Le pain en 30 minutes (1860)

Rien que la farine, l’eau, un peu de sel, du gaz et pas de sueur !

Dans l’Angleterre des années 1850, à l’époque dite victorienne, le docteur John Dauglish après ces études de médecine en Ecosse, se fixe sur l’idée que si l’on peut introduire du gaz carbonique (les yeux du pain) dans le processus – par dissolution de gaz dans l’eau – « cela éliminerait la nécessité de la fermentation panaire, et réduirait considérablement le besoin de contact physique avec la pâte de la part des travailleurs et, par conséquent, d’introduire un plus grand niveau de propreté dans le processus de fabrication du pain. »
Il écrit encore que ce n’est « rien que la farine, l’eau, un peu de sel et de gaz – pas de sueur ! Il a été souhaité par beaucoup. »
Bref, si l’on poursuit cette vue, l’aboutissement en arrive a ne plus gagner son pain à la sueur de son front, mais tout le monde va-t-il y gagner ?
Après quatre années de recherche et d’efforts il sort son procédé en 1859.

Le cylindre au dessus de la sphère sert à saturer l’eau de gaz carbonique.
Après avoir fait le vide d’air et rempli de farine, la sphère (le lieu du pétrissage), on introduit l’eau saturée de gaz carbonique, le tout dure moins d’une demi-heure et sur le dessous on sort des pâtons qu’il suffit de ranger dans des moules en métal et enfourner directement.

Cela permet aussi d’après Sir Richardson (un grand défenseur du procédé) « d’éliminer les levures et d’autres additifs.
Cela réduit considérablement le temps de production et les influences destructrices de la fermentation sont évitée.» c’est qu’«il n’y a pas de décomposition chimique de la farine, et donc pas de perte de matière, alors que la levée de la pâte est effectué de manière tout aussi efficace »
Comme une pâte traditionnelle avec fermentation, le pain créé en vertu de la méthode Dauglish contient «tout le gluten et les albumines du blé, dont chacun est diminué dans les méthodes traditionnelles de fermentation».

Dès 1861, l’Aered Bread Company Limited (A.B.C.Ltd) est créée et le pain « gazéifié » a été introduit dans de nombreux hôpitaux.
Dès 1863, à New-York, même le pain de farine intégrale (pain du pasteur presbytérien et puritain Sylvester Graham) se fait parfois avec ce procédé.

Extrait de l’Illustred London News de l’époque

Un tel système se prête évidemment à un haut degré d’automatisation et devient vite une concurrence implaccable pour les boulangers traditionnels

Ceux-ci vont réagir au moyen d’affiches et autres publicités, en particulier dans le voisinage de l’usine ABC – incitant les gens à «acheter le pain avec le genièvre en elle» à un moment où le levure issue de distillerie de genièvre était réputée avoir des propriétés médicinales.

Des arguments (pour et contre le procédé) qui avec le recul sont exagérés.
La fermentation n’utilise que quelques % (de 1 à 2 %) pour se réaliser et l’alcool formé par la levure de distillerie est largement dissipé à la cuisson.

Le marché en sera déstabilisé et les boulangers devront même parfois revoir leurs prix à la baisse, surtout dans les pays qui s’industrialisent (Australie par exemple).
L’A.B.C.Ltd fera une grande carrière dans l’économie en ouvrant aussi des salons de thé (jusqu’à 250 vont s’ouvrir à Londres).
Le process sera considéré comme donnant un résultat assez fade, il faudra saler plus la pâte, puis finalement on proposera l’introduction lors du pétrissage d’une espèce « soupe » où les levures ont eu le temps de réaliser une fermentation apportant du goût.
Le procédé A.B.C. sera employé encore longtemps dans le monde anglo-saxon avant d’être détroné par le Chorleywood Bread Process (C.B.P.)
A.B.C.Ltd sera repris par l’Allied Bakery en 1955 qui de nos jours fait partie de l’Associated British Food.

Une autre appréciation est celle de Kal Marx, le scribe du «Manifeste du parti communiste» (1848).
Il n’est pas étonnant que Karl Marx s’intéresse à ce procédé et à l’industrialisation de la panification.
La planification économique pour la collectivité vont toujours aller de paire avec l’industrialisation pour l’économiste qu’est Kal Marx, (Photo de 1861).

Arrivé depuis juin 1849 à Londres après ces exils à Paris et Bruxelles. Karl Marx évoque le procédé du professeur Dauglish en ces termes ; «La généralisation de la méthode du docteur Dauglish va transformer les maîtres boulangers anglais d’aujourd’hui en simples employés de quelques grandes usines à pain. Ils n’auront plus à s’occuper de la production elle-même, mais seulement de la vente au détail ce qui ne représentera pas pour la plupart d’entre eux une grave métamorphose, étant donné qu’il sont déjà pratiquement, les employés des grands meuniers.

La victoire du pain mécanique marquera un tournant dans l’histoire de la grande industrie. » Article du journal viennois « Die Presse » du 30-10-1862.
Karl Marx écrit encore dans son ouvrage de base; « Le Capital » en 1867, « Abstraction faite de la fabrication du pain à la mécanique encore toute récente, il n’y a pas d’industrie en Angleterre qui ait conservé un mode de production aussi suranné que la boulangerie».

Et aujourd’hui, soit 150 années après, malgré ces volontés politiques que l’on pourrait facilement qualifiées de droite comme de gauche, le pain artisanal est toujours là 😉

Marc Dewalque – Artisan Boulanger – Belgique.

 

Commentaires concernant : "Le pain en 30 minutes (1860)" (1)

  1. Laurent Bourcier a écrit:

    Trés chèrs Amis du CREBESC.
    Je me permet d’ajouter un petit commentaire à cette superbe étude que notre ami Marc nous présente une fois de plus.
    En effet, 150 ans après, le pain artisanal est toujours là, et plus fort que jamais…
    Cela compte uniquement et malheureusement pour les pays européens qui n’ont pas été majoritairement influencés par les écrit de Karl Marx.
    En effet, la révolution communiste russe de 1917, inspire les pensées de celui-ci, qui a conduit à la creation de l’Union Soviétique, a engendrer progressivement la disparition complète de l’artisanat et de son savoir faire, l’entreprise individuelle étant prohibée, la fabrication du pain étant desormais centralisée et contrôlée dans des usines d’états.
    Les fabrications sont standardises, pour l’ensemble de l’Union Soviétique, de 8 a 10 sortes de pains de farine de froment et 2 a 4 sortes environs en pain noir (seigle, malt), la standardisation et le contrôle qualité sont sous la responsabilité du ministère de l’industrie alimentaire…
    Seuls des événements majeurs peuvent provoquer des changements de formule, sont les périodes de restrictions dut a un conflit armée (seconde guerre mondiale), ou encore a de mauvaises récoltes de céréales, sous la direction du premier secrétaire du partie communiste soviétique, Nikita Kroutchev.
    En effet, suite a une visite aux Etats Unis ou celui-ci fut fortement impressionnés par les cultures de mais dans ce pays, a voulut établir les mêmes cultures en Union Soviétique, au detriment de la culture des blés, mais le climat étant trop différents, il s’avère que les cultures de mais n’étaient pas appropriés aux terres et au climat, et la production des blés inssuffisantes.
    Cette situation entraine une incorporation de farine de mais à la fabrication des pains standardisés, ce qui a eu pour conséquence l’apparation d’une mie jaune, qui inquiéta fortement la population.
    Le pain de mauvaise qualité, la crise des missiles de Cuba… Le peuple soviétique s’attend à la guerre nucleaire qui heureusement pour le monde n’aura pas lieu.
    Il faudra attendre 2004, pour voir à nouveau une véritable boulangerie artisanale ouvrir ses portes à Moscou.
    Mes amitiés à tous, et surtout, une fois encore à Marc, pour tout ses formidables travaux qu’il nous presente sur le CREBESC !

    Picard la Fidélité, C.P.R.F.A.D.

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