Commençons par lire cet article qui est a l’opposé de mes convictions professionnelles, vous pourrez lire à la suite ma réaction à cet article :
Des deux mains du boulanger… Au boulanger de demain
Journal « Compagnon du devoir » Numéro 191 Novembre 2010 De la page 11 à 14.
Par L’institut des métiers du goût de l’Association ouvrière des compagnons du devoir.
Définir son métier est certainement la première question à se poser lorsque l’on souhaite réfléchir à son devenir. Porteur de culture et de patrimoine, chaque métier ne peut se réduire à de simples techniques et ne doit jamais se confondre avec un emploi ou une fonction. Pour être en devenir, l’histoire nous prouve aussi qu’il ne faut surtout pas le cloisonner dans un seul secteur d’activités.
Cette première base d’analyse est peut-être un peu sommaire, mais elle doit permettre aux boulangers de comprendre la dangerosité d’enfermer leur métier dans son seul espace artisanal. Nous avons un métier qui a traversé les siècles et les frontières mais qui, comme beaucoup d’autres, se transforme, se modernise, évolue et s’adapte, sans répit, à son environnement économique et socioculturel. En Europe du Nord et de l’Est! notre métier est maintenant fortement industrialisé. Dans de nombreux pays anglophones, notre métier se pratique dans ou pour la grande distribution. En Asie, notre métier est positionné à l’intérieur d’une niche associée au secteur « haut de gamme ». En Afrique, les savoir-faire demeurent encore principalement dans le cercle familial. En Amérique du Nord, il est un petit « job » peu valorisé. Seuls le bassin méditerranéen et une partie de l’Amérique latine peuvent encore globalement se retrouver dans notre boulangerie traditionnelle française. Alors pourquoi emprisonner un métier tellement diversifié dans sa pratique, tellement essentiel pour de nombreuses civilisations du monde, tellement prisé au milieu de l’humanité ? Le boulanger ferait une grave erreur en se reconnaissant uniquement dans son petit fournil artisanal, son seul commerce de proximité. Il ne faut pas qu’il craigne les autres ou qu’il revendique une forme de monopole instable et sectaire.
Dans notre boulangerie mondialisée, nous pouvons aussi observer une mécanisation progressive qui semble aller de plus en plus vite. À travers elle, les emplois et la productivité se modifient. Elle a des avantages et des inconvénients. En effet, si elle permet d’améliorer les conditions de travail en diminuant la pénibilité de certaines tâches, elle les aggrave également en faisant disparaître des emplois. En parallèle, ce bouleversement crée de nouveaux métiers, développe de nouvelles compétences tout en détruisant aussi certains savoir-faire. Seuls 3 croissants sur 10 consommés aujourd’hui en France émanent d’un façonnage manuel. C’est une réalité qui bouscule nos convictions les plus profondes.
D’une manière plus générale, la mécanisation est la cause de dualisme économique, faisant coexister des secteurs modernisés par la machine avec d’autres qui n’adoptent celle-ci que lorsque leurs méthodes traditionnelles deviennent moins compétitives. Dans notre filière « blé-farine-pain », le secteur industriel a nettement amélioré la qualité de ses produits au cours de cette dernière décennie. Il rivalise maintenant sans complexe avec l’artisanat, qui est obligé de réviser ses processus de fabrication en investissant dans du matériel plus performant. Les artisans sont condamnés à fabriquer plus et mieux sur une durée plus courte, c’est probablement leur unique moyen de survie en milieu rural comme dans les grandes agglomérations françaises.
Cependant, les innovations proposées par les équipementiers ne semblent pas trop révolutionnaires et s’adaptent, de ce fait, bien aux fournils artisanaux et à nos savoir-faire. Ces innovations permettent de rationaliser des opérations manuelles comme celles du divisage et du façonnage notamment. Les systèmes de production qu’elles engendrent modifient de façon constante la répartition des tâches entre la machine et le boulanger.
Si elles peuvent aussi parfois provoquer une sorte de dévalorisation du travail et une perte d ‘autonomie du boulanger, notre métier peut toutefois trouver toute sa place dans cette évolution. En effet, le boulanger ne doit pas se restreindre à une production artisanale traditionnelle qui pourrait le mener à sa perte, mais plutôt profiter de cette mutation pour retrouver un rôle central dans un cadre technique et organisationnel perpétuellement renouvelé, nécessitant de nouvelles compétences dans la commercialisation et le management, tout en favorisant la possibilité de passer de cols bleus à cols blancs grâce à son expérience et expertise dans son coeur de métier.
Cette mécanisation n’est pas sans conséquences dans le Compagnonnage du Devoir. Nous affichons le fait de ne pas cloisonner notre métier dans un seul secteur d’activités. C’est assez simple à écrire mais cela ne fait pas encore l’unanimité pour les Compagnons Boulangers. Plaçant souvent la main au centre de notre enseignement professionnel et spirituel, ce positionnement est parfois objet de polémique chez nous. Mais nous restons fermes sur nos orientations, celles qui ont pour finalité de permettre à chaque jeune d’évoluer à l’avenir dans le secteur qui pourra l’épanouir le mieux professionnellement, celles que nous rappelle notre passé qui a subi lourdement la révolution industrielle de la fin du Xlxe siècle, celles que nous dictent nos réflexions périodiques sur le « devenir de notre métier ». Nos futurs boulangers devront naître dans le fournil, mais nous devrons donner la
possibilité à ceux qui veulent s’en extraire de pouvoir exercer leur métier ailleurs même au cours de leur Tour de France.
Dans le Compagnonnage, il y a des métiers qui sont identifiés à travers des matériaux tels que la pierre, le bois ou le fer. » y en a d’autres, associés à un verbe d’action : le couvreur couvre, le peintre peint. Afin de lui déterminer son identité, chaque métier a ainsi besoin de critères de reconnaissance. » y a de moins en moins de frontières entre nos métiers et il faut donc que le boulanger y trouve sa place, son noyau de compétences qui puisse lui accorder un caractère unique. C’est une garantie contre des dérives. Les compétences évoluent mais il ne faut pas s »écarté de ce noyau qui constitue la raison d’être et d’exister d’un métier. Le boulanger ne sera jamais un cuiseur de pâtes surgelées ou un simple revendeur de pains. Il ne sera jamais un pâtissier, un cuisinier ou un meunier.
Il ne sera pas associé à son seul fournil. De notre point de vue, le boulanger doit être identifié et reconnu à travers le produit qui le symbolise le plus le PAIN. Le boulanger a été, est et sera toujours celui qui permet aux autres de manger du pain, par nécessité, par praticité, par plaisir ou pour sa santé. Alors oui, tant que les civilisations consommeront du pain, il y aura des boulangers. Alors oui, tant que les terriens mangeront des produits céréaliers, transformés en farine, puis pétris, fermentés et cuits, il y aura des boulangers. Peu importe le fait que ce soit les mains d’un homme ou un système automatisé qui l’aient fabriqué, tant qu’il y aura du pain, il y aura des boulangers et donc, par évidence, des Compagnons Boulangers du Devoir.
En partant de ce principe élémentaire, nous ne devons plus avoir de complexes sur l’ouverture à différents secteurs d’activités comme l’industrie ou la grande distribution.
C’est un appel à l’ouverture. Ce ne sont d’ailleurs pas des concurrents. En effet, le mot concurrence vient du mot concurrere qui signifie courir avec. La concurrence est donc une compétition, une rivalité entre des personnes, des marchés ou des produits qui ont un même objectif et qui vont rechercher le même avantage.
La concurrence du pain ne se trouve donc pas dans une dimension sectorielle, mais plutôt dans des produits connexes comme les pâtes alimentaires ou les céréales des petits déjeuners. En écrivant cela, c’est bien toute notre approche qui change. Si l’artisan arrivait à se convaincre de cela, il cesserait de voir les enseignes de grandes surfaces ou les chaînes de terminaux de cuisson comme les premiers destructeurs de son métier. Car c’est faux. L’approche est trop crédule, simpliste et restrictive.
Ce pain, repère pour définir le métier de boulanger, n’est d’ailleurs pas obligé de se limiter aux seules matières premières, qui le caractérisent: la farine de blé, l’eau, la levure ou le sel. Aujourd’hui, il peut se coloriser, s’enrichir ou devenir un alicament. Il peut être un produit « petit déjeuner » comme un produit « snacking ». L’offre est illimitée, même si sa seule simplicité de compléter un repas, festif ou non, de l’entrée au plateau de fromages, est parfois suffisante.
Est- il dangereux alors de se limiter à ce seul produit pain ? Nous ne le pensons pas et nous vous proposons de lire, pour vous convaincre, l’encadré ci-contre « Les Français et le pain, toute une histoire » qui est un extrait d’une étude réalisée par l’observatoire du pain. Cependant, et à travers cette analyse, si l’on peut être rassuré sur la présence du pain dans l’alimentation du futur, une question se pose : « Comment sera-t-il conçu, fabriqué, consommé? », car c’est à travers nos réponses que va découler l’évolution de notre métier le devenir du métier de boulanger.
Je me souviens qu’André-Yves Portnoff nous avait donné un exemple intéressant à Angers lors de notre séminaire du 23 avril 2010. En s’appuyant sur l’entreprise Kodak, il nous montrait que le métier de fabricant de photos a littéralement changé, et en un temps record, lorsque l’ère de l’argentique a été remplacée par celle du numérique. Ce genre d’épisode, qui se multiplie dans de nombreuses entreprises, secteurs ou métiers, est la preuve que la vision et la volonté sont plus déterminantes que les savoirs. Depuis son origine, le métier de boulanger a réussi à s’adapter aux évolutions techniques, à l’industrialisation ou aux différents paramètres sociologiques. Rares, d’ailleurs, sont les métiers qui peuvent se targuer d’une telle longévité. Cependant, nos modes actuelles de consommation ne cessent de changer. Le marché du pain, produit chargé de symboles et de vertus, est en continuelle mutation . Dans le perfectionnement d’un jeune boulanger, nous n’avons donc pas le droit de nous tromper, nous n’avons pas le droit de nous brider, par peur de ce que l’on ne connaît pas ou pour une idéologie infondée.
Aujourd’hui, des équipementiers conçoivent des machines qui arrivent à sortir 10000 baguettes de pain par heure et, qui plus est, de qualité très satisfaisante. pendant qu’un artisan peine à en faire 100. Aujourd’hui, la meunerie invente des farines de plus en plus tolérantes et sécurisées pour aider la phase de transformation en pain exécutée ensuite par des boulangers, devenus parfois de simples opérateurs. Les industriels développent de plus en plus de produits, qu’ils doivent introduire sur des lignes automatisées en associant rapidité, quantité et qualité pour rester compétitifs et conquérants. Le métier de boulanger peut donc trouver toute sa place dans ces différents exemples dans ces différentes configurations.
Demain, le boulanger devra donc savoir s’extraire progressivement de la production pour aller sur la conception des équipements ou l’élaboration de nouvelles matières premières. Mieux que de rester un excellent technicien, il devra approfondir ses connaissances et ses compétences pour mieux créer et utiliser des matériels, pour mieux choisir des additifs et pour mieux gérer des process de fabrication. S’il veut pouvoir occuper des fonctions dans la formulation de produits en meunerie ou dans a la recherche et le développement en industrie, il va devoir posséder de solides connaissances technologiques, maîtriser des techniques de gestion de projet, mettre au point de nouveaux produits, rédiger des rapports techniques, analyser des résultats, gérer des logistiques de compositions d’assemblage, collaborer en réseau (filière) et maîtriser l’anglais. » devra savoir comprendre
et travailler avec des ingénieurs-qualité, des médecins nutritionnistes ou des directeurs marketing.
Si cette liste non exhaustive de compétences ne doit pas remplacer les facultés du boulanger à gérer une panification … elle doit les compléter. Être boulanger dans ce XXle siècle ne doit donc pas se limiter aux seules phases de fabrication de pain. Ce serait un frein à l’émancipation de l’homme de métier. À côté de ces savoir-faire de base, fondamentaux, qui sont un ancrage important au départ, gravite une multitude de fonctions auxquelles un boulanger peut prétendre. Il faut juste qu’il ait les compétences nécessaires. Le métier de boulanger fait partie des « métiers de transformation» dans lesquels il sera essentiel de professionnaliser les salariés. C’est un métier amené à se renouveler. Il sera donc obligatoire de rester attractif et de favoriser la mobilité du personnel qui le constitue.
Sous l’impulsion du Collège des Métiers des Compagnons du Devoir et du projet de « Grande École des Hommes de Métier en Compagnonnage », nous avons choisi de rédiger un référentiel, de niveau « licence », en collaboration avec le CNAM. Le but de ce diplôme de niveau Il (bac +3) sera justement de transmettre, d’enseigner les compétences requises pour atteindre des fonctions de responsable R&D, de laborantin, de consultant ou de formateur professionnel.
Notre première étape visible sera notre orientation vers le« bac pro» en apprentissage. Notre CFA de Nîmes a déjà débuté en septembre dernier. Bordeaux, Reims, Strasbourg et Tours devraient logiquement suivre cette dynamique dès 2011. Notre formation initiale ne conduira plus vers le seul CAP que nous connaissons tous. Cette initiative nous permettra de recruter autrement. Nous serons plus attrayants. Nous serons en mesure d’apporter davantage de polyvalence (avec également des compétences non négligeables en pâtisserie traditionnelle et un socle de connaissances générales plus vastes et plus solides. Ce diplôme de l’Éducation Nationale facilitera également l’employabilité multisectorielle. Nous passerons de 2 ans à 3 ans d’apprentissage avec une 3e année où nous consacrerons une place importante à la découverte des différents emplois qui gravitent autour de notre métier des différentes fonctions auxquelles peut prétendre un boulanger qualifié.
À l’issue de ce « bac pro », nous aurons un public qui se dirigera naturellement vers le Brevet de maîtrise pour se construire dans le secteur artisanal (responsable de production, chef d’entreprise…) et un autre public qui s’orientera vers la licence afin d’acquérir les compétences nécessaires pour tenir des postes de cadre en meunerie, en industrie ou dans la grande distribution en France comme sur le marché international. L’objectif est de parvenir en 2015 à équilibrer proportionnellement les deux publics qui se perfectionneront dans la diversité et l’inter-métier. Le Tour de France se construira ainsi avec des itinérants boulangers qui auront des parcours et des projets très divergents entre eux. Pour progresser et s’enrichir, ils s’appuieront mutuellement et utilement. Il ne sera pas rare de voir des jeunes qui sortent de l’INBP ou de l’ENSMIC venir se perfectionner chez nous, en compagnie d’autres jeunes sortis de l’école en fin de 3e. Cela va modifier considérablement notre approche auprès des jeunes, notre placement en entreprise. Cela va être un extraordinaire défi. En effet, il serait dommage et irresponsable de laisser l’ensemble de nos boulangers se contenter de la simple fabrication d’un produit aussi noble soit-il. Ce serait une erreur qui nous emporterait progressivement vers une possible autodestruction. En effet, la mécanisation puissante qui s’opère actuellement nous enlève petit à petit ce contact avec la matière. Il faut donc nécessairement que certains d’entre nous sortent de cette matière, de cette partie productive que la machine arrive correctement à assurer. Il faut progressivement que ces boulangers de métier se dirigent vers la conception. L’objectif ne sera pas d’emmener tous nos itinérants boulangers vers cette licence, mais d’emmener chacun au maximum de ses possibilités. Le Compagnonnage a toujours défendu l’intelligence opérative.
Cette évolution du métier lui impose de rester fidèle à cette dynamique. Dans cette orientation, les fondamentaux du Compagnonnage sont ainsi pleinement respectés. Pour que nos boulangers puissent alors « se réaliser dans et à travers leur métier », ils auront la possibilité de s’écarter de plus en plus de leurs fournils et de la productivité. Ils devront compenser ce progressif détachement par des connaissances plus approfondies dans la biologie et la robotique. Ils devront donc consolider leur niveau de culture générale, devenir bilingue, passer des diplômes de formation supérieure, voyager dans différents secteurs d’activités afin d’élargir leur champ de compétences.
S’il est indispensable que nos boulangers sachent toujours réaliser une gamme variée de baguettes de tradition française, de croissants et de pains spéciaux divers, il faudra très vite orienter la plupart d’entre eux vers des domaines de compétences autres que techniques. C’est déterminant de ne pas les enfermer dans les seules phases de production, reproduction et répétition permanente. Il sera important de les extraire petit à petit du fournil de fabrication car ce n’est pas leur rendre service que de les laisser exclusivement à l’intérieur que leur perfectionnement se limite à cet environnement. En agissant ainsi, on a plutôt tendance à penser aux besoins (ou à la rentabilité) des entreprises où ils exercent plutôt qu’à leurs véritables besoins. Il faut que nous changions nos habitudes et nos pratiques. C’est la clé de notre réussite. Il faudra que nous soyons capables d’aller dans des domaines que nos Compagnons ne maîtrisent pas ne connaissent pas. Il faudra que nous soyons capables d’aller à la rencontre d’écoles supérieures et d’entreprises multinationales. Il faudra que nous soyons capables d ‘accompagner notre jeunesse vers des projets professionnels ambitieux et innovants. Il faudra que nous soyons capables de nous positionner sur toute la planète, sans complexe et sans jugement.
Vous comprenez donc bien que si les Compagnons Boulangers du Devoir ont souhaité s’orienter vers la formation supérieure et cette licence avec le CNAM, ce n’est ni pour faire une course à d’inutiles diplômes, ni d’ailleurs parce que c’est indispensable aujourd’hui mais surtout parce que, dans 5 ou 10 ans, il serait très regrettable d’avoir raté cette formidable opportunité de ne pas avoir bougé pour des observations restrictives ou de dangereuses certitudes. Nous ne devons surtout pas faire partie de ceux qui diront: « Eh bien, si j’avais su ! ». Nous ne devons surtout pas faire partie de ceux qui subiront l’évolution pour n’avoir pas voulu la voir, l’anticiper.
Nous ne devons surtout pas faire partie de ceux qui refuseront à une jeunesse motivée d’apprendre un métier autrement et plus intellectualisé. Il est préférable de voir son métier se « licencier» grâce à un apport de compétences plutôt que de voir des hommes de métier se « faire licencier» à cause d’un manque de compétences. L’étymologie du nom Compagnon vient de « Cum Panis » qui signifie « partager le pain avec ». Dans son XXle siècle en mouvement, le Compagnon Boulanger devra donc savoir partager ses connaissances avec d’autres, échanger avec sa filière « blé-farine-pain ». Il faudra qu’il se forme tout au long de sa vie. Il devra se réaliser dans un esprit d’ouverture et de partage. C’est un beau challenge pour des hommes qui se considèrent, depuis la nuit des temps, comme d’infatigables « voyageurs ». L’humanité n’est pas prête à troquer son pain pour un autre produit de consommation courante.
J’espère aussi que, de votre côté, vous continuerez à manger du pain. En agissant ainsi, vous contribuez un peu à la pérennisation de notre métier. Mais je suis bien plus optimiste qu’inquiet. Le boulanger a été, est et sera. Les seuls paramètres qui vont changer feront que le boulanger « licencié» pourra plus facilement quitter son fournil pour intégrer un laboratoire d’analyses ou de R&D, quitter son pantalon pied de poule et son tablier pour une blouse ou un costume, quitter son petit village ou son environnement urbain pour exercer partout sur la planète. Les Compagnons du Devoir ont eu raison d’être avant-gardistes en affirmant leur orientation dans la formation supérieure. Il y a du pain sur la planche … mais nous sommes en train de construire un formidable investissement pour notre avenir.
Le responsable de l’institut des métiers du goût de l’Association ouvrière des compagnons du devoir.
Des deux mains du boulanger… A la mort du compagnon boulanger. le 31/12/2010
Par Laurent Bonneau C.B.D.D. en réaction à l’article diffusé dans le Journal « Compagnon du devoir » Numéro 191 Novembre 2010 De la page 11 à 14. Par L’institut des métiers du goût de l’Association ouvrière des compagnons du devoir.
Cet article prône et encense les autres débouchés du secteur de la boulangerie, alors que nous devrions faire le contraire, nous concentrer uniquement à l’artisanat et sur sa promotion car c’est le maître mot de notre métier, notre identité de reconnaissance. Il prône l’ouverture vers ces autres débouchés qui envient notre part de marché et qui oeuvrent dans un seul but, le grignoter.
A quoi servent les promotions du produit, du métier et du compagnonnage si nous participons à la disparition du savoir faire artisanal, du plaisir du goût pour laisser place à une indifférence face au produit et au métier ?
Quelle sera de l’image du compagnon boulanger s’il s’intègre dans un système industriel où un capital anonyme gère un outil de production d’où disparaît toute personnalité au profit d’une fabrication standard mécanisée et où l’homme n’est que le servant de la machine et de ses procédures.
Travailler le bon goût du pain, avec des farines de qualité, façonner par des Mains habiles qu’aucune machine ne pourra jamais remplacer, cuire sous une surveillance de tous les moments. Fabriquer de ses mains avec amour et passion. Porter toute son Intelligence et son savoir dans une création personnelle et unique, faire passer l’ART de faire avant le plaisir de Thésauriser sont les Lois essentielles de l’Homme artisan boulanger.
Le siècle dernier notre métier est complètement transformé par l’utilisation de machines. Cela a commencé par seconder le boulanger pour progressivement finir par effectuer l’ensemble des opérations de panification : pétrissage, pesée, division et façonnage de la pâte. Cette mécanisation fut nécessaire et incontournable toutefois, restant réticent à tout procédé qui rompt radicalement avec l’art ancestral de faire le pain, l’artisan à réagit pour revenir à des produits authentiques comme par exemple la baguette de tradition.
L’appel à la tradition était le moyen de relancer la consommation de pain, sauver son savoir faire, mais surtout une façon de se réhabiliter auprès de la population.
Concilier modernité et tradition en adoptant tour à tour les techniques modernes et les pratiques ancestrales en matière de panification, voilà le défit que l’artisan à relevé. Le retour aux sources essentielles du métier de l’artisan a payé ses 20 dernières années.
Ses concurrents ont tentés de copier cette orientation. Par exemple, Carrefour a lancé » la boule Bio » fermentée au levain et fabriquée avec de la farine de meule et du sel de Guérande. Dans les Fournil de Pierre, les clients peuvent lire : » Pour garantir leur qualité et leur fraîcheur, tous nos pains spéciaux sont fabriqués chaque nuit par notre équipe de boulangers professionnels, à partir de farines et de levains de tradition spécialement sélectionnés, pétris, façonnés à la main et cuits dans nos fours selon les plus anciennes recettes de notre métier. »
Pourtant Carrefour abandonne peu à peu sa production sur place, les fournils de pierre disparaissent et les terminaux de cuisson sont beaucoup moins dangereux, les consommateurs font la différence quand ils rencontrent chez l’artisan le bon produit, le bon exemple. Ce qui explique que la boulangerie artisanale occupe encore en 2011, les 3/4 du marché.
Donner un service et une qualité constante, éduquer le goût des consommateurs, les conseiller dans leur consommation, innover dans sa manière d’être et surprendre ainsi ses clients les plus fidèles, en une phrase, créer une véritable histoire d’Amour entre lui et l’artisan.
Ne vous méprenez pas, vous ne lisez pas un artisan qui fait du prosélytisme, vous lisez une démonstration de marketing qui a fait ses preuves et reflète le profond désir, réel ou latent, de bon nombre de consommateurs.
Cette ouverture tant désiré est une grosse erreur, l’expérience de pâtisserie en GMS ou de la cuisine moléculaire le montre bien, le produit n’est rien s’il n’est pas le fruit de la pensée, de l’esprit, de la passion et de la main de l’homme.
Comparer l’évolution de l’entreprise Kodak avec celle de notre métier est un non sens, notre métier n’est pas basé sur une technologie mais sur un savoir faire. Chaque métier a besoin de critères de reconnaissance, son noyau de compétences qui puisse lui accorder un caractère unique, comme l’écris si bien ce compagnon, le caractère unique du boulanger est justement notre artisanat spécifique, l’art ancestral de faire du pain. Il nous dit, que peu importe le fait que ce soit les mains d’un homme ou un système automatisé qui l’aient fabriqué, tant qu’il y aura du pain, il y aura des boulangers et donc, par évidence, des Compagnons Boulangers du Devoir, Il nous dit d’apprendre notre métier autrement et plus intellectualisé, ceci sont de beaux exemples de ce qu’il pense de notre métier, notre avenir serait de quitter son fournil pour intégrer un laboratoire d’analyses ou de R&D, quitter son petit village ou son environnement urbain pour exercer partout sur la planète, ce compagnon devrait se replonger dans l’état d’Esprit qu’il avait lorsque il a débuté son métier, remettre son pantalon pied de poule et son tablier pour atterrir et avoir ainsi les pieds sur terre.
Aujourd’hui, la situation est celle-ci, on voit de plus en plus de soi-disant artisans employer des produits semi-finis, surgelés, prêts à cuire, quelquefois prêts à servir et à vendre… 3 croissants sur 10 consommés aujourd’hui en France émanent d’un façonnage manuel, cette menace vient directement des autres secteurs et acteurs de la filières de notre métier, ceux vers qui, ce compagnon voudrait que l’on se dirige, avoir ce comportement, c’est faire fi de tout un passé, des connaissances inculqués au fil des années, c’est manquer de respect envers nos anciens, envers les consommateurs et surtout envers soi-même, c’est perdre son identité et sa responsabilité, c’est aussi perdre son savoir-faire, ses convictions, son professionnalisme, bref, c’est scier la branche sur laquelle on est assis.
Arrêtons le massacre, soyons responsables et jetons au panier toutes ces idées soit disant avant gardiste qui ne sont en réalité que de l’opportunisme.
Notre priorité doit être la sauvegarde de notre savoir-faire en formant des hommes passionnés par leur métier qui devenu artisan pourront retransmettre ce savoir-faire, les Compagnons Boulangers du Devoir retrouveraient ainsi un noble et beau enjeu à relevé.
Comparer l’art de faire du pain à l’art de faire du vin, voilà une bonne comparaison, cet enjeu doit être de valoriser le pain à hauteur du vin. Les Meunier, Kayser, Michalak, Hermé, Poilâne, Viennet, les MOF et les Ambassadeurs du pain sont là aussi pour nous montrer la voie de l’excellence et du respect de notre savoir faire artisanal aux côtés de tous les artisans de France.
Si nous laissons faire, cela ira très très vite, le bilan de la perte du savoir faire signera la mort de notre métier artisanal comme bien d’autres métiers disparus aujourd’hui et donc, par évidence, notre corporation.
En son temps, M. Paquet, le regretté président de la Confédération française de la Boulangerie, terminait un éditorial par cette vérité:
» II n’y a pas trente-six formes de Boulangeries, le boulanger est un artisan. »
Un bon nombre d’artisans abonnés au journal des compagnons m’ont appelés pour me faire part de leur indignation face à cet article.
Après avoir lu cet article dans le journal du compagnonnage, nous seulement je suis surpris par de tels écris dans ce mensuel si sérieux qui prône le compagnonnage et les valeurs du travail manuel bien fait, mais j’ai surtout Honte.
Honte de lire une telle vision du métier proposée aux jeunes, honte de voir se creuser la tombe de notre profession, honte d’être représenté par cet vision venant de ce compagnon responsable de l’institut du goût et du devenir de nos métiers et enfin honte de voir que l’on se sert de son Métier pour vivre, alors que l’on doit vivre pour servir son métier.
Je considère cette vision de notre beau métier, déconnectée et ignorante du terrain, de la réalité du monde artisanal actuel.
Ceci n’engage que moi, étant Compagnon Boulanger du Devoir et Artisan, je me dois d’être fidèle aux lois de la probité artisanale, pour préserver et promouvoir mon métier en toutes circonstances, professionnelles, commerciales, compagnonniques et privées.
C’est ce que j’ai toujours fait, comme par exemple sur mon site boulangerieNet, depuis 14 ans, en transmettant mes convictions avec beaucoup de succès, motivé par le respect de mon métier et l’âme artisanale.
Et pour finir, un autre titre s’impose, L’avenir du boulanger, c’est deux mains.
Laurent Bonneau C.B.D.D.
Normand la Fidélité.