Le pétrissage à bras au XVIIIᵉ siècle.
Voici une description du pétrissage manuel tel qu’il se pratiquait il y a de cela 250 ans.
Cela permet de voir à quoi on échappe grâce à la mécanisation du pétrissage, mais cela permet aussi d’apprendre comment le métier opérait la noce du levain, de l’eau et de la farine par divers mouvements manuels bien difficile à résumer dans la rotation de bras mécanique plongeants, oblique, en spirale, même en hélice et avec des rotations par minute variant entre 30 à 700 suivant le modèle de pétrin mécanique. Avec les choix extrêmes, de quoi jeter un regard critique sur cette volonté d’unir farine et eau par une espèce de « fouettage ».
On en règle « ordinairement » la quantité de farine sur la quantité d’eau.
« Il faut que ce travail se fasse bien promptement pour y réussir », une ½ à ¾ d’heure au plus pour pétrir 200 livres de pâte-soit -±100 kg- (quand on « pétrie fournée & levain »).
Un mémoire de 1726 extrait du « Traité des subsistances militaires » relate la pratique d’un vieux boulanger appelé Martin qui donnait au pain « Une conservation de quinze au plus fort de l’été », mais « la peine et le temps qu’il fallait pour cela, empêcha d’admettre cette pratique … qui employait le double du temps ordinaire ».
1.La délayure:
Comme on travaillait au levain et que celui-ci faisait parfois jusqu’à la moitié à deux tiers de la pâte, « la délayure » était importante pour bien diffuser la fermentation, « on déchargeait » plus ou moins suivant l’état des levains, la qualité des farines et le type de pains désirés. Arrangeant « sur la main gauche », la farine en fontaine (disposée en forme de coffre destiné à bien retenir l’eau) avec à la séparation de l’autre bout du pétrin la farine que l’on monte et presse pour bien faire barrage. On y verse le levain et puis l’eau « en trois temps et en trois parties ». « S’il est bien fait et s’il est pris dans son point, le levain quitte aussitôt le fond du pétrin et nage sur l’eau ». L’on dilue le levain jusqu’à ce qu’il ne reste plus de grumeaux ou « marrons ».
2. La frase :
Elle consiste dès que « le levain est entièrement délayé », à faire « écouler le levain dilué, en faisant une brèche » dans la fontaine afin de mélanger la délayure dans le restant (souvent les 2/3) de la farine et la mélanger en veillant à combiner progressivement farine et levain dilué en « une pâte plus sèche que la première fois, sans cependant qu’elle soit ferme » « Il faut fraser que peu à peu… Il ne faut dans le commencement que de la légèreté & de la promptitude », après dans les opérations suivantes, il faudra plus « de la vitesse et de la force ».
3. La contrefrase :
La pâte étant encore désunie après les deux premières opérations. « On coupe la pâte en plaçant les mains sous celle-ci, la tirant, la retournant, on jette dans le pétrin (ou maie) de gros pâtons de gauche à droite puis de droite à gauche », ce qui s’appelle « un tour ».
On fait ici au moins quatre tours « avec des pâtons de dix à douze livres », soit de 5 à 6 kg.
Celui qui insistait sur la contre frase, insistait moins sur l’opération suivante.
4. Le bassinage :
Décrit par P.J.Malouin comme suit « On bassine la pâte en répandant des bassinées d’eau dessus en la repétrissant tout de suite. C’est avec le bassin et non avec le seau qu’on a coutume de verser l’eau sur la pâte pour la repétrir. C’est ce qui a fait nommer cette opération, bassiner ».
Parfois, pour atteindre la consistance voulue, le boulanger « jette sur la pâte un peu de farine qu’on y incorpore en repétrissant, en la découpant et la rebattant. On nomme aussi cette manœuvre, bassiner la pâte et c’est bien improprement ». Une précision encore, « le bassinage est souvent employé pour arrêter la fermentation de la pâte, on ne doit le mettre en usage qu’en été ».
Voilà en quoi cela consiste ; « pour faire cette opération, on pratique au milieu de la pâte une cavité qu’on remplit d’eau et que l’on distribue aussitôt dans la totalité en y enfonçant les mains ».
« Le pétrisseur y enfonce à diverses reprises les mains fermées pour faire entrer l’eau dans la pâte ». « Ensuite, il la découpe puis le rabat et lui donne deux tours » et A.A.Parmentier d’ajouter « au second tour », on veille « de ne plus entasser et réunir en une seule masse, mais de les ranger à côté les uns des autres, afin que leurs surfaces se multipliant, se sèchent et deviennent propres à l’opération dont nous allons parler »
5. Le battage :
Battre ou souffler la pâte semble être un usage fort lié à l’évolution de la meunerie « lorsqu’on a su remoudre les gruaux » (pratique interdite jusqu’en 1740) et de l’évolution de la boulangerie professionnelle commercialisant de plus en plus du pain mollet à la levure. La première école de boulangerie française avec A.A.Parmentier et Cadet de Vaux, insistera fort sur cette opération.
Exigeant du travailleur énormément d’énergie (il faut bien « enlever » la pâte), elle est, d’après A.A.Parmentier, souvent mal assumée par celui-ci.
Mais comme le précise P.J.Malouin « parce que la pâte a alors plus de liaison, c’est dans ces temps-là que le pétrisseur commence à geindre, d’où est venu le nom de geindre qu’on donne au premier garçon des boulangers ».
L’opération de battre la pâte, c’est prendre des pâtons entre ses mains, « les tournants de dehors en dedans vers soi et de haut en bas », « jetant aussitôt ces pâtons à l’autre bout du pétrin en les étirant » dixit le vocabulaire du boulanger dans l’Encyclopédie de Diderot & d’Alembert.
Ce qui permet à l’air de s’introduire dans la pâte et « ce qui la sèche de plus en plus ».
Le résumé de A.A.Parmentier, p.383 ; « délayure exacte, frase légère, contre-frase vive, bassinage bien réglé, battement vigoureux ».
Il ne reste plus, à la pâte, que de « prendre levain » et à veiller sur la garde du « levain de chef ».
Marc Dewalque, Artisan Boulanger.