LE « NOUVEAU GÂTEAU DE VOYAGE » MASSÉ À TOURS EN 1893
Qui serait allé la chercher là ? Cette publicité est insérée dans la rubrique « Confiseurs-pâtissiers » de Montpellier, dans l’Annuaire du département de l’Hérault pour 1893. On peut imaginer que la notoriété du « gâteau de Tourraine » (oh ! la grosse faute !) a permis au dénommé Massé de s’offrir un encart publicitaire à l’autre bout de la France, et il faudrait vérifier s’il l’a fait ailleurs que dans l’Hérault.
Mais de quel « gâteau de voyage » parle-t-on ? Et qui était J. Massé à Tours ?
La place du Grand-Marché (que les Tourangeaux appellent depuis 2004 la « Place du Monstre » à cause de l’œuvre de Xavier Veilhan), comprenait à la fin du XIXe siècle un fonds de commerce au n° 17, où se sont succédé plusieurs pâtissiers. C’est aujourd’hui un restaurant.
La place du Grand-Marché, à Tours, vers 1900.
Le prédécesseur de Massé se nommait Lambert BRUNEAU (dit Jules BRUNEAU). Il était né à Saint-Senoch (Indre-et-Loire) en 1862. Il voyagea et se perfectionna dans son métier. En 1882, il était à Nesle (Somme). Exempté de service militaire, il était à Paris, 23 boulevard Sébastopol, en 1884. L’année suivante, il était de retour en Touraine, à Loches, et s’y maria en 1886. C’est en 1887 ou 1888 que le couple BRUNEAU s’établit au 17, place du Grand-Marché.
Le recensement de 1891 indique que l’affaire devait bien tourner puisque les époux BRUNEAU emploient un ouvrier pâtissier de 23 ans, Jean FOUQUET, un apprenti de 15 ans, Emile LENAIN, et une employée de commerce de 23 ans, Marie ANTIGNY. Deux enfants vivent au foyer : Georges, né en 1887, et Juliette, née en 1888. Le fils sera également pâtissier.
En 1891, il cède son fonds et part s’établir avec sa famille en Algérie, à Oran. Il y vivait encore en 1919.
Le pâtissier qui lui succède est Auguste Baptiste Jules MASSÉ (dit Jules MASSÉ). Lui, était né à Mortagne (Vendée) en 1866, et comme son prédécesseur, il voyagea durant sa carrière professionnelle.
Dispensé de service comme fils de veuve, il est à Parthenay (Deux-Sèvres) en 1886, là où demeure sa mère et où il dut apprendre son métier. En janvier 1888, il réside à Angers (Maine-et-Loire), 8, boulevard de Saumur, en mai 1888, il est à Avranches (Manche) et l’année suivante à Saint-Hilaire, dans le même département. Puis en 1890, il réside à Lorient (Morbihan).
En octobre 1891, le voici patron à Tours, 17, place du Grand-Marché. Il prend la suite de Lambert BRUNEAU et fabrique son « gâteau de Touraine, nouveau gâteau de voyage » qui est récompensé lors de l’exposition de Tours en 1892.
Jules MASSÉ se marie à Tours le 4 avril 1893 avec Marie Joséphine ROUSSEAU, une chapelière de 20 ans, née à Blois, fille d’un maître couvreur décédé, qui demeure avec sa mère à Tours, place de la Victoire.
Les signatures de Jules MASSÉ et Marie ROUSSEAU au bas de leur acte de mariage à Tours en 1893.
Mais, soit à la suite de mauvaises affaires, soit par ambition professionnelle, il part pour la capitale en 1894 et réside dans le 11ᵉ arrondissement, 64, rue Sedaine. C’est un autre pâtissier qui prend sa suite au 17, place du Grand-Marché, un nommé Pierre Aimable Auguste ROUSSARD, natif de Villiers-au-Bouin (Indre-et-Loire) en 1858.
Le 18 septembre 1896, Jules MASSÉ est nommé « chef de cuisine de 4ᵉ classe » à l’École polytechnique. Il en démissionne le 1ᵉʳ mars 1903. Il réside ensuite dans le 10ᵉ arrondissement, rue de la Douane (1903), dans le 13ᵉ, rue du Jura (1904), dans le 12ᵉ, rue Rondelet. On ignore la suite de son existence.
Revenons au « Gâteau de Touraine ». Pourquoi est-il dit « nouveau » ? Parce que sa recette diffère de celle de son prédécesseur, qui en fabriquait déjà ? Ou parce qu’il a créé un « gâteau de voyage », dont la conservation permet « l’envoi contre mandat-poste » ? On ne le saura sans doute jamais.
Toujours est-il que la nature de ce gâteau fait immanquablement penser au « nougat de Touraine », qui n’a aucun rapport avec la confiserie du même nom, bien connue à Montélimar.
Laissons parler Nicole DELAUNAY, à qui l’on doit, avec Claude, son mari, la résurrection de ce gâteau en 1992. Ils ont longtemps tenu l’une des meilleures pâtisseries de Tours, la maison Poirault, rue Nationale. Nicole DELAUNAY en a conté l’histoire dans sa biographie publiée en 2018 :
« J’ai relancé le nougat de Tours, une belle histoire liée au patrimoine tourangeau. Ce produit a vu le jour en Touraine, à la fin du Moyen Âge, à l’époque de Léonard de Vinci. Très apprécié au XIXe siècle, il était le plus connu des gâteaux tourangeaux. Puis vers les années 70, il disparaît des vitrines, pour laisser sa place aux mousses de fruits exotiques, imposées par la mode des pâtisseries légères.
En 1992, un matin, au mois de mars, je m’en souviendrai toujours, la fille de l’institutrice de maman, arrivant de cure, me dit : « Nicole, je rentre de Savoie, vous savez que j’envoie toujours une carte postale à mes amis. Cette année, je leur ai posté un gâteau de Savoie. Recevoir un gâteau par la poste, vous n’imaginez pas leur surprise. Nicole, quel est le gâteau ambassadeur de la Touraine qui aurait également ce don ? » J’ai immédiatement pensé au nougat de Tours. Sa texture : fruits confits, confiture d’alberge et macaronade d’amandes, bien calée sur un fond de tarte sucrée, lui permettait de voyager. J’ai expédié un nougat à des amis à Cannes, qui l’ont conservé pendant 8 jours, sans qu’il perde son moelleux et sa saveur. Essai très concluant. Je me suis empressée de déposer le nom « Poirault, le véritable nougat de Tours » dont la notoriété a dépassé les frontières. Il a vu la Grèce, l’Afrique du Sud, l’Angleterre, l’Irlande, l’Espagne, la Nouvelle-Calédonie. C’est dire s’il aime voyager. »
En 1998, la « Confrérie du nougat de Tours et autres pourlècheries tourangelles » a été fondée à l’initiative de professionnels de la boulangerie et de la pâtisserie. Elle a pour objectif de promouvoir et de valoriser le nougat de Tours. Elle compte à ce jour 12 dignitaires et près de 700 chevaliers et officiers. Son actuel grand-maître est Jean-Marie SOIGNIER.