Du pétrissage à bras à la mécanique.

Le pain «à la mécanique» est le pain pétri par un mouvement mécanique, cela ne veut pas encore dire que celui-ci soit actionné par un moteur, cela peut être mis en action par une manivelle tournée par des ouvriers boulangers.

Avec cette expression de pain «à la mécanique» nous sommes dans le XIXème siècle, à une époque où la révolution industrielle prend place, mais pas tellement en boulangerie, ce qui sera l’objet de la controverse relatée ici.
On ne comprend pas en ces temps-là que «le premier et le plus ancien de tous les arts est le moins avancé, nous dirions presque le plus sauvage et le plus barbare» écrit Monsieur Moigno en 1852 dans le journal « Le pays ».

Monsieur Payen écrit à peu près au même moment ; « Un jour viendra sans doute, ou nos descendants qui liront la technologie du XIXème siècle, se demanderont si réellement à l’époque de progrès industriel on préparait le premier de nos aliments par le travail dont nous sommes témoins, en plongeant les bras dans la pâte, la soulevant et la rejetant avec des efforts tels qu’ils épuisent l’énergie des geindres à demi-nus et font ruisseler la sueur dans la substance alimentaire. Espérons que le temps est peu éloigné où les nombreux essais, entrepris depuis plus de soixante ans se résumeront en un procédé pratique ».

Méchantes critiques sur la profession qui méritent des éclaircissements que seul un recul permettra.
Voyons l’état de cette phase de la panification qu’est le pétrissage manuel de l’époque.

« L’ouvrier en charge de cette rude besogne » a « reçu le nom très significatif de geindre ».

Louis Amman écrit que ce travail manuel implique « 10 à 12 efforts par minutes » pour 172 kgs de pâte, « la trajectoire décrite par les mains de l’ouvrier représente au total, 400 mètres réalisé dans un plan vertical »

Alors pourquoi ne pas transférer ce travail du manuel vers le mécanique ?

De la première invention française de pétrin mécanique (arbitrairement datée de la «Lembertine» en 1811) à l’instauration presque généralisée, il faudra effectivement plus d’un siècle !
Encore une fois, pourquoi ?

« Les mécaniciens étrangers » -à la boulangerie- « ont crée des machines à remuer et à mélanger la matière sans consulter l’expérience du boulanger sur les principes de son art » dit Monsieur Bolland, fils de boulanger.

Le même auteur, né en 1795, continue en écrivant « beaucoup d’appareils –pétrins- ont été créé et abandonné aussitôt après leurs applications, ils n’ont servi qu’a prolonger la défiance du praticien et à justifier sa répulsion ».

Analysant plus finement ce passage du pétrissage du manuel vers le mécanique, Bolland note qu’« en effet dans le pétrissage à bras d’homme, la fermentation n’est jamais interrompue qu’un instant et partiellement », le pétrissage manuel comporte des temps de repos entre ces diverses phases ; délayage, frasage, contre-frasage et battage, ne fus-ce que parce qu’il ne pouvait pas pétrir une pâte de 150 kgs en une brasée. «Le pâton ou la partie de la pâte que l’ouvrier manipule reprend au sortir de ses mains, la vie intestine, la fermentation au levain de l’époque que le travail avait suspendue un moment, tandis que par la mécanique, l’agitation continuelle prolonge son engourdissement. C’est pourquoi on est obligé de la laisser reposer ou rentrer en levain avant de lui donner la forme de pain».

Bolland dont son livre « Traité pratique de boulangerie » ne fut édité par le syndicat de la boulangerie de Paris qu’en 1860 après sa mort, il critique également les premiers pétrins semblable à des tonneaux quadrangulaire horizontaux qui supprime la phase de délayage importante dans le travail au levain et ou farine, eau et levain se mélange en vase-clos, le pétrissage ne peut ainsi introduire de l’air nécessaire à la préparation de l’apport des gaz issus de la fermentation.
Le pétrissage est pour Bolland, « un déplacement de la matière par un mouvement successif et alternatif » bien difficile à résumer dans un seul mouvement mécanique.

« Il arrive souvent que l’ouvrier pétrisseur peu robuste, mais habile observateur réussit beaucoup mieux qu’un ouvrier plus vigoureux dont l’intelligence est au dessous de sa force musculaire. Ce sont là précisément les motifs pour lesquels le plus grand nombre des appareils mécaniques destinés au pétrissage ont échoué dans leur application ».

«Les cuves en bois ont des défenseurs énergiques qui prétendent que le bois seul permet d’obtenir un bon travail que la cuve métallique refroidit considérablement la pâte et empêche ou retarde la fermentation», dixit L.Ammann, p.384. Certains pétrins mécaniques (celui de Monsieur Ferrand) était d’ailleurs muni d’un double fond couvert de plomb pour réchauffer la pâte.

Louis Ammann, professeur à l’école d’agriculture de Paris-Grignon signale dans son livre du début du XXème siècle qu’ « un boulanger qui a acquis un pétrin mécanique, a du l’installer de nuit et ne fonctionne pour ainsi dire qu’en secret, les clients déserteraient ma boutique dit le boulanger, s’ils savaient consommer du pain à la mécanique. Un autre boulanger voit un de ses clients l’abandonner, ce client souffre de maux d’estomac et il attribue ses douleurs d’après l’avis du médecin à l’ingestion de pain fait à la mécanique ».

Défendant le pétrissage mécanique et ne comprenant pas non plus son insuccès, il écrit encore «une cause qui a indirectement retardé la propagation des pétrins mécaniques est l’absence d’un moteur convenable pour commander le pétrin….

Il doit tenir peu de place, être silencieux à cause du travail de nuit, ne pas dégager de produits dangereux ou désagréables à respirer.

C’est l’électricité qui a permis de résoudre ce problème si complexe. Là ou le courant fait défaut, les pétrins mécaniques sont rares, comme aussi dans les petites villes où le courant est coupé à certaines heures de la nuit.

Pourtant dès 1863, Louis Lebaudy avait bien inventé une pétrisseuse qui utilisait la chaleur perdue du four pour la transformer en force motrice et actionner un pétrin.

« Mais les difficultés rencontrées dans la pratique étaient insurmontables, l’installation du moteur à vapeur et du pétrin correspondant nécessitait une fabrication d’au moins 1.000 kilogrammes de pain par jour. »

 

Pour terminer citons un passage de la revue « Propagation industrielle », où Monsieur Thirion répond au peu de progrès de la boulangerie. S’il reprend l’imperfection des appareils proposés, il indique en plus que les boulangers ont des locaux trop petits pour accueillir les innovations et que surtout l’organisation du secteur implanté en petites entreprises ne permet pas facilement de travailler en grand, qu’ainsi cet état stationnaire au niveau de l’évolution technologique met en cause des mises de fond considérables peu présentes dans ce type de commerce de frais et de proximité.

Pour en savoir un plus sur les premiers mouvements de pétrissage mécanique, voir ici : L’histoire des pétrins.

Marc Dewalque – Artisan Boulanger – Belgique.

 

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