C’est jusqu’au XVIIIème siècle, qu’il faut aller pour voir que la profession pratique majoritairement la panification au levain naturel.
Les premiers traités de boulangerie de Paul-Jacques MALOUIN (1767) et d’Antoine-Augustin PARMENTIER (1778) font mention de l’introduction de la levure.
Le deuxième écrit même un texte prémonitoire «Je me suis appuyé sur l’expérience et la raison pour donner mon avis concernant la levure, afin d’en circonscrire l’usage, je présume à regret que j’aurais longtemps pour devise -Vox clamantis in deserto –».
Cette voix « qui clame dans le désert » savait que la levure s’imposerait parce que plus rapide, épargnant les heures de nuit, l’asservissement des rafraîchis de levain à peine éloigné entre-eux de 3-4 heures.
La levure accompagnait la confection de pain devenant plus blanc réclamé non seulement par les dirigeants mais aussi par la bourgeoisie de l’époque.
Déjà en 1600, Olivier de SERRES mentionnait ce pain mollet à la levure et au sel et 335 ans après le maître boulanger parisien, Emile DUFOUR indique qu’il a «été obligé de supprimer la fantaisie fermentée au levain, le client préférant le viennois (à la levure)qui est plus doux».
Ce passage conjoint du pain bis et au levain vers le pain blanc à la levure est peu mentionné par les textes et pourtant:
-/ Charles ESTIENNE ( la Maison Rustique en 1564) écrit « les pâtissiers, pour leurs eschaudés se servent de levure de bière…le levain donnerait une aigreur à si petite quantité de pâte »
-/ Paul-Jacques MALOUIN en 1767; « Dans les premiers temps de l’usage de la levure, on ne l’employait que pour faire les pains à café & autres petits pains (c.a.d. : de pâte blanche en portion individuelle), ensuite on s’en est servi pour faire tout pain mollet, tout pain de pâte molle – pâte de pains blancs».
-/ Le même mentionnait encore, « qu’on ne met point de levure au pain bis. » et il en donne deux raisons: trop léger, pas assez rassasiant et « que la pâte bise fermente plus aisément que ne le fait la pâte pour pain blanc ; et c’est la meilleure raison. »
« En Allemagne, on ne se sert jamais de levain pour composer le pain blanc, on fait un levain avec de la levure, trois ou quatre heures avant de pétrir ».
-/ Un vocabulaire des expressions wallonnes du métier en 1893 signale qu‘ « on -le levain l’emploie pour fabriquer les pains autres que le pain blanc et les pains de luxe. »
On pourrait en citer d’autres, les exemples ne manquent pas.
Du procès fait à la levure de brasserie en 1668, beaucoup d’écrits d’experts le relèveront en termes de bévue historique sans approfondir, simplement pour l’exemple du dénigrement facile et idiot de l’évolution scientifique.
Pourtant, le marché, la lie de brasserie, la distribution de l’époque doivent être pris en compte, la levure de panification actuelle, surtout au niveau de la conservation et efficacité n’est pas un point de comparaison.
La délibération du jugement le 21 mars 1670 est peu citée. L’on y précise que si on emploie de la levure de bière de l’époque, elle doit être fraîche et non corrompue et ne peut servir que d’appoint au levain-chef.
Pendant tout le XIXème siècle (le siècle où démarre la révolution industrielle), il faudra attendre que la pensée créationniste de ces temps-là accepte qu’il existe une importance dans la vie invisible et infiniment petite et puis la microbiologie deviendra une science et s’installe les levureries industrielles (1868 Fleischmann (usa), 1870 NG & SF (nl) et 1871 Springer, 1873 Lesaffre, 1886 La Parisienne en France).
Ce n’est donc que fin du XIXème siècle et début du XXème siècle que la levure pressée peut se permettre d’entrer dans les fournils, sans les aléas que connaissaient les lies de brasserie.
Ces levures de brasserie vivant aussi l’industrialisation vont devenir souvent des levures de basses fermentation (vers les 10-15°C) et ne conviendront plus pour la fermentation panaire de +/- 25°C.Du coup le levain naturel de panification va progressivement se rafraîchir non plus trois fois, mais deux, puis une fois. La levure va venir en appoint puis dominera.
La pression sociale (lutte contre les heures de nuit, augmentation des salaires) va conduire vers cette rationalisation du travail que permet la levure par rapport au levain en raccourcissant les temps de fermentation.
D’autant que le pain blanc lui aussi était accessible à une plus grande masse de consommateurs et que celui-ci s’accommodait mal de l’aigreur d’un levain poussé trop loin en fermentation.
Vient alors tout une promotion médiatique de la levure, les expositions notamment fort en vogue à l’époque.
Les meuniers et la fédération communiquent également sur la méthode « directe », comme en témoigne cette publicité (ci-dessous) de levure de grains (lisez; de distillerie) de l’exposition de 1905.
Avec ces publicités orchestrées, le levain naturel de panification tombe en désuétude
Marc Dewalque
Artisan boulanger et administrateur de Boulangerie.Net
Le levain
Sous le drap, recroquevillé, tu attends patiemment mes mains
Délicatement, elles te massent, te réveillent et t’extirpent de ton sommeil
Va, monte, chauffe, fait vibrer toute ta matière
Et doucement, tu prends corps, doucement ta peau s’étire.
Puissamment, tu t’élèves
Tendrement, avec le temps, la vie s’exprime
Soazig (Françoise M.)
A propos du levain, j’ai lu dans l’excellent recueil de Paul OLIVIER : « Les Chansons de métiers » (1910), p. 295, cette
« FORMULETTE DES BOULANGERS DE LA MANCHE POUR FAIRE LEVER LA PATE.
Pâte, le levain qui te pousse a levé.
Décide-toi donc à l’imiter.
Le blé dont tu sors a levé.
Et pour le ramasser
Beaucoup de gens se sont levés !
Jusqu’au meunier qui s’est levé
Le boulanger pour te faire s’est levé.
Pâte, décide-toi donc à te lever !
Ou encore :
Levain, pousse et grossis !
Tu es la clef de la boulangerie. »
Le livre ne dit pas si la pâte répondait à l’appel des boulangers de la Manche…