Pain Militaire.

Le pain du « poilu ».

Voici un sujet qui a été, à ma connaissance, très peu étudié par les boulangers eux même, celui des boulangeries militaires et de leurs productions, lors de la première guerre mondiale.
Nous savons qu’il existe, lors de cette période, trois sortes de pains destinés aux soldats français :
– Le pain blanc dit de troupe.
– Le pain de guerre.
– Le pain biscuité.

C’est ce premier que nous allons étudier, celui-ci étant le principal fabriqué par les boulangeries militaires, contrairement aux deux derniers, qui sont eux, généralement sous traités par les Armées (le pain de guerre et le pain biscuite ferons l’objet de deux articles prochains) et fabriqués par des professionnels de la biscotte et du biscuit.
Il existe quatre lieux de fabrications de ce pain blanc lors de conflit :
– Les stations-magasins (étude de ce jour)
– Les centres de fabrication.
– Les boulangeries de campagne. (Objet d’articles prochains)
– Les fournils civils. (Idem)

Peinture d’Eugene Chaperon.

La fabrication dans les stations magasins.
Chaque armée а son camp de ravitaillement, qui doit pouvoir à la nourriture de 300 000 hommes chaque jour.
Ces camps, qui peuvent avoir une surface de 10 hectares, voir plus, se dénomment  » stations-magasins « , voici la définition technique qu’en donnent les règlements militaires :
« Les stations-magasins (S. M.) servent а maintenir disponibles, à une distance peu considérable du théâtre de la guerre, les approvisionnements de toute nature, et constituent un régulateur indispensable des mouvements de matériel, soit vers l’armée, soit vers l’intérieur. »

Le mot « station » est utilisé tout simplement du fait que c’est une station de chemin de fer, mais pas constitué uniquement de deux voies parallèles, mais de vingt voies de garage, qui reçoivent quotidiennement 300 a 400 wagons et en expédie au moins 200.

Ces stations-magasins sont principalement constitués d’entrepôts de stockage des produits conditionnés (farine, café vert, tabac, etc..), d’entrepôts des bois de chauffage destines aux fours de boulangeries et autres préparations nécessitant de la chaleur (torréfaction du café par exemple..), des stockages extérieurs sous tentes des produits inflammables (huiles, pétroles etc.…), de groupes électrogènes , d’un parc à bestiaux où sont alimenté plus de 4000 porcins et autant de bovins, d’un site de torréfaction du café, et puis bien sur, des fournils !
Le fonctionnement de cet ensemble nécessite près de 2000 hommes.

Une boulangerie de guerre est établie dans chaque station-magasin. Le directeur des étapes et des services fixe la quantité de pain qui doit être fabriquée chaque jour, ainsi que celles qui doivent y être conservées exceptionnellement à titre de précaution.

 

Le fournil
Pour découvrir ce qu’est un fournil militaire de station-magasin, regardons cet extraordinaire reportage du Service Photographique des Armées, tourne non pas en 1918, mais en 1940. L’atmosphère que nous découvrons dans ce reportage était très certainement le même vingt ans plus tôt, les techniques boulangères ayant très peu évolues entre les deux guerres.

Journal de guerre n°31, semaine du 3 mai 1940.

http://www.ecpad.fr/journal-de-guerre-31-semaine-du-3-mai-1940#more-2505

Le fascicule n° 94 bis du service des subsistances militaires « alimentation en campagne » aux éditions Lavauzelle, nous informe du fonctionnement de ces boulangeries :
« Au début des opérations, les boulangeries de guerre des stations-magasins sont appelées à concourir, dans une très large mesure, à la fabrication du pain, leur production est diminuée dès que les boulangeries de campagne fonctionnent et lorsque des centres de fabrication ont été organisés.
L’emploi de ces divers moyens doit être réglé de façon que les troupes puissent être alimentées en pain, même dans les cas où les transports par voies ferrées sont brusquement interrompus. »

Centres de fabrication
(Fascicule n° 94 bis du service des subsistances militaires « alimentation en campagne » aux éditions militaires Lavauzelle) Article 25 : Le directeur des étapes et des services doit prévoir, puis prescrire l’organisation des centres de fabrication de pain (ordinaire ou biscuité) dans une zone aussi rapprochée que possible des troupes, de préférence dans les localités importantes :

1° : En utilisant les fours des boulangers et des particuliers, ainsi que les fours des manutentions militaires, quand il en existe dans cette zone.

2° : En établissant, s’il est besoin, des fours de construction ou de campagne.
Des fours démontables peuvent être mis à la disposition du directeur des étapes et des services sur sa demande, ils sont prélevés, soit sur les réserves de fours, soit sur le matériel de même nature devenu disponible dans les stations-magasins. Les personnels des centres de fabrication sont constitués :
– Avec des boulangers civils, requis dans ces centres et, s’il est nécessaire, dans les localités voisines.
– Avec des boulangers militaires prélevés sur les ressources du service des étapes. Le directeur des étapes et des services arrête l’organisation et le fonctionnement des centres de fabrication.

La fabrication du pain dans une station-magasin
Les farines arrivent par wagons de différents points du territoire. Comme elles sont de diverses qualités, que leur état de conservation n’est pas toujours identique, il convient d’abord de les mélanger :
Un mélangeur mécanique fait ce premier travail à la proportion voulue. De nouveaux ensachés, les farines sont dirigées vers les pétrins mécaniques où elles sont déversées par une manche en toile.
Il faut, tous les jours, 1100 à 1200 kilogrammes de sel.
Les pétrins sont mis en marche, si l’un d’eux s’arrête par suite d’une avarie quelconque, on pétrit à bras. Apres pointage, la pâte pesée, boulée manuellement et déposée dans les panetons d’osier, puis lorsque la pousse souhaite arrive, chaque pain est marqué à la date du jour et enfourne.
Un brigadier, sans discontinuer, pousse et retire sa pelle, qu’essuie un servant, chaque fournée contient 135 à 140 pains.
La cuisson terminée, les pains sont rangés dans les grands casiers de la paneterie, d’où une équipe les transporte dans les trains, à raison de 5.000 par wagon.
Près de 700 hommes sont employés à ce travail de panification : Ils se divisent en deux équipes, car on travaille jour et nuit.
Chaque boulangerie comprend un officier ou adjudant, un sous-officier, un brigadier principal pour cinq fours, un brigadier, deux pétrisseurs et un servant par four.
Pour chauffer les fours on brûle, chaque jour, 40 tonnes de bois, le débit d’une scierie mécanique installée près des boulangeries ne suffit pas, il faut lui adjoindre des hommes de corvée qui scient et fendent le bois supplémentaire.

Conservation du pain:
(Fascicule n° 94 bis du service des subsistances militaires « Alimentation en campagne » aux éditions Lavauzelle) :
Article 51 : Les mesures suivantes sont toujours prises pour éviter que le pain distribué soit près d’atteindre sa limite de conservation
– Distribuer de préférence le pain de plus ancienne fabrication (la date de fabrication est indiquée sur chaque pain fabriqué par les boulangeries militaires).
– Eviter de trop longs transports et tout transbordement inutile.
– Apporter le plus grand soin aux chargements et ne jamais expédier de pain insuffisamment ressué, à moins de nécessité absolue et à condition de prendre toutes les précautions pour éviter les avaries.

Annonce de la vente par adjudication de braises issue du chauffage des fours boulangers de la Station-Magasin de Chatres –Aube- (Coll. Bourcier)

Le pain blanc dit « de troupe »
La Grande Encyclopédie datée de 1902, mais on peut supposer que les choses n’avaient pas trop changé en 1914 :
II. Art militaire. Ministère de la Guerre.
« Les farines employées à la fabrication du pain de troupe ou de munition proviennent des blés achetés par les fonctionnaires de l’intendance militaire. Les officiers comptables de la Guerre sont chargés de faire transformer ces blés en farines, soit dans les moulins de l’Etat, ou dans ceux des usines particulières. Les farines de munition contiennent l’intégralité des fleurs et celle des gruaux repassés sous la meule; elles sont blutées, savoir celles du blé tendre exotique ou indigène à 18 ou 20 % ; celles du blé dur d’Algérie et d’autres provenances, à 12 %. En France, les deux essences sont mélangées dans la fabrication du pain, soit par moitié, soit à raison de 2/3 de farine tendre et de 1/3 de farine dure. En Algérie, la farine de blé dur est employée seule. La fabrication du pain est effectuée dans les manutentions militaires au nombre de 116, dont 86 en France et 30 en Algérie; elles sont dirigées par les officiers d’administration des subsistances militaires. Le pétrissage s’opère à bras d’homme par les ouvriers d’administration ; la fermentation est obtenue à l’aide du levain de pâte. Les fours sont du système Lespinasse et d’une contenance de 225 kilo gr. de pain, soit 150 pains à 1k500 l’un ; ils sont chauffés au bois, sauf dans les bassins houillers, où le charbon de terre est préféré comme plus économique. Le pain de munition pesant 1k500 représente deux rations journalières de 750 gr. l’une ; sa forme est ronde, son diamètre est environ de 270 millim. Et sa hauteur de 97 millim.; l’enfournement a lieu à quatre baisures. La blancheur du pain, sa nuance et sa saveur sont intermédiaires entre celles du pain de première et de deuxième qualité des boulangeries civiles (…)

On a cherché depuis une vingtaine d’années à incorporer, dans le pain de munition, certaines matières alimentaires, telles que haricots, lard, viande, bouillon gras concentré, etc., ces essais se poursuivent encore; ces pains sont très avantageux pour les armées en campagne).
Parmi les établissements les plus remarquables de l’administration de la Guerre il faut citer la manutention militaire du quai de Billy, à Paris, laquelle reçoit annuellement, et en temps de paix, 150,000 quintaux métriques de blé et produit, pendant la même période 110,000 quintaux métriques de farine, 6,900,000 rations de pain et 28,000 quintaux métriques de biscuit.
Ses greniers métalliques du système Huart, assurent à peu de frais, par l’aération et le pelletage automatique, la bonne conservation du grain.
La part de l’administration de la Guerre sous le rapport de la production et de la consommation est assurément très large. On peut évaluer approximativement la consommation pour une année aux chiffres ci-après : blés achetés au commerce 7 à 800,000 quintaux métriques ; bois acheté au commerce 150,000 quintaux métriques; charbon de terre acheté au commerce 15 à 20,000 quintaux métriques; sel acheté au commerce 3 à 4,000 quintaux métriques; fleurage, 3 à 4,000 quintaux métriques.
La production est de 5 à 600,000 quintaux métriques de farine; 130,000 à 140,000 quintaux métrique, de son; 82,500,000 kilo gr. de pain; 40,000 quintaux métriques de biscuit; 25,000 quintaux métriques de braise. Pour les années de cherté, le prix du kilo gr. de pain s’est élevé à 30 cent, pendant les années moyennes il s’élève à peu près à 26 cent. La valeur du pain distribué annuellement par les manutentions de l’Etat est donc de 21 à 26 millions de francs ».

Ravitaillement en pain.

Le ravitaillement en pain présente de grandes difficultés soit qu’on se le procure sur place, soit qu’on le reçoive des magasins de l’arrière. Cela résulte d’abord de ce que le pain ne peut être distribue chaud, car il serait indigeste; et frais, il ne supporte pas le transport; « mis en voiture, le pain frais secoue pendant la route, impressionne par la chaleur ou l’humidité, se détériore, se met en pate, devient, selon l’expression des troupiers, une boule de son et constitue un aliment aussi désagréable qu’indigeste. » Ensuite, il ne se conserve que 4 а 8 jours suivant la saison. Il en résulte que l’on ne peut fabriquer hâtivement le pain sur place, soit pour le distribuer immédiatement aux troupes, soit pour l’emporter tout de suite, et que l’on ne peut faire de grands approvisionnements de pain, ni faire supporter а cette denrée de longs transports.

Le pain fabriqué dans les boulangeries de guerre des stations-magasins est transporté par chemin de fer jusqu’aux gares où les trains régimentaires ou les convois administratifs peuvent venir se ravitailler.
Le pain provenant des centres de fabrication, s’il ne peut être livré directement aux trains régimentaires, est transporté, en principe, jusqu’aux points où ces trains peuvent venir se ravitailler, soit par voies ferrées, soit par convoi administratifs.
Lorsque des routes d’étapes sont organisées, le pain de ce provenance, après avoir été amené par voie ferrée jusqu’aux dernières gares utilisables, est chargé sur le convoi administratif d’armée ou le convoi auxiliaire.
Quand la distance entre les troupes à ravitailler et la dernière gare utilisable ne peut être franchie par ces derniers organes de transport, il n’est plus possible d’avoir recours aux stations-magasins organisées dès le temps de paix, le laps de temps qui s’écoule entre le moment où le pain a été fabriqué et celui où est consommé étant supérieur à la durée de conservation du pain. Il est alors nécessaire de faire fournir le pain uniquement par les boulangeries de campagne et par des centres de fabrication développés le plus possible».
Si l’on veut vivre sur le pays, le pain trouve sur place est seul а utiliser lorsque la troupe marche tous les jours. Si l’on veut recourir aux magasins, il faudra que le transport en soit organise de manière а le faire parvenir aux troupes dans un temps très court.

Photo publiée dans « Le Pays de France » du 22 Juillet 1915

Le tableau des rations journalières édicté entre 1915 et 1918, à l’usage des commandants d’unités fait état de 500 a 700 gr de pain biscuité ou pain de guerre, quel que soit le type de ration (forte ou normale).

Le pain de troupe français, pas du goût de tous.

« Apres la retraite d’Anvers, alors que nos services brusquement transportes en terre d’exil se trouvaient en pleine période de réinstallation et de réorganisation, on ne put faire autrement que de fournir а nos hommes le pain provenant des manutentions françaises. Mais ce pain au levain, ayant un gout suret et différant assez sensiblement de celui auquel nos troupes étaient accoutumées, n’était guère apprécie. Etant donnée l’importance de cet aliment de premier ordre, il y avait urgence а remédier а cet état de choses. L’Intendance se mit donc sans tarder а l’oeuvre et des manutentions militaires belges furent bientôt installées а Adinkerke (Belgique) et Bourbourg (France) ou fut fabriquée la totalité du pain destine aux troupes du front.

Cette fabrication est faite d’après la méthode belge: fermentation de la pate par incorporation de la levure. Le travail de la pate est effectue au moyen de pétrins mécaniques qui réalisent toutes les conditions de propreté, tout en donnant un produit bien homogène ». (L’armée belge en campagne, aperçu général des principales mesures prises pour améliorer le bien-être matériel et moral du soldat belge Edition du « Bureau documentaire belge », 32 rue des Gobelins, Le Havre, 1918)

“Ca change du pain K.K. !!!!”

Plusieurs reportages photographiques du SCA sont consacrés aux activités de boulangeries militaires, à Bobigny (référence DG 31) et à Paris (DG 53, DG 150).

Laurent Bourcier, Picard la fidélité C.P.R.F.A.D.

Commentaires concernant : "Pain Militaire." (6)

  1. Boucherès Alain Agenais la Tolérance CBRFAD a écrit:

    Petite info à l’intention de tous ceux qui voudraient voir une boulangerie militaire, la citadelle souterreine de Verdun, transformée en musée, est un trés émouvant témoignage de ce qu’on vécus nos militaires de 1914/1918!

    En visitant cette citadelle, vous découvrirez la boulangerie avec les four d’époque et des personnages en cire qui donne une idée précise des conditions de travail!

    • Laurent Bourcier a écrit:

      Tres cher Agenais la tolerance,
      J’ai le plaisir de t’annoncer qu’un article est en preparation sur les boulangeries des forts militaires. 🙂
      FR
      Picard la fidelite

  2. Une véritable encyclopédie ce Picard ! Militaire ou pas, on en mange tous les jours du bon pain du savoir partagé comme ça ! Belle croûte et belle mie, et dont le bon goût dure, dure, dure…

  3. Boucherès Alain Agenais la Tolérance CBRFAD a écrit:

    Mon cher Picard la Fidélité…Tu présente un merveilleux sujet sur la boulangerie. C’est vrai, il est trés rarement évoqué dans l’histoire de notre belle profession! Ton article est bien documenté, et trés agréable à lire!

    Cependant, si je puis me permettre: j’ai créé un site se nommant « Pain et boulangerie en cartes postales, dans lequel j’y présente une rubrique intitulée « La tranchée nourricière », le lecteur pourra y trouver un suplément d’information!

    Je regrette beaucoup, que des Compagnons boulangers ou pâtissiers n’apportent pas plus leur contribution, ce qui permettrait d’enrichir cette rubrique « CREBESC » et ainsi, de rendre encore plus dynamique cette trés intéressante documentation, que tu nous fait partager mon cher Picard et Normand la Fidélité.

    Bonne continuation!!! J’ai encore faim de connaissance…

  4. Bourguignon pays Sébillon a écrit:

    Ahhh j ‘adore cet article, Merci Picard.
    La video du journal de guerre dans le fournil est tout simplement magnifique à mes yeux. La cadence des Boulangers pour enfourner le pain à la 3eme minutes est pas mal.
    Merci pour cet article et vivement la suite.
    Fraternellement
    Bourguignon L’ Ami Du Tour De France
    CPRFAD

    • Laurent Bourcier a écrit:

      Tres cher Bourguignon l’ami du tour de France
      Ne t’inquite pas…
      Il y aura des suite, et meme avant Noel!!! 🙂 rien que pour le plaisir!!! 😉
      FR
      Picard la fidelite

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