La fourniture du pain à la population a longtemps fait l’objet d’une réglementation particulière car il s’agissait de l’aliment de base. S’il venait à manquer, la disette s’instaurait, le prix du pain s’envolait, et des émeutes risquaient d’éclater, des pillages de marchands de farine et de boulangeries pouvaient se produire. C’est à Paris, théâtre des révolutions, qu’on s’inquiétait de la situation.
En 1862, ce sujet a été discuté au plus haut niveau de l’Etat comme le rapporte l’hebdomadaire Le Monde illustré en son n° 291 du 8 novembre 1862, p. 298.
SÉANCES DU CONSEIL D’ÉTAT PRÉSIDÉES PAR SA MAJESTÉ L’EMPEREUR AU PALAIS DES TUILERIES
La question du monopole de la boulangerie, soulevée depuis quelque temps au Conseil d’Etat, a donné lieu à des discussions pleines d’intérêt dans deux séances tenues aux Tuileries, sous la présidence de l’Empereur, le vendredi 23 et le mardi 27 octobre.
Il s’agissait de se prononcer sur l’opportunité de la liberté de commerce appliquée à la boulangerie, et sur le maintien du monopole et de la caisse municipale.
On sait que, fondée par décret de l’Empereur, il y a quelques années, pour donner aux boulangers de Paris la facilité de vendre au-dessous d’un maximum fixé qui ne pouvait pas être dépassé, cette institution municipale a rendu les plus grands services à des époques difficiles.
Le consommateur était assuré, quelle que fût la cherté des blés et des farines, de ne pas payer le pain au-delà d’un prix consenti entre la caisse et le boulanger.
La caisse avance l’argent nécessaire, se réservant d’opérer ses rentrées à mesure que la situation s’améliore pour les emprunteurs.
Cette combinaison a eu son utilité grande et incontestée, jusqu’au jour où l’échelle mobile a disparu.
Le Conseil d’Etat a cru devoir soulever cette question dans le but de donner à la boulangerie une liberté que réclamait la majorité des industriels intéressés, et il a nommé M. Le Play son rapporteur.
Frédéric LE PLAY (1806-1882)
Le rapport de l’honorable et savant conseiller, fort libéral, représentait l’opinion de presque tous ses collègues, et concluait à l’abolition du monopole, entraînant la suppression de la limitation du nombre des boulangers, celle des approvisionnements de réserve, celle de la taxe et de la caisse de la boulangerie parisienne.
Après lecture du rapport, M. le baron Hausmann, préfet de la Seine, a pris la parole pour défendre principalement l’institution dont il est un des instigateurs, et a réussi à modifier quelques-unes des convictions de son adversaire.
Georges Eugène HAUSSMANN (1809-1891)
M. Dumas, au nom du conseil municipal, dans un discours très intéressant, très habile et très incisif, a soutenu les mêmes principes que M. le préfet de la Seine, et leurs efforts réunis ont eu pour résultat de faire obtenir un ajournement de six mois.
Ces six mois seront sans doute consacrés à chercher les moyens de sauvegarder les intérêts nombreux que pourrait compromettre une brusque dissolution de la caisse.
L’Empereur, dont les tendances vers les libertés commerciales et vers l’affranchissement des lois protectrices, sont assez connues, tout en adoptant en principe l’opinion de son Conseil d’Etat, n’a voulu rien précipiter, et désirant s’entourer encore de documents irréfutables, n’a pas cru devoir conclure définitivement, malgré l’examen fort approfondi déjà dont la question a été l’objet de la part du gouvernement et de ses conseillers. Sans rien préjuger, on peut dire cependant, dès aujourd’hui, qu’en principe, la liberté de l’industrie de la boulangerie a fait un pas immense.
Notre dessin représente une des séances, présidée par l’Empereur, dans les grands appartements des Tuileries.
MAXIME VAUVERT.
« Réunion du Conseil d’Etat aux Tuileries, sous la présidence de S. M. l’Empereur (délibération au sujet de la caisse de la boulangerie » (Le Monde illustré, n° 291, p. 297). L’Empereur Napoléon III est le 3e personnage assis à partir de la gauche.
Il fallut attendre le décret-loi du 22 juin 1863 pour que la liberté fût rendue à la boulangerie et que la caisse de la boulangerie, créée par décrets de décembre 1853 et janvier 1854, fût abolie.
Sur ce sujet, voir aussi l’article : La Liberté de la boulangerie, par Darjou (1863).