Saint-Honoré

SAINT-HONORÉ

Le premier saint patron des boulangers fut saint Pierre-aux-Liens, que le Livre des métiers nomme saint Pierre-en-Goule-d’Aoust, sa fête se célébrait le premier jour du mois d’août, sans doute parce qu’il est celui de la récolte du blé.

Les boulangers portaient aussi une dévotion particulière et fort ancienne à saint Lazare, le patron des lépreux au Moyen Âge. Cette dévotion était fondée sur la crainte de devenir lépreux, les boulangers étant exposés à cette maladie plus que les autres professions en raison de leur longue présence devant le feu des fours.

À Paris, lors d’une disette, ils vinrent en aide à la maladrerie de l’enclos Saint-Lazare et par la suite, chacun d’entre eux fournit un petit pain par semaine à cette institution. En remerciement de ce don, les boulangers lépreux y étaient admis, quel que fût leur lieu d’origine.

Au début du XVIIIe siècle, ces livraisons de pains furent remplacées par une redevance en argent, d’abord d’un denier parisis (*) payé chaque semaine, puis par une somme annuelle payée le jour de la Saint-Jean. Les boulangers avaient une chapelle dédiée à l’église Saint-Lazare où une messe basse fondée par eux était dite tous les vendredis de l’année, à perpétuité. Un service solennel avait lieu le dernier dimanche du mois d’août, tous les boulangers y assistaient et fournissaient le pain bénit.

* (La livre parisis (ou livre de Paris, notée lp) était une monnaie de compte utilisée en France à partir du Moyen Âge et jusqu’au XVIIe siècle, en référence aux espèces monétaires fabriquées par l’atelier de Paris. À partir du XIIIe siècle, elle coexista avec la livre tournois avant d’être interdite en avril 1667.)

Oraison à saint Lazare et à saint Honoré. Gravure éditée par la
confrérie des maîtres boulangers de la ville et faubourg de Paris

Mais leur principal patron était – et est encore – Saint Honoré, évêque d’Amiens au VIIe siècle, dont la fête est célébrée le 16 mai. C’est l’image de ce saint qui figure le plus souvent sur les méreaux et les bannières, représenté en costume d’évêque et tenant dans la main droite une pelle de four sur laquelle sont posés trois pains.

Au XVIIe siècle, le chanoine Jean-de-Santeul (1630-1697) qui était aussi un poète fantaisiste consacra ce quatrain au saint :
Saint Honoré
Est honoré
Dans sa chapelle
Avec sa pelle.

Il démontra que l’ordre de ces quatre vers pouvait être modifié près d’une vingtaine de fois sans en changer le sens :
Saint Honoré
Dans sa chapelle
Avec sa pelle
Est honoré.

Avec sa pelle
Est honoré
Saint Honoré
Dans sa chapelle etc.

Honoré naquit à Port-le-Grand (Somme) au début du VIe siècle. Sa famille, selon la bollandiste (*), était une des premières du pays. Dès son plus jeune âge, l’enfant témoigna de pieuses dispositions, les prières et le jeûne faisaient ses délices. On lui donna pour maître saint Béat, évêque d’Amiens. À la mort de son père spirituel survenue vers 554, le peuple et le clergé, impressionnés par son zèle et ses vertus, le désignèrent comme successeur.
Comme il refusait cet honneur, un rayon céleste et une huile mystérieuse descendirent sur sa tête, signe de la volonté divine. Il se trouva ainsi miraculeusement consacré.
* (Prêtres ou religieux de l’ordre des jésuites qui, depuis le XVIIe siècle, travaillent à rédiger la vie des saints.)

La légende rapporte que sa nourrice qui était occupée à cuire le pain dans le fournil du château paternel fut surprise et incrédule en apprenant ce prodige. La vieille femme s’écria alors, en manière de défi, qu’elle croirait en ces paroles insensées si le fourgon (*) qu’elle venait de jeter sur le sol prenait racine. Elle laissa tomber son outil, qui aussitôt se répandit dans le sol, se ramifia et se couvrit de feuilles et de fleurs. C’est pourquoi les fleuristes se mirent sous la protection de saint Honoré tandis que, en souvenir de ce miracle associé à la préparation du pain, les boulangers le choisirent comme patron.
* (Outil pour travailler les braises.)

L’abbé Corblet décrivit à ce propos une verrière offerte en 1536 à l’église Saint-Ouen de Pont-Audemer par des boulangers :
« L’un des panneaux représente l’intérieur d’une boulangerie. On y voit des flammes sortir du four allumé. Saint Honoré est représenté nu, les reins et la tête enveloppés d’un linge blanc. Son fourgon, au lieu d’être attaqué par le feu, est un arbuste en plein épanouissement.

Cette scène confirme que le saint exerça la profession de boulanger et l’information est corroborée par Victor de Beauville, qui publia en 1877 un document allant dans le même sens, tiré d’un manuscrit du XIVe siècle. En voici la traduction tirée du latin : « Saint Honoré s’adonna dès les premiers jours de sa jeunesse aux œuvres pies et à la profession de boulanger, qu’on appelait plus vulgairement fournier.

Méprisant les séductions et les honneurs du siècle, toujours appliqué à l’exercice du culte, aux jeûnes, aux veilles, aux aumônes, et triomphant de sa chair, il faisait de son corps le serviteur de son âme. Tout en s’attachant aux pratiques religieuses, il brûlait du feu de la charité et offrait à Dieu un sacrifice agréable en soutenant et en nourrissant son prochain par des larges aumônes qu’il prodiguait dans la profession de boulanger dont il vivait. »

Un dimanche de Pâques, alors qu’Honoré célébrait la messe à Saint-Acheul, il vit apparaître, dans une nuée lumineuse, la main du Christ qui, saisissant l’hostie, lui donna la communion, renouvelant ainsi le partage du pain lors de la Cène. En souvenir de ce miracle, une mainfigure sur les armoiries de l’abbaye de Saint-Acheul.

< Couverture de menu de banquet de Saint-Honoré, vers 1985-1990.

Saint Honoré évangélisa des contrées où la foi chrétienne était encore peu répandue et réalisa d’innombrables conversions. Il mourut le 16 mai 600 à Port-le-Grand au cours d’une de ses visites épiscopales. Enterré dans son village natal, son corps fut placé sous le maître-autel d’une église bientôt bâtie en son honneur. Les reliques de saint Honoré demeurèrent en ce lieu jusqu’à l’invasion des Danois et des Normands. Pour les préserver de toute profanation, elles furent conduites à Amiens.

Ce transfert fut marqué par un nouveau miracle : le corps avait été déposé dans l’église Saint-Pierre et Saint-Paul. Lorsqu’on l’enleva pour le porter à la cathédrale, le crucifix qui dominait le chœur se pencha pour saluer la dépouille du saint évêque et le Christ l’accompagna longuement du regard.

Ce Christ à la tête inclinée, connu sous le nom de Saint-Sauve se trouve encore dans la cathédrale d’Amiens, dans le portail méridional, dit de la Vierge dorée.

En 1060, une sécheresse exceptionnelle mit en péril les récoltes. L’évêque ordonna qu’on sortît la châsse de saint Honoré pour une procession solennelle autour des murs de la cité. Aussitôt la pluie tomba en abondance et la disette fut évitée.

En 1663, au contraire, des pluies torrentielles désolaient le pays et entravaient la rentrée des blés. Une procession, faite dans les mêmes conditions, mit fin aux averses et le beau temps revint. C’est pourquoi saint Honoré était invoqué pour faire tomber ou pour arrêter la pluie. Dans l’un et l’autre cas, sauvant les récoltes et le pain à venir, il protégeait les meuniers et les boulangers.

Le culte de saint Honoré se répandit très vite au-delà de son évêché mais il est toutefois difficile de préciser à quelle époque il devint populaire dans toute la France et particulièrement à Paris.

En 1204, Renold Chercins et sa femme Sibylle firent bâtir, hors les murs de la ville, vers Clichy, une chapelle consacrée à saint Honoré. Les derniers vestiges de cette collégiale ont disparu sous le Second Empire, mais dès 1218 la chapelle avait donné son nom à la porte, puis à la chaussée, avant que l’ancienne route du Roule et de Clichy ne prenne, dans son ensemble, le nom de rue Saint-Honoré.

C’est sur le terrain dépendant de cette église que fut fondé, également au début du XIIIe siècle, le collège des Bons-Enfants, placé sous la protection des boulangers, sans doute à cause du voisinage de la chapelle, mais aussi parce que les étudiants pauvres qui fréquentaient ce collège se nourrissaient du pain qu’on leur donnait.

Trois communes en France sont nommées Saint-Honoré :

  • Saint-Honoré-les-Bains dans le Morvan, non loin de Vézelay ;
  • Saint-Honoré en Seine Maritime, donc non loin du lieu de naissance de saint Honoré ;
  • Saint-Honoré en Isère.

Il existe également une commune de Saint-Honoré au Canada !

Pour ce qui est de ses reliques ou autres représentations religieuses de saint Honoré, nous trouvons :

  • Des reliques dans une chasse à Abbeville (80) ;
  • Une cloche gravée à son nom à Saint-Honoré (38) ;
  • Un vitrail dans l’église de Pont-Audemer (27) ;
  • Un calice au musée Boucher-de-Perthes à Abbeville (80) ;
  • Un tableau dans l’église de Meung-sur-Loire (45) ;
  • Un retable où il figure à Thuison-lès-Abbevilles (80) ;
  • Une statue dans l’église de Lorris (45) ;
  • Un buste et un reliquaire dans la cathédrale Saint-Sernin à Toulouse (31).

Il est également représenté sur quelques bannières de confréries ou de mutuelles de boulangers du XIXe siècle.

À Paris, la confrérie des maîtres boulangers se déplaçait tous les 16 mai, en procession, en direction d’un lieu de culte afin de vénérer saint Honoré, rituel qui disparut après la Révolution de 1789, celle-ci ayant supprimé toutes les confréries.

Statue de saint Honoré, église de Lorris (45). >

Une réapparition de la fête de saint Honoré eut lieu sous le Premier Empire, avec une messe donnée en l’église Saint-Roch à Paris. ( 1813, renaissance de la corporation des maîtres boulangers par décision impériale. )

En 1832, la confrérie des maîtres boulangers fut à nouveau dissoute mais elle réapparut en 1853 pour disparaître à nouveau en 1860, date de la dernière cérémonie religieuse des maîtres boulangers à Paris.

En 1881 réapparut une festivité, mais sous la forme d’un bal donné dans les salons de l’Hôtel du Louvre, au bénéfice des ouvriers nécessiteux ou trop vieux pour pouvoir travailler. Ce bal fut supprimé pendant la Grande Guerre.

Il eut de nouveau lieu le 15 février 1922, à l’hôtel Continental à Paris. Puis cette festivité disparut petit à petit du paysage de la boulangerie. Cependant il existe encore, dans quelques régions de France, des syndicats patronaux qui organisent leur bal le jour de la Saint-Honoré.

Depuis les années 1990, on observe un renouveau du 16 mai, le jour de la Saint-Honoré ayant été choisi comme journée nationale du pain dite Fête du pain, journée nationale à laquelle les compagnons boulangers de toutes sociétés participent activement.

Je tiens à remercier Guy Château, Blois la Fraternité, compagnon boulanger du Devoir, pour m’avoir remis son étude sur saint Honoré, celle-ci m’ayant servi pour la rédaction de ce sous-chapitre sur la vie du saint.

Extrait du livre « Le pain des Compagnons » L’histoires des compagnons boulangers et pâtissiers

Laurent Bourcier, Picard la Fidélité, C.P.R.F.A.D.

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