Jules MÉLINE (1838-1925) fut un député français favorable au protectionnisme. Alors qu’il était président de la commission des Douanes à la chambre de députés, il fit voter le 11 janvier 1892 une loi augmentant sensiblement le taux appliqué aux produits importés, surtout sur les produits agricoles. Le but était de favoriser l’agriculture française et de limiter la concurrence étrangère. Ainsi, la loi Méline fit passer le tarif moyen sur les importations agricoles, qui était de 3,3 % dans la période 1881-1884, à 21,3 % dans la période 1893-1895. Si les agriculteurs et négociants furent satisfaits, les consommateurs le furent beaucoup moins, car les produits agricoles, qui subissaient beaucoup moins la concurrence, augmentèrent nettement. En bout de chaîne, les clients durent dépenser plus.
C’est ce qu’illustrent (avec exagération) les dessins du supplément de L’Écho d’Indre-et-Loire du 14 février 1892, visiblement hostile à la nouvelle loi protectionniste. L’idée est que sans concurrence, les prix s’envolent et les commerçants s’enrichissent en vendant n’importe quoi.
Le dessinateur ROBERT illustre la cherté des prix avec trois denrées : la viande, le vin et le pain.
La viande chère. Le dessin de gauche représente un boucher et sa cliente, avec la légende : « Hier, les Bouchers vendaient de la viande ». Sur le dessin de droite, on voit le boucher dont les quartiers de viande ont été remplacés par des poutres, avec la légende : « Aujourd’hui, les Bouchers vendent des côtelettes en bois ». Sans doute veut-on dire que les bouchers ne vendent plus que de la carne, car ils n’ont plus à craindre la concurrence des bonnes viandes d’importation.
Le vin cher. Un cabaretier est devant son comptoir et un client a l’air réjoui. Légende : « Hier, les Marchands de vin vendaient du vin ». Sur le dessin de droite, le même patron a installé un alambic sur son comptoir et vend une infâme boisson. Légende : « Aujourd’hui, les Marchands de vin vendent de mauvaises solutions chimiques ». En d’autres termes, ils vendent de la bibine au prix d’un bon vin.
Le pain cher. Le dessin de gauche nous montre un boulanger présentant un gros pain à sa cliente, accompagné de la légende : « Hier, les Boulangers vendaient du pain ». Sur le dessin de gauche, il apporte à son client une grosse botte de foin. Légende : « Aujourd’hui, ils devraient vendre du foin pour les députés auteurs du Pacte de famine ».
Du foin ? Probablement pour exprimer l’idée que les parlementaires qui ont voté la loi Méline sont des vaches, au sens figuré. Quant au « pacte de famine », l’expression date des années 1760, dans un contexte exactement opposé au protectionnisme. En effet, en 1764, la loi de libération du commerce des grains, jusqu’alors très encadré, permit aux négociants de vendre les céréales partout sur le Royaume de France et à l’étranger. Cela aboutit à priver les régions où ils y étaient nécessaires à l’alimentation du peuple, et à les vendre plus cher dans les régions et les pays acheteurs. Les marchands de grains spéculaient aussi sur la hausse du prix en stockant les grains, privant les habitants d’une denrée essentielle à sa survie. Il y eut de graves émeutes pour cette raison jusqu’au début de la Révolution de 1789.
Comme quoi une expression – « le pacte de famine » – a pu être employée dans des contextes économiques différents. Mais l’idée reste la même : celle que l’État s’entend avec les plus riches et les favorise sur le dos des plus pauvres. Et en 1892, ce sentiment était encouragé par un fort antiparlementarisme.
Concurrence internationale, pénurie des céréales, effets de la mondialisation, spéculation, hausse des prix ? Les choses ont-elles changé depuis plus d’un siècle ?…
(Source des illustrations : Archives départementales d’Indre-et-Loire. Archives numérisées : Presse.)