Pendaison

L’ENTERREMENT DE VIE DE GARÇON OU PENDAISON

L’enterrement de vie de garçon n’est pas une pratique compagnonnique, mais il a tendance à être particulièrement apprécié par les compagnons. Voici son déroulement et deux témoignages.

La pendaison qui est, en terme plus populaire, l’enterrement de vie de garçon, s’inscrit dans une période préparatoire au changement de statut social.

La coutume marque le passage de la vie de célibataire à celle de vie de couple marié. Tous les éléments qui composent cette coutume reprennent le scénario du rite d’initiation : jugement, mort, enterrement et résurrection.

Par l’annonce de son mariage, l’individu signifie à la communauté qu’il va se séparer du groupe de jeunes auquel il appartient et acquérir un nouveau statut une fois marié.

 

Le terme « enterrer » révèle d’ailleurs que le futur époux doit laisser tout un passé derrière lui, renoncer aux « privilèges » du célibat et faire la preuve qu’il est apte à devenir époux ou épouse.

Une série d’épreuves vise donc à aider « l’enterré » à obtenir son agrégation au statut qu’il convoite.

Selon certaines hypothèses, cette coutume serait une survivance d’un ancien culte de la fécondité, ce qui expliquerait que plusieurs aspects du rituel soient centrés sur la sexualité, la virilité.

D’autres font remonter l’origine de l’enterrement de vie de célibataire à l’Antiquité romaine par l’analogie à certains rituels de désordre qui avaient lieu pendant les fêtes des saturnales de décembre.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Une pendaison au siège des Compagnons du Devoir de Strasbourg, vers 1970.

En dehors de ces hypothèses imprécises, la coutume, telle qu’on la connaît aujourd’hui, serait apparue à la fin du XIXe siècle. À partir de la Deuxième Guerre mondiale, elle se répand dans presque toutes les villes et occasionne de nombreux débordements. Les journaux d’époque rapportent d’ailleurs plusieurs faits et incidents entourant cette pratique. L’enterrement de vie de garçon n’a pas bonne presse.

Craint par les fiancés et souvent décrié par la population en général, il est considéré par les autorités religieuses comme un rite grivois et grossier qui ridiculise jusqu’à un certain point le sacrement du mariage. Sa mauvaise réputation repose sur l’incompréhension de l’ensemble du rite dont certains éléments, pris isolément, sont vus comme douteux ou de mauvais goût.

La pendaison a généralement lieu quelques jours avant la date du mariage, de sorte que le candidat peut s’y attendre. Même dans le cas où il a eu vent du projet, il sait qu’il ne peut se soustraire au rituel et que toute résistance est inutile.

En premier lieu, le candidat au mariage est enlevé par son groupe d’amis, soit à la fin de son travail, soit lors d’un faux rendez-vous. L’enlèvement marque la séparation physique.

Puis commence une série d’épreuves. Le candidat est d’abord déshabillé et enduit d’huile, de ciment, de graisse, de farine. On lui casse des œufs sur le corps et on lui verse de la bière sur la tête. Le bourreau est chargé de la planification et du bon déroulement du rituel.

Puis, il est jugé, en présence de policiers pour l’encadrer, du juge, de l’avocat, du procureur, d’une prostituée, entre autres. Le parchemin avec lequel est retracé le Tour de France du compagnon, bien sûr arrangé, augmenté en faveur du procureur, est lu à haute voix. Puis la condamnation tombe… aucune chance, c’est la peine capitale, condamné à mort !

Le candidat est alors pendu à l’aide de harnais de sécurité à une potence généralement fabriquée pour l’occasion. Il est encore jeté sur le pendu des matières désagréables.

Chez les compagnons boulangers à Paris en 1991, je me souviens de l’utilisation de levure pourrie, mélangée avec de l’eau dans des sacs plastiques et qui était jetée sur le pendu ; mais ce jour-là, nos compagnons boulangers n’avaient pas le compas dans l’œil, et c’est la Mère des compagnons du Devoir, qui assistait à cette festivité, qui reçut à proximité du troisième étage un ou deux sachets nauséabonds.

Puis la mort, la victime est décrochée et installée dans un faux cercueil et promenée dans la ville, Autrefois, elle simulait la mort tandis que ses amis chantaient la messe des défunts en traînant le cercueil dans les rues. Ce cercueil était parfois même enterré (vide, rassurez-vous) ou jeté à l’eau dans une ambiance de service funèbre.

De nos jours, un tour de la maison des compagnons est préférable et, le défilé terminé, les participants offrent un petit cercueil au candidat. Celui-ci doit y enfermer une bouteille de vin de l’année du mariage, et le parchemin qui a servi à son procès. Il doit enterrer le tout, généralement dans la cour de la maison des compagnons, et pour cela, il creuse la fosse à l’aide d’une cuillère à café. En fait, il enterre symboliquement son passé…

À la naissance du premier enfant, le compagnon marié doit venir, accompagné de ses amis proches, pour déterrer son cercueil, lire le parchemin et boire la bouteille de vin.

< Les jeunes boulangers Yves Maintier dit Tourangeau et Bernard Dersoir dit Angevin (1950-2010) ; Strasbourg, 1971 ; coll. F. Servant

 

< Laurent Bonneau, Normand la Fidélité, attendant son jugement boulet au pied.

Maison des compagnons de Brest, juin 1988.

 

 

Témoignage d’Agenais la Tolérance (1971) :

« La veille de ce jour, en début de repas, deux charpentiers (très costauds) déguisés en policiers munis d’une carte (que j’ai conservée) viennent interrompre mon repas et me passent des cordes autour du corps et m’emmènent dans ma chambre. Là, ils me demandent de me changer. Tous les chiens blancs étaient là, hilares ! (dont le Pays Gonord et J.M. Gatebled).

Il ne doit rester qu’eux… Toujours porté sans ménagement je suis redescendu dans la salle à manger. Je ne suis pas assis (toujours ficelé) que je reçois un seau d’eau par la figure.

Un juge et ses acolytes, faisant semblant d’être saouls, me reprochent des faits de drague récoltés auprès de tous ceux qui avaient tourné avec moi ! Les détails ne manquaient pas, certains étaient même inventés ! Mais le plus croustillant, ce fut lorsque l’on me reprocha d’avoir piqué une nana à un aspirant pâtissier parti travailler, lors d’une sauterie. Ça, c’était vrai… et vas-y que cela n’est pas fraternel, que cela ne se fait pas entre compagnons, de profiter de quelqu’un qui travaille pour draguer pendant ce temps…

Verdict… L’avocat général se lève, déroule un papier, lit un parchemin en feignant d’être saoul et en rotant… Je suis condamné à être pendu haut et court !

Monsieur le curé, lui aussi saoul, et ses enfants de chœur viennent me bénir et me demandent mes dernières volontés… Je passe sur tous les seaux d’eau que je reçois… et l’on m’emmène sous le préau du siège. Là, ce n’est plus de l’eau que je reçois, mais des verres de vin.

Attaché par la taille au moyen d’une corde reliée à une poulie, les charpentiers m’élèvent à quatre à cinq mètres de hauteur ! Me font redescendre, et des pays m’arrosent et me roulent dans de la sciure de bois préparée à l’avance ! Ceci au moins quatre à cinq fois !

Quand ils en ont marre, ils me mettent dans un cercueil ; les planches du dessus sont ajourées mais réellement clouées ! Pas possible de s’échapper !

Je suis emmené au café où nous allions tous les jours (Le Mariotte, je crois)…où j’étais très connu, et là on m’a fait consommer du calvados, toujours couché dans ma caisse !

Au retour, il y avait un boulanger dans l’angle de la rue Nérard, comme il me connaissait, et vlan, il me balance de la farine…

Rentré au siège, tout le monde riait, y compris le Manien époux de notre Mère Duguet, mais lui n’avait pas participé à la pendaison.

Puis vint enfin l’instant de la douche ! »

 

Témoignage de Franc-Comtois le Bon Cœur (1990) :

« Ça s’est passé à Nîmes avec Montpellier la Clef des Cœurs, Normand la Fierté du Devoir, et moi-même. Nous nous sommes mariés la même année et trois samedis de suite. Nous étions tous compagnons responsables à Nîmes.

Les lapins nous ont attrapés à la débauche dans le siège, et nous ont mis devant le siège en chaussettes, les pieds et les poings attachés par un carcan en bois. Là, ils nous ont fait boire tout et n’importe quoi (eau, vin, eau cimentée…) ce qui, pour ma part, m’a fait vomir !

Après avoir poireauté au soleil pendant un bon moment, notre procès a eu lieu avec juge, avocat, flics, prostituées, et le parcours de notre Tour de France a été retracé.

Durant et après notre jugement, nous avons essuyé coups, l’assaut de 720 œufs, le tartinage au glucose, colorants, copeaux de bois, eau croupie ou cimentée…

Puis, nous avons enterré notre cercueil à la petite cuillère, les mains dans le dos, avec à l’intérieur une bouteille et le parchemin.

Nous avons enfin fini la journée, suspendus chacun d’un côté d’un Fenwick par un harnais, les bras pendants… pour sortir du siège et faire un tour de quartier.

À la sortie du siège, il y avait une Renault 5 qui était sur le chemin et le pauvre chauffeur a abîmé sa jante qui a fait une traînée le long du trottoir. Il doit encore s’en souvenir et est parti sur les chapeaux de roues.

Voilà, un an et demi après, nous sommes retournés au siège avec Montpellier la Clef des Cœurs, nos femmes et nos amis, car nous avions chacun eu notre premier enfant, et nous avons déterré notre cercueil et faisons une bonne petite fête.

Aujourd’hui, mon cercueil fait un tabac dans ma vitrine d’Halloween chaque année. »

C’est ainsi que se termine une pendaison chez les compagnons.

Malheureusement, cette pratique eut parfois des conséquences plus que néfastes, mari à la jambe cassée le jour du mariage, ou encore plus grave, en hospitalisation d’urgence pour ingestion par la force de produits alcoolisés. Donc, comme en toute chose, modération… amusement, dans le respect de tous et de chacun.

Laurent Bourcier, Picard la Fidélité, C.P.R.F.A.D. Extrait du livre  LE PAIN DES COMPAGNONS

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