Pour comprendre ce retour nécessaire vers les « anciens blés », il faut comprendre ce qu’est devenu la sélection actuelle du blé. En prémices, signalons que le blé est une plante qui par sa physiologie à beaucoup d’aptitudes propres pour se défendre face aux manipulations de la génétique. Puisqu’elle s’auto-féconde dans ± 90 % des cas. Elle ne s’hybridera -croisera- pas facilement. Seul 10 % de blé hybride F1 sont récoltés en France par rapport au 95-99 % d’hybride F1 pour le maïs et les semences potagères.
Évolution des critères d’entrée à l’agréation.
Pendant la guerre 1940-45, s’est instauré un système d’agréation des semences mises sur le marché. Il faut que celles-ci répondent aux critères D.H.S., Distincte (des autres variétés) Homogène (que dans la variété elle se ressemble) et Stable (qu’elles restent avec les mêmes caractéristiques année après année). Adjoint à cela une cotation permettant au blé panifiable d’être 20% moins productif que le blé fourragé, ce que la nature instaure comme elle le fait par exemple pour les poules qui sont soit légères et bonne pondeuse ou riches en chair et procurant une moindre ponte.
De par le fait que pour être acceptée, sur le marché des semences, il faut qu’elle soit supérieur à ce qui existe, le système va inévitablement être discriminant (choisir, c’est renoncer, dit-on) et amplifier de manière pyramidale les choix du départ.
Évolution de la taille des pailles et des racines en fonction de l’agriculture intensive.
Dans la période de l’après-guerre, le blé (et immanquablement l’obtention de nouvelles variétés) s’est adapté à l’intensification des cultures (mécanisation, fertilisation par engrais nitratés et traitement des maladies par pesticides).
Le blé sera sélectionné en devenant plus court sur paille, or la physiologie de la plante blé fait qu’au moins 50% des nutriments du grain viennent de la tige et des feuilles. Si on ne dispose plus que de 60 cm au lieu du 1,60 mètre autrefois, il est fort probable que la teneur en nutriments sera différente.
La plante-blé perdra aussi des facultés à puiser sa nourriture par ses racines (moins de rhysophère et perte de qualité des mycorhizes), d’autant que l’apport de fertilisant azoté sera apporté par des engrais et plus par méthodes culturales utilisant l’assolement et calculant les précédents dans la rotation.
Évolution de la teneur en gluten.
Toujours au niveau sélection des nouvelles semences de blé, on appliquera les évolutions que la science indique comme qualitatif au niveau panification (plus de protéines à haut poids moléculaires et plus riches en acides aminés soufrés). Du coup, un blé certes plus « machinable » qui intéresse en priorité l’industrie.
Celle-ci différant par le froid la cuisson, ayant besoin de plus de répondant (gluten plus tenace, avec plus de gluténines à haut poids moléculaires).
Évolution du marché de la semence.
Depuis les années 1980, les firmes de la chimie et les compagnies pétrolières ont investi le marché des semences afin de rendre les semences dépendantes des produits de protection des récoltes et créer un kit semences/pesticides interdépendant, fidélisant leur clientèle, d’autant que pour un euro de semences, il y a quelques euros de produits dits phyto-pharmaceutiques.
Depuis la fin du siècle précédant, un important regroupement des entreprises semencières à créer des multinationales qui imposent leurs vues sur le marché et les lois qui entourent celui-ci.
Avec ses évolutions du marché et face à cette perte de biodiversité, il devient plus compréhensible que la démarche vers d’anciens blés locaux n’ayant pas vécu ses assujettissements des lobbys allant vers une rentabilité outrancière, va devenir une demande qui devient porteuse en termes de marché plus équitable.
Du coup, on va les appeler « blés anciens » sans trop les définir en termes de cahiers de charges, mais plutôt en termes de mode de marché dit local, de proximité, à taille humaine, avec transparence, respectant les agriculteurs.
Cela va également se démarquer des farines recevant des adjuvants texturants et paramétrée aujourd’hui avec des enzymes à la meunerie en fonction de rendre ces farines certes infaillibles, mais standardisées.
Sortir de cette voie n’ira pas sans exigences de connaissances techniques supérieures pour maitriser ces moutures pures sans ajout par des procédés de panifications naturelles (levain naturel, autolyse, pré-fermentation à faible ensemencement, levure, pétrissage à faible intensité suppléé de rabats, etc.)
Cela conduit aussi à une reprise de contact direct entre les céréaliculteurs qui parfois à travers les GAL (Groupement d’Action Locale) ou d’autres mouvements agricoles souvent bio (MAP, FUGEA, UNAB) cherchent à sortir du marché qui ne valorisent pas assez leur travail.
Soit, ils le valorisent eux-mêmes en devenant meunier et boulanger, comme les producteurs de lait qui valorisent leur production en fromage, soit il passe des contrats avec des boulangers et des moulins pour des marchés revalorisant l’agriculture locale.
Beaucoup d’initiatives régionales de certification d’origine contrôlée et protégée ont foisonné depuis la fin du 20ᵉ siècle, d’abord en Italie et France et même maintenant en Ardenne belge où le grand épeautre est devenu très identitaire.
Lorsque ces I.G.P. ou D.O.P. se crée, dès les premières années, la production double. Ce qui a été aussi le cas du pain de seigle du Valais en Suisse.
En Wallonie, une petite asbl, Li Mestère et le CRAW essayent de ressortir des frigos des centres de ressources génétiques d’anciennes variétés du pays, pour à partir de 50 graines, les réadapter à leur sortie de conservation ex-situ au froid à une conservation in situ.
À l’aide de jardiniers-conservateurs, Li Mestère souhaite maintenir une sélection conservatoire permettant à des agriculteurs d’observer l’adaptabilité au sol et au climat plus changeants. Parfois en mélangeant les variétés en culture et peut-être à l’avenir en pratiquant une sélection avec croisement où chercheurs du CRAW de Gembloux et agriculteurs pourront opérer une sélection dite participative puisque pas seulement issu de recherche, mais également plus paysanne et moins éloignée du terrain.
Pour la bonne santé de l’homme et de son environnement, ce retour des blés anciens serait un progrès…