alors l’apport de nitrates jusqu’à 200 unités à l’hectare (II.13.).
Mais le vulpin aimait bien aussi cet apport d’azote. Ce n’est pas grave : on aura l’« isopoturon », un herbicide spécifique, pour résoudre de manière sélective l’arrivée invasive des « nitratophiles » autres que le blé.
Sur l’apport d’azote en excès, avec l’arrivée des semis serrés et les courtes pailles, les moisissures et leurs cortèges de maladies s’installeront, et c’est alors les fongicides qui se proposeront comme solution. Les pucerons se sentiront à l’aise sur ce terrain et l’insecticide fera partie de la commande de produits à la coopérative.
Pour finir, on en arrive à avoir une différence inquiétante entre le traitement des parcelles et les soins attribués à son jardin personnel[51]. Ce sera au point de devoir travailler pour l’exploitation agricole avec de multiples précautions et protections.
Car ce sont les agriculteurs qui sont en première ligne des risques dus aux traitements. Ils sont devenus les premiers atteints des maladies que peuvent procurer les produits dits « phytopharmaceutiques [52]». Ils savent mieux comprendre pourquoi la production de leur alimentation ne peut plus provenir de cultures sous perfusion de nitrates et biocides.
Il faut opposer le bon sens paysan et la connaissance du terrain, aux lignes de conduite des experts des firmes phytopharmaceutiques.
On décrit souvent l’agriculture dominante comme « conventionnelle », mais de quelle convention s’agit-il[53] ? Est-ce celle qui pousse à cette fertilisation azotée intensive sans prendre en compte l’élévation de la teneur en nitrates des eaux de distribution et de la conséquence au niveau santé[54] ? Est-ce celle qui conduit à des pollutions régulièrement recensées de perturbateurs endocriniens venant des pesticides[55] ?
Ces derniers étant utilisés de manière préventive pour ne pas dire quasi systématiquement et à l’aveugle appauvrissent dramatiquement la vie du sol, pourtant nécessaire à la fertilisation[56].
La production se réalise en monoculture céréalière, plutôt qu’en ferme mixte (élevage plus culture) qui a malheureusement eu tendance à disparaitre, même en bio. Les modes de culture bio ont tendance à se simplifier en cherchant une fertilisation à moindres intrants et un respect de la vie du sol.
Pour ce qui concerne la céréaliculture, le déchaumage avec retrait des pailles est parfois remis en cause dans les fermes sans prairie afin de rendre au sol ce qu’on lui a pris.
Le compactage du sol du aux multiples passages de traitements montre aussi ses désavantages.
V.9. L’agriculture bio = Un sol plein de vie
On ne peut décrire ici qu’en condensé les pratiques de l’agrobiologie, tellement cela se vit plus en expérience sur le terrain qu’en théorie. Cela se vit également d’après le climat, d’après la terre. Et comme tout cela est changeant et varié, adaptons-nous au sol plutôt que de lui demander de s’adapter à nous.
Dès lors, je me contente de dresser ici un inventaire des pistes à creuser et qui différencient l’agrobiologie d’une agrochimie, laissant à d’autres le développement et l’approfondissement technique et certains le font déjà très bien[57].
– C’est la volonté d’avoir un sol vivant qui fait éviter, si pas élimine, les labours profonds enfouisseurs de la mince couche fertile et vivante.
– Le travail avec engrais vert et couvert végétal, apport de compost sont des méthodes qui luttent contre l’inertie des sols.
– L’arboriculture est mise en avant pour réparer les dégâts du aux remembrements des terres et l’élimination des haies vives protectrices.
– La méthode de l’assolement connue dès les premiers traités d’agriculture (Columelle au 1er siècle) est une technique qui permet non seulement d’éviter la colonisation dans le sol des pestes (moisissures, et microfaune potentiellement nuisibles) propre à la plante cultivée mais aussi apporte cette complémentarité qui charge et décharge la terre en divers éléments fertilisants.
Les années suivants la culture des légumineuses, le blé « pompera » ce reliquat d’azote dans le sol grâce à son système racinaire. Il faut encore savoir que des sols trop riches en azote favorisent la verse des blés hautes tiges en céréaliculture.
En agriculture biologique, on misera sur la fertilisation en soignant la vie de la terre entourant les multiples racines du blé. Sachez qu’il existe jusqu’à 67 200 racines au blé arrivé à maturité. Mise bout à bout, cela peut atteindre 600 mètres[58].
Grâce à l’association des champignons (dits mycorhizes) et des multiples racines, le transfert des engrais naturels contenus dans le sol s’opère. On l’ignore peut-être de trop, par manque de lisibilité du fait que la vie est souterraine, mais les racines sont souvent plus importantes que les parties aériennes apparentes.
– Grâce aussi à la vie du sol, comme celle des vers de terre[59] qui aèrent celui-ci et prédigèrent les nutriments. Les champignons et les bactéries du sol enlacent les racines dans ce qu’il est convenu d’appeler rhizosphère, là où se marient le sol et la plante[60] (fig.6 dans XI.7.).
– Si l’on prend la peine de ne pas couper les racines de céréales en les arrachant par la tige de la céréale, que l’on bêche autour pour suivre les ramifications racinaires, on s’aperçoit que le blé s’enracine plus profondément qu’un chêne, qu’une luzerne peut envoyer ses racines à plus de dix mètres de profondeur.
– Autre méthode de la culture biologique, celle qui permet mieux d’éviter les niches à moisissures (excédent d’apport intensif de nitrates) et qui peuvent provoquer des maladies et de mycotoxines qui en découlent dans ces cas de figure. Dans l’assolement sans prairie, la rotation sur plus de trois voire neuf ans est proche de l’idéal, pour autant que le nombre d’hectares de parcelles cultivées le permettent[61].
En conventionnel, les précédents légumineux sont appréciés mais surtout avec le travail de céréales à longues pailles, on prendra en compte le risque de la verse sur des terres trop riches en azote.
– Des précédents culturels, (dont la pomme de terre), nettoient et libèrent la terre assez tôt permettant des semis précoces.
– Grâce à ces méthodes naturelles d’apport de ces engrais (paille compostée par le bétail notamment), l’apport azoté (le pivot de la fertilisation) arrive dans la terre surtout par des précédents agricoles et un système de bonne rotation des sols (l’assolement).
– En bio et avec des semis issu de la sélection paysanne, la lutte contre la verse si cruciale avec les céréales à haute paille ne se réalise pas par un raccourcissement des tiges. On sait que celui-ci prive les grains de matière nutritive qui migre de la tige et des feuilles vers ce fruit-graine.
– Pour que cette migration des éléments nutritifs se déroule bien, il faut un minimum d’eau dans la plante. Si l’évapotranspiration (due à de températures trop hautes) est trop forte, le grain sera privé de ces réserves et c’est alors l’accident de culture que l’on appelle l’échaudage.
Lorsque cette matière sèche ou nutriment du grain provient d’1,50 m ou de 70 cm, il y a probablement une différence au niveau de la qualité nutritionnelle de ce grain.
Certains tests de dégustation en aveugle décelaient aussi une différence gustative au profit des blés issus de hautes pailles.
Pour lutter contre la verse, cela se fera par semis de variétés-populations mélangées comme le réalisait le méteil (mélange froment-seigle). Mais aussi en réfléchissant la densité du semis précoce. Avec un faible densité cela renforce la potentialité de tallage et procure ainsi un meilleur enracinement, et du coup, une meilleure base à la plante-blé.
Seulement ce semis à faible densité exige un plan de culture soigné, pour ne pas devoir sarcler manuellement des espaces de grandes cultures.
Extrait du livre de Marc Dewalque : LEVAINS
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