Les galettes de Sarrasin

Entre la Chandeleur et le Mardi-Gras, revoilà le temps des crêpes et des galettes ! En fait, il n’y a pas de moments pour savourer les unes et les autres, comme l’a bien fait comprendre en 1906 le poète cantalien Etienne MARCENAC, avec son poème sur les galettes de sarrasin.

« A Henry FOURNET, secrétaire de la « Soupe aux choux d’Auvergne »
LES GALETTES DE SARRASIN
Ah ! comme elles sont croustillantes
Les galettes de mon pays,
Elles remplissent nos logis
De leurs senteurs appétissantes,
Les galettes de sarrasin
Qu’on fait chez nous chaque matin !

« Elles remplissent nos logis / De saveurs appétissantes, / Les galettes de sarrasin… » (carte postale, Bretagne, vers 1900)

Quand elles ne sont que farine,
Revenant de chez les meuniers,
De superbes seins prisonniers
Elles ont la blancheur d’hermine,
les galettes de sarrasin
Qu’on fait chez nous chaque matin !

La « batterie » (battage) du sarrasin en Normandie (carte postale, vers 1900)

 

Si chez nous chaque prolétaire
Peut voir grandir ses chers enfants,
Tous grassouillets et bien portants,
C’est toujours grâce, ô bonne terre !
Aux galettes de sarrasin
Qu’on fait chez nous chaque matin.

« Chaque prolétaire / peut voir grandir ses chers enfants / Tous grassouillets et bien portants, / grâce aux galettes de sarrasin… » (carte postale, vers 1950)

L’été, près d’une eau qui chemine,
Assis en cercle les faucheurs
Et dans les champs les moissonneurs
Font bon accueil et bonne mine
Aux galettes de sarrasin
Qu’on fait chez nous chaque matin.

 

« Les moissonneurs / Font bon accueil et bonne mine / Aux galettes de sarrasin… » (carte postale, Calvados, vers 1900)

Quand revient le temps des cerises,
Alors, c’est un régal nouveau :
Chaque galette est un gâteau
Et les bambins trouvent exquises
Les galettes de sarrasin
Qu’on fait chez nous chaque matin !

« Et les bambins trouvent exquises / Les galettes de sarrasin… » (carte postale, Dol (Ille-et-Vilaine), vers 1900.

Quand vous entendrez à la porte
Psalmodier quelque passant,
Ah ! donnez à ce mendiant !
Que dans sa besace il emporte
La galette de sarrasin
Qu’on fait chez nous chaque matin.

« Ah ! donnez à ce mendiant ! / Que dans sa besace il emporte / La galette de sarrasin… » (carte postale, Bretagne, vers 1900).

Car rappelez-vous, chère mère,
Que vous avez par les chemins
Un fils, peu sûr des lendemains,
Qui dédaigna pour sa chimère
La galette de sarrasin
Qu’on fait chez nous chaque matin !

Etienne MARCENAC,
Membre titulaire.

 

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Etienne MARCENAC rend ici hommage à la galette de sarrasin, délicieux aliment que la Bretagne a quasiment inclus dans son patrimoine alors qu’elle était répandue dans toutes les régions de France où l’on cultivait le « blé noir », le sarrasin, sur des terres pauvres : en Bretagne, bien sûr, mais aussi en Normandie, en Limousin, en Auvergne, en Rouergue ou dans les Pyrénées.

Le poète n’exagère pas quand il vante les qualités de « sa » galette d’Auvergne : associée aux repas quotidiens comme aux fêtes, aliment complet, elle était de bonne qualité nutritionnelle, comme les autres préparations à base de sarrasin, la bouillie et le pain.

Etienne MARCENAC était né à Arnac (Cantal) en 1874. Comme d’autres Auvergnats, il « monta » à Paris à la fin du XIXe siècle. Il intégra la société littéraire et chantante, la « Lice chansonnière », dont nous dirons un mot ci-dessous, et sans doute aussi celle de « La Soupe aux choux d’Auvergne, union artistique et littéraire », fondée en 1880 et au secrétaire de laquelle il dédie son poème.

Il rentra au pays en 1919 et s’installa à Saint-Santin-Cantalès. Il continua à publier des recueils de poèmes et à participer à la vie littéraire de sa région. L’Académie française lui décerna en 1933 le Prix Artigue, récompensant les poèmes qu’il avait publié sous le titre A l’ombre des bouleaux. Il décéda le 19 avril 1956.

Quant à la « Lice chansonnière » dont il était membre, il s’agissait d’une des plus célèbres « goguettes » de Paris. Elle avait été fondée en 1831 par Charles LE PAGE et Emile DEBRAUX s’était associé à sa création, mais il mourut quelque temps avant son ouverture (le même DEBRAUX dont nous avons sur ce site publié le poème Un morceau de pain).

La Lice chansonnière compta de nombreux et brillants auteurs (Gustave NADAUD, Eugène BAILLET, Charles GILLE, Pierre LACHAMBEAUDIE (voir ici son poème La Marchande de gâteaux), Frédéric BÉRAT (l’auteur de Ma Normandie) ou encore Eugène POTTIER (l’auteur de l’Internationale, mais aussi, sur ce site : Ce que dit le pain).

Cette société chantante presque exclusivement masculine de par ses statuts (une seule exception en 136 ans avec la poétesse Elisa FLEURY admise en 1834 !), en butte à la surveillance de la police, dut souvent déménager, mais poursuivit sa route jusqu’à sa dissolution en 1967. Cette académie populaire s’est éteinte dans la discrétion, voire l’oubli, alors qu’elle a été le creuset de chansons encore bien vivantes…

Merci une nouvelle fois à Patrick FONTENEAU, infatigable découvreur de pépites littéraires autour du pain et de la pâtisserie, qui a partagé avec les lecteurs du CREBESC cet insolite poème en hommage aux galettes de sarrasin.

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