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Le Pain des Compagnons vu par Kilien STENGEL Un an et demi après sa publication, Le Pain des Compagnons fait toujours l’actualité ! Merci à Kilien STENGEL pour ces lignes.
Chacun dans son rôle, le boulanger fait son pain, le pâtissier travaille la pâte, l’apprenti appréhende, le maitre transmet, la mère couve, et le compagnon accompagne, mais Laurent Bourcier est allé au-delà du travail du boulanger, au-delà du travail de l’historien, il a su archiver, analyser, anticiper, interpréter et définir des objets attachés à la boulangerie compagnonnique. Chaque professionnel, dans ses pratiques quotidiennes, dispose de ses propres définitions, de ses propres schémas techniques. Mais dès qu’il s’agit de construire une approche convergente, par exemple sous forme d’une recherche pluridisciplinaire, cette diversité de connaissances et des représentations peut être un écueil si un travail préparatoire n’est pas fait. C’est toute l’ambition de cet ouvrage qui tente de mettre en miroir les acceptions multiples du compagnonnage de la boulangerie.
Lorsqu’on parle du pain, le partage n’est jamais bien loin. En effet, sans refaire l’étude de l’étymologie du mot « co-pain » et de ses sens multiples, en croisant les sujets annexes au pain (largement développés dans ce livre), on peut affirmer aujourd’hui que le pain est profondément ancré dans le paysage culturel. Ce paysage est avant tout patrimonial c’est-à-dire qu’il est né, non pas seulement d’une préoccupation de sa technique marquée par l’omniprésence de la nécessité de se nourrir dans l’histoire de l’humanité, mais aussi et surtout par l’incarnation des hommes qui font le pain, par leur identité et par leur histoire individuelle ou communautaire.
Dans cet ouvrage, Laurent Bourcier a souhaité questionner la notion de boulangerie par une entrée, celle du compagnonnage. En effet, le compagnonnage est depuis ses origines l’un des vecteurs pour étudier et transmettre la représentation qualitative d’un produit, d’un geste, d’un savoir-faire, à travers des fondements patrimoniaux, naturels et culturels.
Toutes ces innombrables informations, tirées de la valeur travail de l’historien Picard la fidélité, constituent un imaginaire qualitatif du pain. Elles influencent les lecteurs car elles correspondent et répondent à une promesse faite aux consommateurs. Ces pages influencent la perception du consommateur par le storytelling de cette profession, comme par le discours technique qui sert en effet de gage de qualité.
L’ambition de cet ouvrage est de faire tomber les barrières d’une profession trop discrète aux yeux des médias, en s’intéressant particulièrement à deux dimensions de la valorisation du patrimoine boulanger et de son aspect culturel : la place que peut prendre une définition croisée du pain dans la conservation et l’enrichissement de son capital culturel ; l’impact et la réussite de sa diffusion auprès de ceux qui ne maîtrisent pas la complexité de ce produit. Laurent Bourcier nous propose donc ici une réécriture des images, perceptions, paradigmes et représentations techniques et culturels dont le pain profite.
Le pain est assurément un produit de références qui permet de repérer les « moments de partage ». Son paradigme est tel que le boulanger ne maîtrise pas l’élasticité du phénomène. Mais le pain reste également une valeur incontrôlable et non protégeable, car les nombreux discours autour de la « bonne » technique boulangère permettent une position avantageuse pour le pain qui affiche voire garantit et crée ainsi un paradigme qualitatif libre. Une liberté d’expression de la qualité du pain que l’on retrouve derrière chaque compétence technique, derrière chaque professionnel de cette filière, derrière chaque identité de boulanger. C’est là où le rôle de la transmission compagnonnique apporte une garantie complémentaire.
Kilien STENGEL
Enseignant-chercheur en sciences de la communication, Université de Tours,
Membre de l’Académie nationale de cuisine et des Disciples d’Auguste Escoffier.
