A la question
«Est-ce que les protéines des variétés anciennes sont différentes de celles des variétés de blé actuelles ? »,
Je ne suis dit pourquoi ne pas aller voir dans toute la littérature à notre disposition, ce qu’il en est.
Tout de suite, on sait que l’on ne peut éviter la difficulté des divers types d’analyse qui tantôt seront pour éclairer l’aspect technologique et tantôt donneront des vues à caractères nutritionnelles, ces dernières n’étant pas encore en mesure de jeter des lumières sur l’allergie ou intolérance. Des limites vont facilement apparaîtraient.
Il existera d’autant plus des difficultés d’interprétation comparatives que les premières analyses et celles qui traitent des variétés anciennes datent d’une époque, le XIXème siècle où les instruments et les tests d’analyses ne sont pas comparables à ceux de notre XXIème siècle.
Mais comme en général, les premières analyses sont des études qui comparent entre-elles les anciennes variétés, on sait en retirer quelques indications.
Entrons dans la problématique en faisant les premiers pas de la science analytique dans ce domaine des protéines du blé.
I. La première analyse décrite ici date de 1822 est de Louis-Nicolas VAUQUELIN (°1763-†1829).
L.-N. VAUQUELIN
On y analyse les grains de blé, pas la farine blanche (d’après E. PELIGOT, p.5) et on emploi la méthode découverte par le médecin de Bologne ; Jacopo Bartolomeo BECCARI en 1742.
C’est-à-dire l’extraction de la protéine insoluble dans l’eau (le gluten) par lavement d’une pâte composée de farine et eau qui a reposée un temps avant de subir la séparation sous un filet d’eau.
La teneur en eau des échantillons analysés fait dire à J.-B.BOUSSINGAULT que l’analyse de VAUQUELIN ne peut être précise puisque réalisée sur une base trop séchée.
On peut se demander si VAUQUELIN n’essaye pas de comparer à l’aide de son analyse:
– Des blés de méteil (froment et seigle semé, récolté et moulu ensemble) et froment brut
– Des blés des hospices [1] (contenant souvent en autonomie des meuneries et des boulangeries auprès desquelles les auteurs de l’époque se réfèrent comme des lieux de panification de qualité).
– Des blés d importation, d’Ukraine [2] via le port d’Odessa (blés tendres et blés durs).
– Des blés utilisés par les boulangeries de Paris et dits de service ou de seconde
Les teneurs des protéines sont données sous la dénomination »gluten », terme récent mais bien repris dans le Journal de pharmacie, ou est publiée cette étude. C’est presque pour respecter une hiérarchie de qualité déjà établie que:
° le blé brut de froment à 1,1% de gluten en plus que le blé issu de méteil.
° le blé d’hospices de 1ère qualité a 1,3% de plus que la deuxième qualité.
° le blé des boulangeries parisiennes ont 2,9% de plus que le blé de seconde.
Le «gluten» analysé par VAUQUELIN authentifie pratiquement le classement, si classement il existe. Pour les blés d’importation d’Ukraine, il est moins certain que l’on compare le blé dur, du blé tendre. Une différenciation pas toujours évidente pour l’époque [3]
Le blé dur a toujours eu plus de protéines que le blé tendre, ici 2,6%. La dureté du grain procure semoule plutôt que farine. Semoule que l’on ne s’interdit pas de faire partie des mélanges panifiables à l’époque [4], comme le verront dans l’analyse de E.-M. PELIGOT qui suit.
2. Deuxième analyse, 27 ans après, c’est celle réalisée en 1849 par le chimiste Eugène-Melchior PELIGOT (°1811-†1890)
Elle se veut également sérieuse ; «le froment dans son état normal n’a pas été analysé d’une manière complète par aucun chimiste», p.2. «Plusieurs travaux existent, mais sont incomplet, [5] j’ai cherché à combler cette lacune», p.3. E.-M. PELIGOT choisi des «blés d’origine authentique», qui selon lui, sont; «les principales sortes qui se trouve dans le commerce».
Le chercheur parisien dit avoir dans un premier temps répondu à une mission confiée au Conservatoire des Arts et Métiers de la part du Ministre de l’agriculture suite aux mauvaises récoltes de 1846 et 1847. Ces années-là, on s’était aperçu que l’avoine donnait bien quand les conditions étaient défavorables au blé. Mais les essais pour améliorer un pain d’avoine ne furent «pas heureux». Et comme après l’étude perdit de son urgence, il conduisit son enquête sur la qualité du blé.
L’éventail des 14 variétés analysées a des sources dites «respectables». A 3 reprises, Louis de VILMORIN marchand grainier sur les quais de la Seine, elles proviennent soit de ces cultures de Verrières le Buisson (Essonne) ou des relations que la famille de VILMORIN [6] a avec des agronomes étrangers. Trois autres échantillons analysés proviennent du frère de la futur belle-fille de Louis de VILMORIN [7], Paul DARBLAY, co-propriétaire des moulins de Corbeil (Essone), ici ce sera plutôt des blés bien présents sur le marché parisien. Trois autres échantillons viennent de culture en province ; du Vaucluse, de la Vienne et de la Loire Atlantique. Dans les blés d’importation, deux proviennent d’Ukraine [8], un d’Austro-Hongrie (la boulangerie viennoise est fort en vogue à Paris à cette époque), un d’Espagne, un du Maghreb, un d’Ecosse et un d’Egypte. Trois analyses différentes sur des poulards [9], une sur le mitadin du Midi, sur le blanc de Flandres et enfin la touzelle blanche de Provence pourrait plus retenir l’attention des amateurs de blés du pays.
Eugène PELIGOT s’attarde p. 13 à 20 sur les protéines analysées. Dans l’extrait de la p.17 présenté ici, il réuni matières azotées insolubles (gluten) et solubles (albumines), la moyenne de toutes les analyses étant de 14,4 %. Il recueille l’azote sous forme d’ammoniaque titré dans un volume connu d’acide sulfurique.
C’est cette forme d’analyse qu’il préconise avec communication et avis de collègues à l’appui. En 1883, le danois KEJLDAHL améliora cette méthode toujours pratiquée de nos jours [10]. La science évolue énormément à cette époque et nécessite beaucoup de suivi et mise à jour régulière. La définition du «gluten» que donne PELIGOT, p.15, est a relevé également. «J’ai conservé le nom de gluten aux matières azotées insolubles dans l’eau, quoique…elles renferment une certaine quantité d’huile qui ne sait pas être isolée.» Il soustrait de la matière azotée fournie en dosant l’azote par l’ammoniaque, les matières azotées solubles ou albumines végétales, «que j’ai estimé d’après plusieurs analyses faites sur la partie soluble du blé au cinquième du poids de cette partie».
Ce qui n’est pas appliqué de manière systématique comme on peut l’observer dans le tableau suivant, qui vaudrait relever une lecture des différences entre protéines (mat.azotées chez PELIGOT) solubles et insolubles. La différence de couleur dans ce tableau permet d’aller des blés tendres (plus clair) aux blés durs (plus foncé) en passant par les blés mi-durs (ton moyen).
On passe dans les analyses de PELIGOT de teneurs en protéines allant pratiquement du simple au double (217,17%) ; 9,9 pour la touzelle blanche et 21,5 pour le blé –dur- de Pologne. [11]
Si l’on compare que les blés tendres entre-eux, les teneurs vont de la même touzelle blanche de Provence au blé «Poolish d’Odessa», de la moitié en plus (144,44%, soit 9,9 pour 14,3). Ces rapports varient peu si l’on ne prend que le gluten ou mat.azotées insolubles comme référence.
La différence observée dans le rapport entre matières azotées solubles et insolubles va de 3,46 (blé de Flandres) à 12,73 (blé –dur- d’Egypte), pratiquement 4X plus. Il est en moyenne, dans notre XXIème siècle, de 5,88 pour le blé tendre.
Si l’on ne compare que les blés tendres entre-eux, le même rapport entre matières azotées solubles et insolubles va de 3,46 (blé de Flandres) à 7,94 (blé Poolish d’Odessa, qui comme son nom l’indique est un blé d’importation) plus ou moins 2X plus.
Pourquoi s’intéresser à ce rapport protéines solubles et insolubles ?
On sait actuellement que les méthodes culturales conventionnelles avec les apports de plus en plus fractionnés d’azote, parfois pré-réglés dans le module informatisé de céréaliculture, favorisent les teneurs en protéines de réserve, c’est-à-dire gluten ou peut-être matières azotées insolubles repérées ici par PELIGOT. On sait également de nos jours, que les protéines insolubles (albumines chez PELIGOT) ont un meilleur coefficient d’efficacité au niveau nutritionnel. Ce qui s’est précisé avec le temps avec les découvertes des acides aminés essentiels [12] et le facteur limitant [13]. A cette époque la valeur nutritive se résume à la quantité de matières azotées globales.
Comme la sensibilisation au gluten de la part du consommateur a pris des proportions importantes ces dernières décennies et comme la sélection a accentué la recherche de «blé de bonne valeur technologique», il était bon de s’attarder sur ce constat, même si la rigueur scientifique nous dira qu’il faut relativiser cette extrapolation, nous n’avons que ces documents inter-comparatifs pour argumenter une critique de l’évolution des protéines du blé.
3. Troisième enquête [14] de la fin du XIXème siècle publiée en 1899, avec deux chercheurs
Emile FLEURENT (°1865-†1938) – Aimé GIRARD (°1830-†1898).
Tous les deux vont promouvoir la nouvelle mouture sur cylindres.
Aimé GIRARD s’était attelé en 1884 à la composition et à la valeur alimentaire du grain de froment et Emile FLEURENT est la personne qui en séparant les deux constituants du gluten (gliadine/gluténine) et étudiant le rapport entre-eux voulu définir la qualité panifiable fin du XIXème s.
C’est une quarantaine de variétés qu’étudient ces deux chimistes. Pour simplification, seules douze seront reprises par Louis AMMANN en 1925 dans deux tableaux.
Le souci que «…se reproduise les opérations industrielles de la pâte» peut paraître anachronique à l’heure où il n’existe pratiquement pas d’ «industrie boulangère», il faut probablement traduire en industrie, le travail de plus en plus mécanisé de la pâte par le pétrin (le pain dit à la mécanique) et l’avènement en meunerie de la mouture sur cylindres.
C’est d’ailleurs un mini-moulin à cylindres qui sera utilisé pour les expérimentations de 40 variétés de blés tendres. Cette mouture sur cylindres fera également analysé séparément la farine blanche (70%), du restant (30%) dénommé «bas produits», «issues», «refus». «Une seule partie de ce grain est alimentaire» déclare Louis AMMANN qui rapporte l’enquête d’A.GIRARD et E.FLEURENT.
Dans les 12 variétés reprises par L.AMMANN, 5 françaises [15] (blé de Flandres [16], de Bordeaux [17], Dattel [18], gris de Saint Laud [19], de Saumur [20], 2 anglaises cultivées en France (Standhup[21] et Goldentrop [22]), dans les blés d’importation [23], un blé américain (de Californie) [24], un ukrainien (Ghirka) [25], un venant d’Inde (Choice Kurachée) [26], un algérien (Blida) [27], et enfin un roumain [28] (d’Ilfov).
Le rapport entre gliadine et gluténine (les 2 composants du gluten) préconisé par Emile FLEURENT dès 1896 se veut être une pré-définition scientifique.
FLEURENT dès 1896 se veut être une pré-définition scientifique de la qualité panifiable de la farine. E.FLEURENT utilisant les différentes solubilités de ces deux composants. La gliadine étant soluble dans l’alcool à 70° et pas la gluténine, il pouvait ainsi les séparer et établir un rapport. Il fixe le rapport idéal à 25 gliadine / 75 gluténine (L.AMMANN, p.319), soit 0,3.[29].
Représenté très schématiquement (ci-contre) la gliadine favorisant plutôt l’extensibilité et la gluténine la ténacité/élasticité.
Ce rapport ne résistera pas aux vérifications de plusieurs chercheurs de divers pays qui ne trouvèrent pas une concordance entre ce rapport et la valeur technologique (H.GEOFFROY, p.121 et J.BURE, p.20). [30]
En reprenant maintenant la recherche entamée plus haut sur le rapport protéines insolubles et solubles, on établit ce tableau qui reprend la somme de ces types de protéines dans les analyses de la farine à 70% et des refus (30%) établis par GIRARD & FLEURENT.
Outre le fait que les blés actuels ont un peu plus de protéines (11% pour 8,9% en moyenne dans cet échantillon d’étude), le rapport entre les deux grandes familles de protéines semble avoir un peu changé, on passe d’une moyenne établie sur les douze échantillons de 78% d’insolubles pour 22% de solubles, alors que le rapport actuel est en moyenne de 83% /17%. Il n’existe plus de blés durs dans l’analyse de GIRARD & FLEURENT, bien que la «vitrosité» peut ne pas avoir été relevée par les chercheurs, dans les blés venant du Sud. [31].
4.Quatrième et dernière enquête celle relevée dans le livre de Robert GEOFFROY qui date de l’entre deux guerres et qui fait un peu charnière entre les tendances anciennes et actuelles.
On y retrouve moins les blés d’importation [32] du fait que l’autosuffisance est voire même l’export va être possible en France.
Les blés d’importation ukrainienne ou russe (devenus U.R.S.S.) vont pratiquement disparaître [33]. La période de l’après-guerre 14-18, nécessitera un regain d’importation et là s’implantera l’achat du blé canadien dit «Manitoba» [34] qui est à cette époque la variété «Marquis». [35]
Celle-ci descend d’une sélection d’une variété de printemps originaire d’Ukraine occidentale «Halynchaka» devenue «Red Fife» en Ontario. [36].
Autre évolution ; dans l’approche de la prédiction de la qualité technologique de la farine. Arrive sur le marché l’extensiomètre de Marcel CHOPIN qui deviendra peu après l’alvéographe Chopin. R.GEOFFROY écrit, p.125 ; «Ce sont les appareils de l’avenir, plus séduisants dans leur principe…puisqu’ils essayent les pâtes complètes et non un élément isolé». Là, on ne juge plus le seul élément protéique, mais l’entièreté des éléments du grain.
Les blés du pays issu de sélection massale ont pratiquement disparu du tableau que nous présentons. La sélection généalogique est passée par là. Les blés Vilmorin plus le chiffre de l’année d’agrégation, l’attestent.
Ce tableau reprend 4 types d’analyses. Tout d’abord les mesures P,G,W de l’extensimètre (alvéographe) CHOPIN expliqué en note [37], le pouvoir diastasique (=P.D. sur le tableau), le test de PELSHENKE [38] (expliqué en note également) et la teneur en gluten humide ou sec.
Chez R.GEOFFROY, pas de tableaux permettant de faire un inventaire des teneurs en protéines solubles et insolubles pour établir un rapport comme dans les deux études précédentes. Il faut alors prendre l’ouvrage un peu bibliographique sur le gluten d’Yves DACOSTA qui fait une synthèse de l’état des connaissances en 1986.
Y.DACOSTA (p.29) donne pour le minimum et le maximum, une fourchette qui va de 10% à 20%. Il s’agit d’un classement suivant les définitions de solubilité des protéines d’OSBORNE, qui a déjà presque fini son temps, milieu des années 1980.
Le classement des protéines du blé par leur solubilité (dans l’eau –albumines-, dans l’eau salée –globulines-, puis dans l’alcool –gliadines- et enfin dans des solutions acides ou basiques –gluténines- a été établi par d’OSBORNE en 1907.
Il est revu en 1983 par SHEWRY et MIFLIN «à la lumière des progrès réalisés par la recherche pour une meilleure compréhension de la structure des protéines». Des progrès qui concernent la compréhension d’un meilleur pain de mie, type anglo-saxon.
Quels sont ces progrès de la recherche ?
Ils ne portent que sur les protéines insolubles.
D’abord on a établi une relation entre la composition en haut poids moléculaires (HPM) des protéines et la ténacité du gluten. De ce fait on a rassemblé les protéines par poids moléculaires. Ensuite la liaison, entre les chaînes de gluten ou à l’intérieur de la chaîne se réalise comme un pontage entre deux atomes de soufre (dits ponts disulfurés), la richesse en acides aminés soufrés a également servi à discriminer les protéines insolubles entre-elles. Ainsi le nouveau classement a débaptisé les gliadines et les gluténines pour les dénommer, prolamines. Puis on sépare ces prolamines entre prolamines pauvre en soufre, prolamines riches en soufre et prolamines à haut poids moléculaires.
Ces appellations seront raccourcies par l’INRA, sous forme de formule en subdivisant les prolamines riches en soufre en deux groupes et en tenant compte des protéines solubles. De F1 à F5, il s’agit d’un classement qui passe un peu plus, de l’examen de la solubilité à celui du poids moléculaires. [39]
Cellule d’un albumen de blé vue au microscope électronique à balayage « environmental » (F.E.I. Co Eindhoven Holland) montrant les granules d’amidon de type A (> 10 microns), B (2-10 microns) et C (< 2 microns), plus ou moins insérées dans la matrice protéique (mp). pc : paroi cellulaire (échelle : 10 microns). (Photo : Brigitte Gaillard-Martinie, Inra.) http://www.jle.com.
Marc Dewalque – Artisan Boulanger – Belgique.
NOTES D’APPROFONDISSEMENTS
-[1] Les boulangeries d’hospices, dont celle de «l’hôtel royal des invalides» fut le lieu où A.A. PARMENTIER observa sans relâche le chef boulanger, Monsieur J.BROCQ pour rédiger ses ouvrages sur la Boulangerie en 1777 & 1778. J.BROCQ deviendra un des premiers professeur à la première école de boulangerie de Paris (1780)
P.S.MALISSET une des sources de P.J.MALOUIN effectua ses expériences avec Monsieur BRICOTEAU chef de la boulangerie de l’hôpital Scipion qui fournissait tous les hôpitaux de Paris.
BALLAND dans ces analyses sur les blés consommés en France opère au laboratoire de l’administration de la guerre en 1894. Léon BOUTROUX fera également appel à la manutention de l’armée casernée à Besançon fin du XIXème siècle pour ces recherches.
-[2] Les blés d’importation viennent de cet ex- «grenier à blé de l’Europe» ; l’Ukraine. Celle-ci, pas encore indépendante et dont le territoire était à l’époque (les XVIIIème & XIXème siècle) selon les vicissitudes de l’histoire, dans sa partie orientale ; turc et russe puis russe et dans la partie occidentale; polonaise et austro-hongroise.
Le drapeau de l’Ukraine est jaune et bleu, il représente, à l’horizontale, le blé (jaune) avec le bleu du ciel au dessus du champ, pour bien signifier la richesse que permettait cette terre à blé (la «chermozen»). Comme lors des renouvellements du stock de semences afin de régénérer, on avait tendance à choisir des variétés plus précoce et ainsi remonter vers des variétés venant du Nord. S.SYMKO, sélectionneur en Ukraine puis au Canada et ukrainien de souche écrira, que le blé de son pays constituait «un cadeau pour les agriculteurs qui pouvait l’obtenir». C’est souvent des petites communautés religieuses de religion protestantes (les mennomites) ou dissidentes de l’église orthodoxe (les douchobords et les molokans) qui importèrent en Amérique du Nord les variétés les plus appropriées au sol et climat (variété d’hiver «Turkey» dans la grande plaine- Kansas-, et variété de printemps, Red Fife (Halychanka en UKR) dans les grandes prairies -Ontario & Minnesota.
En Europe le blé de Noé (d’origine ukrainienne) a été souche de beaucoup de variétés ainsi que d’autres provenant également de l’est européen. Vers cette époque du milieu du XIXème siècle, le blé d’Europe occidentale était de piètre qualité, à faible rendement et vulnérable aux maladies fongiques (notamment ; la rouille), dit encore S.SYMKO. L. AMMAN, p. 70, écrit début XXème sc. qu’ «au premier rang des blés du monde vient se placer les blés de Russie», Russie dont l’Ukraine faisait partie à l’époque.
-[3] Tentons un petit historique de la différenciation entre blés et surtout ; blé dur / blé tendre au début des descriptions.
Né à Cadix en Espagne et ayant plus que probablement connaissance de la fameuse agriculture arabo-andalouse fort riche pour cette époque, COLUMELLE, agronome de la première heure et du premier siècle de notre ère est encore cité en 1600 dans l’ouvrage d’ Olivier de SERRES. Pour l’agronome dit «romain», on classe les blés suivant leurs apparences et la période d’ensemencement. Il en existe quatre sortes avec barbes, deux «raz» (= sans barbe) et le blé dit «marsé», c’est à dire semé au mois de mars dit aujourd’hui blé de printemps. C’est du classement visuel repris en partie par Matthias DE LOBEL, Kruydtboeck oft Beschrijvinghe, chez Chr. Plantin, 1581 qui étudia à Montpellier auprès de Guillaume RONDELET dont il hérita les manuscrits.
Pas de différences entre le blé dur (propre aujourd’hui à la semoulerie et aboutissant souvent à la confection des pâtes alimentaires) et le blé tendre (propre à la panification) appelé généralement de nos jours, froment.
Deux curiosités dans l’ «herbier» de M.De LOBBEL. Premièrement, le blé Loca, que le manuel de meunerie allemand rédigé par F.BAUMGARTNER et I.GRAF dans les années 1930 traduit loca par épeautre. Dans ce cas cet épeautre serait un épeautre rameux, caractéristique bien connue du blé dit miracle.
Deuxième curiosité ; le Briza, (déjà traité de Monococcum par un autre flamand Rembert DOEDENS, un contemporain de De LOBBEL) il est classé à part et semble bien ressembler au «picolo espeutiau», l’engrain de Haute-Provence ayant reçu une IGP (Indice Géographique Protégée ) en 2004.
Dans le siècle des lumières (le XVIIIème sc.), Paul J. MALOUIN qui fait autorité en publiant un des premiers ouvrages sur la boulangerie en 1767 et en participant par cette référence à l’encyclopédie de DIDEROT & d’ALEMBERT donne un avis «en raccourci» sur la question, dans le vocabulaire du boulanger publié dans l’encyclopédie. «De tous les grains, les blés sont les plus propre à faire du pain et de tous les blés, le froment le fait meilleur».
En 1784, Alexandre Henri TESSIER est dans les premiers à faire une distinction entre le blé dur et le blé tendre. Après bons nombres d’expériences, il en conclut que les blés tendres proviennent du Nord et le blé dur du Sud voire même d’Afrique.
Antoine A .PARMENTIER (ami de Philippe de VILMORIN) en 1778 parlant du choix des variétés de blés pour faire le pain, parle du blé de Barbarie (nom de l’époque pour l’Afrique du Nord touchant la Méditerranée excepté l’Egypte) «il est si compacte et si sec qu’il se brise avec une peine infinie sous la dent». Il ne fait peut être pas partie des blés dit de première qualité, puisque PARMENTIER faisant référence à la pratique des commerçants du marché du blé dit que celui-ci doit «se casser nettement sous la dent ».
Là on passe à un classement moins visuel et plus caractéristiques.
Henri de VILMORIN (fils de Philippe de VILMORIN) qui fait partie d’une famille de grainetiers connue dans le métier depuis le XVIIIème siècle essaye de clarifier les choses lors de la publication de son livre «Les meilleurs blés» en 1880 . Il voudrait classer suivant 5 familles ; le blé tendre, le blé poulard, le blé dur, l’épeautre et l’engrain.
Ce n’est pas encore fini, l’évolution scientifique fera des classements toujours plus pointus et là plus question du visuel ou de l’appréciation du côté cassant du grain, on rentre dans des critères invisibles à l’œil nu et au «sous la dent».
Entre les deux guerres c’est grâce à l’évolution des connaissances génétiques que l’on juge et classifie. La découverte de l’importance des chromosomes dans l’hérédité s’opère dans les années 1920 et c’est l’américain Thomas H.MORGAN qui donna les apports décisifs, au point d’obtenir le prix Nobel de physiologie et de Médecine en 1933 pour ces travaux.
Avant l’apport de ce nouvel éclairage, Léon BOUTROUX, écrit en 1897, « que les blés durs et blés tendres ne présentent pas de différence au niveau de leurs compostions chimiques et ce n’est que des caractères extérieurs qui les distinguent ». « Même au niveau de la richesse en azote (aujourd’hui, lisez protéine et gluten ici), ils n’offrent pas de différence notable », écrit-il encore.
-[4] Parmi tous les échantillons reçu milieu des années par E.M.PELIGOT du moulin de Corbeil (ou P.DARBAY), citons entre-autres ces deux blés durs; le blé dit d’Espagne et le blé Tangarock ou Taganrock qui sont dits «affluent sur le marché de Paris» où «comme étant très commun et très abondant à Paris». Le blé dur semble bien faire partie du mélange de farines boulangères de l’époque.
-[5] E.M.PELIGOT fait notamment référence aux études de Jules ROSSIGNON dans le volume III du Cours d’agriculture de M. de GASPARIN (1850-1863), des recherches de J.-B. BOUSSINGAULT dans son Economie rurale de 1843 où il analyse 24 sortes de blé du jardin des plantes avec le dosage d’azote.
-[6] La famille (de) VILMORIN bénéfice d’une présence très précoce dans le commerce des semences. Pour s’y retrouver dans les divers intervenants de cette dynastie, voici un tableau.
-[7] Monsieur Paul DARBLAY co-propriétaire avec son père et son oncle des moulins de Corbeil est aussi un membre correspondant de l’Académie des Sciences et futur beau-frère d’Henri VILMORIN (le fils de Louis) qui épousa le 30.03.1869 Louise DARBLAY. C’est probablement cette même académie de sciences qui permet de fournir une autre source, un blé de la collection d’Oscar LECLERC-THOUIN, neveu d’André THOUIN (qui fut administrateur du muséum d’histoire naturelle)
-[8] Dans les cultures d’expériences des années 1820, Louis de COLOME, correspondant de la Société d’agriculture de Toulouse, signale le succès de cette variété «Tangarock, pays situé sur le bord de la mer d’Azov». Dans un Compte-rendu à la Société d’agriculture de l’Ain, par la commission de BROU, de ses Travaux pendant l’année rurale 1821-1822, les blés Tangarock et d’Odessa sont dits, blés durs reçus de Marseille devenaient plus tendre au point d’écrire en 1822 qu’il s’agit peut-être d’une «transmutation de blé dur en blé tendre». Cette interprétation de blé dur est probablement plus confuse à l’époque que de nos jours, BALLAND déclaré les blés russes de blé dur. En 1828, c’est à Chalons s/Marne qu’une comice agricole mentionne les premiers essais du blé Tangarock.
H. de VILMORIN (p.124) présente en 1880, le blé Taganrock (et non Tangarock) comme synonyme du Poulard blanc lisse. Ces mentions historiques étalées sur 60 ans peuvent facilement nous faire croire que la variété est bien originaire d’Ukraine orientale mais qu’une sélection massale l’a adapté sur le sol français. Il ne s’agit probablement plus de blé d’importation à l’époque où P.DARBLAY le procure à E.PELIGOT. La variété Tangarock est toujours utilisée actuellement pour la confection de pâtes bio dans les Marches (Italie).
-[9] Avec les trois analyses de poulards réalisés par E.PELIGOT, deux constats. Premièrement la différence entre poulard conique et poulard roux ; 5% de protéines insolubles de plus pour le poulard conique. Une réputation que confirme Florent MERCIER, spécialiste du poulard et la promotion de ce poulard pourpre australien dans les années 1990 par une minoterie néerlandaise. Ce blue cone rivet (H.de VILMORIN, p.130) fut importé aux antipodes dans les années 1850. Les essais de culture de l’émigration anglo-saxone faisant l’objet de concours, il prit de l’importance, puis avec un «effet boomerang» fut exporté vers son continent d’origine, un siècle plus tard, estampillé «naturellement d’Australie».
Deuxième constat, la détermination du climat dans la teneur en protéines, E.PELIGOT inclus une deuxième analyse du même poulard conique réalisé 2 récoltes plus tard, une année sèche, ce qui donne pratiquement 3% en plus et un rapport protéines solubles / insolubles renforçant la part insoluble
-[10] Johan KEJLDAHL travaillait au laboratoire de la brasserie Carlsberg de Copenhague, il présenta son appareil et sa méthode en 1883. C’est un peu celle qu’en Angleterre et qu’ E.PELIGOT utilisaient et qui se mettait petit à petit au point.
Rapidement schématisé la méthode Kejldahl cela se résume comme suit ; après avoir éliminer le carbone par ébulition l’échantillon de matière organique et minéraliser par ajout d’acide sulfurique (appelé autrefois vitriol), le gaz est condensé (refroidi) et on récupère la matière azotée . L’appareillage original est présenté à gauche et la version actuelle à droite.
-[11] L’on commence à classifier et l’ouvrage déclencheur faisant suffisamment autorité est celui du suédois Carl LINNE en 1753 qui défini et classe chaque plante suivant une appellation de deux noms latins représentant la famille et l’espèce.
Cet ouvrage de référence n’est pas sans faille, puisque Carl LINNE confondant probablement la Galice espagnole et la Galicie polonaise (qui porte le même nom en latin) appellera un blé dur présent en Espagne et au Nord de l’Afrique ; le triticum polonicum ou blé de Pologne. Cette rectification de l’erreur de LINNE que l’on doit notamment à Michel CHAUVET du musée Agropolis de Montpellier trouve source dans la description du blé de Pologne d’Henri de VILMORIN (1880, p.144) «malgré son nom, il est surtout cultivé dans le nord de l’Afrique, en Egypte et en Algérie» et confirmation dans cette étude d’ E.PELIGOT qui dans son tableau présenté p.30, différencie clairement le blé Poolish Odessa «venant de la Pologne russe», sous entendu l’Ukraine occidentale actuelle, du blé de Pologne «blé très dur à grains très allongés. Originaire de l’Afrique septentrionale», Henri de VILMORIN (le fils de Louis) décrivant ce blé très dur donne d’ailleurs dans les synonymes employés en anglais «Diamond Wheat».
-[12] Dans le cycle de l’azote en schématisant, on peut considérer que l’azote est la forme gazeuse, la protéine est l’azote végétal, le nitrate est l’azote minéral. La perception de la matière azotée de l’époque ne bénéficie pas de la connaissance approfondie de la composition en acides aminés de ces protéines (l’unité moléculaire qui compose en chaînes accolées une à l’autre jusqu’à une centaine). Nutritionnellement, certains acides aminés (une dizaine) doivent venir par l’alimentation, ils seront dit pour cette raison ; «acides aminés essentiels »
Cette nouvelle donnée scientifique devrait s’intégrer dans l’évolution de la sélection céréalière, ce qui est loin d’être le cas et qui exigerait une réforme importante des critères actuellement en application au comité technique permanent de la sélection (CTPS). L’objectif actuel est de mettre à disposition des utilisateurs des variétés distinctes, homogènes et stables (DHS) et dont on recherche les valeurs agronomique et technologique (VAT) reconnue comme source de progrès et sans défaut majeur. Si l’on tente de résumer dans un tableau l’évolution de la composition en acides aminés essentiels des blés voilà ce que cela donne ;
-[13] Autre aspect nutritionnel des protéines du blé et des acides aminés qui le compose ; le facteur limitant. Ce qu’il faut comprendre dans le terme «limite», c’est qu’il faut avoir un apport équilibré en acides aminés essentiels, une grosse teneur dans un acide aminé essentiel ne saurais s’assimiler si un autre acide aminé essentiel à une faible teneur. La plus faible teneur limite l’assimilation de la plus forte teneur. Le schéma présenté ci-dessous peut aider à la compréhension de ce principe du facteur limitant.
Nutritionnellement on peut rectifier cet effet limitant du blé en consommant les repas céréaliers avec des légumineuses qui peuvent rectifier l’apport d’acide aminés essentiels. C’est l’histoire du pois chiche dans le couscous et l’analyse des ethnologues qui observent que les grandes civilisations font reposer l’équilibre de leur bol alimentaire sur le couple céréales/légumineuses (riz/soya ou riz/lentilles en Asie, maïs/fèves en Amérique et blé/pois en Europe). L’acide aminé essentiel limitant l’efficacité des autres dans les céréales est la lysine (facteur limitant primaire). Pour le blé la lysine (LYS) est peut-être le facteur limitant secondaire après la méthionine (MET).
-[14] «Recherche sur la composition des blés tendres français et étrangers», Bulletin du Ministère de l’Agriculture, n°6, 1899
-[15] Aimé GIRARD avait déjà analysés 4 variétés de blés du pays dans sa «Recherche sur la composition des blés et leurs analyses». Voici le tableau qu’il présente. Seuls les résultats du Rouge de Bordeaux divergent en teneurs en gluten (7,45 ici pour 8,74 dans l’analyse réalisée avec Emile FLEURENT.
-[16] Henri de VILMORIN dira en 1880 (p.28) que cette variété de pays est «un des exemples du blé tendre amené à son plus haut degré de perfectionnement». Cette bonne réputation lui vient probablement de son rendement «40 et même 50 hectolitres à l’hectare dans certaines cultures», ce qui pour l’époque de la publication est très bon.
Les synonymes employés et cités par Henri de VILMORIN, sont ; «Blé de Bergues; blé blanc-zée; blanc blé (Nord); blé suisse (Oise)». Aux Etats-Unis le blé « white »-blanc reste souvent associé au blé « soft » utilisé pour les biscuits et pâtes alimentaires. En Suisse, Dario FOSSATI et Marcel INGOLD, p.319, donne les appellations «petit rouge» et «gros blanc» comme communes et généralisées pour baptiser les variétés à leurs débuts. R.DASCOTTE en Belgique, p.11, donne les expressions wallonnes «petit roucha et gros blanc». Autre précision comme on parle de petit et de gros, un grain de petite taille a, comme pour les fruits, la réputation d’être meilleur, gustativement et même dans ce cas précis, technologiquement, pour autant que cela ne dépendent pas des conditions climatiques de la récolte.
L.AMMANN, écrit, p. 68 ; «les grains les plus petits sont également les plus riche en gluten et matières azotées totales».
-[17] Pour garder le témoignage d’Henri de VILMORIN, p.86, contemporain à l’étude vue ici, le blé rouge de Bordeaux dit Rouge inversable (qui ne verse pas), rouge de Lectoure dans le Gers d’où, il aurait démarré en 1865 son expansion jusqu’au Nord de Paris suite à son introduction grâce à des réfugiés de la guerre de 1870-71 descendu dans le Sud-Ouest.
Les froments panifiables américains portent toujours aujourd’hui le qualificatif « Red » (rouge). Comme une identité ou label (…rouge), la pigmentation « rouge » de l’enveloppe (son) du blé sera presque un passage obligé pour les sélectionneurs. Parfois, on entendra dans la tradition orale, que le blé rouge est pour les humains et le blé blanc pour les animaux (M.MARKUS, p.124). Olivier de SERRES, p. 107, écrit «les anciens ont fait plus état du rougeâtre que nul autre», et là nous sommes au début du XVIIème siècle (1.605). Trois siècles plus tard (en 1.904), les chercheurs canadiens refusèrent de commercialiser des blés de force « blanc » (ex. : la variété Bishop), pour garder le label « Red », voir Stephan SYMKO, chapitre « Développement des variétés de blé au Canada ».
-[18] La variété «Dattel» est déclarée Hybride de Dattel par Philippe de VILMORIN (p.34).
Hybride, pas dans le sens actuel du mot hybride. Ici, c’est le résultat de semence issu d’un croissement entre des variétés et vendu après avoir des caractéristiques sélectionnées et stabilisées par 8 à 10 années de travail (F8 ou F10) d’évaluation de récoltes successives, le résultat d’une sélection dite généalogique. Il faut probablement plus de temps à l’époque pour maîtriser cette technique de stabilisation des caractères qui est même parfois déclaré d’impossible par Ph.de VILMORIN (p.40), «…phénomène dont nous n’avons pas encore trouvé l’explication, et qui semble en contradiction avec les lois de l’hérédité, cette variété (Le blé rouge hybride Lamed) n’a jamais été parfaitement fixée malgré une sélection de plus de trente ans, il se produit toujours des variations à grains blancs et même à épis blancs.»
L’hybride actuel n’a qu’une année de sélection (F1) et ne peut par là-même être stable au niveau de ses caractéristiques, ce qui est voulu par les sélectionneurs afin d’obliger un achat annuel de semences non reproductibles dans leur performances agronomiques.
Dattel sera en 1874 et en France, le premier blé issu de croisement inter-variétale (= issu de la toute nouvelle sélection généalogie), deux variétés de blés anglais (Blé Prince Albert et le Chiddam d’automne à épi rouge) sont ces géniteurs. Il faut savoir qu’en ces temps là, parler de génétique même de plantes en se référant à l’évolution de celle-ci était encore fort tabou. La création ne pouvant venir que de Dieu, l’Eglise mettait pratiquement un veto à ce genre de discussion. Ce que Henri de VILMORIN dans l’introduction (p.VII) de son livre «Les meilleurs blés» a bien compris si l’on en juge ces propos prudent ; «nous l’avons surtout appris des praticiens, de ceux qui tous les jours de leur vie lisent dans le grand livre des œuvres du Créateur.» Gregor MENDEL (°1822-†1884) a qui l’on doit les lois fondamentales de la génétique des plantes, était moine et voulu que l’on détruise tous ces écrits à sa mort.
Dattel ne fit son apparition dans les cultures qu’en 1883 et fut rapidement bien perçu, comme les autres «hybrides» de la firme qui allaient suivre. Dans le Supplément du livre « Les meilleurs blés » P. de VILMORIN, p.II, décrit, en 1908: « 27 variétés qui occupent maintenant dans nos champs une place beaucoup plus importante que les 70 décrites et figurées en 1880. Les races locales tendent à disparaître et sont remplacées par d’autres, plus productives ». Bien de nouvelles variétés créées par croisement (sélection généalogique) à la firme VILMORIN fin du XIXème siècle incorpore des variétés de blés anglais, tels Prince Albert, Chidham, Squarhead, Browick, voir P.de VILMORIN, p. 18, 24, 26, 30, 32 & 34.
-[19] Le blé gris de Saint-Laud est décrit comme le blé de Saumur d’Automme chez H.de VILMORIN, p. 72. Répandu depuis le début du XIXème siècle dans la vallée de la Loire, il sera petit à petit supplanté par le blé de Noé plus résistant.
-[20] Le blé de Saumur est-il ce blé de Saumur de mars (syn.: Blé de mars de Brie), soit le blé de printemps le plus semé dans ces régions de la vallée de la Loire et de Paris et décrit H.de VILMORIN, p.100 ?
-[21] Venant d’Angleterre il s’est répandu dans les cultures plutôt au Nord de la France depuis le tout début du XXème siècle, P.de VILMORIN dira de lui, p.8 ; «il résiste moins bien à la verse que son nom ne semblerait l’indiquer». Stand Up = droit/debout.
En 1925, L.AMMANN écrit, p.72, que les «…blés français se signalent par leur faible teneur en gluten, tout spécialement à partir de l’année 1878. Avant cette date, la teneur en gluten des farines livrées sur le marché de Paris n’étaient pas sensiblement inférieure à celle des russes, mais depuis elle s’est abaissée de 3 à 4 %. Ce fait regrettable semble bien du à l’introduction dans la culture française de variétés de blés étrangers anglais, plus spécialement, dites à haut rendement».
La faible teneur en gluten semble connaître d’autres mauvaises périodes que 1978, comme l’atteste le tableau donné par Marcel ARPIN reproduit ci-dessous. Il semble bien que ce soit les choix variétales et non le climat de la récolte, qui abaisse de manière constante la courbe de teneur en gluten, qui nécessite parfois l’apport de blés exotiques (= d’importation). Prenons encore comme exemple le rapport sur le blé Lammas de J.V.F.LAMOUROUX. En 1813, il dit ce blé cultivé depuis quelques années dans le Calvados et reçu d’Angleterre. C’est une variété de Blé carré (en allemand Dickkopfweizen –soit ; froment à grosse tête et en anglais, Squarhead -tête carrée-, dont le sélectionneur Patrick SHIREFF à Mungoswell près d’Edimbourg obtiendra en 1819, une variante qui fut renommée et utilisée comme géniteur par VILMORIN). Le blé Lammas «…a moins de gluten que le franc blé» (1/3 en moins) et devrait d’après l’auteur, être choisi pour sa précocité. En augmentant tous les jours dans les emblavements, il tenait à cette époque, un 1/4 des variétés cultivées dans l’arrondissement de Caen. Ce blé Lammas connu également un succès en Australie dans le milieu du XIXème siècle.
Le tableau des rendements des cultures de blé de GAROLA nous permet de compléter un peu cette information d’ARPIN sur la teneur en gluten puisque les blés à haut rendement à l’hectare sont moins riches en gluten.
-[22] Ce blé est probablement issu d’une sélection massale du blé rouge d’Ecosse (H.de VILMORIN, p.80). Il serait choisi à cette époque pour sa grande résistance au climat.
-[23] Voilà un rapport des importations françaises de blé effectués par BALLAND en 1894. Si la production française est 93 millions de quintaux, les importations sont elles de 11 millions de quintaux (+/- 12%).
Ces importations sont réparties comme suit ; 50% viennent de Russie-Ukraine par les ports de la mer noire, 16% des colonies (Algérie et Tunisie), 6% de Roumanie, 5% des Etats-Unis, 5% de Turquie, 4% d’Argentine, 2% des Indes anglaises, 1% d’Australie et 10% d’origines diverses. Balland dans son rapport succinct en donne les principales caractéristiques.
-[24] Les Etats-Unis d’Amérique ont diverses zones agricoles assez spécialisées au niveau variétal. Ainsi au centre, dans la grande plaine, c’est le froment rouge d’hiver résistant (Hard Red Winter Wheat), au Nord, dans la grande prairie, c’est le froment rouge de printemps très résistant (Hard Red Spring Wheat) et à l’Ouest c’est le froment blanc d’hiver friable (Soft White Winter Wheat) ; voir J.-Paul.CHARVET. L’analyse reprise ici donne 9,74 % de protéines insolubles, c’est plutôt «médium-hard» que «soft» pour un pays de pain blanc de mie et c’est toujours le cas de nos jours pour le froment à l’ouest des montagnes rocheuses.
-[25] Ghirka sera mentionné par H.de VILMORIN (p.102) à l’article du Blé de mars rouge sans barbe ; «Il est presque certain que ce blé est originaire de la Russie méridionale; il présente une très grande analogie avec le blé Ghirka, qui s’exporte chaque année en grandes quantités par Odessa et d’autres ports de la mer Noire; il en diffère cependant par sa taille un peu plus haute». BALLAND dira en critique des blés russes «expédiés d’Azoof, Nicolaieff, Novorossisk, Odessa, Rostoff et Yiesk…se distingue par leurs petitesse de leurs grains. C’est dans le blé Ghirka que le poids moyen des grains atteint son minimum ».
La variété Ghirka retiendra encore en 1916 l’attention d’un sélectionneur américain (Jacob ALLEN CLARK) pour améliorer sa qualité et son rendement, caractéristique agronomique déclaré de faible par H.de VILMORIN.
-[26] Le blé appelé «Kurachee» est la dénomination des blés originaires d’Inde (H.GEOFFROY, p.65 & 66). Ce nom provient du port (indien à l’époque) Karachi, devenu la première capitale pakistanaise en 1947. Karachi était le point de départ de l’export du blé indien, et comme souvent ces ports laissent parfois leur noms à l’identification de la variété (exemple ; Odessa et Dantzig). Ce qui est précis au niveau origine, mais l’est moins au niveau variétés, ici le «choice Kurachee» précise qu’il s’agit probablement d’un mélange variétale.
-[27] Lorsque BALLAND donne une appréciation des blés algériens (il existe des blés durs et des blés tendres), il lie comme toujours à l’époque le caractère «plus azotés» au profil «plus nourrissant». Il précise aussi à l’évocation des blés argentins que «comme tous blés riches en gluten, ils peuvent être employés avantageusement pour rehausser la valeur nutritive de nos blés du Nord »
-[28] Les blés roumains rappellent d’après BALLAND «les blés durs algériens» en moins azotés et en poids moyen inférieur.
M.DUBOIS signale en 1996 dans un article reprenant les «derniers développements dans le domaine analytique» que le rapport retenu de nos jours est plutôt de 40/60 (soit 0,65). «Inférieur à 0,4 (soit ;30/70) le gluten est trop extensible et supérieur à 0,8 (soit ;45/55), il devient dur et cassant.»
-[30] Jean BURE écrivant notamment, p.20 ; «Ils auraient pu se demander, si beaucoup de résultats ne dépendaient pas des moyens extrêmement énergique mis en œuvre pour fractionner les protides»
-[31] Même actuellement «la notion de dureté des blés reste difficile à appréhender. Elle est souvent confondue avec la vitrosité et parfois même avec la force d’une farine», dixit Joël ABECASSIS et coll. dans la revue Industries des céréales de Mars 1997.
-[32] Voici le tableau des origines d’importation pour les années 1921 à 1923.
-[33] L’URSS créé en 1922, dut faire face à une réorganisation sociale importante, où dans le monde rural s’opéra d’abord une forte révolte paysanne face aux réquisitions du pouvoir central. Certaines libéralisations économiques de l’exploitation agricole et la mutation des réquisitions en taxes redresseront un temps la situation. L’union du marteau et de la faucille s’afficheront même sur le drapeau. Au niveau du blé et de sa sélection, c’est jusque dans la distinction de la «génétique prolétarienne» de Trofim LYSSENKO (qui durera de 1935 à 1964) vis-à-vis du rôle des chromosomes dans l’hérédité (défendu par Nikolaï VAVILOV qui mourut dans un goulag en 1943) que la politique s’invitera. Pendant ce temps, l’exportation de variété de l’URSS ne sera plus tellement de mise sur le marché occidental.
Trofim LYSSENKO ——- Nikolaï VAVILOV
-[34] R.GEOFFROY, p.60 signale ; «L’appellation Manitoba indique une provenance et non une variété spéciale».
-[35] «Marquis» est issu d’un croisement réalisé en 1904 par Charles SAUNDERS (le fils de William) entre «Red Fife» (vu à la note suivante) et «Hard Red Calcutta», une variété de froment d’Inde qui a la spécificité d’être précoce (mûrir plus tôt) pas pour éviter le gel, mais la sécheresse. En 1918, 80% à 90% des emblavements de blé canadiens était ensemencé de la variété «Marquis», voir S.SYMKO au chapitre « Valeurs de la récolte de Marquis au Canada et aux Etats-Unis».
-[36] Au Canada, où se prolonge la grande prairie du nord des Etats-Unis, en 1842, un émigré écossais, David Fife avait demandé à un ami resté dans son pays d’origine de lui envoyer des semences de l’Europe du Nord. De celles qui résistent au grand froid et aux petites et fortes chaleurs du climat plus tranché du Canada. Il reçoit des semences de blé dit «de Pologne» débarquées à Glasgow (SCO) et venant de Gdansk (= Danzig- POL). Comme D.Fife ne savait pas si la variété était un froment d’hiver ou de printemps et qu’il reçu ses semences au printemps, il les sema directement. Mais le froment ne mûrit pas, sauf quelques épis, probablement d’une autre variété et mélangé par hasard. Il ressema ceux-ci le printemps suivant. Alors, bien que les récoltes avoisinantes souffrirent toutes de conditions défavorables, ce blé lui, résista. D’où, le soin que l’on apporta à cette variété et l’éloge que les journaux agricoles (The Country Gentleman and Cultivator, Canadian Agriculturist, Manitoba Daily Free Press) en firent dès 1860. Ce grain de froment fut appelé «Red Fife». Celui-ci ensemencera assez vite tout le sud de l’Ontario (CDN) puis du Canada et ensuite le Nord des Etats-Unis. Le pharmacien devenu sélectionneur, William SAUNDERS retrouvera l’identité du «Red Fife» en recevant en 1905, soit 63 ans plus tard, des semences de blé (froment) d’un marchand de graines d’Allemagne. Cet échantillon provenait d’ «Halychina» quelque part en «Allemagne de l’Est ou en Russie occidentale». Il était si ressemblant au «Red Fife» que W.SAUNDERS les compara en culture et panification, mettant en évidence leurs similitudes, voir ; Stephan SYMKO, chapitre « La redécouverte du blé Halychanka (Red Fife)». Le même auteur nous décrit le parcours de l’appellation Halychanka, qui veut dire «d’Halychyna», c’est à dire «de Galicie» en ukrainien, région située actuellement en Ukraine occidentale et en partie en Pologne (L’viv –Lvov- en UKR et Krakow -Cracovie- en PL). Les autrichiens l’appellent «Galizische Kolben», les Polonais «Galicyjska voire Sandomierka». Le «Red Fife» s’appellera aussi en Amérique ; «Fife», «Scotch Fife», «Canadian Fife», «Saskatchewan Fife» et d’autres noms encore.
David FIFE ——- William SAUNDERS ——- Charles SAUNDERS
-[37] L’extensimètre Chopin fut créé en 1920 et son nouveau nom l’alvéographe Chopin en 1937 (J.BURE,p.85) Il juge probablement de plus près l’attente des fournils voulant des performances de résistance élastique de la pâte. Voici 4 schémas explicatifs du procédé ;
Depuis l’arrivée de cet instrument de mesure, on peut évaluer la «plasticité» des pâtes, ce qui donne ce tableau établi par P.ROUSSEL et H.CHIRON.
-[38] Cette méthode ne sera pas tellement retenue et est d’ailleurs vu de manière critique par R.GEOFFROY, p.105 et 107. Elle est appelée par son créateur allemand «Schrotgarmethode» (soit ; méthode d’analyse de grains en éclats fermentés). La farine analysée est en fait un concassage assez fins (1 mm.) de grains mélangés vigoureusement à de l’eau distillée et un peu de levure afin d’être le plus lisse possible. Placé dans l’eau et ensuite dans une étuve à 32°C, on y mesure le temps que cette boule pâte met à se rompre. R.GEOFFROY signale d’ailleurs «qu’on se rend compte, en comparant les W et les durées de rupture, que la classification n’est pas parfaite, le plus grand élément perturbateur étant l’âge du blé ». L’exemple le plus frappant présent dans ce tableau est le classement du blé du pays Le Mans.
-[39] La mesure du poids moléculaire porte le nom de celui qui l’a découvert ; des daltons, de John DALTON (°1766 †1844). Le même chercheur anglais ayant une déficience dans la perception des couleurs donnera son nom au daltonisme en faisant la description de cette différence dans l’appréciation des couleurs.
© DEWALQUE Marc, BoulangerieNet. – Juin 2012 – Télécharger en version PDF.