La Sainte-Baume et les rituels 1/3

Libourne le Décidé à la Sainte-Baume

Dans ses Mémoires d’un compagnon (1859), Libourne le Décidé nous apprend qu’il aurait fait l’ascension de la Sainte-Baume le 13 décembre 1840, une gourde en bandoulière remplie de bon vin qu’il partagea avec son compagnon de marche Manceau la Bonne Conduite.

Partis de Saint-Maximin, il leur fallut huit heures pour atteindre le Saint-Pilon, et après un bon casse-croûte, nos deux compagnons boulangers descendirent du Saint-Pilon et visitèrent la grotte, le silence était habité par les gouttes d’eau qui, de la voûte, tombaient dans le gouffre voisin où Arnaud, selon «le vieux rite du compagnonnage», jeta quelques pièces de monnaie, appropriation de sa part, au nom du Compagnonnage, d’une coutume profane, superstitieuse et populaire.
À la descente, traversant le bois sans pareil, ils coupèrent quelques rameaux d’un arbre qu’on leur dit être un cèdre (le bois du cèdre du Liban ayant été employé pour la construction du Temple de Salomon) et s’en firent des couronnes. Puis ils arrivèrent au monastère où ils rencontrèrent un ermite qui tenait un livre de passage ( À ce jour, ce livre de passage n’a pas été retrouvé. ) ouvert à tous les pèlerins et où les compagnons boulangers pouvaient inscrire leurs noms.

D’ailleurs, vers 1862, sur une des quatre lithographies de la série Le compagnonnage illustré éditée par Agricol Perdiguier, on peut voir J.-F. Piron, Vendôme la Clef des Cœurs, compagnon blancher-chamoiseur du Devoir, revenant de la Sainte-Baume un rameau à la main et autour du chapeau.

En 1692, Pierre Joseph de Haitze évoque aussi des houx et des ifs appelés les livrées de la Sainte-Baume car ils poussent autour de la grotte de la Sainte-Baume et gardent leurs feuillages l’hiver, les pèlerins en cassent des petits rameaux qu’ils mettent à leur chapeau, ils en coupent aussi des bâtons qu’ils rapportent chez eux et conservent précieusement en souvenir de leur pèlerinage.

Abel Boyer, Périgord Cœur Loyal, compagnon maréchal-ferrant du Devoir, passa à la Sainte-Baume en 1901, il grava son nom au dos d’une des stèles qui jalonnent la montée au Saint-Pilon. Le compagnon boulanger du Devoir, René Edeline, lors d’une montée à la Sainte-Baume accompagné du compagnon menuisier du Devoir Pierre Morin, Pierre le Saintonge, découvrit cette signature et ne put s’empêcher de redescendre à l’hôtellerie pour se munir des outils nécessaires pour graver son nom à côté de celui d’Abel Boyer (propos de René Edeline recueillis par moi-même en 1996).

 

A gauche, la représentation d’un compagnon blancher-chamoiseur revenant de la Sainte-Baume sous les traits de Vendôme la Clef des Cœurs , gravure éditée vers 1862.

A droite, une photographie – vers 1865 – que l’on peut supposer être celle d’un compagnon blancher chamoiseur revenant de la Sainte-Baume avec ses couleurs toutes neuves tant son costume et sa posture sont calquées sur celles de la gravure ci-dessus. Toutefois, on n’aperçoit pas de rameaux sur le chapeau.

Les rubans et Marie Madeleine

Au début du XVIe siècle, les femmes en couches, pour obtenir une délivrance facile, se ceignaient d’un cordon ou d’une ceinture (ruban) qu’elles avaient préalablement passé autour de la taille d’une statue grandeur nature de Marie Madeleine. Ce rite existait déjà dans le culte d’Isis, la déesse protectrice de la mythologie égyptienne, ainsi que dans celui d’Héra, déesse grecque du mariage, gardienne de la fécondité du couple et des femmes en couches. On le retrouve également et encore de nos jours chez Notre-Dame de la Daurade, Vierge Noire de Toulouse. Ces utilisations de rubans ou de linges remontent aux croyances des cultes naturalistes dont l’importance s’est maintenue dans différentes régions de France et même d’Europe bien après l’arrivée du christianisme.

< Ex-voto à sainte Marthe, première moitié du XIXe siècle, originaire de la région d’Avignon. coll. J.-M. Mathonière.

L’historien provençal Pierre Joseph de Haitze (1657-1737) déjà cité, rapporte en 1692, dans sa Description de la Sainte-Baume , l’usage très particulier qui était fait des rubans par les pèlerins :
On voit de temps en temps remuer, au gré du vent, certains petits haillons d’étoffe ou de ruban, mis sous quelques [grosses] pierres, ou attachés à des bâtons plantés dans le roc, ou dressés entre des pierres.

La dévotion populaire à cette autre sainte provençale (qui était la sœur de Marie Madeleine) comporte également l’usage de rubans destinés à favoriser la fertilité féminine. Sur cet ex-voto sont collés, à proximité des palmiers, des morceaux de rubans qui auront certainement été mis au contact des reliques de la sainte, à Tarascon. Les deux fragments qui se trouvent au pied des palmiers sont des rubans fleuris semblables aux couleurs fleuries des compagnons tailleurs de pierre (la gomme arabique employée pour coller a malheureusement bruni et elle a altéré la soie des rubans). On soulignera l’omniprésence du symbolisme végétal et floral dans cet ex-voto.

À propos de la chapelle du Saint-Pilier (Saint-Pilon) :

Elle n’est fermée que par un treillis de fer contre lequel se voient attachés mille bagatelles, des rubans, des morceaux d’étoffe, du fil, de la soie, et même des cheveux […] ; les religieux de ce désert, toutes les fois qu’ils montent au Saint-Pilier, achèvent d’abattre ceux qui ont résisté à la violence des vents.

Ce culte du ruban n’est pas une particularité de la Sainte-Baume, nous le trouvons en effet dans différentes régions de France.

Ainsi, à la fontaine de Saint-Germain-des-Hayes (Loir-et-Cher) un morceau de ruban était apporté et plongé dans la fontaine ; coupé en deux, une moitié était laissée à côté de la statue, l’autre épinglée sur un vêtement touchant le corps du malade. *

* « Fontaines sacrées et fontaines saintes en Vendômois» , Abbé J.Cartraud ; dans Bulletin de la société archéologique, scientifique et littéraire du Vendômois, 1968.

Le pèlerin donnait son mal au saint et remportait la guérison. L’eau instaurait le contact entre les protagonistes par l’intermédiaire du ruban qui fixait le malade dans son nouvel état. Rubans, cordons et vêtements attachaient la maladie à la fontaine.
Pierre Joseph de Haitze nous informe aussi que les pèlerins de la Sainte-Baume traçaient des croix sur les rochers et formaient des figures avec des pierres en tas, plantaient des bâtons en les disposant en triangle ou formaient des arceaux en pliant des verges.

Nous trouvons cette pratique des verges pliées à la Sainte-Fontaine à Bulles (Oise), les malades attachaient aux arbres des rubans et des branches flexibles (harts) trempées dans la fontaine et lorsque ces liens tombaient, détruits par l’action du temps ou de l’humidité, ceux qui les avaient placés étaient préservés pour toujours de la fièvre (Graves 1856).
L’Évêque de Beauvais Monseigneur de Saint-Aignan condamna l’exercice de ce culte en 1716-1719 mais cette pratique persista.
( Croyances et cultes populaires en Picardie, Martèle Éditions, p.21, Brochard Yvan et Leblond Jean-François. )

En 1902, Marius Bernard dans Excursion à la Sainte-Baume note la persistance de ces petits tas de cailloux déposés par les jeunes provençales et les nouvelles épouses pour se prémunir de la stérilité.

Nous observons que dans ce lieu, le culte de la fécondité a traversé les millénaires.

Quand fontaines et grottes deviennent un commerce

Les lieux de pèlerinages attiraient bien sûr les marchands ambulants comme à Barran (Gers) où tous les 6 août, les habitants de la commune déjeunaient auprès de la fontaine :
Sur de verdoyants tapis de gazon, auprès d’une fontaine jaillissante, symbole de la grâce que l’on venait solliciter en ces lieux, elle (la foule) prenait son modeste et frugal repas […] les marchands de gâteaux de la ville d’Auch ne manquaient pas de s’y rendre aussi, sûrs d’avance de bien exploiter leur modeste industrie, tout un petit commerce fait d’étals éphémères proposait aux pèlerins de menus objets de dévotion (rubans, chapelets) (Abbé Sabion : «Chapelle votive de Saint-Sauveur de Barran», Revue de Gascogne, 18, 1877.)

Autre exemple en pleine forêt de Fénétrange (Moselle) : «Les boutiques s’épanouissent autour de la chapelle, tandis qu’à la fontaine de Saint-Éloi de Benayes, les baraques offrent des objets de mercerie, des tourniquets, des pâtisseries…» (M.L Tenèze, «Le folklore des eaux dans le département de la Moselle», Nouvelle revue des traditions populaires, mars-avril 1950.)
Ou encore à Gannat (03) où avant la Révolution de 1789, le 9 juillet à la Chapelle-du-Pas une foule considérable se rassemblait. Les reliques de Sainte-Procule étaient portées en procession autour de la ville par les jeunes filles vêtues de blanc et ceinturées de rouge, symbole du martyre et de la pureté de la sainte, les pèlerins et surtout les jeunes filles achetaient à cette occasion des rubans ou des parures ayant touché les reliques.

Agricol Perdiguier (Livre du compagnonnage, 1839) nous dit au sujet de la Sainte-Baume : Ils (les compagnons) portent aussi sur eux le carquois ou rouleau de fer-blanc qui contient les précieuses couleurs, le Saint-Pilon et le chapelet d’ivoire. On nomme tout cela réuni jeu ou pacotille, et coûte 40 francs.

Mais où les compagnons achètent-ils ces pacotilles et précieuses couleurs ?

Le commerce d’articles religieux à la Sainte-Baume est attesté au XVIIe siècle au monastère au pied de la Sainte-Baume, et au tout début du XIXe siècle à Saint-Maximin, par le beau-père de Félix Hotin, le premier marchand de couleurs destinées aux compagnons du Devoir (qui selon L. Bastard, commence à les vendre entre 1810 et 1820). Mais la renommée religieuse de la Sainte-Baume, avant la Révolution, permet de penser que le commerce des articles religieux s’exerçait dès le XVIIe ou XVIIIe siècle aussi bien à Saint-Maximin (où , dans la basilique, sont conservés un fragment du crâne de la sainte ainsi que son tombeau) qu’au monastère lui-même.

Pacotille ou jeu complet de 10 couleurs de compagnon passant charpentier du Devoir dans son étui en fer blanc. Les rubans portent les abréviations UVGT des Soubises et les initiales BLFD qui sont l’abréviation du nom du compagnon. Dans le compartiment central se trouvent un petit oratoire à la Vierge et un chapelet dit Saint- Pilon dans son étui en ivoire. Vers 1830.

René Lambert, Provençal la Fidélité, nous signale dans son ouvrage La Sainte-Baume, le pèlerinage des compagnons du Devoir, qu’aux XVIIe ou XVIIIe siècle l’hospice est affermé à un aubergiste qui accueille les pèlerins et un marchand, appelé chapelier de la Sainte-Baume, qui tient commerce de toutes sortes d’objets de dévotion.
Les pèlerins de la Sainte-Baume rapportaient aussi des Œufs de la Sainte-Baume, appelés aussi coucounets. C’était de petits reliquaires taillés dans des coquilles d’œufs. Culte de fécondité très probablement issu de la légende de Marie Madeleine, qui aurait écrasé un nid de vipère dans l’une des grottes du massif dite la grotte aux œufs , mais aussi de légendes antérieures.

Mais ces précieuses couleurs que nous cite Agricol Perdiguier, sont-elles vraiment des couleurs au sens compagnonnique et contemporain ?
Nous avons pu observer à la lecture des lignes ci-dessus que le ruban, et ce depuis des temps reculés, est un objet de dévotion. Il est utilisé dans un premier temps pour communiquer avec les dieux et déesses demeurant auprès des fontaines, dans les forêts et grottes. Puis ce ruban change de mains pour arriver dans celles de l’Église où il est utilisé dans le même but, mais pour communiquer avec un seul et unique Dieu ou ses saints. Un commerce de ces différents objets de dévotion auxquels le ruban appartient est pratiqué dans tous les lieux de culte où sont effectués des pèlerinages – et la Sainte-Baume n’y échappe pas – et a traversé le temps.

Une hypothèse, déjà évoquée par Laurent Bastard, suggère que les couleurs de la Sainte-Baume ne seraient pas des couleurs au sens actuel du terme, en fait, ces rubans utilisés comme couleurs au XIXe siècle seraient des rubans de dévotion religieuse du XVIIIe siècle, vendus tout au long de l’année au sein du monastère et/ou à Saint-Maximin même, ou peut-être seulement le 22 juillet à l’occasion de la fête particulière de Marie Madeleine. Cette vente et cette utilisation auraient été abandonnées lors de la période révolutionnaire qui débute en 1789.
Puis il se peut que les couleurs aient été commercialisées au début du XIXe siècle par un tailleur d’habits nommé Beillon, qui se serait trouvé en possession des rouleaux à gaufrer les rubans (achat, don ?). Il aurait commencé à vendre ces rubans aux compagnons. Puis c’est le mari de sa fille, Félix Hotin, compagnon charron, appelé le Père Picard, qui a commercialisé à son tour ces couleurs et cela jusqu’à son décès le 28 mars 1863.

À partir de cette date, Pierre Audebaud, compagnon tourneur du Devoir, Saintonge la Fidélité, poursuivit la vente de ces couleurs. À sa mort le 23 avril 1904, le commerce fut repris par l’un de ses deux fils, Louis Octave, Provençal la Fidélité, compagnon tourneur du Devoir.
La vente des couleurs a cessé définitivement en 1922, au décès de Louis Octave. Avec cette reprise, après la Révolution, de la vente de rubans religieux désormais baptisés couleurs compagnonniques, la Sainte-Baume a commencé, elle aussi, à prendre une nouvelle voie, à obliquer vers celle du Compagnonnage pour y être complètement assimilée à partir de 1947.

Les 21 et 22 juillet 1947, journées du centenaire de l’arrivée des Saints en Provence ; Dépôt des fers à frapper les couleurs pour le passage de la Sainte-Baume, Ouverture d’un livre de registre pour les compagnons du Devoir de l’Association Ouvrière ; En 1960 pour la Fédération Compagnonnique des métiers du bâtiment et autres activités ; En 1976 pour l’Union Compagnonnique des Devoirs Unis.

Aujourd’hui, un petit commerce existe toujours au niveau de la grotte de la Sainte-Baume, où l’on trouve différents souvenirs religieux, mais pas de couleurs ni d’autres souvenirs à caractère compagnonnique…

< Un groupe de compagnons charpentiers des Devoirs (FCMB) visitant attentivement la grotte de laSainte-Baume, 2009. Photo J.-M. Mathonière.

 

Les compagnons boulangers et leurs Marques secrètes

Cachet de Lambert Alphonse, gardien, ermite et jardinier, de 1835 à 1851.

Le premier à aborder le sujet des Marques secrètes des compagnons boulangers du Devoir en lien avec la Sainte-Baume est Laurent Bastard dans Fragments d’histoire du Compagnonnage publiés en novembre 2012. En examinant les Marques secrètes des compagnons boulangers (Voir chapitre Les documents du compagnon.), l’on constate que certaines sont revêtues de différents cachets attestant le passage de leurs propriétaires à la Sainte-Baume.

De 1835 à 1851, le cachet est apposé sur le document des compagnons boulangers par un profane, Lambert Alphonse (cachet «L.A»), gardien , ermite et jardinier, assassiné le 31 janvier 1851 par un cordonnier (non-compagnon).
Lambert Alphonse est peut-être cet ermite qu’Arnaud, Libourne le Décidé (auteur de Mémoires d’un Compagnon) et son compagnon, Manceau la Bonne Conduite, rencontrent au monastère le 13 décembre 1840 et présentent comme étant un moine cénobite, * vieillard à barbe longue, blanchie par de longues années, qui leur dit : Alors, comme aujourd’hui, j’avais un registre pour recueillir les signatures des voyageurs qui visitent le désert, sur quarante ouvriers des diverses professions qui passaient ici à l’époque dont je parle, il y a dix ans de cela, trente ouvriers au moins ne pouvaient signer leur nom.

* Moine vivant en communauté (notamment dans les premiers temps de l’Église). Par extension et au figuré, personne vivant de façon austère, comme retirée du monde.

Avant 1835, et avant la présence de Lambert Alphonse, on peut émettre l’hypothèse suivante, depuis la naissance des compagnons boulangers du Devoir (1808) jusqu’à l’ouverture de leurs deux premières Cayennes en Provence (Marseille 1825 et Toulon 1826), ces derniers ne se hasardaient pas en Provence.
À cette époque la région était en effet éloignée de leur Tour de France (il passait par Blois, Orléans, Tours, Bordeaux, Rochefort, La Rochelle et Lyon). De plus, c’était une région hostile professionnellement par le fait que le pétrissage se faisait avec les pieds, et qu’elle était fortement tenue par les rendurcis, sociétaires du Tour de France, futurs compagnons boulangers du Devoir de Liberté.

< Marque secrète de Jean François Lerein, Poitevin l’Ami des Compagnons, reçu à la Noël 1836 à Blois. Nous observons de chaque côté de l’équerre à deux reprises, le cachet de Lambert Alphonse, gardien de la Sainte-Baume. Musée du Compagnonnage, Tours.

Donc, il n’y avait en Provence ni point d’accueil, ni Mère, ni solidarité. Nous pouvons supposer que les compagnons boulangers du Devoir, et peut-être aussi d’autres sociétés du Devoir, faisaient apposer un cachet de passage sur leur passeport compagnonnique, voire sur leurs couleurs, par les moines Trappistes (de 1824 à 1833) puis par les Pères Capucins (leurs successeurs de 1833 à 1835), installés à la grotte. À ce jour nous n’avons pas découvert de document pouvant enrichir ce sujet.

Après novembre 1840, date d’ouverture du registre de passage par Félix Hotin, dit Picard , compagnon charron du Devoir, s’instaura la pratique du double cachet, le cachet religieux du gardien de la grotte et des moines, et le cachet compagnonnique de Félix Hotin et de son successeur qui fut réservé aux corps d’états du Devoir reconnus.

Jusqu’en 1875 les compagnons boulangers n’eurent droit qu’au cachet et à la signature de l’ermite puis des religieux sur le livre de passage ouvert à tous les visiteurs indistinctement.

Les deux cachets de Félix Hotin dit Picard en service de 1824 à 1863. Le cachet circulaire est quelquefois également apposé par Pierre Audebaud, accompagnant son propre cachet.

Cachet Honnoraty, de 1851 à 1859, ayant peut-être appartenu à un certain Honnorat Hippolythe.
De 1851 à 1859, c’est un nommé Honnoraty qui appose un cachet, sur lequel nous n’avons aucune information. (cachet «Honnoraty»)

De 1859 à 1874, ce sont les Pères Dominicains présents à la grotte qui apposent les cachets «Sainte-Baume de M. Madeleine» et «St Pilon Ste Magdeleine». Cachets Sainte Baume de M.Madeleine et St Pilon Ste Magdeleine des pères dominicains présents à la grotte, de 1859 à 1884.

Ci-dessous, la carte d’aspirant d’Adrien Thibault, reçu aspirant boulanger le 12 mars 1855 à Toulouse nous observons deux cachets attestant le passage à la Sainte-Baume, et les petits cachets circulaires des villes de passage.

 

< Carnet du Premier en ville de la cayenne de Tours, Bourge, Manceau l’Union , faisant un Tour de France pour récolter les souscriptions des compagnons pour l’élévation d’un monument sur la tombe de la Mère Jacob de Tours. Il passe par Marseille et les cachets de la Sainte-Baume sont apposés en juillet 1854.

De 1875 à 1883, sur deux Marques Secrètes (archives de la cayenne de Tours), celles de Denis Duport, Blois la Franchise (1874) et Gustave Hérault, Tourangeau Cœur Loyal (1877) sont apposés les cachets «Sainte-Baume de M. Madeleine» et «St Pilon Ste Magdeleine» et le cachet de Pierre Audebaud, compagnon tourneur du Devoir, Saintonge la Fidélité «AUDEBAUD Père des Compagnons D.D. Souvenir de la Ste Baume et de St Maximin».

Par contre ces deux compagnons n’ont pas signé le registre de passage de Pierre Audebaud.

 

Cachet de Pierre Audebaud, Saintonge la Fidélité, en service de 1863 à 1904,
repris par son fils Louis Octave, Provencal la Fidélité, jusqu’en 1922.

Pierre Audebaud, en appliquant son cachet sur les Marques Secrètes des compagnons boulangers a fait acte de fraternité, mais préférant certainement ménager la susceptibilité des compagnonnages n’ayant pas encore reconnu les compagnons boulangers comme étant du Devoir, il ne leur a pas permis de signer le livre de passage. Des signatures de compagnons boulangers sur le registre auraient fait office de reconnaissance tacite.
Nous pouvons considérer cette période 1875-1883 comme une période de transition, entre les cachets apposés par les Pères Dominicains et le cachet de Pierre Audebaud.
De 1884 à 1904, Pierre Audebaud, Saintonge la Fidélité (1), compagnon Tourneur du Devoir, appose le cachet «AUDEBAUD Père des Compagnons D.D. Souvenir de la Ste Baume et de St Maximin» ; il accompagne parfois son cachet de celui de son prédécesseur et marchand de couleurs à Saint-Maximin, Félix Hotin (2), compagnon charron du Devoir, cachet «F.H. St Maximin». Mais pourquoi avoir attendu si longtemps ?
1) Né à Neuillac (17), le 15 décembre 1825. Succède à Félix Hotin et tient le livre de signatures jusqu’en 1904, année de son décès ; son fils Louis Octave, Provençal la Fidélité, compagnon tourneur du Devoir, reçu à Marseille le 14 février 1887, lui succède à son Tour.
2) Né à La Neuville-Messire-Garnier (60), le 30 avril 1786. Ouvre en 1840 un livre de signatures réservé aux compagnons du Devoir de passage, et le tient jusqu’à son décès en 1863.

Les années 1880 correspondent à la montée en puissance de la Fédération Compagnonnique de tous les Devoirs Réunis qui deviendra en 1889 l’Union Compagnonnique. Face à cela, les compagnons du Ralliement se disant fidèles au Devoir ont aussi besoin de s’unir et cela nécessite des renforts. L’ouverture du livre de passage aux compagnons boulangers du Devoir en est sûrement un exemple, car en laissant signer les compagnons boulangers, d’une certaine façon on s’assure de leur soutien.

De 1904 à 1921, nous n’avons pas encore retrouvé de Marques Secrètes de cette période où serait apposé un cachet de Sainte-Baume, le fait que les compagnons boulangers signent le registre de passage de Louis Octave Audebaud, ne signifie pas qu’ils continuent à faire apposer un cachet sur leurs Marques Secrètes et leurs Levés d’acquit.

En 1924, le livre de Louis Octave Audebaud (fils de Pierre), Provençal la Fidélité, compagnon tourneur du Devoir, est fermé. Son décès l’année suivante explique probablement l’arrêt de l’apposition des cachets de la Sainte-Baume sur les couleurs des compagnons de passage, le registre et les cachets allant de pair.

Cependant, un article publié dans Le Compagnon du Tour de France le 15 octobre 1930 relatant de façon ironique la montée du compagnon René Badaire, Montauban la Ferme Volonté (premier aspirant boulanger du Devoir reçu à l’Union Compagnonnique de Tours), le 11 mai 1930, nous informe du contraire :

« Au fil de la route.
Le P∴ Badaire a fait un bien beau voyage. Il a accompli un pèlerinage que malheureusement peu de CC∴ entreprennent à l’époque actuelle. Le P∴ Badaire a ressenti ce que le fil de la route d’août a essayé de communiquer au CC∴ du D∴, mais il ne paraît pas avoir gravi l’échelon supérieur, l’échelon du Saint-Pilon. S’il l’eût accomplie, cette dernière étape lui aurait appris qu’un C∴ du D∴ n’est jamais au terme de sa tâche, jamais au bout de sa route, que quand il croit avoir mérité récompense, jamais il n’en est aussi éloigné.
Ce qui est arrivé à Badaire est on ne peut plus compagnonnique, c’est du pur symbolisme.

Il n’y a aucune place pour le hasard dans aucun acte compagnonnique, un Compagnon ne doit jamais marcher à l’aveuglette, aucun de ses actes compagnonniques ne doit être accompli sans que tout dans son exécution ait été réfléchi, pesé, mûri. La route est ardue, le fil en est mordant. Le rigide, le farouche, l’incorruptible garde des Sceaux des CC∴ D∴ D∴ n’appose son coup de tampon qu’à bon escient. Si avant d’accomplir son louable pèlerinage, le P∴ Badaire s’était au préalable informé auprès de sa société des conditions qu’il fallût qu’un C∴ du D∴ remplisse pour que Drouet * envoie le coup de tampon suprême, il n’aurait eu aucune déception, aucune plaie ne serait béante à son cœur. Depuis trop longtemps on a pris l’habitude de traiter les règlements par-dessous la jambe, on parle de violer les statuts, on les viole avec un sans-gêne effrayant, qui fait augurer mal pour l’avenir.

Pour un oui ou pour un non, on interprète un statut au mieux de sa commodité, on passe outre même, et, selon qu’on a plus ou moins du toupet, ça passe. Le cerbère Drouet, qui se tient à la sortie de la grotte bien qu’un peu en arrière, a si bien compris qu’il fallait en finir avec ce laisser-aller, que ma foi, il ne lui suffit pas qu’un compagnon soit monté à la Sainte-Baume en compagnie d’un ou plusieurs compagnons attestant l’authenticité de la grimpée, il veut avoir les preuves écrites signées, dûment tamponnées que ce compagnon est en règle avec sa société, c’est régulier, c’est compagnonnique.
Dans ma corporation, chaque compagnon faisait partir son cheval avant lui et il le fait encore. Le voyage du P∴ Badaire agréable à accomplir bien que rude, le printemps prochain sera pour lui un plaisir de le recommencer, avec son cheval sellé cette fois, et le P∴ Drouet se fera un plaisir de sceller les rubans. À propos, je remarque que notre P∴ Badaire a négligé à la suite de son nom et de sa profession de mentionner le rite auquel il appartient, un oubli sans doute, mais j’aime assez les précisions en fait de compagnonnage, on en voit tant sur les chemins. Le fil est cassé, la route est à bout.
F∴ F∴ C∴»

* Gustave Drouet, né le 8 octobre 1868 à Épargnes (Charente-Maritime), Saintonge la Fidélité , compagnon forgeron du Devoir, domicilié à Marseille au 19, rue Magenta (siège des compagnons maréchaux) et 27, rue Fontange, membre du Ralliement des Compagnons du Devoir, section de Marseille, Chevalier de l’Ordre de Maître Jacques et de Soubise en 1921 ; il exerce la fonction de Président de cette section en 1928.

Tableau souvenir « La Ste Baume – St Maximin, dédié par le Pays Badaire, Montauban la Ferme Volonté,
aux compagnons du Tour de France de tous les Devoirs Réunis, Bordeaux ». Écomusée de la Sainte-Baume.

Ce qui nous intéresse plus particulièrement dans ce texte :
«Le rigide, le farouche, l’incorruptible garde des Sceaux des CC∴ D∴ D∴ n’appose son coup de tampon qu’à bon escient.» En 1930, les cachets de Sainte-Baume sont donc toujours apposés lors du passage des compagnons à la Sainte-Baume.

«informe auprès de sa société des conditions qu’il fallût qu’un C∴ du D∴ remplisse pour que Drouet envoie le coup de tampon suprême…» Gustave Drouet, Saintonge la Fidélité, a donc la charge d’apposer les cachets sur les couleurs des compagnons du Devoir, et peut-être sur les passeports compagnonniques des compagnonnages où cette pratique existe, tels les boulangers.

«qui se tient à la sortie de la grotte bien qu’un peu en arrière…» Pour évoquer son adresse sur Marseille et non sur la Sainte-Baume.

«il veut avoir les preuves écrites signées, dûment tamponnées que ce compagnon est en règle avec sa société, c’est régulier, c’est compagnonnique…» Les compagnons doivent montrer leurs Marques Secrètes, cheval, affaires ou autres carrés.

«avec son cheval sellé cette fois, et le P∴ Drouet se fera un plaisir de sceller les rubans…» Le compagnon forgeron Drouet appose bien le cachet sur les couleurs, mais il n’est pas question d’apposition sur les passeports compagnonniques, les compagnonnages concernés ayant vraisemblablement abandonné cette pratique depuis longtemps.

Pour ce qui est de ce fameux cerbère Drouet, c’est l’historien de la Sainte-Baume, René Lambert, Provençal la Fidélité, compagnon charron-carrossier du Devoir qui nous éclaire à son sujet.
Commençons par nous remettre dans le contexte : la guerre de 14-18 a saigné les rangs des compagnons du Devoir et le livre de passage à Saint-Maximin témoigne d’une désaffection à peu près complète du pèlerinage des compagnons.

La Fédération Compagnonnique de la Seine, par la plume d’Abel Boyer, Périgord Cœur Loyal, compagnon maréchal-ferrant du Devoir, prend contact avec Louis Octave Audebaud, Provençal la Fidélité, et celui-ci consent, en date du 10 août 1920, à lui vendre son matériel à frapper les couleurs et divers accessoires.
Mais les cachets ne font pas partie du lot. Ils sont certaine- ment confiés par le compagnon Abel Boyer à la garde de Gustave Drouet, Saintonge la Fidélité, compagnon forgeron du Devoir, pour servir à frapper les couleurs des compagnons du Devoir ayant fait le voyage à la Sainte-Baume ; et cela à l’issue d’un interrogatoire serré, mais aussi très probablement après lui avoir demandé ses documents compagnonniques, comme nous en informe l’article que nous avons lu précédemment.

À la suite du compagnon Drouet, les cachets sont conservés par Guillaume Portier, Bordelais l’Ami du Devoir, compagnon maréchal-ferrant du Devoir domicilié au 122, rue Ferrari à Marseille, celui-ci assure le même service jusqu’à la déclaration de la Seconde Guerre mondiale.
Ce compagnon, solidaire des compagnons maréchaux d’Avignon (qui après la guerre n’adhèrent pas à l’Association Ouvrière des Compagnons du Devoir), refuse de remettre les cachets à celle-ci.
Un accord ne fut trouvé que vers 1960 par l’intermédiaire de Paul Porter, Paul le Bordelais, compagnon menuisier du Devoir. Bordelais l’Ami du Devoir accepta enfin de confier les cachets à Pierre Lambert, Saintonge la Clef des Cœurs, compagnon charron-carrossier du Devoir, père de René Lambert, Provençal la Fidélité , car son entreprise se trouvait sur la route de la Sainte-Baume.
Étant donné la mise en place par l’Association Ouvrière des Compagnons du Devoir de nouvelles couleurs en velours marquées de la Sainte-Baume au fer chaud, ces cachets d’après-guerre n’ont jamais été utilisés.

En 2013, le compagnon charron-carrossier du Devoir René Lambert, Provençal la Fidélité, qui en était le gardien à la suite de son père, les a remis au Centre de la mémoire des Compagnons du Devoir à Angers.

Deux grandes questions se posent désormais à nous :

  • Où se trouve le registre que le garde de la chapelle tient à la disposition des visiteurs évoqué dans l’étude de Fortuné Chaillan intitulée La Sainte-Baume, publiée en 1838 dans la Revue de Marseille et évoqué par Arnaud, Libourne le Décidé « J’avais un registre pour recueillir les signatures des voyageurs qui visitent le désert dit l’ermite. »
  • Gustave Drouet, Saintonge la Fidélité, avait-il ouvert lui aussi un registre pour les compagnons qui passaient chez lui pour faire apposer les sceaux de la Sainte-Baume ? Et si oui, où est-il aujourd’hui ?

Extrait du livre « Le pain des Compagnons » L’histoires des compagnons boulangers et pâtissiers

Laurent Bourcier, Picard la Fidélité, C.P.R.F.A.D.

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