« TOURNE MOULIN », Par LOUIS MIRAULT (1939)

Louis MIRAULT, né et mort à Tours (1866-1950) fut une personnalité locale bien connue durant la première moitié du XXe siècle. Fondateur d’une usine de fabrication de chocolat, de confiture et d’huile dans le quartier du Sanitas, président de la chambre de commerce, il était aussi poète à ses heures et ne publia pas moins de dix recueils de poèmes jusqu’en 1939. Du dernier – Le Panier de cerises – voici un hommage au travail essentiel du meunier.

 

TOURNE MOULIN

À mon ami, M. J.-B. Martin,
le distingué Président de la Chambre
d’Agriculture d’Indre-et-Loire

Tourne moulin ! ta tâche est sainte,
La foule a faim, entends sa plainte,
pour le bon pain du boulanger,
Tourne moulin, casse du blé.

Il faut maints gars, dit la meunière,
Car il s’en noie à la rivière :
Elle en eut dix, tous bien râblés ;
Son époux dit que c’est assez.
pour tartiner cette nichée
pour sa bouillie et sa pâtée,
Pour le bon pain du boulanger,
Tourne moulin, casse du blé.

Pour le marin que le flot roule,
Pour le soldat qui veut sa boule,
Pour le penseur, les artisans,
L’homme de ville ou bien des champs,
pour que le pauvre ou bien le riche
A son repas aie bien sa miche,
Pour le bon pain du boulanger,
Tourne moulin, casse du blé.

Au long du jour, blanc de farine,
Papa meunier peine et chemine ;
Embrasse-t-il son dernier né,
Le gosse est tout enfariné ;
Et le soleil luit et se joue
Dans l’eau tombant de la grand’roue ;
Pour le bon pain du boulanger,
tourne moulin, casse du blé.

Fille d’enfer et de la nue,
la guerre, hélas ! est advenue ;
L’homme est parti ; lors sans éclat
Prenant la place du soldat,
Et calme autant qu’à sa cuisine,
La femme a fait de la farine.
Pour le bon pain du boulanger,
Tourne moulin, casse du blé.

Notre patrie, ô douce France,
Sol où fleurit tant de vaillance,
Où quelque main toujours saisit
L’outil du mort ou son fusil,
Où sont encor, divins dictames,
Force et courage, au cœur des femmes,
Terre d’amour, terre de foi,
Qui pourrait donc douter de toi ?

Le canon tonne à la frontière
Mais rien ne trouble la meunière ;
Pour le bon pain du boulanger,
Tourne moulin, casse du blé.

Louis MIRAULT sait évoquer en ces vers l’activité essentielle du meunier, qui ne peut s’interrompre, sinon c’est la farine et donc le pain qui vient à manquer. Il nous fait comprendre que tous les hommes en ont besoin : le marin, le soldat (sa « boule »), le penseur, l’artisan, l’homme des villes et des campagnes, le riche et le pauvre, tous se nourrissent du « bon pain du boulanger ».
Il montre également que c’est la femme du meunier qui prend la relève lorsqu’il est mobilisé, situation qu’a connue Mirault durant la Grande Guerre, où les femmes ont succédé à leur mari ou père dans de nombreux secteurs (voir notamment l’article de Laurent BOURCIER : La petite boulangère d’Exoudun) et dans les usines.
On notera aussi l’allusion aux fréquentes noyades d’enfants autour des moulins à eau. Les registres paroissiaux et la presse font état de nombreux décès d’enfants de meuniers dans les rivières qui longeaient les moulins.
Enfin, précisons que le mot « dictame » employé à la fin, signifie, dans un registre littéraire, « consolation, réconfort ».

Le Moulin Rouge, à Pont-de-Ruan (Indre-et-Loire) ; carte postale, vers 1900 (collection des Archives départementales d’Indre-et-Loire).

 

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