Louis Charles Bugaud 7/8

Louis Charles Bugaud, un boulanger d’avant-garde

d’après des extraits du livre « Mon père », Bugaud Louis (1866-1943) écrit en 1970 par son fils Marcel Bugaud

En 1921, mon frère établit les plans d’un moteur plus fort qui, sur un même bâti et avec deux cylindres et volants différents nous donnera deux autres moteurs 7 et 9 CV 500 tours.

J’ai décidé de faire quelques foires et expositions tant en province qu’à Paris : d’abord Lyon en mars, puis Rennes en avril-mai et la Foire de Paris en juin. Elles me donneront un bon résultat tant en moteurs à Rennes qu’en pétrins et moteurs à Lyon et les tournées en auto que je fais, tant avant, en préparation de la Foire, qu’après, en exploitation, me paraissent à continuer. Cependant je ne peux espérer m’occuper à la fois de questions intérieures et comptables aidé d’une ou deux jeunes employées du pays et mener à bien le développement commercial qui s’impose. J’ai, par relations, l’occasion de trouver un collaborateur valable, monsieur Robert, qui nous secondera efficacement et je dirai … jusqu’à sa mort en 1952.

Je peux partir chaque semaine après un lundi auprès de lui et je puis être sûr que je le trouverai à mon retour apte à me tenir au courant de tout ce qui s’est passé et à me faire connaître ce qu’il a pu résoudre seul et ce que je dois décider. Ainsi, très bien attelé, c’est bientôt plus qu’un collaborateur et c’est beaucoup grâce à lui que je puis pendant plus de trente années avoir une activité extérieure particulièrement efficace.

Pendant cette première période de septembre 1919 à décembre 1923, on a aussi acheté du matériel moderne, organisé la fabrication, employé des ouvriers qualifiés bien payés. Parallèlement j’avais pu avant mon retour des Etats-Unis, à la faveur d’un voyage de six semaines du 15 novembre 1918 – armistice – à fin décembre et grâce aux introductions du Haut Commissariat à New York visiter les industries les plus puissantes dans les grandes villes de l’Est. A Détroit : Ford, Packard, Cadillac, Burroughs, Adding machines ; à Pittsburg : U.S. Steel C°, Heinz Preserves ; à Chicago : les Stock Yards, Armour & C° ; à Cleveland : White Motor Trucks, Cleveland tractors, etc.… ; à Philadelphie et à Baltimore les chantiers navals et les Liberty Ships en pleine production ; à New York : la Ward Bread C°, grosse boulangerie industrielle.

Ward Bread C°

Ma qualité d’officier français m’avait valu un accueil vraiment sympathique et enrichissant à tous points de vue. J’y avais appris beaucoup de choses et la mise en application de ce qui était transposable dans notre petite affaire devait donner de bons résultats. Enfin Michelin en France avait, dès l’armistice, fait connaitre l’avance de l’industrie américaine et publié des conseils pertinents dont je m’étais imprégné.

D’autre part les travaux de mon frère au rendement chez monsieur Roux l’avaient convaincu de l’intérêt de la généralisation de cette méthode. Aussi, bien d’accord tous trois, on s’endetta pour acheter un matériel approprié, on organisa la fabrication en série avec une préparation sérieuse du travail ; tout le personnel, sauf le magasinier, fut payé au rendement ; et on trouva relativement facilement des ouvriers qualifiés qui gagnaient 15 à 20% de plus qu’à Meaux. On sortit ainsi à une cadence convenable des machines sérieuses qui donnèrent satisfaction.

A cette époque les machines-outils suivantes neuves ou très récentes étaient en service entraînées par un moteur à gaz pauvre de 3 CV, lequel avait été à nouveau installé avec son gazogène en remplacement de celui antérieur insuffisant : d’abord un tour Besse, deux tours SOLP (marque BETIC), une aléseuse, une perceuse radiale, une fraiseuse Huré placée dans la première travée puis un peu plus tard, dans la seconde travée, un tour horizontal SOMUA, un tour vertical SOMUA plateau de 800 m/m et successivement un autre tour vertical SOMUA plateau d’un mètre, une rectifieuse d’outillage, une rectifieuse intérieure pour cylindres de moteurs RANDAM, deux étaux-limeurs STEPTO et THULE (suédois) et une grosse fraiseuse GRAFFENSTADEN de Mulhouse. Tout ce matériel est neuf et nous maintenons en service le matériel antérieur d’occasion : trois tours horizontaux (un Olivier, un américain, un espagnol).

Mon père habite depuis 1920  le « logement de son rêve » qu’il avait espéré en novembre 1913 quand, perçant le mur Est de l’habitation, il établissait avec mon frère le premier petit atelier dans la grange en prévoyant un plafond armé de longs IPN faisant saillie extérieure à l’Est pour y asseoir « plus tard » un balcon donnant sur le jardin. Il s’occupera maintenant de son jardin, de « ses terres » et de « ses pommiers » qu’il a plantés et aussi de « sa chère photo ». Mais il est aussi disponible, ô combien, si des problèmes professionnels se présentent et nous en situerons plus loin quelques uns.

A l’atelier nous étoffons petit à petit notre personnel et y maintenons un bon esprit d’équipe grâce à mon frère qui, par sa compétence, a une grosse autorité. La fabrication suit assez bien la vente et mon contact constant avec la concurrence dans les Foires permet d’en orienter les modifications souhaitables.

En pétrins on crée une machine à deux vitesses, ce qui nous donne un gros argument de vente et souvent mon père trouve une occasion de faire comprendre l’importance indéniable du pétrissage ainsi réalisé et son incidence favorable sur la qualité du pain produit et de son rendement. Il faut cependant un certain temps pour trouver un nouveau débouché pour une machine évidemment plus chère.

En moteurs, ce sont toujours des appareils à régime lent : 500 tours/minute, mais on a remplacé les cylindres « en chapelle » par des cylindres « culbutés » avec culasses indépendantes. L’admission est maintenant « progressive » et un carburateur « Zenith » est adjoint. Cependant leur prix est élevé et la concurrence devient plus âpre avec les moteurs dits rapides à 1 000 ou 2 000 tours/minute.

En 1926, l’esprit de recherche dont il a hérité de son père porte mon frère à entreprendre une série d’essais au banc en vue de faire face à la concurrence des grosses fabrications de moteurs à essence à régime rapide « Bernard » et « Conord » qui prennent nos agents.

Il est question d’un moteur « polycarburant » à faible taux de compression avec départ à l’essence qui pourrait dans les petites puissances utiliser le gas-oil et les huiles de schiste et de goudron françaises et se situer entre le moteur à essence classique et le moteur diesel qui en petites puissances est d’un prix d’achat élevé à cette époque.

J’avais travaillé sérieusement l’étude de la catalyse sur des ouvrages variés et celle des aciers spéciaux qui, suivant leur composition, favorisaient cette transformation des carburants lourds. J’avais eu connaissance des travaux en cours de l’ingénieur Houdry sur le cracking des produits lourds qui devaient ultérieurement bouleverser la production des essences. Et ceci confirmait les résultats encourageants des essais empiriques de mon frère au banc d’essai.

En 1927 ou 28, on prend des brevets en France, en Allemagne et aux Etats-Unis pour « un dispositif de polycarburation à l’aide d’un anneau crénelé en métal catalytique de forme spéciale placé au centre de la culasse sur la soupape d’admission centrale » permettant le fonctionnement d’un moteur de faible taux de compression – 1 à 10 environ – à l’allumage électrique avec un carburant lourd, genre gas-oil, huile de schiste, huile de goudron après départ à l’essence. C’était certainement une technique très avancée. Pas de difficulté en France puisqu’aucun examen ; peu en Allemagne malgré les recherches d’antériorité ; mais beaucoup aux Etats-Unis qui refusent. D’où essais prolongés et combien coûteux au Laboratoire des Arts et Métiers à Paris pour justification de ce que nous avançons. Nous obtenons cependant notre brevet.

 Tout ceci fait beaucoup de bruit à l’extérieur et surtout par l’obtention de ce brevet américain après examen préalable et nous avons de multiples visites d’ingénieurs et techniciens qui se refusent à croire ce que nous avançons mais ne peuvent renier ce qu’ils ont vu au banc d’essai de l’atelier.

Ce sont les pétroliers qui sont particulièrement intéressés et les ingénieurs de la Shell ne nous oublient pas. Puis Zenith dont les carburateurs profiteront des remarques de mon frère et aussi Citroën où mon frère, après équipement d’un moteur 4 cylindres de leur fabrication ira leur prouver ce qu’il avance.

A cette date on a alors en fabrication parallèle, en dehors des pétrins mécaniques deux séries de moteurs : à essence de 2 1/2 à 22 CV Bugaud et polycarburant de 4 à 20 CV dits « Essensuil ».

Revenons un peu en arrière pour parler à nouveau de « mon vieux père » et de ses pétrins.

Vers 1910-1912, il avait noué des relations en Algérie avec un boulanger à Alger qui s’était offert à servir d’intermédiaire pour la vente de nos pétrins dans cette ville.

Ce monsieur avait trouvé deux boulangers d’origine espagnole qui étaient disposés à acheter nos pétrins. On avait envoyé deux pétrins à Alger et mon père et mon frère (qui avait 16-18 ans) firent le voyage pour les installer et les mettre en route ; puis faire une prospection et … pourquoi pas  quelques photos stéréoscopiques.

La vente s’était développée ultérieurement surtout dans une grosse famille espagnole grâce à l’activité de notre représentant à la fois dans tout l’Algérois puis l’Oranie où il se fixa un peu plus tard.

A Oran notre représentant avait élargi notre clientèle vers le Maroc : Tlemcen, Nemours, Aïn Temouchent, Oujda, à la fois chez les boulangers arabes et espagnols. Un client, très bon boulanger, lui avait été utile dans ce but. J’avais envisagé un voyage en Afrique du Nord, tant pour la diffusion de nos moteurs que pour celle des pétrins. Embarquant à Port-Vendres, je débarquai à Oran envisageant de visiter en trois semaines l’Ouest marocain, l’Oranie, l’Algérois, le Constantinois et la Tunisie. Ce que je fis du reste.

Avec notre représentant je fis une grande tournée vers le Maroc et repris contact avec notre client espagnol qui se rappelait de mon père, m’apprit qu’il en avait gardé un excellent souvenir et que se retirant à Alicante, son pays natal, il s’occuperait volontiers d’y introduire nos pétrins très en avance sur la fabrication espagnole. Peu de temps après mon retour en France il reprend contact avec nous et demande d’être notre agent en Espagne. On envoie deux pétrins à Alicante et mon père et moi partons les installer et les mettre en route puis voir ce qu’on peut y faire. Nous y restons une dizaine de jours et rapportons quelques commandes qui furent l’amorce d’autres affaires …. Et, là aussi, on fit quelques belles photos stéréoscopiques pour accroitre la collection et en garder le souvenir.

Ce n’est plus que dans nos souvenirs qui s’estompent que je puis encore glaner des manifestations de l’activité de mon père qui furent complémentaires des nôtres mais intimement liées entre 1930 et le troisième exode qu’il dût refaire, hélas, à nouveau avec nous après avoir perdu sa seconde compagne en 1931.

 

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Commentaires concernant : "Louis Charles Bugaud 7/8" (1)

  1. Carlos a écrit:

    Bonjour
    J ai ce moteur
    Si vous pouvez dire combien il coûte
    Merci
    0619521417

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