LE BLASON NE FAIT PAS LE COMPAGNON

Les en-têtes de factures du XIXe et du XXe siècle retiennent souvent l’attention lorsqu’ils comportent de belles compositions d’outils ou les réalisations habituelles de l’artisan concerné : escaliers hélicoïdaux pour les charpentiers, scènes de ferrage de cheval pour les maréchaux, couvertures pour les couvreurs, etc. On y découvre aussi des assemblages d’outils identiques aux blasons des compagnons.

Voici un en-tête de boulanger établi à Trévoux (Ain) qui incite au premier abord à penser qu’il s’agissait d’un compagnon boulanger.

On y voit une gerbe de blé, un rouable et une pelle à enfourner placés en sautoir, deux mains fraternelles serrées sortant des nuées, une balance et un coupe-pâte. Cet en-tête est peu fréquent.

Le blason de l’en-tête du boulanger Martin à Trévoux (Ain).

Qui était ce nommé « A. MARTIN » ? Il s’agissait de Benoît Auguste MARTIN, né à Chauffailles (Saône-et-Loire) le 26 juin 1877, d’une père charpentier et d’une mère ménagère.
Il résidait à Chassigny-sous-Dun, non loin de sa commune natale, à l’appel au conseil de révision.
Il accomplit son service militaire dans le 10e régiment d’infanterie de novembre 1895 à septembre 1901. Sa fiche matricule indique sa profession : « boulanger (sait cuire) ».

En février 1906 il est ouvrier boulanger à Saint-Etienne-les-Oullières (Rhône) puis il se marie à Chauffailles le 26 avril 1906 avec Marie Claudine CHASSIGNOLLE.

Le couple s’établit en juin à Trévoux (Ain). Auguste MARTIN est à son compte, au 20, Grande Rue.

Il est mobilisé le 3 août 1914 et est affecté dans plusieurs sections de C.O.A. (Commis et Ouvriers d’Administration) comme bon nombre de boulangers. Il est démobilisé le 12 février 1919 et revient à Trévoux. Il décède à Chauffailles le 6 octobre 1955, âgé de 78 ans.

Un compagnon boulanger ? Eh bien, non ! Il n’est pas mentionné dans le répertoire généalogique du CREBESC, et gageons qu’il n’a pas été omis, car les compagnons reçus à la fin du XIXe siècle ont presque tous, sinon tous, été identifiés. Il est par ailleurs très improbable qu’il s’agisse d’un compagnon boulanger du Devoir de Liberté, société dont l’activité était éteinte dans cette région à cette époque.

Le « blason » de l’en-tête est donc trompeur. Il ne prouve qu’une chose : que les imprimeurs disposaient d’un grand nombre de vignettes réalisées par des fonderies de caractères, et qu’ils les proposaient à leurs clients. Ceux-ci choisissaient le modèle qui leur plaisait le plus, parce qu’il représentait au mieux leur métier ou les articles fabriqués, indépendamment de leur appartenance ou non à un compagnonnage.

C’est pour cette raison qu’on retrouve sur des factures de boulangers situés loin les uns des autres de nombreuses gerbes de blé, des pains, voire de petites scènes de boulangers au fournil.

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La gerbe de blé figure souvent sur les en-têtes de boulangers, comme ici, à Argenton (Indre).

En-tête de la boulangerie-pâtisserie de Jules PENE, à Paris (qui était compagnon boulanger du Devoir, sous le nom de Gascon la Tranquillité).

Au demeurant, les fabricants de caractères et de vignettes ou encore de bois gravés, destinées aux imprimeurs, devaient bien connaître les emblèmes corporatifs et compagnonniques susceptibles d’attirer une clientèle habituée à exprimer son activité par des outils et des objets fabriqués, à la façon des enseignes de métier.

Un exemple de « blason » corporatif nous est aussi fourni par l’en-tête de MAROTTE à Beauvais (Oise). Ce restaurateur tenait un bureau de placement pour les garçons boulangers et vendait des ustensiles de boulangerie. L’en-tête est composé de deux pelles croisées, entourées de bannetons.

En-tête du bureau de placement Marotte pour les garçons boulangers, à Beauvais (Oise).

Il faut donc rester prudent lorsqu’on rencontre des « blasons ». Dans le tome 1 du Pain des Compagnons, à propos du blason des boulangers, Laurent BOURCIER a donné plusieurs exemples de compositions différentes rencontrées sous forme de sculptures sur des façades d’anciennes boulangeries, dont on ne peut assurer qu’elles aient été habitées par des compagnons. Les registres d’écrou de la première moitié du XIXe siècle livrent même, à la rubrique des « signes particuliers » des boulangers incarcérés, quelques exemples de tatouages avec pelle, rouable, coupe-pâte, voire un St-Honoré, sur les bras des ouvriers, dont la qualité compagnonnique est incertaine. Ce sont des blasons « corporatifs » qui attestent en premier lieu la fierté d’appartenir à un corps de métier.

Tatouage de boulanger reproduit dans l’étude de C. BRUNO : Tatoués, qui êtes-vous… ? (1974), p. 145.

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