Boulangerie de campagne, 1812

Extrait de: Mémorial des officiers du Génie, vol 5, p176 à 183, par M. le Colonel du Génie Ambroise Prost.  1822.

Notice sur un four de campagne en fer employé en 1812.

Il a été construit, au commencement de la campagne de 1812, au parc du génie du premier corps de la grande armée, un four en fer d’après les instructions de  M. le général Haxo. Ce four portatif a donné du pain aux troupes du parc pendant toute la campagne, à raison d’une demi-ration par homme chaque jour.

II se composait d’un grillage et d’une carcasse surbaissée; le tout en fer plat.

Le grillage était formé,

1°. De deux courbes ou bandeaux de fer, forgés de manière à décrire le contour

de l’âtre du four;

2°. D’une bande de fer longitudinale placée sur le grand axe de cet âtre;

3°. De trois bandes transversales, dont l’une était placée sur le petit axe, et les deux autres partageaient les intervalles entre ce dernier et les deux extrémités du grand axe. Ces bandes avaient 5 centimètres de largeur et 11 millimètres d’épaisseur; elles étaient assemblées par échancrure et recouvrement, et portaient sur les courbes du contour, de manière qu’en soulevant ces dernières, on soulevait tout le système. Les assemblages étaient maintenus par des boulons à tête perdue d’un côté, et rivés de l’autre.

Le grillage formait en dessus un plan uni recouvert en lames de tôle de 0.55m de longueur, sur 0.50m de largeur, et un demi-millimètre d’épaisseur, lesquelles, appliquées et rivées sur les bandes, formaient l’âtre du four.

La carcasse était un système de trois bandes ou fermes transversales ployées suivant la surface de l’intrados du four, et répondant aux trois bandes transversales du grillage, et d’une quatrième bande répondant au grand axe.

Le fer de ces bandes n’avait que 3 centimètres et demi de largeur, et 8 millimètresd’épaisseur. Il était assemblé et rivé comme pour le grillage, mais de telle sorte que la ferme longitudinale, c’est-à-dire, la bande répondant au grand axe, recevait dans ses échancrures les fermes transversales et leur servait de support. Les unes et les autres étaient terminées en forme de boulons qui entraient dans des trous forés exprès dans les courbes et bandes du grillage, à leurs points mêmes de recouvrement. Ces boulons dépassaient les courbes, et étaient rivés en dessous.

Les différentes pièces de la carcasse formaient en dessus une surface unie, celle de l’extrados du four, sur laquelle étaient placées des lames de tôle rivées aux fermes et de mêmes dimensions que celles du grillage.

Deux houras étaient pratiqués vers le fond du four; ils recevaient chacun un tuyau coudé en tôle, qui reportait la sortie de la fumée presque au-dessus du petit axe.

Cette disposition empêchait une trop prompte et trop grande perte de chaleur.

Pour mouvoir le four, on avait fixé aux courbes du grillage huit poignées en fer, pouvant chacune recevoir les deux mains, de manière que huit hommes suffisaient pour monter le four sur son haquet et pour l’en descendre.

Les dimensions du four étaient réglées ainsi :

Longueur du grand axe

3mètres

Longueur du petit axe.

2m.

Hauteur de la chapelle.

0,40m.

Flèche de la courbe intérieure………0,13m

Largeur de l’embouchure …….0,35m

Sa profondeur……… 0,40m

Sa hauteur…………0,28m

La capacité du four était de cent quarante rations ordinaires ; son poids total de 440 kilogrammes.

Pour transporter cet appareil, on avait fixé sur les brancards d’une prolonge dont les roues de devant tournaient sous le train, un châssis fait en bois, de 0,10m de grosseur, auquel on avait pratiqué toutes les échancrures nécessaires pour recevoir les parties saillantes du dessous du grillage. Le four se plaçait sur ce grillage; puis on le recouvrait, pour le préserver de la rouille, d’une espèce de couvercle fait de bois léger et de volige, reposant sur des montants en

bois qui s’engageaient dans de faux ranchers adaptés aux côtés extérieurs des pièces longitudinales du châssis. Ces faux ranchers étaient en fer et en forme de douille: on avait ménagé sur les faces latérales de chaque montant, des coulisses verticales dans lesquelles on faisait glisser des panneaux mobiles pour achever d’abriter le four.

L’extrados de la voûte devant être essentiellement recouvert de terre, il était à craindre, que le ramollissement des fers, résultant de la chaleur, ne fit ployer et affaisser tout le système, et ne le mît hors d’usage. Pour prévenir cet inconvénient, on avait adapté au point milieu des fermes de la carcasse, des anneaux en fer dont les pitons traversaient l’épaisseur de ces fermes, et étaient rivés en dessous à tête perdue. Au-dessus de chaque ferme, se plaçait une pièce de bois horizontale supportée par deux poteaux verticaux placés à droite et à gauche du four sur un cours de semelles.

La pièce horizontale était percée d’un trou correspondant à l’anneau de la ferme en fer, et par ce trou passait une tringle recourbée qui, s’accrochant à l’anneau, était bandée par le haut au moyen d’un écrou à main reposant sur la pièce de bois : de cette manière, tout affaissement de la voûte devenait impossible. On plaçait toutes les pièces de bois sous les brancards du haquet, entre les éparts et l’essieu du derrière. Pour mettre le four en exercice, on

préparait par terre un emplacement sec et de niveau. On enlevait le couvercle, les panneaux mobiles, ainsi que les montants verticaux qui les soutenaient, et l’on descendait le four sur le terrain préparé; on plaçait de suite les tuyaux des houras, puis les poteaux verticaux avec les pièces de bois horizontales de support de la voûte; on accrochait et l’on bandait les tringles verticales en serrant leurs écrous; on recouvrait enfin toute la convexité du four d’une couche de terre meuble de 25 à 30 centimètres d’épaisseur. Une excavation en rampe était creusée en même temps devant la bouche du four, pour abaisser le boulanger à son niveau, et l’on procédait au chauffage comme pour les fours en maçonnerie. Ce chauffage demandait seulement un peu plus de soin pour répartir la chaleur uniformément.

La tôle faisant ici le double office de conducteur de la chaleur et de soutien des terres, communiquait cette chaleur à ces dernières, lesquelles la rendaient ensuite à l’intérieur pour la cuisson du pain. Il fallait ordinairement quatre heures pour chauffer le four une première fois. Lorsque les terres de dessus étaient sèches et sablonneuses, il ne fallait que trois heures; mais il en fallait souvent six, lorsque ces terres étaient grasses. Toutefois on ne faisait jamais

attendre le boulanger, la pâte exigeant encore plus de temps pour être levée

suffisamment.

On laissait le pain dans le four environ une heure et demie, et l’on mettait communément deux heures d’intervalle entre les fournées; mais on aurait pu s’arranger de manière à réduire cet intervalle de moitié. Toutefois on ne mettait guère que vingt-quatre heures pour cuire six fournées faisant huit cent quarante rations entières, qui, à raison d’une demi-distribution

suffisaient aux troupes du parc pour quatre jours.

La marche du four était coordonnée à celle du parc de la manière suivante : aussitôt que la boulangerie était arrivée avec le pain qu’elle venait de confectionner, et qui était dans un caisson à ce destiné, on distribuait le pain pour quatre jours. À 1a place de ce pain, on mettait dans le caisson de la farine pour six fournées, prise au parc ou trouvée sur les lieux, et la

boulangerie restait encore deux jours avec le parc. Le soir du deuxième jour, elle faisait station, établissait le four, et vingt-quatre heures après elle se mettait en marche avec du pain pour quatre jours. Elle rejoignait ordinairement le parc dans sa quatrième journée, et souvent dans la nuit qui précédait.

Le baquet à levain, le pétrin, la chaudière et son trépied, étaient aussi transportés sur le haquet en arrière du four.

Quant à remplacement à choisir, pour chaque station, il n’y avait d’autre condition à satisfaire que de se mettre à portée d’un local couvert et un peu chaud pour travailler la pâte et la faire lever.

Tel a été le bon usage de cette boulangerie portative, à laquelle on a remarqué cependant quelques légères imperfections.

1°. Le four était petit. Il n’en eût pas coûté plus de temps pour faire des fournées d’un tiers plus fortes.

2°. La bouche avait trop peu de hauteur; un homme ne pouvait y passer pour aller faire des réparations dans l’intérieur du four, et cet inconvénient s’est souvent fait sentir.

3°. La distance des bandes de la carcasse était trop grande ; la tôle cédait dans ces intervalles.

4°. Les fermes transversales étant posées de plat, se trouvaient plus disposées à fléchir par l’effet de la chaleur.

5°. La tôle employée était trop mince et les feuilles trop petites, ce qui rendait les dégradations plus fréquentes et la main-d’œuvre plus coûteuse.

6°. Les roues de devant du haquet n’avaient pas assez de hauteur et fatiguaient trop les chevaux.

7°. Enfin, on reprocherait au couvercle en bois d’augmenter beaucoup le poids de la machine.

Je proposerais donc, d’après l’énumération qui précède, une disposition exempte de ces défauts. Elle est représentée sur la planche XI, qui suffit pour en faire comprendre tous les détails. On y voit que le grand axe du four sera de 3,80m.

Que la bouche aura la même hauteur de 0,33m que celles des fours ordinaires;

Que les fermes transversales de la carcasse seront en fer plat de 0,04m de largeur, sur 0,017m d’épaisseur; qu’elles seront posées de champ, et espacées de 0,31m seulement de milieu en milieu;

Que les fermes longitudinales seront au nombre de trois ; qu’elles auront 0,05m de largeur sur 0,011m d’épaisseur, et seront posées de plat pour y river avec plus de facilité les feuilles de tôle de la calotte.

On emploiera la tôle la plus épaisse qu’on pourra se procurer, et les feuilles les plus grandes.

On adaptera au haquet des roues du modèle de prolonge, afin de le rendre plus roulant, en lui conservant toutefois la faculté de tourner en dessous du train, ce qui est indispensable à cause de la largeur du four placé au-dessus. Ces deux conditions exigeront sans doute quelques modifications dans la forme du haquet; mais elles ne peuvent être de nature à embarrasser unconstructeur intelligent.

Enfin, on substituera au couvercle en bois une bâche en forte toile bien goudronnée. On se borne à donner les dessins de ce nouveau four, qui diffère trop peu de celui qui a servi en 1812, pour que l’expérience puisse en démentir aucune propriété. On a seulement ajouté le dessin de l’ancien châssis et du couvercle, au moyen de quoi l’on peut se faire une idée précise de tout ce qui regarde ce genre de fours portatifs (1).

(1) M. le général Haxo, à qui l’on doit l’idée de cette boulangerie portative, pense qu’on pourrait donner au four en fer la forme cylindrique; il acquerrait ainsi de la capacité sans un trop grand allongement de ses axes, et par conséquent sans devenir beaucoup plus embarrassant à transporter. Les différentes pièces seraient en outre plus faciles-à faire et à placer. Les feuilles de tôle n’étant assujetties qu’à une seule courbure, seraient moins sujettes à se bosseler et à se déranger par l’effet de la chaleur. Tout le système serait plus solide, et peut-être aussi pourrait-on parvenir à démonter le four après chaque station, et à le transporter par pièces séparées, ce qui serait une amélioration importante.

Si de semblables fours étaient accompagnés de moulins portatifs propres à leur fournir journellement la farine qu’ils peuvent cuire, on pourrait en généraliser l’usage, et l’appliquer à tout un corps d’armée: un seul four cylindrique par bataillon pourrait suffire. On résoudrait ainsi l’une des principales difficultés qu’on rencontre à la guerre, celle de frire subsister les troupes en marche dans les contrées éloignées des magasins et des manutentions.

Envoyer un commentaire concernant : "Boulangerie de campagne, 1812"