Le boulanger de Gonesse par Gustave Nadaud

LE BOULANGER DE GONESSE (1868), PAR GUSTAVE NADAUD

C’est une chanson insolite et subtile que celle du Boulanger de Gonesse par Gustave Nadaud, datée de 1868.
Le poète imagine un dialogue entre un homme qu’on suppose d’âge mûr, un futur employeur peut-être, et un jeune homme. L’ancien lui fait la morale, lui prodigue ses conseils, mais chacun des couplets est ponctué par le refrain « J’arrive de Gonesse / Pour être boulanger » émanant du garçon. Cela signifie que lorsque l’on est jeune, on n’a qu’une idée en tête, qu’on n’écoute pas les recommandations et que l’expérience ne s’acquiert que par la vie et non les paroles entendues. L’ancien finit par convenir qu’être boulanger « c’est entre mille / Un des plus sûrs moyens / De [se] montrer utile / A [ses] concitoyens. ». C’est plus important que tout ce qui précède.

Frontispice des Chansons de Gustave Nadaud, chez Plon, en 1870, avec le portrait du poète-chansonnier au centre.

 

LE BOULANGER DE GONESSE

Te voici donc, jeune homme,
Habitant de Paris,
on te dit économe,
Modeste et bien appris.
Mais, pour qu’on te connaisse,
Je veux t’interroger.

– J’arrive de Gonesse
Pour être boulanger.

– Soit ; beaux-arts ou commerce,
Rien n’est hors de saison :
Il faut que l’homme exerce
Son cœur et sa raison.
Du péché de jeunesse
Tu vas te corriger.

– J’arrive de Gonesse
Pour être boulanger.

– As-tu fixé d’avance,
Pour le coordonner,
Le plan de l’existence
Que tu prétends mener ?
Cent ennemis sans cesse
Te viendront assiéger.

– J’arrive de Gonesse
Pour être boulanger.

– En lettres, en musique,
Que seras-tu demain ?
Romantique ou classique ?
Rossiniste ou Germain ?
Dis-moi dans quelle espèce
Il faudra te ranger ?

– J’arrive de Gonesse
Pour être boulanger.

– Règleras-tu ta montre
Sur le trône ou l’autel ?
Seras-tu pour ou contre
Le pouvoir temporel ?
Selon quelle sagesse
Vas-tu te diriger ?

– J’arrive de Gonesse
Pour être boulanger.

– A quels nouveaux principes
Te rattacheras-tu ?
A l’école des pipes,
Ou du chapeau pointu ?
Quelle est, touchant la presse,
Ta façon de juger ?

– J’arrive de Gonesse
Pour être boulanger.

– Il n’est pas impossible,
Jeune homme, que l’amour,
Si ton cœur est sensible,
T’égare quelque jour.
C’est une douce ivresse,
Mais c’est un grand danger.

– J’arrive de Gonesse
Pour être boulanger.

– Surtout fuis comme un crime
L’ambition ! Vois-tu,
C’est l’insondable abîme
Où sombre la vertu.
Fais-moi bien la promesse
De ne pas t’y plonger.

– J’arrive de Gonesse
Pour être boulanger.

– Au fait, c’est entre mille
Un des plus sûrs moyens
De te montrer utile
A tes concitoyens.
Cuis donc pour la noblesse,
Le peuple et l’étranger.

– J’arrive de Gonesse
pour être boulanger.

Partition du Boulanger de Gonesse.

Cette chanson nous rappelle aussi que la ville de Gonesse (Val-d’Oise) était autrefois renommée pour la qualité et l’importance du pain que ses boulangers venaient vendre dans la capitale en tant que marchands forains.

Quant à Gustave Nadaud, rappelons qu’il naquit à Roubaix (Nord) le 20 février 1820. Après ses études à Paris en 1834, il revint à Roubaix puis s’établit à nouveau à Paris à partir de 1840, accompagnant ses parents venus y établir un commerce d’articles textiles.

Plus intéressé par la poésie et la chanson que par le comptoir de ses parents, il commença à publier ses premières œuvres dans les journaux de l’époque en 1849. Ses chansons sur des thèmes populaires sont empreintes de gaîté et d’ironie, et expriment ses sentiments mitigés sur le genre humain, dont il moque les travers et les ambitions.

Gustave Nadaud passe pour n’avoir guère apprécié Napoléon III et sa fameuse chanson Pandore ou Les deux gendarmes fut interdite sous le second Empire, mais il semble que ce fut à cause d’un couplet apocryphe. En somme, Nadaud était un modéré, un observateur de sa société, et ses opinions politiques (était-il républicain, orléaniste, pour ou contre l’Empereur ?) transparaissent peu dans ses œuvres. Il fut apprécié de son temps, il fut l’ami d’Eugène Potier, l’auteur de L’Internationale, qu’il aida à publier ses œuvres. Il fut un membre assidu des sociétés chantantes ou « goguettes », celle du Caveau et de la Lice chansonnière.

Gustave Nadaud décéda à paris le 28 avril 1893. Il fut inhumé au cimetière de Montmartre mais ses cendres furent transférées en 1963 au monument élevé en 1896 en son honneur à Roubaix.

Inauguration du monument Gustave Nadaud en 1896 à Roubaix (photo du site ateliers-mémoire-roubaix.com)

Merci une nouvelle fois à Patrick Fonteneau de nous avoir ouvert sa bibliothèque pour nous faire découvrir cette chanson et la partager avec les visiteurs du CREBESC.

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