Une gourde de compagnon boulanger.

Sur le site de Centre de Recherche sur la canne et le bâton, nous découvrons un article signé Frédéric Morin, responsable de ce centre, Laurent Bastard, Historien des Compagnonnages et Laurent Bourcier, Compagnon pâtissier resté fidèle au Devoir.

http://www.crcb.org/un-combat-de-compagnons-boulangers-sur-une-gourde/.html Celui-ci nous fait découvrir une rare gourde en noix de coco ayant appartenu à un Compagnon boulanger. Au XIXe siècle. Cette gourde fait partie aujourd’hui de la collection privée de Bordelais la franche pense, Compagnon boulanger reste fidèle au Devoir. Merci à tous. Le CREBESC.

Voici une nouvelle pièce qui vient s’ajouter à la rubrique des cannes compagnonniques et plus particulièrement à leur usage lors des combats au XIXe siècle. Il s’agit d’une gourde en noix de coco sculptée, dont une partie est malheureusement brisée, mais dont le reste permet de découvrir un décor exceptionnel. Elle a vraisemblablement été confectionnée dans les années 1840.

Destinée à un compagnon boulanger, elle nous montre d’abord son métier.

Photographies de François Baugin. Reproduction interdite

Ici, l’ouvrier est courbé sur son pétrin et les miches sont rangées au-dessus de lui. Là, il porte sa hotte de pains, tenant en main les « tailles » des clients. Au-dessus du boulanger qui pétrit se trouvent placées en croix les deux outils de son métier : le rouable, pour enlever les braises du four chauffé, et la pelle à enfourner la pâte. C’est ce que les compagnons appellent leur blason.

Photographies de François Baugin. Reproduction interdite

Une autre scène nous montre la rencontre fraternelle de deux compagnons.

Photographies de François Baugin. Reproduction interdite

L’un s’apprête à verser du vin dans le verre que lui tend l’autre. Ils portent leur canne à pomme ronde sur l’épaule, où est accroché leur balluchon.

Mais les rencontres entre compagnons sur le tour de France n’étaient pas toujours pacifiques. Si l’un d’eux ne voulait pas « reconnaître » l’autre comme frère, la rencontre dégénérait en rixe.

Photographies de François Baugin. Reproduction interdite

Les cannes entraient alors en action.Photographies de François Baugin. Reproduction interdite

Les compagnons boulangers, rejetés durant une quarantaine d’années par la plupart des autres corps de métiers, étaient particulièrement exposés aux agressions. C’est pourquoi ils suivaient des leçons de canne et de bâton auprès de leurs meilleurs duellistes ou de maîtres d’armes.

C’est la scène que nous montre la gourde. Deux compagnons croisent leur canne lors d’une leçon ou d’un combat, qui s’achèvera par la déroute de l’un d’eux. Frédéric nous renseignera sans doute sur la technique employée par les combattants (*)

Sur ce type de gourde, rappelons que le fruit du cocotier, vidé et dépouillé de ses fibres ligneuses extérieures, offre un péricarpe au grain fin et assez dur pour fabriquer des coupes, boutons et autres objets. Les collectionneurs connaissent bien ces petites poires à poudre et gourdes ovoïdes avec col, bouchon et chainette de suspension en argent, pierres de couleurs serties et motifs gravés en relief.

Beaucoup ont été l’œuvre de marins, mais aussi de forçats désireux d’arrondir leur pécule. Les prisonniers politiques de la première moitié du XIXe siècle qui remplissaient les pontons de Toulon, Rochefort et autres ports, en vendirent notamment aux compagnons itinérants. Le « bazar » de Toulon était réputé pour ce type de souvenir.

Les acheteurs faisaient sculpter aux bagnards les motifs de leur choix. Parfois, le décor était préparé à l’avance pour satisfaire des militaires, des chasseurs et des compagnons de divers métiers. Il ne restait plus qu’à personnaliser la gourde en ajoutant des outils, une devise ou le nom du compagnon. C’est pourquoi on connaît un autre exemplaire quasi identique à la gourde de boulanger présentée dans cet article et une variante destinée à un compagnon maréchal-ferrant (où ne figure pas la scène de rixe).

Pour en savoir plus sur les gourdes en noix de coco, on se reportera au site www.citedesarts.com (Objets d’hier, site dédié aux arts populaires et objets de curiosité. Chercher dans la rubrique « À voir » à « Noix de coco sculptée »).

Un grand merci à Sébastien Rochereau, « Bordelais la Franche Pensée », compagnon boulanger resté fidèle au Devoir, de nous avoir autorisé à publier sur le site du CRCB cette pièce rare de sa collection. (Photographies de François Baugin. Reproduction interdite).

Merci à Laurent Bourcier, compagnon pâtissier resté fidèle au Devoir et Laurent Bastard pour ce formidable article !

(*) Notes sur le combat : il est intéressant de noter que la représentation du combat entre nos deux compagnons est très codifiée. La première hypothèse serait de penser que les deux personnages croisent leurs bâtons dans une position de garde haute codifiée (on pourrait penser à une garde en toit par exemple, utilisée comme salut peut-être et/ou simplement dans l’attente d’un coup et pour se protéger), ou qu’ils sont en position de parade d’un coup bloqué avant la touche (on remarque un certain équilibre de force présenté par une symétrie dans la représentation). Ces positions laissent vraiment penser qu’il y a une codification importante dans ce combat (c’est-à-dire qu’il y a eu préparation au combat… donc qu’il fait partie d’une certaine tradition).

Une seconde hypothèse serait de penser que celui qui a gravé cette gourde connaissait l’art de la canne et du bâton et donc a structuré (à sa façon) un combat qui ne l’était peut-être pas…

Personnellement, je préfère la première hypothèse. Si on s’y attache, en termes de positions et d’efficacité… on peut imaginer que le déploiement d’un coup donné dans une telle position pourrait soit aboutir à un coup d’estoc en flanc avec la pointe du bâton (ce qui paraît ici le plus probable), soit un coup développé au-dessus de la tête avec un beau moulinet vertical…

Les deux personnages sont relativement près l’un de l’autre, ce qui laisse encore deux possibilités : soit nous sommes à un moment clef du combat, soit nous en sommes au stade du salut (début ou fin). Les prises de mains semblent être (mais là ce n’est qu’une nouvelle hypothèse) relativement différentes de celles liées à la prise de mains que l’on voit dans les salles d’escrime avec les épées à deux mains : on dirait que les mains sont posées en pronation pouces l’un vers l’autre. Ce détail, s’il s’avère juste (il faudrait agrandir un peu plus la photographie), prouve que les coups donnés pourraient être « armés », c’est-à-dire préparés, au-dessus de la tête et avec un bras pouvant dépasser l’arrière de la tête (car les positions des mains influences beaucoup l’armée à deux mains – cette position permet de mettre le bâton plus en arrière du corps). Ces prises de mains sont également utilisées dans le cas d’armes peu lourdes (ici le bâton), contrairement à certaines armes maniées avec une main en pronation et une en supination – technique permettant de tirer « devant » et permettant notamment de mieux supporter le poids de l’arme.

Globalement, on peut penser qu’il ne s’agit pas d’un simple combat, mais bel et bien d’une description d’une des composantes du compagnon. On retrouve ici la précision dans le geste, vue au travers du prisme d’un combat.

Auteur : Fredric Morin

Laurent Bourcier, Picard la Fidélité, C.P.R.F.A.D. 

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