Le singe de quatre livres
Nous observons au début du 20ᵉ siècle, dans les vitrines des boulangers de Paris, un pain aujourd’hui disparu, le pain Jocko. Jocko, un nom bien étrange pour un pain !
Remontons ensemble le temps, voici une photographie extraite du Monde et la science, parue en 1912, illustrant un article sur la boulangerie de Marcel Arpin.
Photographie 1912
En 1881, nous trouvons une description du Jocko, 38 à 48 centimètres pour un poids de 500 g, il existe également un petit jocko, qui lui mesure 20 à 24 centimètres pour un poids de 100 à 140 gammes
En 1863, Jean Augustin Barral dans son ouvrage » Le blé et le pain, la liberté de la boulangerie » (édition Librairie agricole de la maison rustique) nous en donne cette définition :
« …le pain fantaisie Jocko , d’une longueur de 91 centimètres, d’une largeur de 11 centimètres et d’une épaisseur de 7 centimètres (poids de 2 kilogrammes) »
En 1845, nous trouvons dans l’ouvrage « Bibliothèque illustrée des classes ouvrières et des conférences de Saint-François-Xavier » (P. Mellier) : « Ce pain, me dit mon épicier, est » un pain jocko, c’est également un pain de fantaisie. » Je mange mon pain jocko, et cette fois, je demande un pain de deux kilogrammes qui pèse bien exactement quatre livres »
Le « Dictionnaire historique : étymologique et anecdotique de l’argot parisien ; 6. éd. des Excentricités du langage mise à la hauteur des révolutions du jour » ( Lorédan Larchey F. Polo, 1872) nous fait découvrir l’origine de ce Jocko : « Pain long à la mode depuis 1824, année où le singe Jocko était à la mode. — « Des gens qui appellent un pain jocko un singe de quatre livres. »
Nous découvrons également dans cet ouvrage que le surnom « Jocko » glisse rapidement dans le langage populaire pour désigner celui qui le fabrique, le boulanger.
Mais quel est donc ce singe tant à la mode en 1824 ? Wikipédia nous renseigne à ce sujet :
« Jocko ou le Singe du Brésil est une pièce de théâtre en deux actes d’Edmond Rochefort, inspirée d’une nouvelle de Charles de Pougens (1824). Elle a donné lieu à un ballet de Frédéric-Auguste Blache, sur une musique d’Alexandre Piccinni et des décors de Pierre-Luc-Charles Cicéri, représenté au Théâtre de la Porte-Saint-Martin le 16 mars 1825. Les interprètes principaux étaient Charles-François Mazurier et Louise Pierson. »
Le succès du ballet, véritable charnière entre le siècle des Lumières et le romantisme, est tel que plusieurs théâtres de Paris et de province présentent la version originale ou des œuvres concurrentes, inspirées du même thème.
Plus de 160 représentations sont données en un an. La duchesse de Berry y assista en personne, et le succès fut tel que de nombreux objets reçurent le nom de « jocko » : robes, éventails, coiffures, et même un pain. Il y eut 3 reprises la même année, et de nombreuses imitations. Ainsi Jules Perrot, dès cette même année 1825, en donna sa version au Théâtre de la Gaîté, intitulée Sapajou ».
*Tous les ouvrages cités sont consultables sur Google books
Laurent Bourcier, Picard la Fidélité, C.P.R.F.A.D.