L’hebdomadaire Le Monde illustré a consacré un article aux débats qui ont précédé la liberté de la boulangerie en son n° 291 du 8 novembre 1862. En complément, dans le même numéro, p. 302, il inséra un petit article général sur l’importance du pain, avec une belle gravure pleine page, signée d’Henry Linton.
Illustration pleine page du Monde illustré du 8 novembre 1862 sur le pain, par H. Linton.
LE PAIN.
Les grands bœufs blancs marqués de roux que Pierre Dupont a chantés, ces belles bêtes sur les cornes desquelles le peintre Stevens a fait se percher les petits oiseaux, ont, malgré le vent et la tempête, creusé profond et tracé droit.
« Les grands bœufs blancs (…) ont creusé profond et tracé droit »
Le semeur, et, si vous voulez, celui-là même que Millet a découpé sur l’horizon de son célèbre tableau, a jeté à pleine main le grain que la herse a recouvert, et qui, devenu blé après, lent et sublime travail de la germination, est lié en gerbe par ces moissonneuses à jupon rouge, qui, le dos courbé, haletantes sous l’ardent soleil de juillet, semblent, au milieu de ces moissons dorées, autant de coquelicots éclatants.
« Le semeur (…) a jeté à pleine main le grain… »
« Le blé (…) est lié en gerbe par ces moissonneuses en jupon rouge… »
Les batteurs sont venus, les lourds épis sont tombés sous le fléau, et la gerbe est devenue paille. Le fermier apporte ses sacs au moulin… Et voilà le grain changé en une farine blanche et grasse.
« Le fermier apporte ses sacs au moulin… »
Le geindre est au pétrin, le four est allumé, et, le lendemain, avant le jour, la porteuse de pains va de porte en porte distribuer sa lourde charge.
« Le geindre est au pétrin, le four est allumé… »
« La porteuse de pain va de porte en porte distribuer sa lourde charge »
La ménagère, entourée de ses enfants, leur partage la miche après avoir fait une croix sur la croûte encore intacte.
« La ménagère, entourée de ses enfants, leur partage la miche… »
Des peuples entiers se soulèvent à ce cri : Du pain ! Et les grands de la terre, ceux qui nous gouvernent, sont forcés de se préoccuper constamment de cette question de l’alimentation publique.
Nous, qui prenons toute chose au point de vue pittoresque, et traitons les questions les plus ardues de l’économie politique à coups de crayon, nous présentons à nos lecteurs en même temps que la discussion du Conseil d’Etat sur la question de la boulangerie, l’historique moins aride du pain, et prions Dieu d’en donner à ceux qui n’en ont guère.
C.Y. [Charles Yriarte]
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Ajoutons quelques notes à cet article en l’honneur du pain, qui n’est pas sans rappeler celui qui fut publié sous le titre « Histoire d’un morceau de pain » dans la Semaine des Enfants du 3 janvier 1857 (voir l’article).
Le dessinateur des différentes scènes qui constituent la grande illustration de l’article n’est pas un inconnu. De son nom complet Henry DUFF LINTON, il était né à Londres en 1815. Il s’installa en France en 1857 et réalisa de nombreuses gravures pour Le Monde illustré et le Journal illustré. Il est aussi connu comme illustrateur de romans (dont Les Compagnons de Jéhu, d’Alexandre Dumas, édition de 1889) et d’autres ouvrages, tel Les grandes usines de France (1860-1895). Il décéda en 1899 à Nobiton, près de Londres.
Pierre DUPONT, cité au début de l’article, était un chansonnier qui connut un grand succès à partir des années 1840. Né en 1821 et mort en 1870, à Lyon, il était républicain et fut inquiété pour ses opinions sous le Second Empire. Il est l’auteur, entre autres, du Chant des ouvriers et des Deux compagnons du Devoir. L’une de ses chansons les plus connues est celle des Bœufs, dont le couplet quelque peu choquant est :
« S’il me fallait les vendre,
J’aimerais mieux me pendre ;
J’aime Jeanne, ma femme, eh bien ! j’aimerais mieux
La voir mourir, que voir mourir mes bœufs. »
Portrait de Pierre DUPONT illustrant l’une de ses chansons ; à l’arrière-plan, les fameux bœufs…
Alfred STEVENS, né à Bruxelles en 1823 et mort à Paris en 1906, s’installa en France en 1844. Ce peintre connut rapidement le succès et fut maintes fois récompensé. Il réalisa de nombreux portraits de femme. On le considère comme un précurseur des impressionnistes.
Quant au rédacteur de l’article, Charles YRIARTE, né et mort à Paris (1832-1898), il s’agissait d’un écrivain, journaliste et dessinateur. Il collabora à ses débuts au Monde illustré et en devint le rédacteur en chef. Il effectua des reportages à l’étranger (au Maroc, en guerre contre l’Espagne, en 1859, en Italie, durant la guerre d’indépendance de 1860). Il a aussi écrit de nombreux livres sur les sujets divers (des portraits de célébrités, des scènes et personnages de la vie parisienne, des biographies d’artistes, etc.)
Charles YRIARTE (1832-1898)