Les chansons
Il y eut, on l’a vu, des désaccords entre les compagnons et certaines de leurs Mères, mais d’autres, la majorité sans doute, laissèrent de bons souvenirs auprès des jeunes qui fréquentèrent leur établissement. Ceux qui savaient composer des chansons ne se privèrent pas de célébrer leur gentillesse, leur amour, leur disponibilité.
Voici quatre de ces chansons dédiées aux Mères de boulangers du Tour de France ; Les deux premières sont d’Arnaud, Libourne le Décidé, et sont signées par un acrostiche (Ces chansons figurent dans les Mémoires d’un Compagnon du Tour de France (1859), p. 431-432 et 452-453.).
< Ci-dessus en photo, Gustave Chenet, Tourangeau Va de Bon Cœur, compagnon bourrelier du Devoir et son épouse, Mère des compagnons boulangers du Devoir de la ville de Tours de 1936 à 1945 au Café Breton, 9-13 place des Halles (1961).
La suivante est de Louis Dequoy, Blois la Fraternité, extraite de son Chansonnier compagnonnique dédié à tous les compagnons du Tour de France (1886). La dernière œuvre est un poème de Dequoy, qui est composé également en acrostiche.
À LA VÉNÉRABLE MÈRE REYNAUD
Sur l’air de Giroflée au printemps
Chantons tous, Devoirants,
De Saumur notre Mère,
Elle, toujours si chère,
À ses joyeux enfants !
Loin de Saumur, Mère Reynaud chérie,
Il faut, encor, que je guide mes pas ;
Bonne maman, toi, notre douce amie,
Oui, pour toujours, mon cœur te sourira.
Un jour, si Dieu veut qu’ici je retourne,
Revoir ces lieux que j’ai tant admirés,
N’oublie pas que DÉCIDÉ LIBOURNE,
En te voyant, par toi fut inspiré.
(Refrain)
Les Compagnons, dont ton nom fait la gloire,
En te nommant leur Mère, en ce beau jour,
De tes bontés garderont la mémoire,
En te vouant le plus sincère amour.
Comble maman, cette tâche sublime,
Il le faut bien pour plaire à l’Éternel,
Des Devoirants, sois donc l’amie intime,
Et tu seras bénie dans le ciel.
(Refrain)
CHANSON DÉDIÉE À Mlle AMANDA MOUSSEAU,
Fille de la Mère des Compagnons Boulangers de Bordeaux,
et chantée par elle, le jour où sa mère a prêté
serment de fidélité à la Société.
Sur l’air du Dieu des bonnes gens
Puisque en ce jour ma mère est votre Mère,
Ah ! permettez à votre aimable sœur
De vous aimer comme on aime un bon frère,
Comblez mes vœux, c’est là mon seul bonheur !
Que l’amitié, la bonne intelligence,
Nous lient tous par les liens les plus beaux ;
Et puis chantez, sur le beau Tour de France,
Vive, à jamais, la MÈRE de Bordeaux !Depuis longtemps, j’admire vos poètes,
J’aime, surtout, leurs aimables chansons :
J’aime à les voir se montrer dans vos fêtes,
Pour entonner la paix des Compagnons !
Par tes bontés, ma mère, rends-toi digne
D’être chantée, un jour, sur leurs pipeaux ;
Mérite, enfin, cette faveur insigne :
Vive, à jamais la MÈRE de Bordeaux.Frères, venez tous embrasser ma mère,
Car, désormais, vous êtes ses Enfants ;
Venez serrez la main à mon vieux père,
De vous aimer, tous deux font le serment.
Ne soyez point ingrats, je vous en prie,
La Sympathie adoucit tant de maux !
À vous aimer, ils passeront leur vie :
Vive, à jamais la MÈRE de Bordeaux !Le vif amour que ma mère vous porte
Ira, je crois, à l’adoration ;
Beaucoup de vous l’oublieront, mais qu’importe,
On doit aimer ses fils d’adoption.
Un jour viendra, ce beau jour, je l’espère,
Riche sera de principes nouveaux.
N’oubliez pas, faisant votre prière,
En voyageant, la MÈRE de Bordeaux.Le jour s’enfuit, avant qu’on s’éparpille,
Entonnons tous, dans un sublime chœur,
Du beau Devoir, l’admirable famille,
Et ce dernier Couplet de votre sœur :
Chers Compagnons, que vos joyeux suffrages,
Ici, ce soir, forment de beaux échos ;
Demain, toujours, chantez, dans vos voyages,
En travaillant, la MÈRE de Bordeaux.
COUPLETS DÉDIÉS À MADAME DURAND,
Mère des compagnons boulangers du Devoir de la ville de Blois
Sur l’air de Je veux finir comme j’ai commencé
Fêtons amis l’heureux anniversaire
Qui nous convie ce soir à la gaieté,
En votre honneur, aimable et bonne Mère,
S’est réunie notre société,
Chers compagnons, en ce jour si charmant,
Chantons en chœur notre Mère Durand.
Douce concorde soit notre conseillère,
Guide nos pas vers la grande union,
Du compagnon que l’aspirant soit frère,
En savourant et bordeaux et mâcon,
Mais aujourd’hui il n’est rien d’aussi grand,
Que de chanter notre Mère Durand.
Un frère, hélas ! est-il dans la souffrance,
Nous la voyons toujours avec bonté,
Le soulager, lui donner l’espérance,
De notre amour elle a bien mérité,
Que dans nos cœurs elle ait le premier rang,
Vive à jamais notre Mère Durand !
À NOTRE BONNE MÈRE DURAND
Pour le jour de sa fête.
Bonne Mère chérie, nous voyons revenir
Le jour de votre Fête, avec un grand plaisir,
Oublier cette date, amis serait vraiment
Ici de notre part, un grand égarement.
Salut à vous trois fois, vous dont le cœur si bon
Dessus le Tour de France, acquiert tant de renom
Il est pour nous bien doux, de pouvoir en ce jour
Tour à tour vous prouver notre mystique amour.
Les enfants du Devoir, rendront toujours hommage
À votre grandeur d’âme, à votre doux langage,
Frères fraternisons, ayons même pensée,
Repoussons loin de nous la discorde insensée.
Au milieu de nous tous, assise au premier rang,
Toujours nous chérirons notre Mère Durand,
Et de fleurs et de fruits, offrons-lui la couronne
Radieuse et jolie, de Flore et de Pomone.
Nous sommes tous joyeux et cela se devine
Ici à notre entrain et votre bonne mine.
Tout nous promet ce soir, une franche gaîté
Est-il rien de plus beau, que la fraternité ?
C∴hantons du beau Devoir les refrains si charmants,
B∴uvons à notre Mère, nous ses joyeux enfants,
D∴onnons-lui de bon cœur, un gage qui nous lie,
D∴onnons-lui compagnons, notre Amour pour la vie.
28 décembre 1878.
Mme Mercoyrol, Mère des compagnons couvreurs et boulangers du Devoir de Paris ; à sa droite Georges Renard, Bourguignon l’Ami des Arts et à sa gauche Louis Chasseray, Manceau l’Ami du Silence. Saint-Honoré 1935, Paris.
En conclusion
Pour conclure ce chapitre sur les Mères des compagnons boulangers du Devoir, lisons Blois l’Ami du Travail, vers 1960, Compagnonnage, journal de l’A.O.C.D.D., nous présentant Gaston Duhameau, Blois l’Ami des Compagnons, qui fit son Tour de France entre les deux guerres :
» C’est toute une époque du compagnonnage en boulangerie. C’est toute une génération de chiens blancs qu’il a formée et qui ne l’oublie pas. [… ] C’est l’image de notre vieux compagnonnage qui disparaît pour faire place à un plus jeune, plus conforme à notre époque, peut- être. Mais, pourquoi le cacher, ceux qui ont vécu (je pense à Nîmes) cette époque exaltante où rien n’était facile ni tout fait, gardent la nostalgie de leur formation : incomplète, parfois trop libre, souvent sans but précis, dans des sièges enfumés où il fallait boire pour avoir l’air d’être « un homme »… Oui… Je sais… Ce n’est pas très formateur dans le vrai sens du terme et pourtant, ont-ils si mal tourné, ceux-là ? …
Eh ! oui… furent-ils de moins bons compagnons, ces anciens d’avant-guerre, que nos Pays d’aujourd’hui ? »
Laurent Bourcier, Picard la Fidélité, C.P.R.F.A.D. Extrait du livre LE PAIN DES COMPAGNONS