GÂTEAU À LA NEIGE

« GÂTEAU À LA NEIGE » PAR JEAN RICHEPIN

En 1883 Jean RICHEPIN publie Le Pavé, ensemble de « choses vues » à Paris, dans les quartiers populaires, chez les petites gens, les commerces et les bistrots, les artistes déclassés, les rues et les quartiers originaux.

Dans une partie de son livre consacrée aux « Paysages et coins de rue », il observe Paris et sa banlieue en hiver. Saison rude aux mal-vêtus, aux mal-logés et aux affamés, comme il le raconte notamment au chapitre intitulé « Gâteau à la neige ».

« J’ai fait hier concurrence à Nordenskjold (1). J’ai découvert le royaume de la neige, avec ses mélancolies de silencieuse blancheur et ses gloires de féérie boréale. Oh ! pas bien loin de Paris, allez ! Entre Paris et Asnières. Vous voyez que ce n’est point tout là-bas, tout là-bas. Avec dix sous pour payer le tramway, et un peu d’imagination pour regarder le tableau, tout le monde peut s’offrir cette fête. Vous descendez à Levallois, vous traversez Champerret, vous arrivez à la Seine, vous tournez à gauche, comme si vous alliez à l’île de la Grande-Jatte, et vous vous arrêtez à mi-chemin des premières maisons de Bineau. (…)


Une masure sous la neige, illustration de La Chanson des gueux, édition Arthème-Fayard, vers 1920.

La première maison qu’on rencontre, en effet, c’est comme qui dirait une hutte de Lapon. Vous savez bien, ces chambrettes en bois, qui font saillie au milieu des chalands, et qui servent de demeure aux mariniers. Là au bord de la route, en voici une petite, toute petite, toute basse, avec ses deux lucarnes en forme de hublots, et son court tuyau de tôle qui ressemble à une manche-à-air. C’est la maison du passeur de la Jatte, un vieux pêcheur fameux par ses goujons. Il vit là, lui, sa femme, et cinq enfants. (…)

Hélas ! on vit de peu. Et, pourtant, hier, on y a tiré les Rois, mais d’une façon que j’ignorais, et qui vaut d’être racontée sans commentaires.

Trois enfants vagabonds, illustration de La Chanson des gueux, édition Arthème-Fayard, vers 1920.

J’ai rencontré un des gamins, qui portait à deux bras un paquet entortillé dans un torchon. Je lui demandai ce qu’il avait là, qui était aussi gros que lui :
-C’est notre gâteau des Rois, donc.
– Ah ! ah ! et tu le portes dans un torchon pour qu’il ne soit pas mouillé, hein ?
– Bien sûr, donc.
– Est-ce qu’il est beau, votre gâteau des Rois ?
– Mince, qu’il est beau, et avec un haricot dedans, encore. Que c’est moi qui l’ai fourré, l’haricot. Tenez, il est là, dans ce bout-là.
Et l’enfant ouvrit son torchon pour me faire voir.
Pauvres gens ! leur gâteau des Rois était un pain de quatre livres. »


Enfant dans la neige, illustration de La Chanson des gueux, édition Arthème-Fayard, vers 1920.

  1. Otto NORDENSKJÖLD (1869-1928) était un géographe suédois, explorateur des régions polaires.


Jean RICHEPIN, portrait photographique, par Carjat.

Jean RICHEPIN était né en 1849 en Algérie, où son père était chirurgien militaire. Rentré en métropole trois ans plus tard, il fait de bonnes études et arrive à Paris en 1866. Il lie connaissance avec plusieurs écrivains et achève sa licence ès-lettres en 1870.
C’est donc un fils de bourgeois, mais il n’aura de cesse par la suite dans ses œuvres de les choquer, de s’attacher à décrire les pauvres, les vagabonds, les « cabossés de la vie », comme on dirait aujourd’hui. Ce qui lui vaudra en 1876, avec Les Gueux, d’encourir les foudres de la Justice, et d’être puni d’une forte amende, de la privation de ses droits civiques et d’être condamné à un mois de prison pour outrages aux bonnes mœurs.
Mais il poursuivra sa carrière par d’autres recueils de poésie, des romans et des pièces de théâtre, souvent émaillés d’argot et toujours dans l’esprit provocateur qui l’animait.
Les temps changèrent, sa réputation sulfureuse s’effaça au profit de sa reconnaissance dans le domaine des Lettres. Ce qui lui permit d’être élu à l’Académie française en 1908, de recevoir la Légion d’Honneur en 1909 et d’être élu maire de la commune de Montchauvet (Yvelines) de 1912 à 1919. Il décèdera à Paris-XVIe le 12 décembre 1926 et sera inhumé à Pléneuf-Val-André (Côtes-d’Armor).

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