Andrée Caillaux Blésoise la Bien Aimée

LES MÈRES GÉNÉRALES DU TOUR DE FRANCE

Le statut de Mère des compagnons boulangers n’est pas figé, il évolue comme nous et tout ce qui nous entoure et compose notre univers.

Aux XVIIe et XVIIIe siècles, être Mère des ouvriers boulangers voyageant la France, c’est être aubergiste ou bien encore marchande de vin et accueillir simplement dans son établissement les ouvriers boulangers constitués en groupements en quête de travail.

Il s’agit également de mettre ses locaux à disposition pour leurs réunions dont le but est généralement la coalition. Puis, sous le Second Empire, plus tolérant envers les compagnonnages, les deux parties passent des contrats sous-seing privé afin de définir les engagements de chacun. Il n’est pas encore question de cérémonies particulières pour la prise de fonctions.

Ce n’est que sous la Troisième République qu’une cérémonie d’intronisation est mise en place. Je dis « intronisation », car il n’est pas encore question de « réception » au sens compagnonnique et profond du terme. Les compagnons boulangers du Devoir décident lors de leur congrès de 1895 de recevoir rituellement certaines de leurs Mères.

C’est la création d’un nouvel état chez les compagnons boulangers du Devoir : Celui de Mère générale du Tour de France. Cette réception a lieu après plusieurs années de fonction en tant que Mère de cayenne. Bien que la réception soit pleine de sens, elle est également honorifique dans son application car elle ne crée pas de subordination entre les Mères générales et les Mères de cayenne.

Ce titre de Mère générale est à la fois un titre honorifique et de « profondeur », car, à travers la réception, la Mère ne prend plus d’engagements, comme cela est le cas lors de l’intronisation à l’état de Mère de cayenne.

Elle prête désormais serment devant les compagnons boulangers, ce qui revêt une tout autre dimension. En fin de réception, la nouvelle Mère générale du Tour de France reçoit une écharpe sur laquelle sont brodés le blason du métier et le nom compagnonnique. Cette écharpe est, dans sa conception, identique aux écharpes d’Honneur des compagnons boulangers du Devoir.

Seulement trois Mères de cayenne seront Mères générales du tour de France :

Alise Criteau de Tours, reçue à la Toussaint 1898, Tourangelle la Bien Estimée ;
Amélie Cornibé de Paris, Parisienne la Bien Aimée, reçue à la Saint-Honoré 1930 ;
Andrée Caillaux de Blois, Blésoise la Bien Aimée, reçue à la Toussaint 1946.

 

Andrée Caillaux, Blésoise la Bien Aimée

Andrée Desneux, née le 1er octobre 1890, est la fille d’un aspirant boulanger du Devoir.

Elle se marie le 27 janvier 1912 avec Charles Caillaux.

En 1920, les époux Caillaux prennent à leur compte un petit café à Blois, 3, rue Saint-Martin, face à la fontaine Louis-XII.

Ils reçoivent en mai 1920, la visite des compagnons boulangers en quête d’un siège, suite à l’expropriation du précédent, rue de la Vieille-Poste chez Monsieur Hallier et acceptent leur venue.

Le sous-seing, officialisant la mise à leur disposition des locaux par les époux Caillaux est signé le 17 juin 1920 au domicile des époux Caillaux par Fernand Péarron, Blois Plein d’Honneur, président des compagnons boulangers du Devoir de Blois.

Après six mois de probation, le 1er janvier 1921, les compagnons boulangers de la Fondation, la reconnaissent pour Mère de la ville de Blois.

< Andrée Caillaux revêtu de son écharpe de Mère de la cayenne des compagnons boulangers du Devoir de Blois, Tours, 1927.

Laissons Georges Papineau, Blois l’Ami du Travail nous parler de la Mère Caillaux :

 » Chacun aimait son accueil toujours souriant qui fut pour son compte l’artisan de la renaissance de la pre- mière cayenne. Elle s’attache aux jeunes aspirants et compagnons comme une véritable mère est attachée à ses enfants, à des jeunes ouvriers ayant reçu une éducation parfois bien différente les uns les autres, qui une fois partis, ne reviendrons peut-être plus, dont elle n’entendra peut-être plus parler. Le bon grain qu’elle aura semé dans ces jeunes cerveaux, elle sait qu’elle ne le récoltera pas. Si chaque jour, elle s’efforce de montrer un visage agréable malgré ses soucis personnels, si elle sermonne les indifférents, si elle gronde les volages, elle le fait parce que c’est son Devoir.

Quel intérêt la guide ? L’espoir d’un commerce florissant ? Comme cela la bien souvent été, par des pères et mères peu scrupuleux. Son com- merce pourrait être aussi florissant, parfois même davantage, si elle ne s’occupait pas de certaines mauvaises têtes. Elle fait partie de ces nombreuses et véritables Mères, qui malgré les impératifs de leur commerce, faisaient passer leur rôle, avant leurs propres intérêts. »

(Les Compagnons Boulangers & Pâtissiers présentent l’histoire compagnonnique de leur Corps d’état, Librairie du Compagnonnage, 1971.)

En reconnaissance de ces bienfaits, elle reçoit des compagnons boulangers, le 17 mai 1925, une écharpe d’honneur.

La Mère Caillaux en tenue de travail devant son établisement, le café Louis XII.

Andrée Caillaux revêtu de son écharpe de Mère de la cayenne des compagnons boulangers du Devoir de Blois, Tours, 1927.

Suivirent les jours sombres des 16 au 18 juin 1940 durant les-quels Blois est bombardée par la sinistre Luftwaffe d’Hermann Göring.

Dans les rues, c’est la panique, chacun fuit emportant tout juste le nécessaire.

 

< Écharpe de Mère des compagnons boulangers du Devoir de la cayenne de Blois, remise à Andrée Caillaux,le 17 mai 1925.

 

 

Après le bombardement allemand, le 21 juin 1940, une colonne du premier bataillon du 74e régiment d’infanterie, 19e division, marche dans la rue Denis-Papin en direction du pont Jacques Gabriel ; Coll. S. Arquille.

 

Les époux Caillaux s’en vont sur la route avec chacun deux valises, dans lesquelles ils ont entassé rapidement le plus utile dans l’immédiat.

Quelques jours plus tard, ils reviennent, leur maison est entièrement détruite.

Un compagnon couvreur leur loue un appartement où, sur leur demande, les compagnons tiendront leurs réunions pendant plusieurs années.

À la première assemblée générale qui s’y tint, pour marquer cet événement, la mère fut invitée à se présenter « en chambre ».

Elle entra revêtue de son écharpe de Mère. Parmi tant d’objets si chers qu’elle avait dû abandonner, elle avait gardé ce qui, pour elle, était le plus précieux.

Lors du premier congrès d’après-guerre, à Nîmes en 1946, est votée la réception de la Mère Caillaux, Mère générale des compagnons boulangers du Devoir.

Cette réception a lieu le lundi 16 septembre 1946 à Blois. Les compagnons de tous les corps d’état du Devoir furent conviés à participer aux travaux de réception et aux festivités qui suivirent. Dès le dimanche soir, les compagnons arrivèrent de Bordeaux et de La Rochelle, et le lundi matin c’était de Tours, de Paris, de Vierzon et d’autres lieux.

La cérémonie de réception eut lieu dans les ateliers detonnellerie situés au 23, quai Henri-Chavigny, ateliers du compagnon tonnelier du Devoir, Henri Conord, Blois la Résistance, gendre du compagnon boulanger Ernest Leclerc, Blois la Sagesse, avec près de cinquante compagnons présents.

La cérémonie revêtit l’ampleur désirée, et si les locaux n’étaient pas très luxueux, les cinquante cannes sous la voûte desquelles la Mère Caillaux se retira formaient pour elle, le plus beau ciel qu’elle put rêver, et les mêmes nombres de compagnons parés de leurs couleurs, et rangés en double haie, remplaçaient dans son cœur les tapisseries les plus riches… (Georges Papineau, Blois l’Ami du Travail)

Les ateliers de la tonnellerie du compagnon tonnelier-doleur du Devoir, Henri Conord, Blois la Résistance, où se déroula la réception de la Mère Caillaux, le lundi 16 septembre 1946 ; Coll. E. Fourthon.

Le cortège des compagnons se forma rapidement et en bon ordre, suivant les bords de la Loire. Précédée du rouleur, des drapeaux de La Rochelle, de Tours, et de la bannière de Paris, la nouvelle Mère avec à son côté Madame Ondet, Mère de Tours, se rendit au restaurant Cadou, où une photographie souvenir précéda le banquet.

 

Les compagnons en bon ordre, suivant les bords de Loire. La joie de tous était d’autant plus grande que c’était le premier banquet depuis la fin de la deuxième guerre mondiale.

Au dessert, Fernand Péarron, Blois Plein d’Honneur ouvrit la série des discours en remerciant tous ceux qui avaient tenu à se déplacer pour venir rendre hommage au dévouement de leur Mère, citant tout particulièrement la Mère Ondet de Tours et le compagnon boulanger Germain Védère, Rochelais le Soutien du Devoir.
(Germain Védère, Rochelais Le Soutien Du Devoir, reçu à Saumur à la Toussaint 1888 à l’âge de 18 ans, âgé de 75 ans, ce dernier remit, à cette occasion le drapeau de La Rochelle à la garde de la cayenne de Blois, la cayenne de La Rochelle étant en sommeil depuis 1939.)

Puis ce fut Casimir Bouteloup, Manceau la Belle Conduite, (Casimir Bouteloup, Manceau la Belle Conduite, reçu à Saumur à la Noël 1897.) Premier en ville de la cayenne de Tours, qui prit la parole :

 » Notre Mère, chers compagnons ;
En ce beau jour de réception de notre chère Mère Madame Caillaux, je ne saurais vous exprimer la joie que j’éprouve de me trouver au milieu de mes amis, au milieu des compagnons qui ont donné tant de preuves de leur dévouement à notre société. En qualité de président d’honneur de la troisième cayenne du Tour de France, je salue très respectueusement notre Mère Madame Caillaux, que nous venons de recevoir Mère Générale du Tour de France des compagnons boulangers du Devoir, et qui va remplacer notre regrettée bonne Mère Cornibé, Parisienne La Bien Aimée, décédée le 1er février 1945.

Notre Mère, les compagnons boulangers ne pouvaient mieux choisir en vous acceptant comme Mère Générale, après les 25 années que vous étiez Mère des compagnons boulangers du Devoir de la première cayenne du Tour de France où tous les compagnons et aspirants ont su vous apprécier pour votre bonté et les bons conseils que vous avez su leur donner, aussi les compagnons boulangers du Devoir ne pouvaient vous donner un plus beau nom que le nom de Mère Générale de Tour de France, Blésoise La Bien Aimée.

Vous devez en être fier, j’ose bien croire, que vous continuerez toujours à traiter les compagnons et aspirants, comme vos grands enfants, ils vous seront reconnaissants de ces bienfaits, votre cœur de Mère sera doublement satisfait, vous aurez remplacé auprès de nous la famille absente, et vous aurez œuvré dignement pour le plus grand bien du compagnonnage et pour votre bonté.
Permettez-moi, notre Mère, de vous adresser l’hommage de mon respect et la reconnaissance des compagnons boulangers du Devoir.

Je suis heureux de voir à ce banquet Madame Ondet, Mère des compagnons boulangers du Devoir de Tours qui s’est fait un plaisir de bien vouloir assister au banquet en l’Honneur de notre Mère Générale, aussi je vois que les compagnons de Tours, ont tenu à venir assez nombreux pour vous accompagner. Moi personnellement, ainsi que tous les compagnons de la troisième cayenne de Tour de France, ainsi que tous les compagnons présents à ce banquet, vous remercient de tout cœur pour ce beau geste d’être avec nous aujourd’hui et vous prient de recevoir de tous les compagnons leur meilleur accueil.

Je profite donc aujourd’hui de cet honorable banquet pour adresser mes remerciements les plus vifs à tous mes vieux amis et à tous ceux qui ont toujours collaboré avec moi. Oui, chers compagnons l’amitié, la confiance et la loyauté qu’en toute circonstance vous m’avez témoignée pendant plus de 10 ans que j’ai été président de votre société, que nous avons vécu ensemble, a prouvé que nous étions inspirés par le même idéal de Fraternité et comme vous le savez tous, notre longue et étroite collaboration a porté ses fruits au sein de notre chère société.

Je termine chers compagnons avec le souvenir de ce long et glorieux passé prospère de notre corporation, et je m’adresse aux jeunes compagnons appelés à nous succéder, je vous demande d’avoir du caractère et de la volonté, de vous aider mutuellement les uns les autres et de rester cordialement unis comme nous l’avons été dans le passé, soyez l’ami de tous les compagnons de cœur et de volonté, et unis ensemble, vous ferez triompher la solidarité, l’égalité, et la fraternité ! »

Photographie souvenir de la réception de la Mère Caillaux, Blésoise la Bien Aimée, Mère Générale du Tour de France des compagnons boulangers et pâtissiers du Devoir, le lundi 16 septembre 1946, à sa gauche, la Mère Ondet de la cayenne de Tours.

Le banquet et la journée se clôturèrent par une chaîne d’alliance où les deux Mères prirent place au centre, la chanson Les Fils de la Vierge étant interprétée par Fernand Péarron, Blois Plein d’Honneur.

Six ans plus tard, le lundi 13 octobre 1952, à 22 heures, une maladie implacable enlève la Mère Caillaux aux compagnons boulangers du Devoir.

Elle quittait ce monde où elle fit preuve une grande partie de son existence d’un dévouement constant au Compagnonnage.

La Mère Servant de Paris, la mère Ondet de Tours et plus de quatre- vingt compagnons de tout corps, venus de tout le département du Loir- et-Cher, de Paris, de Tours, se réunirent de nouveau à Blois.

Après la cérémonie religieuse, le rouleur en tête, suivi des drapeaux de Paris et de Tours, les compagnons formant une haie d’honneur de chaque côté, le cortège s’achemina vers le cimetière de Blois-Ville.

Lorqu’il s’arrêta,une voix annonça :  »

Nos Mères, compagnons et aspirants, avant de quitter notre Mère, recueillons-nous.
Une minute s’écoule et Fernand Péarron, Blois Plein d’Honneur, au nom de tous, adresse les derniers adieux.
 » Blésoise la Bien Aimée, puisse votre exemple servir d’enseignements aux générations futures. Reposez en Paix, vos enfants ne vous oublieront jamais.  »

Puis, la famille se mit à l’écart pour les remerciements habituels aux nombreux amis de la défunte qui avaient tenu à l’accompagner. Les compagnons formèrent un cercle autour du cercueil, et deux boulangers procédèrent aux rites du Devoir.

Le cercueil fut alors descendu au tombeau en présence de tous les compagnons qui un à un, s’inclinèrent une dernière fois devant leur Mère en jetant l’immortelle symbolique.

Le 18 octobre 1953, un an plus tard, les compagnons boulangers du Devoir déposèrent une plaque de marbre sur sa tombe : « Les Compagnons du Devoir à leur Mère Vénérée Blésoise la Bien Aimée ».

Son époux, Charles Caillaux, remplira le rôle de père, fidèle à l’engagement de son épouse jusqu’au 1er mai 1955, date de la vente de son établissement à Robert Barré. Charles Caillaux décédera fin 1970.

 

En janvier 1971, en assemblée générale à Paris, Georges Papineau, Blois l’Ami du Travail informe les compagnons que la concession de la tombe de la Mère Caillaux arrive à expiration (30 années de concession) et propose de la renouveler pour 100 ans aux frais des compagnons boulangers du Devoir.

Toutefois, dans la mesure où il restait 3 ans avant l’expiration de la concession, la décision fut « remise à plus tard ».

En 2004, la concession de la Mère Caillaux est enregistrée en mairie, au nom des compagnons boulangers et pâtissiers du Devoir pour une période de cinquante ans.

L’année suivante, la cayenne de Blois vote la restauration de la pierre tombale, les travaux sont effectués par l’Honnête compagnon passant tailleur de pierre du Devoir, la coterie Crèche, La Fraternité de Blois.

Le coût de la restauration s’élève à 2630 euros.

 

Lors de la Toussaint 2011, jour du bicentenaire de la naissance des compagnons boulangers du Devoir, la Société des compagnons boulangers et pâtissiers restés fidèles au Devoir, appose une plaque du souvenir sur la façade du café Louis XII, en présence de deux des petits-neveux de la Mère Caillaux.

Cette cérémonie fut accompagnée d’un cortège symbolique, de discours, de la découverte de la plaque, et d’une chaîne d’alliance place Louis-XII, devant l’établissement ayant appartenu aux époux Caillaux.

 

Laurent Bourcier, Picard la Fidélité, C.P.R.F.A.D. Extrait du livre  LE PAIN DES COMPAGNONS

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