L’hygiène 1870

LE SUCRE ET LES ENFANTS, PAR J.-B. FONSSAGRIVES (1870)

Jean-Baptiste FONSSAGRIVES (né à Limoges (Haute-Vienne) en 1823, mort à Crach (Morbihan) en 1884), fut un médecin et chirurgien de la Marine. Professeur à l’École de Médecine de Brest, puis à la Faculté de Montpellier, officier de la Légion d’honneur, il fit autorité en matière d’hygiène alimentaire. Il publia notamment en 1870 des Entretiens familiers sur l’hygiène où il aborde l’alimentation des enfants.

Même si certains de ses propos feraient bondir aujourd’hui (« les enfants malingres et étiolés trouvent dans le vin un élément opportun de réparation nutritive. »), ce qu’il écrit (p. 103-105) sur l’excès de sucre et de pâtisseries ne peut qu’être approuvé comme cause d’obésité précoce et autres affections.

« Signalons enfin un abus non moins grave, à raison de sa portée et de sa fréquence : c’est l’abus du sucre et des pâtisseries.

Les philosophes du siècle passé ont fait à la bouillie une guerre un peu passionnée ; il eût été plus juste, à mon avis, qu’ils dirigeassent leurs foudres du côté des aliments sucrés. Les enfants se portaient-ils moins bien au XVe siècle, quand le sucre se vendait à l’once chez les apothicaires, et leur santé a-t-elle souffert du blocus continental ?

Il est permis d’en douter ; mais ce qui n’est pas permis, c’est de considérer l’emploi abusif du sucre comme indifférent en hygiène. Le sucre est le sel des enfants, comme le vin est le lait des vieillards : ainsi le veut la sagesse des nations : mais de ce sel pas trop ne faut. Son inconvénient le plus réel est de dégoûter l’enfant sevré des autres aliments plus réparateurs et plus utiles, et aussi de produire chez lui des troubles digestifs et de la constipation. Il convient donc d’en user modérément.

Nous serons plus radicaux à propos des pâtisseries, et nous dirons nettement qu’il serait bon de ne pas en user du tout. Le piège est tendu dans toutes les rues de nos villes, et, pour comble de malheur, il a pris sur toutes les promenades une allure ambulante ; aussi quels sont les enfants de la classe aisée qui n’y tombent pas ? S’il est, en effet, une industrie qui se signale entre toutes à la réprobation du médecin, c’est celle des pâtissiers, dans l’officine desquels l’enfant va puiser du même coup la source d’une mauvaise habitude et d’une mauvaise santé.

« Le piège est tendu dans toutes les rues de nos villes… » (Publicité de Lefèvre-Utile)

L’art culinaire, accusé, non sans quelques raisons, d’une grande partie des maux physiques qui pèsent sur l’espèce humaine, est presque un art salutaire auprès de celui-ci. Par malheur, les aliments qu’il élabore arrivent trop souvent à trahir l’estomac par la double séduction des yeux et du palais, et le péril est d’autant plus à craindre qu’il soit journalier et qu’un attrait plus vif le dissimule.

Certainement, toutes les pâtisseries ne sont pas indigestes au même degré ; mais qu’attendre, pour les enfants, de ces mets constitués généralement par des pâtes lourdes, non fermentées, où des crèmes, des aromates, du sucre et des corps gras, s’associent dans des combinaisons heurtées et se mélangent habituellement d’un coloriage suspect ? Rien de bon, à coup sûr.

Et quel aliment ne vaudrait mieux ? Les biscuits trouveraient seuls grâce devant les sévérités de l’hygiène ; mais encore ne peuvent-ils entrer que d’une manière éventuelle dans le régime des enfants, et non pas à titre d’aliment usuel. Dans quelques pays, on remplace les pâtisseries des enfants par une tartine de pain graissée de beurre frais et saupoudrée légèrement de sucre. J’ai vu des enfants manifester une appétence très-vive pour cette pâtisserie improvisée, qui échappe au reproche un peu vif, mais fondé, que je viens de formuler contre les autres. »

Enfant croquant un pain. Photo du livre de E.M. Bührer et W. Ziehr : Le Pain à travers les âges (Ed. Hermé, 1985).

Plus d’un siècle et demi après ces lignes, qu’en pensent les médecins ? Ils approuvent le fait qu’une consommation régulière et excessive chez l’enfant de sucre et d’aliments sucrés leur fait rejeter les aliments plus utiles.

Entre un biscuit et une tranche de pain, entre un soda et un verre d’eau, le choix est vite fait chez la plupart des enfants d’aujourd’hui. En revanche, il n’est pas admis que le sucre favorise la constipation (ou du moins les avis sont partagés), ni qu’il produit des troubles digestifs.
Ce qui est avéré, c’est l’effet addictif du sucre et ses conséquences, lorsqu’il est consommé en excès, sur la survenue de l’obésité, du diabète, des caries dentaires et des troubles cardiaques. L’association de lipides aux pâtisseries ordinaires aggrave le problème.

Lorsque FONSSAGRIVES évoque la tartine beurrée saupoudrée de sucre, cela nous a rappelé l’époque de notre enfance (les années 1960), où notre mère, au goûter, nous préparait une grande tartine coupée dans un « pain de quatre », beurrée et saupoudrée, non pas de sucre, mais de chocolat, dont elle râpait un morceau et dont les miettes se collaient au beurre. Ça valait bien les goûters hyper-sucrés d’aujourd’hui !

 

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