Règlement de 1862

À son arrivée chez la Mère, le compagnon, après les reconnaissances et les bienvenues d’usage, doit lire et accepter le règlement en vigueur, accroché sur l’un des murs du bistrot ou de la salle à manger.

Ces règlements sont de belles pièces d’art populaire, généralement réalisées par un compagnon et ont l’avantage, pour les historiens, de représenter, par leurs contenus, l’état d’esprit du moment.

Nous ne possédons pas d’éléments qui nous permettent de définir la période d’apparition de ces règlements, mais nous pouvons supposer qu’ils étaient utilisés, avant la naissance des compagnons boulangers, par les sociétaires qui les avaient précédés.

Sur les sept règlements de compagnons boulangers du Devoir que nous connaissons aujourd’hui, six sont en très bon état, ce sont ceux des Cayennes de Saumur, Tours, Troyes, La Rochelle et des villes de 2ᵉ ordre, Fontenay-le-Comte et Cognac, un septième règlement, celui de la Cayenne de Nîmes, est en très mauvais état, bien qu’il soit conservé sous-verre.

RÈGLEMENT DE LA CAYENNE DE TROYES, 1862
(Centre de la Mémoire des compagnons du Devoir, Angers)
Chapeau bas
Honneur au brillant devoir ! Respect au Père et à la Mère U.F. & S.

Art. 1 – Tout compagnon ou aspirant qui entrera chez la Mère sans lever son chapeau ou sans saluer la société sera à l’amende d’une bouteille de vin rouge (toutes les amendes en vin seront en vin rouge).

Art. 2 – Tout ouvrier boulanger qui entrera chez la Mère et, après en être averti, ne lève pas son chapeau ou ne salue pas la société, sera à l’amende d’une bouteille de vin. S’il ne voulait pas se conformer au règlement, il serait invité à se retirer pour éviter la désunion.

Art. 3 – Tout compagnon ou aspirant, qui étant chez la Mère, dormira sur la table, sera à l’amende d’une bouteille de vin.

Art. 4 – Tout compagnon ou aspirant qui fumera lorsqu’on chantera une chanson de compagnonnage sera à l’amende d’une bouteille de vin.

Art. 5 – Tout compagnon ou aspirant qui allumerait son tabac ou qui prendrait du feu à la chandelle sans s’excuser sera à l’amende d’une bouteille de vin.

Art. 6 – Tout compagnon ou aspirant qui boira du vin d’amende sans être debout, sans lever sa coiffure ou qui ne dirait pas « À la santé de l’amende et de celui qui la paye », sera à l’amende d’une bouteille de vin ; en cas de récidive, il sera à l’amende de 20 centimes au profit de la caisse.

Art. 7 – Tout compagnon ou aspirant qui recevra du vin d’amende dans son verre et qui mangera, sera à l’amende d’une bouteille de vin.

Art. 8 -Tout compagnon ou aspirant qui trinquerait avec celui qui est à l’amende, tenant son verre à la main et ne touchant plus la table, sera à l’amende d’une bouteille de vin.

Art. 9 – Tout compagnon ou aspirant qui recevra du vin d’amende tenant son verre à la main sera à l’amende d’une bouteille de vin.

Art. 10 – Tout compagnon ou aspirant qui fumerait ayant du vin d’amende dans son verre, sera à l’amende de 50 centimes au profit de la caisse ; si c’était un ouvrier étranger à la société, il sera à l’amende d’une bouteille de vin.

Art. 11 – Tout compagnon ou aspirant qui étant chez la Mère chanterait des chansons obscènes, sera à l’amende de 50 centimes au profit de la caisse ; si c’est un ouvrier étranger, il sera à l’amende d’une bouteille de vin.

Art. 12 – Tout compagnon ou aspirant qui parlerait pendant qu’on chante une chanson de compagnonnage ou qui interromprait la chanson ou qui reprendrait le chanteur, sera à l’amende d’une bouteille de vin.

Art. 13 – Tout compagnon ou aspirant qui boira du vin d’amende en deux fois, ou qui en laisserait plus de cinq gouttes dans son verre, sera à l’amende d’une bouteille de vin.

Art. 14 – Tout compagnon ou aspirant qui, étant à l’amende, ne verserait plus du vin à tous ceux qui en désireraient, sera à l’amende, une seconde fois, d’une bouteille de vin.

Art. 15 – Tout compagnon ou aspirant qui appellera la Mère, le Père ou leurs enfants, ou les gens à leur service par d’autres noms que Père, Mère, Frères, Sœurs, sera à l’amende d’une bouteille de vin.

Art. 16 – Tous compagnons ou aspirants qui se nommeront par d’autres noms que ceux de compagnons, de Pays ou de province, seront à l’amende d’une bouteille de vin.

Art. 17 – Si la Mère, le Père, leurs enfants ou gens à leur service appelaient chez eux un compagnon ou aspirant par d’autres noms que ceux de compagnons de Pays ou de province, ils seraient à l’amende d’une bouteille de vin.

Art. 18 – Tout compagnon qui tutoiera un aspirant ou un participant à la société, sera à l’amende d’une bouteille de vin.

Art. 19 – Tout aspirant qui tutoiera un compagnon ou un participant à la société, sera à l’amende d’une bouteille de vin.

Art. 20 – Tout compagnon, aspirant ou ouvrier boulanger qui viendrait chez la Mère après quatre heures du soir sans veste ou sans cravate, avec son tablier, ou ayant de la pâte aux mains ou sur n’importe quelle partie du corps ou de ses vêtements, ou n’ayant pas la figure propre, sera à l’amende d’une bouteille de vin.

Art. 21 – Tout compagnon ou aspirant qui prendra son repas chez la Mère sans se laver les mains, sera à l’amende d’une bouteille de vin.

Art. 22 – Tout compagnon ou aspirant qui s’amuserait à dégrader les tables, qui monterait ou s’assoirait dessus ou qui ferait des ordures, sera à l’amende d’une bouteille de vin et sera tenu de payer le dégât qu’il aura fait.

Art. 23 – Tous compagnons, aspirants ou ouvriers boulangers qui, après en être avertis, feront des jeux de mains, se lutteraient ou feraient des tours de force ou des gestes indécents, seront chacun à l’amende d’une bouteille de vin et en cas de récidive, ils seront tenus de sortir. S’ils s’y refusaient, ils seraient chacun à l’amende de 3 francs au profit des malheureux. L’amende serait versée à la caisse, à l’assemblée du mois courant.

Art. 24 – Tous compagnons ou aspirants qui se décoifferont entre eux sans s’excuser, seront à l’amende d’une bouteille de vin.

Art. 25 – Tout compagnon ou aspirant qui chanterait ou ferait du tapage dans des lieux défendus par la Mère et reconnus par le premier compagnon, sera à l’amende d’une bouteille de vin.

Art. 26 – Tout compagnon ou aspirant qui sera requis par la société pour une conduite, y viendrait sans chapeau, sera à l’amende d’une bouteille de vin et, s’il y manqua, à 3 francs au profit des malheureux.

Art. 27 – Tout compagnon ou aspirant qui sifflerait ou qui prendrait du vin d’amende dans le verre d’un autre sera à l’amende d’une bouteille de vin.

Art. 28 – Tout compagnon ou aspirant qui se permettrait de poser sa coiffure sur les tables sera à l’amende d’une bouteille de vin.

Art. 29 – Tous compagnons ou aspirants qui se querelleraient ou se disputeraient chez la Mère, seront à l’amende d’une bouteille de vin et si des coups étaient portés, ils seraient jugés par la société.

Art. 30 – Tout compagnon ou aspirant qui se permettrait de jurer ou de blasphémer le saint nom de Dieu, sera à l’amende d’une bouteille de vin.

Art. 31 – Tout compagnon ou aspirant qui ferait des choses contre la bienséance sera à l’amende d’une bouteille de vin.

Art. 32 – Tout aspirant ou participant à la société qui se permettrait de toucher les cannes des compagnons (excepté par le bout) sera à l’amende de 50 centimes pour les aspirants et d’une bouteille de vin pour les participants.

Art. 33 – Tout compagnon ou aspirant qui refuserait d’aller travailler quand le rouleur le commandera, sera à l’amende de 5 francs, au profit des malheureux.

Art. 34 – Tout compagnon ou aspirant qui ne se rendra pas à son travail à l’heure ordinaire ou que des plaintes seraient portées par son maître, sera à l’amende de 3 francs au profit des malheureux.

Art. 35 – Tout compagnon ou aspirant qui sera malade devra aller à l’hôpital s’il veut que la société lui paye une indemnité qui est fixée à 50 centimes par jour pendant toute sa maladie, à moins toutefois que ce ne soit une maladie secrète, dans ce cas, il n’aurait droit à aucune indemnité.

Art. 36 – Tout compagnon ou aspirant qui, dans une batterie pour le soutien de la société, recevrait de mauvais coups et qu’il ne veuille pas aller à l’hôpital, les visites du médecin lui seront payées. S’il va en prison, la société lui paiera son avocat et 50 centimes par jour à partir du jour du jugement.

Art. 37 – Tout compagnon ou aspirant qui serait l’agresseur dans une batterie avec un autre corps d’état et qu’il soit blessé ou puni de prison, ne recevra aucune indemnité de la société.

Art. 38 – Tout compagnon ou aspirant qui se refuserait à suivre en tous points ce règlement, sera puni de 5 francs d’amende ou expulsé de la société.

Le 19 juin 1862

Ces règlements en vigueur à cette époque sont tous assez semblables, à l’exception de celui de la Cayenne de Tours où l’amende ne se paye pas en bouteilles de vin, mais en espèces sonnantes et trébuchantes.

Autres points particuliers du règlement de Tours, il est le seul à punir pour fréquentation de maisons closes et promenade avec des prostituées.
Nous observons dans ce règlement de Troyes de 1862, deux nouveaux articles qui n’apparaissent dans aucun autre règlement antérieur : Art.36 et Art.37. Ce règlement mis en place deux ans après la première reconnaissance de 1860, les rixes ne sont plus cautionnées.

Il est impossible de connaître la fréquence de ces punitions, mais une chose est certaine, étant donné l’odeur, la couleur et le goût de l’amende, nous pouvons être certains qu’au moindre faux pas, il devait toujours y avoir un témoin assoiffé pour vous informer de votre non-respect du règlement !

 

Extrait du livre « Le pain des Compagnons » L’histoires des compagnons boulangers et pâtissiers

Laurent Bourcier, Picard la Fidélité, C.P.R.F.A.D.

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