L’église Saint Julien à Tours.
Le Compagnon boulanger du Devoir, JOURNOLLEAU, Rochelais l’Enfant Cheri, dans la brochure biographique sur la Mère Jacob nous dit :
« …Depuis la mort de son mari (en 1846), Madame Jacob a du naturellement se resigner a son sort, et, comme nous connaissons son courage a toute epreuve, elle continua son commerce comme elle le faisait ulterieurement ; c’est a dire qu’a l’egard de ceux qui l’honoraient de leur confiance, elle fut toujours complaisante et bonne.
Elle vivait donc, entouree de sa famille, de cette vie paisible et douce qui, apres les tribulations sans nombre qu’elle avait eprouvees, venait si bien sympathiser avec ses gouts.
Cependant , nous la voyons vieillir graduellement, et pourtant elle etait heureuse, heureux de ce bonheur qui nous transporte dans les regions de la felicite ; car, son amour pour sa famille, comme pour ses enfants d’adoption, faisait ses plus cheres delices.
Ainsi, dans l’espoir d’un meilleur avenir pour ceux qui devaient lui survivre, elle ne cessait de faire tous les jours de voeux pour l’accomplissement de ces vastes et fraternels projets ; projets d’amour et de concorde qu’elle revait depuis si longtemps, et qui n’ont pu se realiser de son vivant, puisque la mort est venue la surprendre au millieu de ces premeditations sans nombre qu’elle avait idealement entreprises.
Deja, depuis quelques temps, elle souffrait d’un mal interieur qui n’etait pas sans lui caiser de serieuses inquietudes ; car bien que courageuse et forte, Madame Jacob n’en etait pas moins dans sa soixante huitieme annee. Ainsi, son age, le travail qu’elle avait pu faire et, joint a cela, les frequentes tribulations qu’elle eprouva dans sa vie, tout ceci reuni ne pouvait manquer d’alterer sa sante et de lui causer de funestes ravages.
Ce fut donc le 24 septembre 1863, que cette femme, que le tour de France regrette et regrettera toujours, que cette femme pure et vertueuse entre toutes, paya a la nature cette dette sacree dont, en naissant, nous nous trouvons debiteurs.
Ses derniers moments furent bien sensibles aux temoins de sa fin penible et douloureuse ; car entouree de sa famille eploree et de quelques-uns des membres de cette societe qu’elle aimait tant, cette femme courageuse jusque dans le rale de l’agonie, retrouva assez de force pour dire un eternel adieu a tout ce qu’elle avait aime en ce monde, et qu’elle voyait pour la derniere fois.
C’est alors , prise d’une surexcitation nerveuse, elle voulut dire encore quelques paroles qu’il lui fut impossible de prononcer : sa langue, paralysee par le froid de la mort, ne pouvant plus les articuler.
Cependant, apres un retour sur elle meme, elle jeta un dernier regard sur les nombreux temoins de sa cruelle et douloureuse agonie, et sentant , naturellement, la vie prete a lui echapper sans avoir pu communiquer a ses proches le fond de ses pensees, elle se mit a pleurer.
Oh ! que ses douleurs etaient ameres, et que ses larmes renfermaient d’amour et de penibles regrets !…
Cette crise, avec laquelle elle devait finir fut tellement violente, que, cette fois, aneantie par les souffrances atroces qu’elle venait d’epprouver, elle ferma les yeux pour ne plus les reouvrir.
Elle était morte !… »
Les obsèques de la Mère Jacob eurent lieu le 26 septembre 1863 en l’église Saint Julien à Tours, église se situant rue Nationale à coté du Musée du Compagnonnage. Sa tombe se situe au Cimetière La Salle Carre 46, F259.
Rochelais l’enfant chéri, pour exprimer sa douleur sur ce jour tragique pour les Compagnons boulangers, écrira cette chanson de deuil :
« Notre mère n’est plus »
(Air : le fils vendu)
Prenons le deuil, compagnons de la France
Et que vers Dieu s’exhalent nos soupirs,
Gais ménestrels, qui chantez la romance,
Pour quelques temps suspendez vos plaisirs.
Muse d’amour qui m’enivre et m’inspire,
Viens partager mes regrets superflus,
Car aujourd’hui je chante sur ma lyre,
Des compagnons ma mère qui n’est plus bis
Je vais chanter cette femme si bonne,
Des boulangers Mère depuis longtemps,
Je vais chanter cette aimable personne,
Qui fut toujours fidèle aux devoirants.
Frères chéris de la belle Touraine,
Chacun de vous connaissait ses vertus,
Du tour de France elle était la doyenne,
Chers compagnons notre Mère n’est plus. Bis
Deux fois vingt ans elle fut notre Mère,
C’était pour nous l’ange consolateur,
Du malheureux soulageant la misère,
La charité faisait battre son coeur ;
Doué, enfin, d’un caractère aimable,
De son amour chacun était confus,
Ses qualités la rendaient adorable,
Chers compagnons notre Mère n’est plus. Bis
Combien de fois témoin de son courage,
Nous l’avons vue, puissante déité,
Nous l’avons vue pacifier l’orage
Par ses conseils et son humanité.
Faire le bien était sa seule envie,
Tous noirs défauts chez elle étaient exclus,
Elle a paye sa dette a la patrie,
Chers compagnons notre Mère n’est plus bis
Dans tous les temps elle fut notre intime,
Car son amour nous la faisait chérir ;
Elle est partie en emportant notre estime,
De ses bienfaits gardons le souvenir.
Mère Jacob, qu’ici bas chacun pleure,
Contemple nous du séjour des élus,
Repose en paix dans ta sombre demeure,
Car nous prions pour celle qui n’est plus. Bis
Son souvenir, frères du tour de France,
Laisse en nos coeurs d’ineffables regrets,
Elle aimait tant la paix, la tolérance,
Qu’à son amour je dédis ces couplets.
L’enfant chéri fidèle a sa mémoire,
Dans tous les temps célébra ses vertus.
Nous lui devons place dans notre histoire,
Chers compagnons notre Mère n’est plus. Bis
Il écrira aussi un petit poème, publier dans la brochure biographique sur la Mère Jacob, de 1865 :
« A notre Mère Jacob »
Frères, c’est aujourd’hui que sur mon luth sonore,
Pour l’honneur du Devoir, je viens chanter encore
Je vais en compagnon véridique et confus,
Vous chanter les bienfaits de celle qui n’est plus,
Célébrer ses vertus, son amour, son courage ;
Muse que je chéris, prête-moi ton concours
Pour chanter dignement notre Mère de Tours.
Bonne Mère Jacob, je viens à ta mémoire
Consacrer mes moments, éterniser ta gloire ;
Je viens, gai troubadour, fidèle narrateur,
Publier a loisir les bontés de ton coeur ;
Je dirai a celui qui fait son tour de France
Que tu fus notre guide aux champs de l’Esperance,
Et que par tes conseils et ton humanité
Nous goutions les douceurs de la fraternité ;
Chacun était jaloux de connaitre les charmes,
Car de l’homme afflige tu tarissais les larmes,
Et de ton coeur si bon l’ineffable douceur
Nous transportions d’amour, de joie et de bonheur
Mais puisqu’il faut mourir, telle est la loi divine,
C’est un décret d’en Haut devant qui tout s’incline.
La faux du temps trop tôt a moissonne les jours,
Nos instants de bonheur se sont passes trop courts
Emporte nos regrets, femme que je vénère,
Que la terre où tu gis te soit douce et légère ;
Repose saintement dans ton humble cercueil,
Car les fils du devoir n’oublieront pas ton deuil ;
Ils prieront constamment que ton séjour paisible
Ne soit jamais trouble par l’Aquilon terrible ;
Repose donc en paix du sommeil éternel,
Car pour ton amé juste il existe qu’un ciel.
18 avril 1865
« Ma dernière chanson »
Dédié à maman Jacob
Air : du grenier
Inspirez moi, chastes soeurs du Permesse,
Donnez, donnez à votre nourrisson,
Ah ! Donnez lui toute votre tendresse,
Et, a son luth, votre précieux don.
Je veux chanter celle que l’on vénère,
Pour que nos fils redisent bien souvent :
Maman Jacob fut une bonne Mère,
Et ses enfants l’aimèrent tendrement !
Bords fortunes des rives de la Loire,
Qui possédez ce précieux trésor,
Coulez, coulez vous qui vites sa gloire,
Coulez, coulez pour son bonheur, encore ;
Et que chacun de nous dans sa prière,
Dise, toujours avec recueillement :
Maman Jacob fut une bonne Mère,
Et ses enfants l’aimèrent tendrement !
Salut, salut reine du tour de France !
Vous dont l’esprit su nous encourager,
Vous qui donnez, à la plus tendre enfance,
Le vif désir, l’amour, de voyager.
Aux compagnons, vous serez toujours chère,
Et, a leur fils, ils diront bien souvent :
Maman Jacob fut une bonne Mère,
Et ses enfants l’aimèrent tendrement.
Vous, jeunes gens qui quittez le village,
Si vous aimez les riches souvenirs,
Allez à Tours, c’est un pèlerinage
Que, par devoir, vous devez accomplir.
La vous verrez l’ange que l’on révère,
Et vous pourrez dire, sur vos vieux ans :
Maman Jacob fut une bonne Mère,
Et ses enfants l’aimèrent tendrement.
Maman Jacob, accueillez, pour hommage
De votre fils la dernière chanson ;
De son amour elle sera le gage ;
Ce sont les derniers voeux du compagnon.
Qui, dans ses chants d’amour et d’espérances,
Voudrait toujours ennoblir l’atelier
Et aplanir, du riant tour de France,
Le rocailleux chemin de l’ouvrier !
Libourne le Décidé
A suivre…
Laurent Bourcier, Picard la Fidélité, C.P.R.F.A.D.