LE STATUT D’ASPIRANT

Nous ignorons si l’état d’aspirant existait à la naissance de la société des compagnons boulangers du Devoir, un rare courrier de mise en interdit de boutique classé aux archives d’Indre-et-Loire nous assure de leur présence et de leur activité en 1820, et plus que cela nous instruit sur le fait qu’il existait à cette date une reconnaissance entre aspirants boulangers, ce qui laisse supposer l’existence d’un rite de passage :

Cejourd’hui vingt huit octobre mil huit cent vingt est survenu un individu nommé Sagot qui s’est flaté de tenir la reconnaissance d’aspirant, et qu’il ne dirait jamais celui qui lui a divulgué et même il espère qu’un jour l’on lui dise le Devoir qu’a laissé le Roi d’Israël. Ainsi pour éviter que cela soit ainsi, il nous faut convenir entre nous que à l’avenir aucun Compagnon ni aspirant aille travailler chez lui. La Boutique est défendue pour vingt ans.
Tours, le 1er novembre 1820.
Signé pour l’Inviolable Langennois la Tendresse, Rouleur. Tourangeau la franchise, Compagnon du Devoir pour la vie.

Il est à noter que le signataire l’Agenais la Tendresse est également le rédacteur de la demande de reconnaissance des compagnons boulangers du Devoir de la Cayenne de Bordeaux adressée aux compagnons passants tailleurs de pierre de la même ville en 1829, ce qui laisse entendre un niveau d’éducation élevé pour un ouvrier boulanger de l’époque, nous ignorons malheureusement le nom de famille de ce compagnon.

En 1852, pour devenir aspirant boulanger, une condition religieuse est à remplir, comme nous l’indique l’article 4 du règlement des compagnons boulangers du Devoir de Blois daté du 7 mars de la même année : « Il ne sera admis que des hommes professant la religion catholique et les protestants, soit Luthériens, soit Calvinistes, tous autres seront refusés ».

 

RÈGLEMENT – OU UNE PROPOSITION DE RÈGLEMENT – SIGNÉ J.B. ENTRAYGUES, LIMOUSIN BON COURAGE, EN DATE DU 1ᵉʳ SEPTEMBRE 1861 : « LIVRE POUR LES RÉCEPTIONS D’ASPIRANTS »

Réception des aspirants

Article 217
Pour recevoir un ouvrier boulanger dans la société comme aspirant, on devra s’en rapporter aux articles 100, 101, 102, 103 du présent règlement.

Article 100
Pour être admis dans la société des compagnons boulangers du devoir, il faudrait pouvoir montrer son livret signé de son patron d’apprentissage, n’être atteint d’aucune maladie ni de surdité et quelle que soit la nation ou la religion, savoir parler français.

Article 101
Un ouvrier boulanger ne sera reçu aspirant qu’après avoir travaillé un mois dans la ville où il voudra être reçu et être âgé d’au moins 16 à 17 ans.

Article 102
Il ne sera pas reçu avant que le rouleur se soit rendu auprès de son patron pour savoir sa conduite morale et s’il sait travailler, il ne sera pas reçu s’il est marié ou veuf avec des enfants.

Article 103
Le rouleur se rendra aussi auprès de ses fournisseurs, tel que pour nourriture, logement, cordonnier ou tailleur, enfin il devra s’informer s’il est honnête homme.

Article 218
Après la morale d’usage, on leur donnera connaissance du règlement les concernant, sur les devoirs à remplir, sur les secours et dus qui les concernent. (Secours qui lui sont dus suite à son arrêt de travail, dont le montant sera prélevé dans la caisse de solidarité de la société compagnonnique.)

Article 219
La réception comme admission dans la société est fixée à la somme de six francs plus deux francs pour sa carte, qui devra être remplie immédiatement, il devra offrir deux litres de vin pour sa bienvenue aux autres aspirants.

Article 220
Le tout devra être soldé intégralement le jour de sa réception, et il sera instruit sur son attouchement de main, et pour savoir répondre quand on le topera et pour qu’il puisse le faire de même à son tour.

Article 221
Il sera nommé parmi les aspirants un premier aspirant chaque mois à l’assemblée, cet aspirant se rendra chez la mère tous les jours pour reconnaître les arrivants, veiller à leur dû, visiter ses confrères malades avec les compagnons et faire son rapport à l’assemblée mensuelle, de la conduite de ses frères et faire des réclamations s’il y a lieu.

Art 307
Chaque chambre devra posséder un jeu de couleurs complet pour servir aux Réceptions d’aspirants et de compagnons.

Livret d’aspirant boulanger, mis en place en 1897,
à la suite du congrès de Blois en 1895,
qui décida de la rupture avec l’Union Compagnonnique.

La réception d’aspirant, 1894
En assemblée générale à Tours, le 15 octobre 1891, « Le compagnon Raimbault [Sablais l’Étoile du Devoir] propose la suppression des réceptions d’aspirants, qui seraient remplacées par un livret intitulé (l’adhésion compagnonnique du Devoir) qui est approuvée à l’unanimité. Ce compagnon doit en informer la ville directrice et ensuite, nous en informerons le tour de France ».

Il semble que cette proposition de la Cayenne de Tours ne soit pas du goût de l’ensemble du tour de France et encore moins de la Cayenne Blois-Fondation ; en effet, le 4 juin 1894, le premier en ville de cette Cayenne, Denis Bézulier, Bourguignon l’Étoile du Devoir (Né le 19 juin 1866 à Echevronnes (21), reçu à Troyes à l’Assomption 1885.), rédige l’instruction pour la réception d’aspirant dont voici un extrait :

« C. : Pays, voici le moment où l’on va vous recevoir, aspirant si ce sont bien vos intentions et si les compagnons vous en trouvent digne. Vous allez commencer à marcher sur la route de la vertu, en attendant que la lumière qui éclaire nos compagnons bien aimés vienne se montrer à vos yeux étonnés, et que vous puissiez faire un jour un bon compagnon. Pour y parvenir, il faut que vous remplissiez votre tâche avec zèle et sincérité. Le promettez-vous, Pays ?
A. : Oui, je le promets.
C. : Lorsque vous serez convoqué pour vous rendre aux assemblées, conduites et enterrements chez la mère par les compagnons, à toutes fois que vos travaux et votre patron n’en souffriront pas, de vous y rendre avec empressement, le promettez-vous, Pays ?
A. : Oui, Pays, je le promets.
C. : Promettez-vous, Pays, d’être docile et attentif aux lois du compagnonnage, les uns et les autres ne tiennent qu’à vous guider sur les champs et à vous préserver de la tentation du vice ?
A. : Oui, Pays, je le promets.
C. Promettez-vous, Pays, d’être juste et humain, de secourir le malheureux sur les champs ou tous ceux qui pourraient réclamer du secours de vos bienfaits ?
A. : Oui, je le promets.
C. : Promettez-vous de ne jamais divulguer le secret qui va vous être confié, soit à votre père, soit à votre mère, à vos frères et sœurs, à votre femme, à vos enfants, en un mot à aucune personne sur la terre ?
A : Oui, Pays, je le promets.
C : Pays, avez-vous bien réfléchi, si vos paroles sont d’accord avec votre cœur ? Vous pouvez vous retirer, il en est encore temps avant de prononcer le serment sacré qui va vous lier à jamais aux destinées pénibles et épineuses de notre société, car si par malheur, vous aviez la lâcheté de trahir, vous seriez maudit de Dieu, haï de tous les hommes, poursuivi par les remords de votre conscience, et partout où vous puissiez vous trouver, les compagnons tenteraient de vous détruire. Ce sont bien vos idées et vos intentions, Pays ?
A : Oui, Pays.
C : Puisque ce sont bien vos intentions, nous allons, Pays, vous confier le secret d’aspirant. Rappelez-vous de le porter avec honneur et sincérité sur le front, comme nous l’espérons, que vous l’aurez gravé dans votre cœur, jusqu’à votre dernier soupir. Pour vous rappeler et sanctionner les paroles que votre bouche vient de prononcer en présence de Dieu et de Maître Jacques, encore invisible à vos yeux, dites comme moi : « Je jure par le Dieu que j’adore, sur l’âme qui m’anime, de garder dans mon cœur avec fidélité le serment que ma bouche vient de prononcer, jusqu’au tombeau. Je jure plutôt mourir que trahir.
Embrassez le Christ trois fois et que ce ne soit pas un baiser de Judas qui vous fasse parjure ou renégat ».

Nous constatons que cette cérémonie fondée sur la prestation d’un serment est encore fortement inspirée par la religion catholique, la présence du crucifix et les trois baisers en font foi.

Un article publié dans Le Ralliement des Compagnons du Devoir du 15 décembre 1913, relatant la fête donnée à Blois pour les 40 ans et les 20 ans de Compagnonnage de Fernand Péarron, Blois Plein d’Honneur, nous livre le discours de René Hureau, Blois la Fermeté (Né le 6 avril 1873 à Chouzy-sur-Cisse – 41, reçu à Paris à l’Assomption 1898.) : « Reçu Aspirant à Blois, car en ce moment, il y avait encore une Réception pour les aspirants… » Ce qui confirme bien l’existence d’une cérémonie pour le passage à l’état d’aspirant au moins jusqu’en 1891.

L’apparition du livret d’aspirant en 1897, nous laisse supposer que c’est cette année-là qu’a été abandonnée la réception d’aspirant, comme d’ailleurs le proposaient les compagnons de la Cayenne de Tours en 1891.

Il faut attendre 1946, avec l’adhésion des compagnons boulangers du Devoir à l’Association Ouvrière des Compagnons du Devoir, pour voir réapparaître une cérémonie de passage à l’état d’aspirant, avec cependant des différences importantes. En effet, celle-ci ne sera plus corporative, mais désormais commune à toutes les corporations adhérant à l’Association Ouvrière.

Photographie-souvenir d’adoption de Jacque Pebayle dit Bordelais à Toulouse en 1962 :

De gauche à droite Auguste Baron, Auguste le Tourangeau, compagnon menuisier du Devoir (portant la couleur particulière de Capitaine); André Ducourneau, aspirant boulanger dit Béarnais; Michel Courtin, Beauceron la Fidélité, compagnon boulanger; Jean Pebayle, Bordelais l’Enfant Chéri, compagnon boulanger; Jacques Pebayle dit Bordelais, aspirant boulanger; Jean Ribaut, Bordelais le Fier Courageux, compagnon boulanger; Pierre Pebayle, Bordelais Va de Bon Coeur, compagnon boulanger.

 

Extrait du livre « Le Pain des Compagnons » L’histoire des compagnons boulangers et pâtissiers

Laurent Bourcier, Picard la Fidélité, C.P.R.F.A.D.

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