PAIN MAIN

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Texte écrit en 1948, par Georges Papineau Blois L’Ami du travail, Compagnon Boulanger du Devoir, intitulé « La main du boulanger », un texte toujours d’actualité et de référence sur notre beau métier.

La main du boulanger.

Puisque cet article est destiné à mettre en valeur le rôle des mains dans notre métier et étant donné la part importante de celles-ci, parce qu’elles touchent ou façonnent directement la matière sans le concours d’aucun outil, je voudrais en faire « un vrai symbole »

C’est pourquoi, qu’il s’agisse de la main droite, de la main gauche ou des deux ensemble, je parlerais toujours de « la main » au singulier. Il est d’usage courant, en boulangerie, de dire qu’une farine ou une pâte a une « bonne main » pour exprimer qu’elle est de bonne qualité, or jamais ni l’une ni l’autre n’ont possédé de mains.

Prenons le travail dans l’ordre : Voici le boulanger tâtant du bout des doigts une nouvelle farine pour en déceler la finesse de mouture.

Quelle sensibilité faut-il pour cela, sans affirmer que l’on puisse, de cette façon, reconnaître infailliblement la qualité d’une farine, c’est un geste familier et nécessaire.

S’il faut couler l’eau, pour en connaître la température, l’ouvrier plonge la main dedans. Cette méthode empirique, quoiqu’il soit préférable d’utiliser le thermomètre, est toujours en usage et le restera longtemps encore.

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Au cours du pétrissage, après avoir brassé farine et eau, voici le découpage. Remarquez la position des mains. Ce sont de véritables ciseaux, car elles doivent découper nettement la pâte sans la déchirer, ce qui donnerait un mauvais travail.

Quand la pâte a accompli sa 1ʳᵉ pousse, la main se rend compte du degré de fermentation. Ensuite, on pèse, et avant la balance, la main a estimé le morceau de pâte à quelques grammes près.

La tourne, opération la plus importante du travail, consacre le rôle longtemps irremplaçable de la main.

Ce travail exige à la fois de la souplesse et de la fermeté. Les deux mains font simultanément le même travail et leur rôle est aussi important à l’une comme à l’autre.

Et pourtant, cette main si sensible, il lui faudra retirer les braises du four. Elle devra être rude pour ne pas se brûler.

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Et voici la mise au four, autre point important : « la coupe » Quelle légèreté faut-il à la main pour ne pas briser ce pâton si fragile. Avec quel soin « la lame » est maintenue entre trois doigts seulement, afin qu’elle ne tombe pas.

C’est la signature de l’homme de métier. Le pain est cuit, l’est-il suffisamment ? Aucun instrument pour le savoir. Encore la main ! Et elle ne se trompe pas. Dans cet exposé trop rapide, j’ai fait mon possible pour faire ressortir le rôle primordial de la main en Boulangerie.

C’est un des rares métiers ou toutes les opérations peuvent se faire sans aucun outil, la main travaille directement la matière, pas d’équerre, de compas ni de mètre ou croquis préalable et pourtant quelle symétrie.

Certains métiers exigent une main rude ou robuste, d’autre une main fine et légère. La main du boulanger doit être alternativement rude ou fine, robuste ou légère : une main de fer dans un gant de velours.

Sans vouloir empiéter sur l’avenir qui apportera des améliorations souhaitables, je crois pouvoir affirmer que la main sera toujours l’outil essentiel et indispensable du boulanger.

Dans ce métier, il sera toujours possible de tout faire à la main, sans outil d’aucune sorte.

Le coulage de l’eau : Je répète ce que j’ai dit plus haut, si souhaitable que soit l’emploi du thermomètre, il n’est pas indispensable.

Le pétrissage : Le pétrissage mécanique est une amélioration du travail, mais d’usage relativement récent. Autrefois, il se faisait entièrement à bras. Le seul outil employé est le coupe-pâte pour nettoyer le pétrin. Le pesage : Qui soutiendra, qu’un pain ne pesant pas le poids exact n’est pas du pain ?

La tourne : La façonneuse mécanique est tellement récente et si peu répandue que je ne peux en tenir compte, comme le pétrissage mécanique.

La mise au four : La lame est l’outil, mais si cet outil sert à donner un bel aspect à l’œuvre et aussi une partie de sa qualité, il n’est pas indispensable. Dans certaines régions, on ne coupe pas le pain. La pelle : c’est un moyen de transport, c’est tout.

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Et pour cela, c’est à toi, jeune ami, qui débute dans ce métier si manuel, que je m’adresse. Regarde-les ces mains qui vont travailler directement la matière, la transformer, pour en faire l’aliment par excellence.

Avant toutes choses, veilles à leur propreté, ne commence jamais ton travail sans les avoir soigneusement lavées, coupés les ongles le plus court possible, ce sera plus propre et tu éviteras les accidents douloureux.

Exerce ce sens du « toucher » dont la sensibilité est une condition majeure dans ce métier. Si tu ne sers pas du thermomètre, fais en sorte que tes mains soient à la température ambiante. N’oublie pas qu’en hiver, tes mains glacées te feront estimer « chaude » de l’eau à 15°. Souviens-toi qu’après avoir défourné, tes mains, alors très chaudes, te feront croire « fraîche »de l’eau à 30°, et si tu es fiévreux ?

Alors attention ! La pâte est une matière vivante, je ne devrais pas dire une matière, car c’est une réunion d’innombrables cellules microscopiques ayant chacune leur vie.

Mets-toi bien cela dans la tête et fais en ton profit, quand tu auras sous les mains ces milliers d’êtres vivants, qui te crieront tout leur espoir de vivre, de se développer de grâce ! Ne les tue pas avant que l’œuvre de leur existence éphémère ait porté son fruit.

Que ta main soit douce, douce et douce comme si tu touchais un bébé qui vient de naître, mais n’oublie pas qu’il sera utile parfois d’user de fermeté. Maintenant que ton pain est cuit, respecte l’œuvre de tes mains, ne brutalise pas ce que tu as eu tant de peine à faire.

Apprends à maîtriser la pression de tes mains sur la croûte, pour reconnaître les degrés de cuisson. Apprends à placer tes pains dans la bonne position pour le ressuage et éviter qu’ils se mettent à « genoux ». Apprends également à les placer avantageusement à la vue de celui ou celle qui les détruira.

Car c’est là l’aboutissement de tant de sueur dépensée. C’est là, que ton œuvre atteint toute sa noblesse.

Texte de Georges Papineau Blois L’Ami du travail, Compagnon Boulanger du Devoir rédigé en 1948.

Portrait ici: Papineau, trois générations de boulangers Blaisois !

 

Illustration de la main et du geste du métier :

Laurent Bonneau Normand la Fidélité CBRFAD

 

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