Ce chapitre est composé de très larges extraits de l’ouvrage de Roger Lecotté et Georges Henri Rivière intitulé Essai sur les gourdes compagnonniques, édité par les Presses Universitaires de France en 1953. Depuis cette publication, aucune découverte d’importance n’a permis d’enrichir véritablement ce sujet.
C’est la raison pour laquelle, malgré son ancienneté, je me permets d’utiliser une grande partie de son contenu auquel j’ai ajouté les spécificités des compagnons boulangers.
«…Il n’est pas besoin d’insister sur l’historique de la gourde, accessoire utilisé par tous les voyageurs à pied depuis une antiquité lointaine. Les pèlerins du Moyen Âge, Michelots, Claudiot et autres, la portaient attachée au bourdon. C’était l’attribut de tous ces étrangers prurigènes (*) et passants dont certains corps compagnonniques portent le nom (compagnons étrangers tailleurs de pierre, compagnons passants charpentiers, couvreurs). Tous les compagnons de tout rite et de tout métier la possédaient…»
(* Prurigène, prurigineux: qui provoque des démangeaisons, de la nature du prurigo (lat. démangeaison). Référence, François Rabelais : Se grattait où ne lui démangeait point : pour attirer l’attention et rechercher l’intrus prurigène (pou, puce).
Deux articles du règlement des compagnons boulangers du Devoir datant de 1861 nous disent :
Art. 97 – S’il est possible, la canne de chaque compagnon ainsi que sa gourde seront appendues à un clou autour de la chambre.
Art. 194 – Tout compagnon sera tenu d’avoir une gourde et de faire son entrée en chambre chez la Mère, l’ayant au côté.
NATURES ET FORMES
Une très grande variété.
< Gourde d’un compagnon boulanger du Devoir dédiée à la Mère Jacob de Tours.
La courge
Le mot gourde, qui s’applique généralement à tout récipient destiné au transport individuel de la boisson, est le nom populaire d’une espèce de cucurbitacée (Lagenaria siceraria), herbacée annuelle originaire des Indes, dont le fruit mûr prend dans sa partie externe la consistance du bois et dont la pulpe intérieure peut être vidée pour servir de bouteille. Elle est naturellement piriforme (Piriforme : Qui est en forme de poire.) .
D’autres variétés de courges ont cette propriété et tirent leur nom de « calebasses » d’une de ces espèces, le calebassier, originaire de l’Amérique du Sud. Elles sont naturellement rondes et aplaties. Ce sont ces fruits qui fournissent les récipients chers aux soldats et aux pèlerins et que nos compagnons ont le plus utilisés jusqu’au milieu du XIXe siècle.
Il y en a de toutes tailles et de deux types : piriformes ou orbiculaires (Orbiculaire : qui est en rond, qui décrit une circonférence.), certaines sont habillées de peau de chèvre.
Elles nécessitent certains soins pour éviter la moisissure. C’est une gourde de ce type qu’Arnaud, Libourne le Décidé, reçoit des mains de la Mère Jacob au début de 1840. (Mémoires d’un compagnon, chapitre VIII, p. 170.)
La noix de coco
Le fruit du cocotier, vidé et dépouillé de ses fibres ligneuses extérieures, offre un péricarpe au grain fin et assez dur pour fabriquer des coupes, boutons et autres objets.
Les collectionneurs connaissent bien ces petites gourdes ovoïdes avec col, bouchon et chaînette de suspension en argent, pierres de couleurs serties et motifs gravés en relief. Elles étaient l’œuvre de forçats désireux d’arrondir leur pécule.
Les prisonniers politiques de la première moitié du XIXe siècle qui remplissaient les pontons de Toulon, de Rochefort et d’autres ports, en vendirent aux compagnons itinérants.
La peau de bouc
Le type est antique, on le sait. C’est l’uter vini, outre de peau cousue et enduite intérieurement de résine qui servait primitivement au transport et à la conservation du vin.
Nos montagnards portent toujours des gourdes ainsi faites.
Seuls les compagnons du XXe siècle l’ont utilisée, les anciens n’en parlent jamais.
Les bidons militaires
En fer blanc recouverts de feutre, rarement cités. Jadis les soldats utilisaient également les calebasses.
DÉCORS
Ceux-ci sont laissés à la fantaisie de chacun. Les gourdes naturelles ou calebasses sont habituellement ornées des outils et emblèmes du Devoir et du métier, avec le nom ou sa cryptographie compagnonnique. On y ajoute parfois la ville et la date de réception, les villes visitées. Certaines gourdes n’ont aucun signe.
Les gourdes en noix de coco sont surchargées de décors « passe-partout » : Tête d’animal autour du goulot, panoplie militaire ou artistique, motif d’actualité (Napoléon), exécutés à l’avance, une place étant laissée pour les emblèmes demandés par les compagnons acheteurs : Outils du métier, équerre, compas etc.
On note parfois que deux métiers figurent sur la même pièce, assez rarement une cryptographie compagnonnique comme C.B.D.D. Jamais n’ont été rencontrées d’inscriptions individuelles.
La plus belle collection à ma connaissance de gourdes de ce type fut celle de René Édeline, Tourangeau la Franchise (1914-2005), compagnon boulanger du Devoir. Une gourde en ayant fait partie est exposée au Centre de la mémoire des compagnons du Devoir, boulevard Marc Leclerc à Angers.
Il s’agit d’une noix de coco ornée du blason des compagnons boulangers du Devoir, pelle et rouable entrecroisés, étoile à cinq branches, à l’intérieur de laquelle se trouvent équerre et compas entrecroisés et coupe-pâte. (Coupe-pâte : Outil pour couper la pâte) Les lettres C.B.D.D. y figurent.
ACCESSOIRES
Là aussi, liberté complète de s’en tenir au simple cordon en cuir de suspension, ou d’y ajouter des rubans enroulés aux couleurs du rite ou du métier.
Ces rubans peuvent former, cousus côte à côte, la suspension. On emploie plus rarement la couleur rituelle de la Sainte-Baume qui forme un nœud à floches. Ces rubans sont parfois offerts au partant en signe d’estime, ou en fin de Tour avec des inscriptions honorifiques.
On signale aussi l’emploi des couleurs nationales.
PORT
Le plus souvent portée en bandoulière ou à la ceinture.
Pour lui garder sa fraîcheur certains l’enferment dans la malle à quatre nœuds ou baluchon.
USAGES
< Robert Cabanne, Landais le Bien Aimé, et Albert Lafaurie, Landais le Fier Courageux, prêts à quitter la ville, baluchons et gourdes enrubannés au sol.
La gourde n’est pas un objet rituel au même titre que la canne et les couleurs, son rôle est secondaire et sa participation cérémonielle mesurée.
Pourtant elle s’affirme, pour le pérégrinant, aussi nécessaire que ses souliers et peut-être plus que sa canne.
Pour un gars couchant à la belle étoile ou dans des granges abandonnées, ou cheminant en rase campagne sous un soleil torride, son contenu devient un réconfort vital.
Elle est en passe de devenir un objet rituel, car elle devient le symbole des « 50 années de Lumière » du compagnon boulanger et autres compagnonnages du Devoir.
CONTENU
On y mettait du vin, vin rouge seulement, vin rouge pour les dévoirants (rites de Jacques et de Soubise), vin blanc pour les Gavots (rite de Salomon), vin ou bière, vin ou cidre suivant la région, boisson quelconque ou liqueur, vin ou eau de vie, rhum, alcool ou hydromel, répondent les compagnons interrogés à ce sujet.
Mais le plus souvent le précieux liquide reçu au départ ou renouvelé au passage dans les villages, était vite épuisé et c’est d’eau fraîche qu’on remplissait la gourde en passant près d’une fontaine.
À moins de frapper à la porte du logis d’un ancien frère, maintenant établi, et qui ne refusait jamais d’offrir la provision de vin utile tandis que sa propre gourde, toujours garnie d’eau de vie, arrosait ce passage.
COUTUMES
Jadis il était courant de voir un jeune recevoir cette gourde en signe de bonne chance comme symbole d’endurance, de courage et de volonté d’accomplir le trajet jusqu’au bout.
Lors du départ d’Arnaud, Libourne le Décidé, pour Blois, après son séjour à Tours, la Mère Jacob s’approche de lui et lui passe au cou une petite gourde de voyage garnie de tissu bleu :
…elle me dit ces douces paroles : Mon cher fils, conservez bien ce don d’amitié ; c’est un talisman qui vous portera bonheur.
Puis, après son départ de Lyon, se trouvant à Montélimar, (Mémoires d’un compagnon, chapitre XIII, p. 278.)
Je perdis dans cette ville la jolie petite gourde, gage de souvenir dont la Mère Jacob m’avait fait cadeau, lors de mon dernier voyage à Tours.
Les inscriptions anciennes étaient pieusement respectées et montrées avec fierté, on n’osait y ajouter ses marques, du moins au début. C’est la Mère qui remplissait la gourde du partant. Toutes les occasions étaient bonnes pour les fêter d’une rasade, mais il en était deux où la gourde jouait un rôle cérémoniel évident : La conduite et le topage. (Topage : échange verbal et de gestes de reconnaissance lors de la rencontre de deux compagnons.)
Si aux tenues et assemblées il n’était jamais porté attention aux gourdes, par contre, aux conduites, il était veillé à ce qu’elles fussent bien pleines. On sait que cette cérémonie comporte diverses phases assez bien exposées par l’iconographie spécialisée, sauf la dernière qui est assez ignorée : Le moment ou le partant se sépare de ceux qui l’ont accompagné hors de la ville pour battre au champ.
La gourde que le chien fidèle a portée jusque-là dans sa gueule, circule alors de bouche en bouche, suivant un rite particulier variant selon le Devoir ou le métier, et selon les gestes et les formules d’usage. C’est ainsi que l’on buvait, par exemple sur les cannes posées à terre.
Pour le topage « s’ils sont du même Devoir, c’est une fête, et ils boivent à la même gourde » (A. Perdiguier), sur les cannes croisées, à moins qu’ils n’échangent leurs récipients. Dans le cas contraire, les cannes entraient en action et l’un des deux restait sur le terrain, ayant perdu sa canne et son honneur.
Mais le vainqueur qui emportait la canne du vaincu comme un trophée ou la brisait sur place, ne manquait pas de laisser sa gourde au vaincu. Même, il la remplissait du contenu de la sienne si besoin était : Signe d’humanité sur ces sombres batailles heureusement disparues.
Enfin dernière tradition, qui tient encore, c’est la place d’honneur réservée par le compagnon devenu sédentaire à sa réconfortante compagne qui prend place bien en évidence dans son logis, comme une relique, suspendue, avec la canne et les couleurs, à la tête du lit ou accrochée à côté de la cheminée.
C’est l’évocation des rencontres d’antan, des batailles aussi, de telle Mère qui a rempli la gourde, de tel frère blessé qu’elle a secouru. Les cayennes sont décorées de gourdes de compagnons disparus.
IMAGES
L’iconographie se rapporte uniquement à la gourde calebasse aussi bien dans les dessins rehaussés d’aquarelle de Lemoine, que dans les lithographies coloriées.
Fréquemment le bon chien des dévoirants la tient dans sa gueule ou en bandoulière. Certaines gravures sont agrémentées d’attributs en cuivre doré et en relief, dont la gourde entre deux cannes.
En général, aucune illustration de compagnons en tenue d’apparat ne les représente avec la gourde. Pourtant Perdiguier mentionne un blancher-chamoiseur (*) qui la porte en bandoulière sur l’épaule gauche, sans doute en mémoire du chansonnier Piron, Vendôme la Clef des Cœurs, qui illustra ce métier et chanta sa gourde.
Sur des gravures, la gourde calebasse a été représentée à plusieurs reprises sur les couleurs des compagnons du Devoir (A.O.C.D.D.), accompagnée de deux cannes entrecroisées.
Illustration : La Fidélité, par le compagnon tisseur-ferrandinier Jean-Baptiste Bourguet, Forézien Bon Désir (1827-1900), le chien porte la gourde à la ceinture, 1894.
(* Blancher : Tanneur de petites peaux. Blancher ou plutôt mégissier : Ouvrier du cuir. Le chamoisage est une technique artisanale qui consiste à fabriquer un type de cuir très souple et de grande qualité, utilisé notamment dans la ganterie. L’atelier où se pratique cette activité est appelé une « chamoiserie », tandis que l’artisan dont c’est la spécialité est un « chamoiseur ».)
CHANSONS
Si les chansons font volontiers plusieurs appel aux bouteilles remplies d’un vin délectable, aux vénérables flacons qui procurent l’ivresse, aux bouchons qui sautent, aux verres qui trinquent ou cassent (on sait que verres et bouteilles sont brisés au cours des conduites) il en est pourtant qui célèbrent la gourde traditionnelle inséparable du voyage.
C’est Piron, Vendôme la Clef des Cœurs, le plus populaire des compagnons poètes, qui écrit : dans Souvenirs d’autrefois :
Je prends congé de ma famille
Sur mon dos un sac est placé
Dans mon âme la gaîté brille
Une gourde est à mon côté…
Il s’agit bien là de la calebasse puisqu’il précise ailleurs dans un refrain de la chanson Le vieux Franc Cœur :
Mes amis, mon jonc se ternit,
Mes cheveux blanchissent,
Mes couleurs palissent
Et ma vieille gourde moisit…
C’est Agricol Perdiguier, Avignonnais la Vertu, qui chante cette conduite dans Le départ du compagnon :
Allons, préparons-nous mes frères ;
Cannes en main, gourde au côté !
C’est Escolles, Joli Cœur de Salernes, autre chansonnier célèbre qui prophétise dans L’union du compagnonnage :
Quand sur le noble Tour de France
Des compagnons se toperont
La même gourde ils videront
En l’honneur de notre alliance.
C’est Forézien le Persévérant qui relate un topage sanglant dans Le choc et la paix :
Ma gourde pleine et mon sac bien garni
Avec ardeur je quittais mes amis
…………………………………
Mon ennemi faiblit, chancelle et tombe
Son regard égaré par mes soins est rassuré
Ma gourde et sa liqueur raniment son courage.
Et il en est d’autres sans doute. Celles-ci suffiront à marquer ce rôle actif de la calebasse qu’elle doit à sa légèreté, à sa robustesse, à son prix modique, facilitant son remplacement. On voit mal comment des gourdes en faïence auraient pu résister aux chocs continuels de la route et des rencontres, à la convoitise ou à la brutalité des vainqueurs. Il existe bien un cliché d’un vieux maréchal-ferrant portant fermement l’une de ces gourdes, mais il est évident qu’il a voulu sacrifier à la pause loin des tribulations du Tour.
DÉCLIN
La gourde avait sa raison d’être lorsque le Tour de France s’effectuait à pied. L’apparition du chemin de fer, au milieu du XIXe siècle, sonne le glas du port de la gourde et des coutumes qui l’entourent…
Désormais on emporte la boisson dans sa valise et si des gourdes sont encore portées, c’est lorsque de jeunes compagnons ont à cœur, à l’exemple des anciens, d’accomplir symboliquement quelques kilomètres à pied pour essayer de retrouver cette ambiance du Tour dont ils ont entendu parler.
Mais ce sont là des exceptions. De même les conduites se firent vers les gares et non plus vers les champs, ce qui leur fit perdre leur éclat. De jeunes compagnons accrochent maintenant au-dessus de leur lit la gourde obtenue d’un ancien, comme celle de Blois l’Ami des Compagnons, nostalgique rappel d’un passé révolu. La gourde du chemin cède sa place à la gourde du souvenir.
GOURDES SOUVENIRS EN CÉRAMIQUE
Strictement honorifiques, ce sont les plus belles gourdes compagnonniques acquises comme dans la plupart des cas après la réception dont elles portent mention, elles étaient destinées à orner le logis du titulaire, établi ou retiré.
Certaines sont des cadeaux d’amitié, d’autres, des témoignages collectifs d’estime.
FORMES
Forme courge
Cette forme, tournée, est ancienne et on en trouve de nombreux spécimens, non compagnonniques, du XVIe au XIXe siècle, dans les recueils et inventaires de céramiques. La doyenne des gourdes compagnonniques connue et identifiée comme telle, est exposée dans une vitrine de faïences régionales au Musée rochelais.
Forme orbiculaire
Cette forme tournée est aussi très ancienne, plus ou moins aplatie après coup, avec bords arrondis, amincis, plats ou à facettes. On la trouve souvent reproduite avec des sujets patronymiques, militaires, corporatifs et autres.
Forme fer à cheval
Elle est spécifique du Devoir des compagnons maréchaux- ferrants. Évoquant à la fois le fer forgé et posé, la promenade du fer de gageure (chef-d’œuvre) et le rituel du fer d’argent. C’est le blason des compagnons maréchaux, on le retrouve dans toute l’iconographie de ce corps.
Forme annulaire
Appelée aussi couronne, elle est déjà connue dans l’Antiquité. Citée au XVe siècle, donnée comme une forme d’Ardus et de Montauban au XVIIIe siècle, en réalité on la trouve souvent dans les recueils et les inventaires. La série compagnonnique de ce type est, de beaucoup, la plus importante (25 pièces connues) et suscite quelques observations :
- Elle est, à part une seule exception connue à ce jour pour un compagnon boulanger, une particularité du corps des tanneurs et corroyeurs.
- Sa forme même, moulée, paraît avoir été intentionnellement choisie par ce dernier, comme évoquant l’un des outils les plus caractéristiques du corroyage, la lunette (1) qui est d’ailleurs figurée sur chaque pièce. À noter que le boulanger pourrait justifier également son choix par la similitude de cette forme avec le pain en couronne. Enfin, la couronne est aussi un important symbole compagnonnique en elle-même. On a vu comment les maréchaux ont adopté la forme du fer à cheval qui est, pour eux, corporativement et rituellement parlante.
- Il existe trois fabrications qui seront étudiées à part : La bordelaise, la nantaise Dérivas, la malicornaise (2) Tessier. Les deux premières sont très différenciées, la troisième est une copie moderne, assez fidèle de la nantaise.
- Lunette de corroyeur : couteau rond, percé au milieu, tranchant sur toute sa circonférence, utilisé pour amincir et lustrer le cuir lors du parage.
- Malicornaise : de Malicorne, commune de la Sarthe.
Pourquoi les compagnons tanneurs-corroyeurs ont-ils tant de gourdes à leur nom ?
L’enquête faite par Roger Lecotté n’a pu l’établir d’une manière précise, parce que trop tardive, d’une génération au moins. En 1953, un des rares survivants de ce corps, monsieur Henri Bastard, qui suivit la tradition, comme on le verra ci-dessous, fit fabriquer des pièces pour son compte, mais n’a pu nous renseigner sur ce sujet.
La règle de ce compagnonnage est muette ; il n’apparaît pas qu’il y ait eu d’obligation spécifique, mais seulement une coutume basée sur des situations particulières : Liens d’amitié ou de parenté entre un tanneur et un faïencier dont aurait bénéficié tout le corps, ou peut être une relation amicale intercorporative justifiée par l’existence des faïenciers dans les villes de réception des tanneurs : Nantes (leur ville mère), Bordeaux, Toulouse, Lyon, Dijon, Paris, Tours, etc.
Mais alors pourquoi les deux premières faïenceries ont-elles été les seules à fabriquer des gourdes pour eux ?
Notons, avant de continuer, que les couleurs adoptées, aussi bien pour les décors des palmes peintes sur les pièces que pour les cordons de suspension, étaient celles des compagnons tanneurs et corroyeurs : Le rouge (le courage), et le bleu (la douceur), détails auxquels ils tenaient beaucoup.
Gourde annulaire du compagnon boulanger; Tisserand, Comtois le Soutien des Frères, reçu à Nantes à l’Assomption 1844, musée d’Histoire de Nantes. | Verso de la gourde du compagnon, boulanger Tisserand, Comtois le Soutien des Frères. |
FABRICATION BORDELAISE
La faïence, supposée bordelaise, est plus rustique qu’à Nantes, l’émail de qualité inférieure ne couvre qu’imparfaitement la terre qui est blanche. L’aspect n’est que rarement d’un blanc pur et présente au contraire des teintes rosées, bleutées, verdâtres, ou ivoirines, résultantes chimiques de la cuisson.
Aucune pièce n’est signée. Or précisément, ce serait la caractéristique des faïences de Bordeaux avec les coloris notés : Violet de manganèse, bleu (pas toujours très bien appliqué), vert et jaune orange, le rouge, absent au XVIIIe siècle est encore rare au début du XIXe.
La comparaison avec un spécimen bordelais de la troisième époque après 1810, semble probante. Dans l’affirmative, il pourrait s’agir de production émanant, entre 1834 et 1841, d’une des trois faïenceries encore en activité dans la première moitié du XIXe siècle :
G. Letourneau (1817-1858), Antoine Alexandre Boyer (1827-1850), ou Pierre Bardon (1837-1858). Un autre élément important qui intervient en faveur d’une telle attribution, c’est la présence, au revers de deux de ces gourdes, d’un personnage bordelais bien connu des compagnons et qui figure avec le même costume, le même tablier à poche et surtout la même coiffure, un mouchoir bouffant noué sur la tête, personnage que l’on retrouve sur les dessins des conduites de Bordeaux de Leclair ou de Lemoine. Cette femme qui tend une rose au compagnon n’est autre que la cadichonne (bonne amie) qui d’ordinaire pleure le départ du bon drille.
FABRICATION NANTAISE (DÉRIVAS)
De tons beaucoup moins chauds que la précédente, d’un dessin plus précis, plus stylisé, de coloris dominant vert, bleu et noir, cette série est caractérisée par le dessin particulier des palmes à touches fines dites fleuri nantais de la maison Dérivas, par de fins filets noirs cernant la composition, et un large filet bleu entourant la couronne et barrant les coulants. Presque tout ce qui a été écrit sur la faïence de Nantes a été puisé dans un ouvrage paru en 1864 dont voici un résumé.
Une fabrique de vaisselle blanche aurait été créée dès 1588 par Jean Ferro et cette même production est citée vers le milieu du XVIIe siècle. La faïence brilla d’un certain éclat à la fin du règne de Louis XIV et au début de celui de Louis XV. Un établissement fondé en 1751 par Leroy de Montille fut d’abord prospère, puis périclita dans les mains de Bélâbre.
Vendu en 1771 à Perret et Fourmy, il se développe au point d’obtenir, en 1774, le titre de manufacture royale, occupant un grand nombre d’ouvriers dont la production passait les mers.
En 1780, la firme est au nom de Fourmy fils, Fourcenat et de Rivas. Vendue à un sieur Preteau, elle fut reprise en 1784, par la famille Fourmy, mais c’est finalement Pierre Auguste de Rostaing de Rivas qui en resta seul patron. L’almanach général du commerce de 1788 le cite comme « maître faïencier dont la faïence peut aller de pair avec celles de Nevers et de Rouen ». Il céda l’affaire en 1813 à ses enfants.
De la production du XVIIIe siècle, on ne connaît que peu de pièces, une seule est marquée et datée. De la production du XIXe siècle aucun élément n’a été identifié d’une manière certaine à ce jour. Une étude parue en 1941 signalait bien, indication fort précieuse : Au musée des Salorges, au musée Dobrée et chez monsieur Allard à Guérande, on trouve des gourdes de compagnonnage qui ont été fabriquées à Nantes chez Dérivas, mais sans donner de références à l’appui.
Les inventaires de ces musées, les déclarations d’un compagnon et de plusieurs personnalités nantaises consultées, concordaient, mais en se fondant uniquement sur la tradition orale. En l’absence des archives de la faïencerie Dérivas, Roger Lecotté et Henri Rivière menèrent une enquête digne de Sherlock Holmes, ils consultèrent les archives départementales où ils notèrent, dans les rapports des préfets adressés au ministre des Arts et Manufactures.
Pour la seule ville de Nantes : En 1803, 100 ouvriers faïenciers, en 1809, 30 ouvriers, en 1815, 12 ouvriers (mention: Seule faïencerie depuis de longues années: Derival (sic), en 1838, 40 ouvriers, (la faïencerie Dérivas fournit aussi les départements limitrophes et l’île Bourbon) en 1840, 47 ouvriers dont 12 femmes, nous n’avons pas trouvé mention de sa disparition en 1872, mais le rapport de 1880 ne donne plus de faïencerie. Ils se rendirent aussi sur les lieux :
Nous avons reconnu en juillet dernier, l’important bâtiment de la maison Dérivas, rue et impasse de la Faïencerie, avec son porche ouvrant sur le quai Moncousu (autrefois quai de la Faïencerie) près du pont de la Madeleine, témoin muet de l’important trafic d’antan. Mais ces preuves d’une intense production n’apportaient pas pour autant de détails sur sa nature et les spécimens fabriqués.
L’inventaire des faïences populaires du musée National de la Céramique de Sèvres, en cours d’établissement au Musée des Arts et Traditions Populaires devait réserver une surprise : La découverte dans des caisses d’un échantillonnage de pièces nantaises reçues en 1864, accompagnées d’une facture détaillée de la fabrique de faïences : Th. Derivas, 22 Chaussée Madeleine, Nantes, établie au nom du Baron de Girardot, Secrétaire général de la Loire Inférieure, et relatives à 27 articles, avec prix indiqués, dont des assiettes fleuries nantaises à 17 centimes pièce, des pots fleuris etc. La comparaison d’un de ces pots avec le revers d’une des gourdes ci-après révèle une identité de décor évidente.
Enfin et surtout, l’une de ces dernières, le numéro 26, porte sous son socle la mention : Nantes, marquée en noir avant cuisson. Cela tranche définitivement la question : la seule faïencerie de Nantes au XIXe siècle, (jusqu’en 1872) est donc la maison Dérivas pour les gourdes nantaises s’échelonnant entre 1837 et 1858.
Roger Lecotté et Henri Rivière avaient élucidé le fameux « mystère des faïences compagnonniques Derivas » !
FABRICATION MALICORNAISE CONTEMPORAINE
La faïencerie de Malicorne, petit village de la Sarthe à environ 30 km au sud du Mans, apparaît au milieu du XVIIIe siècle avec l’installation de Jean Loiseau dans une auberge qu’il transforme en atelier en 1748 nommé La Faïencerie du plat d’étain.
Il est à l’origine d’une tradi- tion qui se poursuit encore aujourd’hui. Son développement est très rapide. Bon an, mal an, l’activité ne cesse jamais pendant plus de 250 ans. Le choix du village de Malicorne est motivé par la présence d’argile, de bois pour l’alimentation des fours, et de la Sarthe, voie maritime plus économique que la route pour l’acheminement des marchandises.
L’activité évolue rapidement jusqu’à son décès en 1785. Sa veuve cède alors la fabrique à son fils en 1787, lequel poursuit l’œuvre de son père jusqu’en 1824 avant de la vendre. La production est surtout utilitaire tout au long du XIXe siècle mais évolue ensuite sous l’influence de Léon Pouplard vers 1880, en créant des pièces de plus en plus travaillées.
Malicorne devient alors un centre faïencier incontournable. Les faïenciers s’inspirent beaucoup des décors des autres manufactures : Quimper, Marseille, Nevers, etc. L’un des l’élèves de Léon Pouplard, Émile Tessier (Malicorne 1887-1971), issu d’une famille de céramistes, se distingue par ses qualités.
Il fonde ses propres ateliers à Malicorne en 1924, lesquels devaient devenir plus tard les Faïenceries d’Art de Malicorne. Émile Tessier s’entoure de collaborateurs et d’artistes talentueux et ensemble ils donneront un formidable élan à Malicorne. Avec lui se développe le travail de l’ajouré qui a en grande partie fait la réputation des faïences de Malicorne. Aujourd’hui la faïencerie d’Art de Malicorne est toujours en activité.
C’est Émile Tessier que Roger Lecotté rencontre vers 1950 pour recueillir des informations afin de rédiger L’essai sur les gourdes compagnonniques, édité en 1953. Les ateliers Émile Teissier réalisent de très belles copies, fort bien faites, des pièces Dérivas de Nantes (l’inscription à l’anglaise plus penchée étant la seule différence visible à première vue).
Monsieur Tessier, qui connaissait à fond la production locale pour avoir travaillé depuis toujours dans les différents établissements de ce pays, déclarait qu’aucune gourde compagnonnique n’était jamais sortie de Malicorne avant les répliques qu’il avait exécutées pour monsieur Bastard (Île-de-France la Liberté, compagnon tanneur-corroyeur du Devoir).
Les ateliers d’Émile Tessier sont dirigés aujourd’hui par Stéphane Deschang qui nous a très gentiment informés qu’il réalisait encore des gourdes compagnonniques et que les dernières avaient été réalisées en 2006. Je tiens à remercier monsieur Deschang pour son aimable collaboration à ce chapitre.
FABRICATION TOURANGELLE CONTEMPORAINE
< Jean Luneau, auteur de nombreuses gourdes destinées aux compagnonnages tourangeaux. Chédigny, Indre-et-Loire, 1976.
Les ateliers Jean Luneau à Chédigny ont été les seuls fabricants de gourdes compagnonniques en Touraine entre 1974 et 2007. Écoutons Jean Luneau lui-même qui a aimablement répondu à mes questions :
Depuis 1960, j’ai travaillé la faïence, d’abord dans l’atelier des charbonniers que j’avais ouvert à Paris de 1960 à 1970, puis je suis venu en Touraine où j’ai continué en créant la faïencerie de Chédigny qui a fermé en 2004, intéressé par toutes les applications singulières et attaché à travailler dans les techniques traditionnelles de la faïence de grands feux. Les différents pots à guilbrette (*), gourdes, pots, coloquintes, etc. du musée ont excité ma curiosité, et j’ai pris contact en 1975 avec monsieur Roger Lecotté qui m’a permis de les voir de près. Par la suite monsieur Lecotté m’a fait faire différents travaux et les compagnons ont pris la relève. Hélas, je ne pourrai pas vous donner le nombre exact de gourdes compagnonniques que j’ai faites, mais je pense qu’il en sortit, entre 1974 et 2007, une trentaine de mon atelier, six ou sept pour les compagnons boulangers, pour les tailleurs de pierre, les charpentiers-couvreurs, les tapissiers, les vanniers et les verriers. J’en ai fait une depuis ma retraite… Les différentes gourdes de compagnons boulangers, répertoriées à ce jour, sont : Ouvray, Blois l’Estimable (Cayenne de Tours); Belloc, Bordelais l’Inviolable (détruite); Dufour, Tourangeau l’Étoile du Devoir (famille).
(* Guilbrette : Accolade – Les deux compagnons mettent leurs cannes en croix de Saint-André sur le sol, ils se placent l’un près de l’autre, le côté gauche en avant de manière à ce que les deux pieds occupent les quatre angles formés par le croisement des cannes, les deux hommes se donnent alors la main droite, se « topent » (se parlent), ils échangent les mots sacrés et les phrases rituelles, à l’oreille, puis font la guilbrette : Les deux mains gauches sur la hanche gauche, les jambes droites entrecroisées, ils se donnent mutuellement à boire, de leurs mains droites, les bras droits étant croisés.)
FABRICATION NIVERNAISE CONTEMPORAINE
C’est en 1585 qu’Augustin Conrade, venu d’Albissola en Italie, installe son atelier au logis Saint-Gildas. Peu après il s’associe à Julio Gambin de Faenza. Leur style s’inspire alors des célèbres faïences italiennes à décors bibliques ou mythologiques qu’ils sauront faire évoluer en créant les « fonds ondés » rappelant les mouvements de la Loire d’où émergent des divinités marines.
Le XVIIe siècle aux multiples manufactures devait donner un genre nouveau qui fut surtout marqué par les camaïeux bleus et le blanc fixe. Puis apparaissent les nombreuses faïences d’inspiration chinoise en décor de bleu et manganèse. Au XVIIIe siècle, la mode est au genre populaire d’assiettes patronymiques qui préparent la voie aux pièces révolutionnaires.
En 1875, Antoine Montagnon rachète la manufacture du Bout du Monde et relance la production de la faïencerie artistique. Il participe ainsi aux grandes expositions de 1878 et 1889, ce qui lui vaut le titre de « rénovateur de la faïence de Nevers ». Depuis, quatre générations se sont transmis leur savoir-faire et leurs secrets de fabrication, perpétuant ainsi l’art de la faïence à Nevers.
En 1970, c’est Jean Montagnon qui réalise la gourde des 50 années de « Lumière compagnonnique » de Jean Pebayle, Bordelais l’Enfant Chéri.
Gérard Matignon nous a informés que depuis cette fabrication il se souvenait avoir réalisé d’autres gourdes, mais il semblerait que cela soit déjà dans un passé assez lointain (vers 1985-1995).
Les informations ci-dessous m’ont été aimablement transmises par Gérard Montagnon, arrière-petit-fils d’Antoine Montagnon, que je tiens ici à remercier.
< Remise d’une gourde à Jean Pebayle, Bordelais l’Enfant Chéri, lors du Banquet de Saint-Honoré 1971 à la maison des Compagnons du Devoir de Bordeaux, rue Laroche ; Jean Fardeau, Tourangeau le Décidé de Bien Faire, président du conseil central faisant son discours, juste derrière lui, Pierre Pebayle, Bordelais Va de Bon Cœur, et en costume clair Jacques Pebayle, Bordelais le Fier Courageux ; tenant le plateau avec la gourde, Jean Paul Godard, Nantais la Fidélité, debout à l’extrême droite, Claude Barinoël, Bordelais l’Ami des Compagnons.
Gourde offerte à Jean Pebayle,
Bordelais l’Enfant Chéri,
blason des compagnons
boulangers et pâtissiers du Devoir.
Faïencerie Montagnon, Nevers.
LES GOURDES BLAISOISES PAR GASTON DUHAMEAU, BLOIS L’AMI DES COMPAGNONS
< Gaston Duhameau, Blois l’Ami des Compagnons, au milieu de ses gourdes coloquintes en cours de séchage et de nettoyage (vers 1985).
À partir des années 1980, apparaissent ou plutôt réapparaissent sur le Tour de France et cela plus particulièrement chez les compagnons boulangers et pâtissiers du Devoir, les gourdes « courges » ou coloquintes, confectionnées par Gaston Duhameau, Blois l’Ami des Compagnons, compagnon boulanger du Devoir de la Cayenne de Blois.
Gourde de Gaston Duhameau, Blois l’Ami des Compagnons, offerte par la cayenne de Blois pour ses cinquante années de Lumière Compagnonnique. Saint-Honoré 1977.
Lisons le compagnon boulanger Jean Ferrer, Roussillon le Dévoué, (Les Nouvelles des Chiens Blancs, numéro 38, Janvier 2011.) au sujet des fameuses gourdes de Blois l’Ami des Compagnons : « La production : Coloquintes cultivées principalement dans le Roussillon (jardin de mon père) mais quelques-unes étaient cultivées dans le Loir-et-Cher (jardin du Pays Zago, Huré, ainsi que le mien).
Pour le séchage, il se faisait principalement dans mon fournil, à Blois, au-dessus du four. D’autres étaient séchées naturellement et mon père gardait, d’une année sur l’autre, quelqu’une pour la graine, et par conséquent elles séchaient au soleil du midi.
Bien sûr, pour le Pays (Compagnon) Duhameau, compagnon très engagé et dévoué, avec ses moyens propres bien sûr, c’était une tradition car son but était d’abord de se rendre utile pour la corporation. L’organisation : Dans son appartement à Blois, le stock était à sa cave à côté des bonnes bouteilles, très utiles parfois !
> Gourdes coloquintes d’un aspirant pâtissier du Devoir (A.P.D.D.) et d’un compagnon pâtissier du Devoir (C.P.D.D.) réalisées par Gaston Duhameau, Blois l’Ami des Compagnons.
Toutes ses peintures étaient sur la table de la salle à manger. Il demandait à des jeunes itinérants de lui faire quelques dessins afin d’avoir des idées. Mais principalement, le motif tournait autour du blason des chiens blancs, ou de l’équerre et du compas, avec le nom de compagnon du réceptionneur avec une touche personnelle à la demande ou suivant son inspiration du moment.
Son épouse ne participait pas aux décors, mais faisait preuve de patience dans le dérangement de la pièce. Surtout au moment des visites des Pays et Coteries, il n’y avait pas que des coloquintes sur le plan de travail. C’était un moment de joie lors du passage d’un jeune qui faisait le déplacement, parfois d’assez loin, pour chercher ce précieux symbole que les anciens utilisaient des centaines d’années avant nous, pendant le voyage. Ces œuvres se sont arrêtées avec la disparition de Blois l’Ami des Compagnons. »
Comme tout artiste, un style se termine et personne ne peut l’égaler, simplement l’imiter. Cela restera écrit dans les archives de Blois Fondation. C’est le meilleur hommage rendu au Pays. Nous rencontrons trois variantes de gourdes coloquintes réalisées par Blois l’Ami des Compagnons. La première, toute petite, était souvent blason des C.B.P.D.D., accompagnée des lettres L.J.B.S.F.P.V., et de l’autre, le nom du compagnon propriétaire, sa date et la ville de réception.
Ces gourdes pour les C.B.P.D.D. étaient accompagnées de rubans de cinq différentes couleurs, les cinq couleurs dites compagnonniques : bleu, blanc, rouge, jaune, vert. Pour les compagnons des autres corps d’état, la pratique était la même que pour les aspirants, un ruban correspondant à la couleur du corps d’état. À la base, le nom de son auteur. Ces gourdes étaient fermées avec un petit bouchon de liège recouvert de cire rouge scellée très symboliquement avec la représentation d’une équerre et d’un compas.
Plusieurs gourdes coloquintes destinées à des compagnons de différents corps d’état (boulangers-pâtissiers, charpentiers, menuisiers), par Gaston Duhameau, Blois l’Ami des Compagnons, exposées sur la table de sa salle à manger.
Gourde coloquinte réalisée par Stéphane Leroux, Picard la Tolérance, compagnon pâtissier du Devoir (1990).
GOURDES DE CINQUANTENAIRE
< Gourde de François Challard, Clermont l’Étoile du Devoir, offerte par la Cayenne de Paris pour ses cinquante années de Lumière compagnonnique. Saint- Honoré 1971.
À partir des années 1960, une nouvelle pratique apparaît chez des compagnons boulangers et pâtissiers du Devoir (mais aussi dans de nombreux autres compagnonnages du Devoir), celle de la gourde de la célébration du cinquantenaire de « Lumière compagnonnique ».
Elle est de faïence et offerte par la cayenne à laquelle le compagnon est rattaché.
Ce cadeau est généralement fait le jour de la Saint-Honoré, lors du banquet.
Les gourdes de cinquantenaire en faïence de la région tourangelle ont été réalisées par la faïencerie Jean Luneau à Chédigny (Indre-et-Loire).
Elles s’inspirent des objets anciens, qu’on redécouvre grâce aux collectionneurs et aux musées. Mais elles n’ont plus le même sens, ce n’est plus le compagnon qui se fait fabriquer pour son compte, comme souvenir, un objet destiné à lui rappeler les bons moments du Tour.
C’est désormais un objet offert par ses Pays pour le remercier de sa longue fidélité au Devoir, pour son action au sein de sa société.
François Challard, Clermont l’Étoile du Devoir,
recevant sa gourde.
Ce même jour, reçoivent également une gourde,
Georges Papineau, Blois l’Ami du Travail et
Gilbert Bernard, Bordelais la Pensée.
Le sens est très différent et correspond à une profonde mutation du compagnonnage : Dans la première moitié du XIXe siècle, on est passé du jeune compagnon actif dans sa société où il a passé dix années au plus et a ensuite été remercié, au compagnon actif à vie, dont les anniversaires sont ponctués de cérémonies (banquets, cadeaux, écharpes d’honneur).
Un compagnon ne va plus chercher à se procurer une gourde en faïence par envie et plaisir personnel, aujourd’hui la gourde est offerte et est en passe de devenir progressivement un objet symbolique, celui de son cinquantenaire compagnonnique.
SOUVENIR DE CONGRÈS.
Gourde-souvenir du 34e congrès des compagnons boulangers et pâtissiers du Devoir à Gujan-Mestras les 4 et 5 mai 1996.
Gourde-souvenir du 2e congrès des compagnons boulangers et pâtissiers restés fidèles au Devoir à Bordeaux.
Bicentenaire de cette Cayenne – les 9 et 10 juin 2013.
POUR SERVICE RENDU À LA PROVINCE
Voici textuellement un courrier envoyé par le compagnon boulanger du Devoir Pierre Pébayle, Bordelais Va de Bon Cœur (1940- 2011), peu avant son décès :
Je te joins trois ou quatre photos d’un événement exceptionnel et rare qui s’est déroulé le 2 juillet 2010 à Bordeaux au cours d’un repas après les assises entre CC∴ de tous corps et leurs familles.
À ma connaissance, je pense qu’une province n’a jamais offert une gourde pour les 50 ans de Lumière d’un compagnon. Encore moins d’un chien blanc dont les 50 ans étaient le prétexte, mais plutôt pour les services rendus à la province.
Cette gourde а été fabriquée par notre Mère Baraldo qui s’est lancée dans la poterie depuis qu’elle est à la retraite, c’est sa première gourde mais c’est une réussite et j’en suis très fier.
Si cela peut te servir pour ton livre tu as le feu vert car c’est un fait rare à souligner simplement pour faire savoir que les chiens blancs sont toujours dans l’actualité et non pas que dans le passé.
Le geste d’offrir une gourde pour les 50 ans de Lumière était fait par les Cayennes, peut-être des provinces ont-elles fait des cadeaux, même peut-être des gourdes, à des compagnons pour remerciements mais pas pour les 50 ans de Lumière.
< Gourde offerte à Pierre Pebayle, Bordelais Va de Bon Cœur, pour ses cinquante ans de Lumière Compagnonnique, par les compagnons du Devoir de la province de Bordeaux le 2 juillet 2010, réalisée par Mme Baraldo, Mère (E.R.) des compagnons du Devoir A.O.C.D.D.
ÉVOLUTION DE LA DÉCORATION AU COURS DE DEUX SIÈCLES
L’évolution des décors au fil du temps est quasiment inexistante. Nous constatons en effet que les éléments composant le décor sont restés les mêmes sur une période de 170 ans. Nous trouvons sur la gourde céramique du compagnon boulanger Le Soutien des Frères (1844), la pelle et le rouable (*) croisés avec coupe-pâte et couronne de laurier, puis deux compagnons, chapeau haut de forme et revêtus de leurs attributs compagnonniques : Canne et couleurs à la boutonnière.
(*Rouable : racloir que l’on utilise pour disperser ou extraire les braises du four à pain.)
Dans une grande majorité de cas nous observons sur les gourdes céramiques des compagnons boulangers (à partir de 1960) pour la célébration du « Cinquantenaire de Lumière » le blason, la couronne de laurier et un compagnon revêtu de ses attributs compagnonniques, canne et couleurs, et quelques fois une scène de métier antique (la mise au four), ainsi que saint Honoré.
L’unique différence se trouve dans l’habillement du compagnon. En effet, le compagnon représenté sur les gourdes du XIXe siècle est revêtu d’un costume d’époque, et c’est ce même compagnon en tenue du XIXe siècle, redingote et chapeau haut de forme, que nous retrouvons sur les gourdes contemporaines. Une façon pour les compagnons d’aujourd’hui de s’ancrer dans le passé, comme ils aiment et savent si bien le faire.
AUTRES FAIENCES
Dans l’esprit du cadeau souvenir et de la faïencerie, les compagnons font confectionner d’autres œuvres destinées à remercier certains de leurs membres, ou à célébrer un événement particulier comme le mariage par exemple. En voici quelques exemples :
Mazagran en porcelaine de Mehun-sur-Yèvre faisant partie d’une série décorée des blasons de tous les corps du Devoir, réalisé pour le compte du compagnon sellier Maurice Bossu, Parisien le Bien-Aimé (1911-1984) ; musée du Compagnonnage de Tours.
Plat souvenir dédié à Berry la Persévérance,
compagnon boulanger du Devoir.
Assiette souvenir du banquet compagnonnique donné à Tours au 11 rue de la Serpe, pour les vingt ans de Lumière compagnonnique de Laurent Bourcier, Picard la Fidélité.
LA GOURDE FRATERNELLE
Air : Les cinq étages.
Quel doux plaisir de voyager;
Joyeux enfants du Tour de France;
On peut sans crainte et sans danger
Lier promptement connaissance ;
Car aujourd’hui quel changement
Bien loin de se chercher querelleNous voyons chaque Dévoirant
Boire à la gourde fraternelle.Qu’on se rencontre en voyageant
On ne dit plus passez au large ;
De ces propos trop outrageants
Nous ne subirons plus la charge.
Pour s’aider dans l’adversité
Travailleurs redoublons de zèle,Buvons à la sincérité,
Vidons la gourde fraternelle.Du vieux temps, triste souvenir,
Lorsqu’on se mettait en voyage,
Il fallait avant de partir
Prendre à deux mains tout son courage ;
Heureusement ce temps n’est plus,
Du Devoir brille l’étincelle.Au détriment des vieux abus
Vidons la gourde fraternelle.Invoquons le Dieu créateur
Pour l’union compagnonnique ;
Grâce à ce divin protecteur
Nous deviendrons plus pacifiques ;
Compagnons de tous les devoirs
À votre alliance immortelle.Accourez ici tous les soirs
Vider la gourde fraternelle.L’auteur jaloux d’un beau succès
Réclame ici votre indulgence;
L’enfant chéri marche au progrès
Il aime aussi la bienfaisance ;
C’est à vos frères sectateurs
À vos Devoirs d’être fidèlesAfin qu’un jour nos successeurs
Vident la gourde fraternelle.
Louis-Pierre Journolleau, Rochelais l’Enfant Chéri (1814 -1882) Compagnon boulanger du Devoir
Gourde enseigne sur la façade de la maison de l’Association ouvrière des compagnons du Devoir de Poitiers, rue des Trois Rois. Photographie Erwan Le Vourch (avec autorisation de l’auteur).
Laurent Bourcier, Picard la Fidélité, C.P.R.F.A.D. Extrait du livre LE PAIN DES COMPAGNONS