Le Devoir des doleurs transmis ? 1/2

LA TRANSMISSION DES MYSTÈRES DU DEVOIR PAR DES COMPAGNONS DOLEURS,
LÉGENDES ET RÉALITÉ … SUPPOSÉE

Il existe en effet plusieurs versions rapportées par différents documents.

Règlement des compagnons doleurs du Devoir, Marseille, 1822

Dans le règlement des compagnons doleurs de la ville de Marseille datant de 1822, nous trouvons au paragraphe « Pour la réception » (Article 2) ce qui suit :

Aucun aspirant ne pourra être reçu sans qu’il soit connu au moins par deux compagnons bons et sans reproches, qui devront le connaître ainsi que sa famille et s’être assuré qu’il n’a jamais fait d’autres états que celui de tonnelier. On ne pourra non plus recevoir aucun aspirant fils de boulanger ou qui aura appris cet état, et ceux qui serviraient à cette réception seront rayés et inscrits comme parjures.

Cet article nous démontre, sans aucun doute possible, que la naissance des compagnons boulangers est en rapport avec les compagnons doleurs du Devoir.

Mais pourquoi donc les doleurs mettent-ils en place dans leur règlement cet article destiné aux boulangers ? Quel événement a pu provoquer cette réaction ?

L’on comprend que les compagnons doleurs se sont fait rouler dans la farine. Il est possible qu’un boulanger ait changé de profession en épousant celle de doleur, puis se soit fait recevoir compagnon doleur du Devoir, et que, après cela, il ait trahi en revenant à sa profession initiale et en transmettant à celle-ci le fameux Devoir.

Une autre possibilité est qu’un jeune doleur fils de boulanger, une fois reçu compagnon ait épousé la profession de son père et ait transmis le Devoir à ses camarades boulangers ou bien encore tout en restant doleur ait transmis le Devoir aux amis de son père, boulangers sur le Tour de France.

« Chers Compagnons tailleurs de pierre… », Bordeaux, Pâques 1829

Voici une seconde version, extraite d’une demande de reconnaissance des compagnons boulangers du Devoir de Bordeaux, adressée aux compagnons tailleurs de pierre du Devoir, datée de Pâques 1829. Classée au rang des archives de la Cayenne des compagnons passants tailleurs de pierre du Devoir de la ville de Bordeaux, ce document a pu être consulté grâce au dévouement de leur premier en ville, L’Espérance de Thouaré-sur-Loire :

  • Extrait d’un courrier des compagnons boulangers adressé à la cayenne des compagnons tailleurs de pierre du Devoir de Bordeaux dans le but d’obtenir une reconnaissance par ces derniers ; arch. compagnons passants tailleurs de pierre du Devoir de Bordeaux, (Intégralité du document, chapitre Les reconnaissances au XIXe siècle.)
  • «Les boulangers depuis l’époque 1808 ont été créés et faits compagnons du Devoir par le nommé Pierre Laforêt connu sous le nom de la Tranquillité, et mort capitaine à Luthzen sous les ordres du Général Vandame, sans doute son action ne fut point belle de changer de profession et de créer des compagnons dans son nouvel état… »

Une consultation du registre de réception des compagnons doleurs du Devoir, par l’un de mes frères en Compagnonnage, Éric Fourthon, Bordelais Noble Cœur, compagnon tonnelier-doleur du Devoir, nous apprend qu’il n’y a qu’un seul la Tranquillité, reçu lors de cette période, c’est Bourguignon la Tranquillité, reçu à Blois à la Saint- Jean 1808. Le registre des compagnons doleurs sur cette période n’indique pas les noms et prénoms, ce n’est qu’à partir de 1822 qu’ils seront nommés

Une recherche dans les archives de Bourgogne nous fait découvrir à cette époque deux Pierre Laforêt :

Pierre Martin Laforêt, né le 11 novembre 1786 à Fautrières (71), les parents : François Laforêt charbonnier, à Fautrière et Benoîte Vauterin, il a 22 ans en 1808.

Pierre Laforêt, né le 5 novembre 1782 à Ozolles (71), dont les parents sont Henry Laforêt et Antoinette Martin, il a 26 ans en 1808.

L’un des deux pourrait être Bourguignon la Tranquillité. L’analyse des registres de réceptions des compagnons boulangers du Devoir, nous apprend étrangement que, de 1811 à 1820, très peu de compagnons originaires du Loir-et-Cher sont reçus, ce qui pourrait confirmer que Blois a été choisie comme première cayenne, non pas pour son activité compagnonnique ou sa première réception de compagnon boulanger mais parce qu’étant la ville où ce boulanger/doleur a reçu la lumière en 1808.

Une troisième version de la fondation nous est livrée par Arnaud, Libourne le Décidé, compagnon boulanger du Devoir, dans Mémoires d’un compagnon, en 1859 :

« En 1810, et non en 1830 comme a pu le croire Monsieur Agricol Perdiguier, un vieux compagnon doleur, natif de Nevers transmit, pour la somme de 1 400 francs, les instructions et les mystères de son compagnonnage aux ouvriers boulangers. Voici comment et par quelle singulière particularité ceux-ci furent initiés. La scène se passe le 14 avril 1810 dans la ville de Blois que baigne la Loire.

Michel Eugène Corbineau, dit Nivernais Frappe d’Abord, compagnon doleur, venait quelquefois dans la rue Basse, où demeurait la Mère des boulangers, faire des visites d’ami à deux de ces derniers, qui, quoique ne faisant partie d’aucune société, ne laissaient cependant pas que de se réunir et de former une société de secours mutuels.

Chaque fois que ce vieux doleur venait chez la Mère Boyer, c’était le nom de l’hôtesse où se réunissaient les boulangers, il parlait avec tant d’enthousiasme du compagnonnage, il chantait avec tant de chaleur les mystères de son Devoir, ses balades étaient si belles, si attrayantes qu’elles tournèrent la tête à ces pauvres boulangers, alors si tranquilles, et ignorant les querelles et les dissensions.

Pourriez-vous nous dire, Pays Nivernais, lui demanda un soir un ouvrier boulanger, qui était le beau parleur de cette bruyante réunion, de quel droit vous portez d’aussi beaux joncs et d’aussi belles couleurs, et pour quel crime il nous est défendu d’en porter sans nous exposer à des hostilités sans nombre avec tous les autres corps d’état ?

Je ne puis vous dire mon ami, répondit le vieux doleur, ni pourquoi, ni comment, vous êtes exclus du sein de nos mystérieuses réunions, seulement je crois pouvoir assurer que vous ne serez jamais initiés compagnons si des circonstances heureuses ne se présentent à point nommé, pour vous sortir des ténèbres où vous semblez être condamnés à vivre éternellement.

C’est assez singulier, s’écrièrent plusieurs voix, que cette exclusion indignait. C’est pourtant comme cela, reprit le doyen, en vidant son verre d’un trait, et ayant longtemps encore causé sur ce chapitre, il sortit et l’on n’entendit plus parler de lui.

Un jour du mois de mars 1810, cependant, c’est-à-dire trois mois après l’époque dont je viens de parler, un homme maigre, pâle, et défiguré par les souffrances, apparut chez la mère Boyer, il s’assit et demanda à parler à Pierre Martel, celui-ci se présente et reconnaît avec peine Nivernais Frappe d’Abord, si vigoureux quelques mois auparavant, il tressaillit involontairement en pressant dans ses mains la main froide et décharnée de son compatriote.

D’où vient ce changement, mon cher Pays, lui demanda Martel, tu as donc été malade ?
Pierre, reprit Nivernais, assieds-toi près de moi, je te confierai tous mes malheurs.
Martel s’étant assis, Nivernais commença en ces termes :
-Tu te rappelles de la dernière visite que je vins te faire ici, chez la mère Boyer?
-Parfaitement.

– Eh bien, mon ami, le lendemain je tombai sérieusement malade, et, comme je n’avais pas les moyens de me faire traiter en ville, je me traînai jusqu’à l’hôpital, d’où je fis savoir l’état de ma position à la société à laquelle j’appartenais, espérant qu’elle me ferait passer les secours supplémentaires, indispensables dans ces sortes d’établissements, où souvent on est fort négligé.

Je fus bien trompé dans mon attente, pas un compagnon ne vint me voir pendant tout le temps qu’a duré ma maladie. Je ne sais pourquoi ils ont insulté à mon malheur, mais ils me payeront cher ce manque d’intérêt fraternel.

-Bah! Bah! dit Martel, oublie tout cela que diable. Quand tu iras chez la Mère, tu leur diras ta façon de penser, et s’ils ont un peu de cœur, ils conviendront de leurs torts et ils te feront, j’en suis sûr, toutes les excuses désirables.

-Leur pardonner, s’écria Nivernais Frappe d’Abord, en regardant son Pays avec les yeux d’un possédé, jamais. Il faut que je te dise qu’une pensée infernale, aussi forte que ma volonté, en soutenant le peu de force morale que m’avait laissée ma maladie, m’a donné du courage au moment où je voyais s’éteindre ma vie, j’ai voulu vivre pour me venger!

J’ai voulu vivre pour déshonorer les compagnons doleurs, si ingrats et en même temps si fiers de leurs prérogatives ! Commences-tu à comprendre, continua le vieux doleur en serrant convulsivement la main de son compatriote ?

-Mais oui, répondit Pierre Martel en frissonnant de tout son corps.

-Du reste, il en arrivera ce que Dieu voudra, reprit Nivernais, je veux que toi et les tiens vous soyez initiés aux mystères du Devoir, devrais-je payer mon parjure de ma vie, et pour donner une preuve irréfragable de ce que je veux faire pour les boulangers que je ne veux point les tromper par d’insensées promesses, fais-leur mes propositions et, s’ils acceptent, je les exhorte à prendre envers moi les mesures les plus sûres, afin de me punir sévèrement si je venais à tromper leur crédulité.

Le lendemain de ce singulier entretien, une assemblée fut tenue pour proposer et faire adopter le projet.

Huit jours plus tard, Nivernais Frappe d’Abord était notre prisonnier, dans une cave à vingt pieds sous terre, donnant des instructions à quelques ouvriers boulangers. Lorsque ceux-ci furent bien instruits de toutes les choses relatives au compagnonnage, quant aux signes, aux attouchements, et surtout aux paroles mystérieuses nécessaires pour se présenter dignement devant les enfants de Maître Jacques, ils employèrent un stratagème assez singulier pour faire les premières épreuves de leur savoir, et cela d’après une idée du vieux compagnon qui les instruisait et qui avait choisi à cette intention les champions les plus robustes et les plus déterminés, dans le cas où l’affaire prendrait un caractère grave.

Un matin donc, ces quatre ouvriers boulangers se procurèrent chacun une doloire, qu’ils enveloppèrent dans autant de tabliers de cuir, et, les insignes du compagnonnage aux oreilles, chacun une canne à la main, ils se présentèrent chez la Mère des compagnons doleurs, où ils furent reçus très fraternellement.

Il ne faut pas oublier de dire que les plus grandes précautions avaient été prises pour le cas où la supercherie reconnue eût entraîné une rixe, ce qui eût été inévitable.

Le signal d’alarme convenu était un carreau de vitre brisé aux croisées donnant sur la rue. Ce soir-là, toutes ces précautions furent inutiles.

-D’où venez-vous, Pays, dit le rouleur des compagnons doleurs, après avoir préalablement reconnu par des signes et des attouchements les quatre nouveaux arrivés ?

-De Bordeaux, répondit l’un d’eux sans hésiter. -Directement ?

-Non, Pays, nous nous sommes arrêtés quelques jours à Cognac pour donner un coup de main à un de nos frères.

-Comment va l’ouvrage dans la Saintonge ?

-Très bien, les Pays, continua le faux doleur, les eaux-de-vie sont en vogue et les expéditions se font de toutes parts avec de grands bénéfices, si nous avions voulu travailler, nous étions à même de pouvoir y passer une partie de la belle saison, plusieurs patrons nous ont fait des offres très avantageuses.

-Voulez-vous travailler ici, interrompit le rouleur ? Demain je vous embauche tous les quatre dans un village de la Sologne où vous serez très bien. Vous ferez du neuf, et certes il y a de l’argent à gagner.

-Ma foi non, répondit Pierre Martel, (c’était lui qui remplissait le premier rôle de cette espèce de drame), mais si nous refusons c’est que nous avons hâte de nous rendre en Bourgogne, car si nous nous sommes arrêtés à Blois quelques instants, c’est seulement pour avoir le plaisir de vous dire bonjour en passant.

-Vous êtes très aimables, les Pays, mais j’espère que vous coucherez ici, et demain nous irons vous mettre sur les champs avec les honneurs de la guerre.

-Je vous remercie pour moi et pour mes compagnons de voyage, mais nous sommes attendus ce soir chez les parents du Pays Vendôme, et il désigna l’un de ses complices, et comme nous leur avons fixé le jour et l’heure à laquelle nous arrivions nous ne voudrions pas mettre ces braves gens dans l’inquiétude.

-Vous connaissez vos affaires, répondit le rouleur avec la meilleure foi du monde, faites comme vous le jugerez convenable, seulement je crois que vous regretterez de ne pas êtres restés quelques mois dans ce pays enchanteur.

-Ce qui est différé n’est pas perdu, répondit Martel, qui sait si, dans quelque temps d’ici, comme je l’espère, je fais mon Tour de France une seconde fois.

-Voilà qui est parlé, mais en attendant ce temps qui peut être encore éloigné, nous allons vider ensemble quelques flacons en chantant de joyeux refrains.

Bientôt les tables se couvrirent de verres qui se remplirent et se vidèrent fréquemment, la gaîté brillait sur tous les visages, on porta plusieurs santés aux « Enfants de Maître Jacques » puis vinrent les « entrées de chambre », tout se passa le mieux du monde.

Alors les nouveaux initiés bien persuadés de connaître les principaux mystères de l’ordre compagnonnique, prirent congé soi-disant de leurs collègues qui vinrent les accompagner jusqu’au chemin de Vendôme, où, après s’être donné l’accolade fraternelle, ils se séparèrent, mais pour se revoir, le lendemain, dans une rixe sanglante.

< Compagnon doleur au travail par Jean-Baptiste Grivot, Bourguignon la Prudence, (Reçu à Beaune à la Saint-Jean 1800.), dessin à la sanguine et à la mine de plomb réalisé en 1801. L’on remarque gravés sur la doloire, deux sceaux de Salomon et un Cœur- flamboyant. (Inv, 74.4.1 ; musée du Vin de Bourgogne, Beaune ; photo : musées de Beaune).

Ce même soir le vieux compagnon doleur fut mis en liberté, après quoi il donna ses dernières instructions à son compatriote Pierre Martel, qu’il baptisa de son terrible surnom de Nivernais Frappe d’Abord, et il sortit de la ville de Blois pour ne plus y rentrer. La chronique rapporte qu’il s’embarqua à Rouen pour passer aux États-Unis.

Le lendemain, les quatre boulangers dont nous avons parlé, se rendirent chez la Mère des compagnons doleurs, la hotte de pain sur le dos et le paquet de tailles aux bras.

Là, ils s’assirent tranquillement à une table et demandèrent un litre de vin, qu’on leur servit et qu’ils burent en attendant l’heure favorable d’en venir aux explications. Pendant ce temps-là, la maison était entourée d’hommes redoutables.

Vers sept heures, une trentaine d’ouvriers doleurs rentrèrent chez leur Mère, et vinrent prendre place autour d’une table où la pitance quotidienne les attendait, tous virent très bien les quatre boulangers qui se rafraîchissaient à une table attenant à la leur, mais sans se douter jamais que c’étaient ceux que la veille ils avaient reconnus et nommés leurs frères.

Quand leur souper fut terminé, Martel s’avança vers eux, et, fort poliment, leur demanda une audience particulière.

-Pour quel sujet demanda le rouleur ?

-Pour une affaire très importante, lui répondit Martel, que je ne puis vous apprendre ici.

-Le rouleur qui, sous ce nouvel accoutrement, ne les reconnaissait pas, parut assez intrigué de la demande ; cependant pour en avoir le cœur net, il se leva de table, prit la clef de la chambre d’assemblée, et lui dit de le suivre.

Comme toute la table se levait pour accompagner le rouleur, Martel fit un signe à ses camarades, et tous se dirigèrent vers l’escalier. Arrivé dans le sanctuaire où la veille les mystères de l’ordre avaient été échangés de part et d’autre, le rouleur demanda à Martel à quelle particularité il devait attribuer l’audience qu’il avait demandée.

-Je ne chercherai point, lui répondit – il à décrier un cercle inutile autour de la question, pour en embrouiller le sujet, je vais donc franchement l’aborder, comptant d’avance sur votre fraternelle indulgence.

-Où voulez-vous en venir, demanda le rouleur un peu impatient?

-À une révélation sérieuse, répondit Martel

-Voyons, expliquez-vous !

-Nous reconnaissez-vous d’abord, demanda Martel en se posant carrément au milieu de ses camarades et devant cette redoutable assemblée?

-Non, fit le rouleur en les examinant très attentivement les uns après les autres.

-Quoi ? reprit Martel avec une feinte surprise, vous ne reconnaissez pas en nous ces quatre compagnons que vous avez accueillis, hier soir, avec les marques de la plus cordiale fraternité?

-Vous n’êtes donc pas doleurs?

-Non, Messieurs, vous le voyez, nous sommes boulangers. Tous parurent frappés d’un grand étonnement.

-Oui, mes amis, continua Pierre Martel, nous sommes ouvriers boulangers. Cette particularité, qui semble vous contrarier, vous prouve que nous sommes arrivés à ce moment décisif où vous ne pouvez plus douter de nos connaissances en ce qui concerne le Devoir, sans vous rendre volontairement les ennemis de vos frères, car nous sommes vos frères, vous en êtes convenus hier soir, c’est pour ce motif aussi que nous venons auprès de vous pour recevoir vos conditions, quelles qu’elles soient nous les accepterons d’avance pour effacer, s’il est possible, les mauvaises impressions que vous a causé l’innocente supercherie dont nous nous sommes servis pour avoir le droit et le bonheur de faire partie de vos réunions intimes.

-Où avez-vous puisé les connaissances dont vous semblez faire parade, dit le rouleur avec une colère mal dissimulée et en évitant de répondre à l’exposé que venait de lui faire Martel.

-Elles nous ont été révélées, lui répondit-il, par un membre de votre corporation, que nous vous ferons connaître en temps opportun.

[… dissertation d’Arnaud sur le bien-fondé du métier de boulanger dans le compagnonnage du Devoir]

À ces dernières paroles de Martel, la rumeur devint générale dans l’assemblée, le rouleur, qui jusqu’alors était resté assez calme, se leva furieux, en s’écriant :

-Malheureux ! Vous allez payer cher votre témérité, car non seulement nous vous renions pour nos enfants, mais encore vous allez être punis du châtiment des traîtres, afin que le péché du lâche qui vous a révélé les secrets de notre ordre retombe sur vous pour vous écraser sans miséricorde !

Au même instant, un cri de rage sortit de leurs poitrines haletantes, et une lutte inégale et meurtrière s’engagea dans la chambre d’assemblée. C’en était fait des boulangers, si le nouveau Nivernais Frappe d’Abord, homme de première force, ne se fut frayé un passage parmi les combattants, pour atteindre une croisée dont il brisa les vitres qui tombèrent avec fracas.

À ce signal de détresse, les boulangers qui rôdaient autour de la maison accoururent promptement au secours de leurs camarades. Il était déjà trop tard pourtant, car l’un des quatre boulangers venait d’être frappé mortellement.

L’aspect de ces hommes déterminés déconcerta les assassins, qui, à leur tour, devinrent les victimes, et avant que la police ne fût arrivée, on avait à déplorer un grand malheur. »

Michel Eugène Corbineau, Nivernais Frappe d’Abord, ne figure pas dans les registres de réceptions des compagnons doleurs. De plus ce nom de famille n’est pas répandu dans le département de la Nièvre au XVIIIe siècle.

Arnaud nous dit : « …lorsque ceux-ci furent bien instruits de toutes les choses relatives au compagnonnage, quant aux signes, aux attouchements, et surtout aux paroles mystérieuses nécessaires pour se présenter dignement devant les enfants de Maître Jacques, ils employèrent un stratagème assez singulier pour faire les premières épreuves de leur savoir…»

Dans ces lignes, il n’est pas question de réception, il est question de l’enseignement des reconnaissances, preuve de l’appartenance à la famille du Devoir, un point important comme nous allons le découvrir plus tard.

Extrait d’une des chansons de Libourne le Décidé :

Un vieux doleur aux rives de la Loire
Fier de pouvoir ses pères imiter
Par le Devoir et sa vieille histoire
Du boulanger illustra l’atelier
On l’accusa bientôt de perfidie
L’ingrat venait de trahir ses serments
Il a eu tort, comme vous je m’écrie
Mais nous n’en sommes pas moins vos enfants.

Détail de la lithographie Dédié à la Société des Compagnons boulangers du Devoir, par Ménager, Nantais le Résolu.

 

Premier certificat

Document établi sur papier timbré à 0.25 F de l’Empire Français qui aurait été écrit le 29 septembre 1811 par un certain Bavarois Beau Désir, alors qu’il était rouleur à Beaune. Papier timbré 0.25 Empire Français

« Ce jourd’hui 29 septembre 1811 étant rouleur à Beaune jouissant de toutes mes facultés, déclare qu’il est entré dans le vœux de mes intentions et dernières volontés, que le 26 juillet dernier étant à Nevers j’ai reçu et donné le secret du compagnonnage des doleurs à deux boulangers , un que j’ai nommé Nivernais Frappe d’Abord et Montmart l’Inviolable.
Cet acte de bienveillance de ma part n’a été donné qu’en reconnaissance des bienfaits que j’ai reçus d’eux dans la ville de Nevers pour une maladie que j’ai eue et qui a duré dix mois où je n’ai reçu aucun secours de mes frères compagnons doleurs.
Je déclare aussi aussitôt l’affaire faite j’ai fait partir mes deux enfants pour Orléans où je dois aller les rejoindre sous peu de jours et moi je suis parti pour Beaune, au bout de quelques temps que j’ai travaillé dans cet endroit l’on m’a nommé rouleur ce qui m’a donné facilité de finir l’ouvrage que j’ai entrepris.
Je déclare pour ne compromettre personne que le 24 de ce mois les deux compagnons qui sont en place avec moi qui sont Nantais le Soutien et Bourguignon l’Espérance m’ont confié leur clef pour serrer dans la caisse une lettre importante venant de Cognac et que j’ai fait feinte de fermer, que j’ai donné le tour de clef de fermeture que de ma clef ce qui m’a donné facilité de retirer les pièces de la caisse et d’en prendre copie seulement et j’ai remis les autres clefs à leur place et j’ai fait le présent certificat que j’ai apostillé de notre cachet que je donnerai à mes enfants au moment où je serai en sureté pour leur servir au besoin. Ce sont là mes volontés c’est pourquoi je l’ai signé.
Fait à Beaune le 29 septembre 1811, Bavarois Beau Désir, compagnon doleur. »
(Cachet des compagnons doleurs de Beaune)

 

Second certificat

Second manuscrit du soi-disant compagnon doleur du Devoir, Bavarois Beau Désir au verso de la première lettre, daté du 16 février 1812 à Bordeaux.

« Je soussigné et déclare que je suis parti de Beaune le 12 octobre et où on m’a mis sur les champs pour Orléans le lendemain de mon arrivée dans cette ville je suis allé chez la Mère de mes enfants m’informant d’eux, j’appris qu’ils étaient partis pour Blois faute d’ouvrage à Orléans et qu’ils y travaillent cе qui m’arrangea aussi car il n’y avait pas d’ouvrage pour moi non plus à Orléans ce qui fit que je partis pour Blois.
Arrivant dans cette ville je couche chez notre Mère et le lendemain je pris information sur mes enfants auxquels je fus présenté aussitôt. Ils me dirent qu’ils avaient dit qu’ils étaient compagnons à quelques un de leurs collègues, et qu’ils se proposaient de faire une réception pour la Toussaint où ils me prièrent d’assister, je consentis à leur demande.
Dès ce jour on se prépara à se procurer tout ce qu’il fallait pour la réception et nous en reçûmes dix-huit dans la nuit du 31 octobre au 1er novembre et je commençais par donner la lumière à mes deux premiers que je n’avais pu recevoir que provisoirement à Nevers vu que je n’avais pas ce qu’il fallait pour faire une réception, je leur ai remis cette même nuit les pièces que j’avais recopiées à Beaune afin qu’ils puissent recevoir et s’instruire quand bon leur serait et je leur donne ordre de venir quatre chez notre mère le 9 à 8 heures du soir.
Les quatre compagnons boulangers vinrent chez notre Mère rue de la Petite Poste numéro 3 et s’annoncèrent comme compagnons doleurs et après s’être reconnus avec nous se déclarent compagnons boulangers, cette déclaration fit mouvement terrible parmi nous il у en avaient qui voulaient les assassiner, j’eu mille peines à opposer qu’on les batte, enfin je les priais de se retirer et ils obéirent, nous étions en ce moment dix compagnons présents dont voici les noms, Tourangeau Bien Aimé, Montpellier Beau Désir, l’Angoumois la Prudence, Bourguignon la Fidélité, Bourguignon la Couronne, l’Angoumois la Constance, Montpellier la Belle Conduite, l’Angevin le Soutien, l’Angoumois la Fidélité et moi après avoir reconnu la vérité qu’il nous était impossible de nier, nous commandâmes une assemblée à tous les anciens compagnons des environs et il fut décidé qu’il fallait donner une retraite de trois mois aux boulangers afin de consulter nos frères sur ce qu’il у avait à faire.
Il у en a qui voulaient les admettre mais le plus grand parti ne voulut pas et l’on changea la reconnaissance de suite et la nouvelle fut refusée pendant quelques temps à beaucoup de compagnons et je fus du nombre (*).
Je restai encore quelques temps à Blois et on faisait de si grandes recherches dans notre société que je craignis d’être soupçonné ce qui me fit décider à me retirer au mois de janvier. Dans cet espace de temps mes enfants avaient porté leur devoir à Orléans où ils avaient reçu beaucoup de compagnons.
Je leur ai fait part de mes craintes et d’accord avec ceux d’Orléans ils m’ont proposé de me faire embarquer pour les colonies. J’ai accepté leur proposition et je suis parti avec quatre de Bordeaux le 22 Janvier 1812.
Arrivant dans cette ville mes quatre enfants embauchèrent et on s’est occupé de chercher un bâtiment, nous avons trouvé un américain de nation qui partait pour New York nommé le Woodésie, capitaine Williams avec qui on s’est arrangés pour qu’il me mène en Amérique, une somme de cinq cent francs a été donnée au capitaine pour prix de voyage et une même somme a été remise à moi pour en disposer à ma volonté et demain je vais quitter la France pour toujours, c’est pourquoi je délivre le présent certificat à mes enfants pour leur servir au besoin.
Fait à Bordeaux le 16 février 1812.
Bavarois Beau Désir Compagnon doleur. »
(Orthographe et ponctuation retouchées)

* Lorsqu’il y a trahison, le corps trahi change les reconnaissances qui sont à cette époque où la photographie n’existe pas, le seul moyen d’identification d’un compagnon, cela est bien plus important que le contenu de la réception proprement dite. La réception au XIXe siècle est le processus afin de s’assurer que le postulant a les qualités requises pour recevoir la reconnaissance composée de mots, de signes et d’attouchements pour se faire identifier comme frère par un autre compagnon et permettre ainsi de bénéficier de l’ensemble des avantages que propose la société à ses membres.

Extrait du livre « Le Pain des Compagnons » L’histoire des compagnons boulangers et pâtissiers

Laurent Bourcier, Picard la Fidélité, C.P.R.F.A.D.

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