Depuis une époque très ancienne, le pouvoir impose aux ouvriers dont les boulangers, des documents de travail.
Le billet de congé
Sous le règne de Louis XV, une lettre patente datée du 2 janvier 1749 généralise le billet de congé qui impose aux compagnons et ou- vriers de se munir d’un certificat écrit par leur maître lorsqu’ils quittent leur établissement et qu’ils doivent présenter à leur prochain employeur au moment de l’embauche, l’équivalent, si l’on peut dire, du certificat de travail contemporain.
(Recueil des édits, déclarations, lettres patentes & c. enregistrés au parlement de Flandres; des arrêts du Conseil d’État particuliers à son ressort; ensemble des arrêts de règlements rendus par cette cour, depuis son érection en conseil souverain à Tournay, vol. VI, Livre numérique Google.)
Lettre patente du 2 janvier 1749 :
Arrêt du Conseil d’État du Roi
Portant règlement pour les Compagnons et Ouvriers qui travaillent dans les Fabriques et Manufactures du Royaume.
Du 2 janvier 1749
« Registré au Parlement des Flandres, avec les lettres patentes du même jour, le 21 février suivant.
Le Roi étant informé que nombre d’Ouvriers et Compagnons des différentes fabriques et manufactures de son royaume, quittent les Fabricants et les Entrepreneurs qui les employent, sans avoir pris d’eux un congé par écrit, sans avoir achevé les ouvrages qu’ils ont commencés et sans leur avoir le plus ordinairement rendu les avances qui leur ont été faites dans leurs besoins, à compte du salaire de leurs ouvrages, que même certains d’entre eux, formant une espèce de corps, tiennent des assemblées et font la Loi à leurs Maîtres, en leur donnant à leur gré, ou les privant d’Ouvriers et les empêchant de prendre ceux qui pourraient leur convenir, soit Français ou Étrangers, et Sa Majesté étant pareillement informée que, par la facilité ou par d’autres motifs, la plupart des Fabricants et Entrepreneurs reçoivent chez eux des Compagnons et Ouvriers, sans s’embarrasser d’où ils sortent et sans s’informer des raisons qu’ils ont eues pour quitter leurs Maîtres, leur conduite à cet égard a beaucoup contribué à l’excès de licence, qui a donné lieu aux plaintes qui ont été portées au Conseil, et sa Majesté voulant arrêter le cours d’un abus aussi préjudiciable aux Manufactures, Vu l’avis des Députés du Commerce, ouï le rapport du sieur de Machault Conseiller ordinaire au Conseil Royal, Contrôleur Général des Finances, Le Roi étant en son Conseil, a ordonné et ordonne ce qui suit :
Article premier. Fait, sa Majesté, très expresses inhibitions et défense à tous Compagnons et Ouvriers employés dans les Fabriques et Manufactures du Royaume, de quelques espèces qu’elles soient, de les quitter pour aller travailler ailleurs, sans en avoir obtenu un congé exprès et par écrit de leurs Maîtres, à peine, contre lesdits Compagnons et Ouvriers, de cent livres d’amende, au paiement de laquelle ils seront contraints par corps.
Article deux. Pourront néanmoins lesdits Compagnons et Ouvriers, dans le cas où ils ne seraient pas payés de leurs salaires par leurs Maîtres, qu’ils en essuyeraient de mauvais traitements, qu’ils les laisseraient sans ouvrage, ou pour d’autres causes légitimes se pourvoir pardevant les juges de Police des lieux, pour en obtenir, si le cas y échet, un billet de congé, qui ne pourra cependant leur être délivré en aucun cas, qu’ils n’aient achevé les ouvrages qu’ils auraient commencés chez leurs Maîtres et acquitté les avances qui pourraient leur avoir été faites.
Article trois. Fait pareillement, Sa Majesté, défense à tous Compagnons et Ouvriers de s’assembler en corps, sous prétexte de Confrérie ou autrement, de cabaler entr’eux pour se placer les uns les autres chez des Maîtres ou pour en sortir, ni d’empêcher, de quelque manière que ce soit, lesdits Maîtres de choisir eux-mêmes leurs Ouvriers, soit Français ou Étrangers, sous pareille peine de cent livres contre lesdits Compagnons et Ouvriers, payables comme dessus.
Article quatre. Fait aussi, Sa Majesté, très expresse défense à tous Fabricants et Entrepreneurs de Fabriques et Manufactures, de prendre à leur service aucuns Compagnons et Ouvriers, ayant travaillé chez d’autres de leur état et profession dans le Royaume, sans qu’il leur soit apparu d’un congé par écrit des Maîtres qu’ils auront quittés, ou des Juges de Police en certains cas, à peine de trois cents livres d’amende pour chaque contravention et de tous dépens, dommages-intérêts : ordonne que pour l’exécution du présent arrêt, sur lequel toutes lettres patentes nécessaires seront expédiées, les Parties se pourvoiront pardevant les Juges de Police des lieux, et en cas d’appel aux Parlements, à ce que nul n’en ignore et exécuté, nonobstant oppositions ou autres empêchements quelconques, pour lequel ne sera différé.
Fait au Conseil d’État du Roi, Sa Majesté y étant, tenu à Versailles le deuxième jour de janvier mil sept cent quarante-neuf. »
Signé : Phélypeaux
Il semble qu’antérieurement à cette date, ce certificat ait déjà été obligatoire pour les garçons boulangers, l’alimentation du peuple étant un sujet sensible pour les autorités.
Steven Kaplan dans une étude intitulée La lutte pour le contrôle du marché du travail au XVIIe siècle, rapporte deux faits à ce sujet, antérieurs à 1749 :
Le commissaire de Courcy, spécialiste des affaires de subsistances, surprend onze garçons boulangers sans certificat, en septembre 1728, chez Bottin, logeur rue du Bout-du-Monde.
Le 13 janvier 1739, les jurés font emprisonner quinze garçons démasqués dans différents garnis et auberges.
(Sentence, 25 septembre 1728, BHVP, n Fn.f. 35380. 4. Arch.nat., Y 15246, 13 janvier 1739.)
La remise de ce billet de congé ne se fait pas toujours sans difficultés, car c’est en effet un moyen de pression des maîtres sur leurs ouvriers. S. Kaplan, dans son étude déjà citée, nous présente de nombreux exemples :
« Buron, maître boulanger, ne livre pas de certificat à son garçon, Jean Chicatton, âgé de 23 ans et natif de Bourgogne, parce qu’il « l’a laissé dans l’embarras » la semaine précédente, s’absentant sans permission de dimanche à mardi. Pour avoir ruiné toute une fournée qu’il a préparée étant « pris de vin », Godard, natif de Roanne, autre garçon boulanger, n’obtient point de certificat. Pour punir son garçon d’avoir « exigé plus par semaine qu’ils n’étoient convenus », un autre maître boulanger ne fournit pas le certificat. » Cette pression obtenue par le certificat de congé obligatoire ne semble pas soumettre l’ensemble des garçons boulangers à leurs maîtres selon S. Kaplan :
«….Maints maîtres se trouvent abandonnés la veille des journées de marché quand il faut des fournées supplémentaires. Cinq garçons quittent Pierre Mouchot, maître boulanger, « sans l’avoir averty et sans être munis de certificats, le laissant dans le plus grand embarras ». Les jurés en retrouvent deux et les envoient en prison. Le « maître garçon » de Charles Gouy, maître boulanger, s’en va brusquement, laissant le fournil en chaos. Jacques Bernart, âgé de 24 ans et natif de Clermont- Ferrand, est arrêté pour avoir fui son maître à cause de « mauvais traitement ». Incarcéré pour un crime crapuleux, Nicolas Chapteau, garçon boulanger, avoue qu’il a déjà mis le pied en prison « pour discipline du corps des Boulangers au sujet de la représentation de ses certificats ». L’inspecteur Poussot mène une campagne vigoureuse d’arrestations de garçons boulangers dans l’espoir que ces exemples « rendront les autres plus sages et retiendroient ceux qui sont chez les maîtres dans leurs devoirs». (Arch.nat., Y 9457, 6 août 1756 ; lettres patentes, avril 1785, BHVP, Y 12627, 30 juin 1767.)
Le refus d’un maître de remettre son certificat à un partant peut entraîner l’utilisation de faux. S. Kaplan donne des exemples :
« Il semble qu’il y ait un véritable marché de faux certificats, tant en province (où les ouvriers en papeterie sont « toujours porteurs de plusieurs congés » et où les compagnonnages sont impliqués dans le trafic de « faux certificats d’acquit et de probité ») qu’à la capitale.
- Un des garçons de Lesueur, maître boulanger, présente un certificat sans nom ni date, apparemment en blanc, sans doute contrefait, qu’il a oublié de faire remplir. (Arch. nat., Y 15375, 3 juillet 1772.)
- Au lieu de se plaindre aux autorités quand son maître lui a refusé son certificat, Jean Dagnat, garçon boulanger, âgé de 33 ans et Auvergnat, en contrefait un. Le cas de Dagnat n’est guère gênant : on l’expédie en prison. (Arch. nat., Y 15375, 3 juillet 1772. 7. Y 15375, 31 juillet 1771.)
Mais les implications sont beaucoup plus graves dans l’affaire concernant un autre garçon nommé Desmange, bénéficiaire maisnon pas auteur d’un faux. C’est son maître Fleuret qui brave les règlements. Pour se protéger et couvrir Desmange, arrivé sans papiers, Fleuret demande à un ami, le maître boulanger Blondeau, de fournir un certificat disant que ce garçon vient de sortir de chez lui. » (Y 9484, 16 mars 1781.)
Le passeport
Le mot passeport proviendrait du document médiéval requis pour passer les portes des villes fortifiées ou plus tard, l’entrée d’un port.
Déjà sous l’Ancien Régime les déplacements sont soumis à autorisation. Le vagabondage, défini précisément par le fait de n’avoir aucun sauf-conduit où « passeport », est sévèrement réprimé. À la fin du XVIIIe siècle, dans les premiers temps de la Révolution, les passeports sont abolis au nom de la liberté de circulation, qui est l’un des premiers droits énoncés par la Constitution de 1791. Mais leur usage est vite rétabli, en droit sinon en fait, avec une multitude de décrets et de lois.
Ainsi les décrets du 1er février et du 28 mars 1792 rendent le passeport obligatoire pour toute personne voulant voyager dans le royaume.
Mais celui du 7 décembre 1792, promulgué par la Convention nationale, permet à l’administration de refuser d’émettre un passeport à quelqu’un qui le demande – décret qui a « force de loi » selon le Conseil d’État (loi des 28-29 juillet 1792).
Le décret du 10 vendémiaire an IV (2 octobre 1795) le rend obligatoire pour voyager en dehors de son canton ; il n’est délivré, pour de strictes raisons, qu’aux citoyens ayant prêté serment civique et doit être visé par le comité de section le plus proche lors de l’arrivée à destination.
Il existait des passeports pour l’intérieur, pour aller de province en province et des passeports pour partir à l’étranger. Ceux de l’étranger étaient délivrés par les préfectures et les sous-préfectures, ceux de l’intérieur l’étaient par les maires et, à Paris, par le préfet de police.
De 1815 à 1870, c’est le décret du 10 vendémiaire an IV (2 octobre 1795) qui est appliqué et oblige les gens à avoir un « passeport de l’intérieur » (2 francs) pour quitter les limites du canton et un « passeport à l’étranger » (10 francs) délivré par la préfecture pour voyager hors des frontières.
Ce décret a subi quelques modifications successives mais n’a pas remis en cause le passeport, au contraire.
En 1828, les voyageurs doivent dire combien ils ont d’argent à emporter afin de ne pas être à la charge des communes portuaires, ils doivent être en règle vis à vis du fisc, les jeunes gens doivent justifier de leur situation militaire.
À partir de 1860, avec le développement des transports, l’usage du passeport pour l’intérieur fut peu à peu abandonné.
Le contrôle par la police du passeport d’un ouvrier boulanger peut parfois très mal tourner, comme nous le rapporte le Journal des débats politiques et littéraires du 28 décembre 1849 (Gallica) :
« Un horrible drame s’est accompli dimanche soir, 23 décembre à neuf heures, dans une maison de la rue Maubet, à Nîmes. Trois agents de police se sont présentés chez le père des compagnons boulangers, et, s’adressant au nommé Durand, lui ont demandé son passeport. Sur une réponse peu satisfaisante de ce dernier, les agents ont voulu l’obliger à les suivre à la mairie. Durand opposait une vive résistance et invoquait le secours de quelques amis présents à cette scène, qui bientôt prirent fait et cause pour lui. Une lutte déplorable s’engagea : l’un des ouvriers, le nommé Bachevalier, tomba au même instant frappé au côté gauche d’un coup de canne à dard. Transporté à l’hospice, le blessé n’a pas tardé à succomber. L’agent de police Renous, que l’on assure être l’auteur de ce meurtre, a été conduit à la maison d’arrêt. La justice informe, aussi n’ajouterons-nous aucun commentaire au récit de cette sanglante tragédie qui a produit dans notre ville la plus pénible sensation. » Le Républicain du Gard
Le livret d’ouvrier ou livret ouvrier
Le livret d’ouvrier, ayant pour racine le billet de congé généralisé en 1749, fait sa première apparition le 17 août 1781.
Le Dictionnaire français illustré et Encyclopédie universelle dirigé par B.- Dupiney de Vorepierre, paru en 1860, le présente ainsi dans sa notice historique :
«…supprimée [l’institution du livret] en 1791, elle fut rétablie par la loi du 22 germinal an XI. La législation qui la régit a été complétée par une loi du 14 mai 1851, par celle du 22 juin 1854 et par le décret du 30 avril 1855.
Au terme de cette législation, les ouvriers de l’un et de l’autre sexe, attachés aux manufactures, fabriques, usines, mines, minières, carrières, chantiers, et tous autres établissements industriels, soit privés, soit appartenant à l’État, ou travaillant chez eux, c’est-à-dire en chambre, pour un ou pour plusieurs patrons, sont tenus de se munir d’un livret. Il n’y a d’exception qu’en faveur de ceux qui font partie d’une société de secours mutuels et qui possèdent un diplôme délivré par le bureau de cette société, la délivrance du livret est généralement confiée aux maires.
Néanmoins elle appartient, à Paris, au préfet de police, et aux préfets de département dans les chefs-lieux dont la population dépasse 40 000 âmes. Le livret a spécialement pour objet de constater les obligations contractées par l’ouvrier envers son patron, de lui faciliter le moyen de se procurer de l’ouvrage, et de mettre l’autorité publique à même de connaître exactement le nombre et les mouvements des ouvriers dans les centres industriels.
Le livret contient les nom et prénoms de l’ouvrier, son âge, le lieu de sa naissance, son signalement, la désignation de sa profession, et le nom du maître chez lequel il travaille.
Un chef d’établissement(s) ne peut employer d’ouvrier qui ne soit porteur d’un livret en règle. Il doit, le jour même où il le reçoit, y inscrire la date de l’admission de l’ouvrier, puis il le rend à ce dernier. Lorsque l’ouvrier vient à quitter l’atelier, il représente son livret au patron, qui y inscrit la date de sa sortie, l’acquit de ses engagements et, s’il y a lieu, le montant des avances qu’il aurait faites à l’ouvrier et dont celui-ci serait redevable dans les limites déterminées par la loi :
Néanmoins le patron n’y peut faire aucune annotation favorable ou défavorable de l’ouvrier. Le livret tient à l’ouvrier lieu de passeport à l’intérieur, il suffit pour cela qu’il soit visé par le maire ou le préfet, suivant les cas, mais le visa indique toujours une destination spéciale et n’a de valeur que pour cette destination. Les contraventions en cette matière sont généralement du ressort du tribunal de simple police, et la pénalité consiste le plus souvent en une amende de 1 à 15 francs, dans certains cas cependant, la peine de l’emprisonnement peut être prononcée, mais sa durée n’excède pas 5 jours. »
Les boulangers eurent le désagrément d’être précurseurs dans le rétablissement de ce livret d’ouvrier. En effet, il fut rétabli pour leur profession un mois plus tôt, en mars 1855, résultat de leur turbulence !
Un bureau particulier près du commissaire de police de la division des marchés était chargé de délivrer ces livrets. Les patrons boulangers se faisaient remettre le livret de l’ouvrier, y inscrivait l’entrée en service, et le remettait ensuite au commissaire de police du quartier qui le conservait tant que l’ouvrier travaillait chez le même patron.
L’ouvrier ne pouvait quitter son emploi qu’après avoir averti son patron cinq jours à l’avance et s’il ne voulait plus exercer son métier, il était tenu d’en faire déclaration au bureau d’inscription.
Les contrevenants aux dispositions de l’ordonnance étaient punis d’une amende de 20 francs, conformément à une ordonnance du 17 août 1781 complétée en 1803 :
Ordonnance du 23 ventôse an XI (14 mars 1803) :
« Le conseiller d’État, préfet de police. Vu l’article des conseils en date du 12 messidor an VIII, ordonne ce qui suit :
Art. 1 -Les garçons boulangers de Paris sont tenus de se faire inscrire.
Art. 2 -Pour l’exécution de l’article précédent, il sera établi un bureau particulier près le commissaire de police de la division des marchés. Ce bureau sera chargé de délivrer aux garçons boulangers les livrets dont il sera question ci-après.
Art. 3 -Pour se faire inscrire, les garçons boulangers devront produire les papiers dont ils se trouvent munis.
Art. 4 -Tous les garçons boulangers sont tenus de se faire inscrire dans un mois, à compter de la publication de la présente ordonnance.
Art. 5 -Les garçons boulangers qui viennent à Paris pour y exercer leur état se feront inscrire dans les trois jours de leur arrivée au bureau établi par l’article 2, sans préjudice des autres formalités auxquelles sont astreints, par les lois et règlements de police, tous les individus arrivant à Paris.
Canne et portrait de Louis Sécheresse, Tourangeau Laurier d’Amour
Arch. familiales.
Art. 6 -Il sera remis un livret à tout garçon boulanger lors de son inscription. Ce livret contiendra le signalement du garçon boulanger et y sera fait mention de son inscription.
Art. 7 -Les boulangers se feront remettre le livret des garçons, à l’instant qu’ils entreront à leur service, ils y inscriront ou y feront inscrire l’entrée des garçons chez eux.
Art. 8 -Les livrets seront déposés dans les 24 heures, au bureau du commissaire de police de la division sur laquelle les garçons boulangers demeurent. Les livrets y resteront tant que les garçons travailleront chez les maîtres boulangers.
Art. 9 -Aucun garçon ne pourra quitter le boulanger chez lequel il travaille, sans l’avoir averti cinq jours d’avance. Le boulanger devra lui en délivrer un certificat. En cas de refus le garçon se retirera devant le commissaire de police, qui recevra sa déclaration. S’il survient des difficultés, le commissaire de police statuera, sauf le recours au préfet de police, s’il y a lieu.
Art.10 -Lorsqu’un garçon boulanger sortira de boutique, son livret ne lui sera rendu qu’après que le commissaire de police y aura fait mention de sa sortie.
Art.11 -Tout garçon boulanger qui voudra cesser d’exercer son état en fera la déclaration au bureau d’inscription.
Art.12 -Pour faciliter aux boulangers les moyens de se procurer des garçons et aux garçons les moyens de se replacer, il y aura près du bureau d’inscription un bureau de placement.
Art.13 -Il sera pris, envers les contrevenants aux dispositions ci- dessus, telle mesure de police administrative qu’il appartiendra, sans préjudice des poursuites à exercer contre eux par-devant les tribunaux, conformément aux lois et règlements qui leur sont applicables et notamment à l’ordonnance du 17 août 1781, qui prononce une amende de 20 francs.
Art.14 -La présente ordonnance sera imprimée, publiée et affichée, elle sera notifiée aux syndics des boulangers.
Les commissaires de police, les officiers de paix, le contrôleur de la halle aux grains et farines et les autres préposés de la préfecture de police sont chargés, chacun en ce qui le concerne, de tenir la main à son exécution.
Le général commandant d’armes de la place de Paris, et les chefs de légions de gendarmerie d’élite et de gendarmerie nationale du département de la Seine sont requis de leur prêter main-forte au besoin. »
Le conseiller d’État préfet Dubois Pour le conseiller d’État préfet Piis
Livret d’ouvrier de Louis Sécheresse, Tourangeau Laurier d’Amour (1859-1902) ; arch. familiales.
L’une des pages du livret d’ouvrier de Louis Sécheresse, Tourangeau Laurier d’Amour ; arch. familiales.
À la suite de la publication de cette ordonnance, une délibération des syndics boulangers de Paris est organisée le 10 germinal an XI (31 mars 1803) ; à l’ordre du jour figure l’article 12.
Voici l’extrait de la délibération concernant le bureau de placement :
« Cet article ne pourvoit pas au salaire des préposés au placement des garçons boulangers, et n’énonce pas que ce salaire sera acquitté, quoiqu’il importe que les préposés soient dans l’indépendance des garçons boulangers.
Vœu général :
- Diviser en trois sections le bureau de placement des garçons boulangers, les deux premiers établis rive droite de la Seine et le troisième sur la rive gauche.
- De fixer les salaires et les frais desdits préposés à 1 800 francs par an.
- D’ordonner qu’il sera perçu un franc pour frais de déplacement et autres à chaque entrée de garçon en boutique et à chaque mutation.
- Que la rétribution d’un franc sera avancée par les maîtres boulangers, et supportée par moitié entre eux et les garçons.
- Que les garçons boulangers non placés par les préposés, ne seront pas moins tenus, avant de se présenter en boutique, de se munir d’une carte des préposés et d’acquitter la rétribution susdite, et qu’observation en sera faite sur la carte par le préposé, dans le cas où le garçon serait pour la journée, parce qu’alors il ne serait point dû de droit de mutation.
- Que tout garçon boulanger qui, sans cause de maladie ou d’absence de Paris resterait un mois sans prendre de l’ouvrage, serait tenu de se présenter au bureau de l’enregistrement pour y faire renouveler à ses frais le dernier enregistrement de son livret. »
Mais la mise en application de ces ordonnances sur le placement reste difficile. L’obligation du livret est mal respectée, surtout à Paris, comme le prouve cette information écrite par les syndics et adressée aux boulangers de Paris, datée du 28 ventôse an XI (19 mars 1803) :
« Messieurs, pour obtenir de la subordination parmi les garçons boulangers, et pouvoir atteindre parmi eux les cabaleurs, ou ceux qui par leurs inconduites ou leur immoralité troublent si souvent le bon ordre et la tranquillité si nécessaire dans nos établissements, monsieur le conseiller d’État, préfet de police, a rendu le 23 ventôse an XI une ordonnance dont copie se trouve en tête du livret de chaque garçon, et dont il vous est aisé de consulter tous les jours les dispositions.
Pour en faciliter l’exécution, nous avons pris, le 10 germinal suivant, conjointement avec les boulangers électeurs, une délibération qui fut homologuée le 15 du même mois par monsieur le conseiller d’État, préfet de police, et dont les dispositions précèdent.
Afin d’assurer plus que jamais l’exécution des dispositions contenues dans l’ordonnance précitée et dans la susdite délibération, nous vous avons adressé à l’époque du 26 germinal an XI, par l’intermédiaire du commissaire de police de votre division, une instruction imprimée qui vous traçait une marche uniforme à suivre pour concourir à l’entière exécution de l’arrêté du gouvernement du 19 vendémiaire an X, des susdites ordonnances et délibérations.
Malgré toutes ces précautions, une foule de contraventions existent encore, elles prennent leur source plus particulièrement dans le peu de connaissance que beaucoup d’entre vous ont de la conduite qu’ils doivent tenir à l’époque de l’entrée du garçon en boutique et à celle de sa sortie, que dans la mauvaise volonté d’éluder les dispositions de ces règlements. Comme ils n’ont été rendus que pour protéger tout à la fois les garçons tranquilles, et les maîtres contre les garçons qui se comportent mal chez eux, et que ce but dépend uniquement de l’uniformité de la marche que chacun des maîtres boulangers doit observer aux époques d’entrée et de sortie des garçons de boutiques, nous avons cru devoir vous adresser la présente instruction, en vous invitant à l’observer avec la plus grande exactitude.
Lorsqu’un garçon se présente chez vous, il doit vous justifier de son livret et d’une carte ou bulletin de placement du préposé, cette carte énonce si le garçon se présente pour boutique ou pour journée.
Dans le premier cas, vous devez inscrire sur votre registre les nom et prénoms de ce garçon, la place qu’il vient occuper et le numéro de son livret.
Le lendemain, s’il reste chez vous, vous devez porter, avec un franc, le livret et le bulletin de placement chez le commissaire de police de votre division, la remise de cette dernière pièce est absolument nécessaire au commissaire de police pour sa comptabilité.
Si le garçon ne reste point, vous devez renvoyer, avant un second délai de 24 heures le bulletin de placement au préposé qui vous l’a adressé, faute de ce renvoi, le garçon étant censé rester chez vous, vous serez tenu d’acquitter un franc pour droit de mutation.
Si au contraire le garçon n’est rendu que pour journée, ce que doit toujours énoncer le bulletin de placement, il vous suffit de remettre le livret et le bulletin de ce garçon au commissaire de police, sans rien payer, parce qu’alors il n’est dû aucun droit.
Dans l’un et l’autre cas, soit que le garçon soit entré pour boutique, ou qu’il soit entré pour journée, à l’époque de sa sortie vous devez lui délivrer un certificat pour retirer son livret de chez le commissaire de police.
Ce n’est point au garçon à porter au commissaire de police son livret et son bulletin de placement, ni la somme d’un franc pour droit de mutation, c’est au maître à avancer le paiement lors de l’entrée du garçon, sauf à lui retenir, au premier paiement qu’il lui fait, dix sous ou cinquante centimes, pour moitié de ce droit.
Si le bulletin de placement, qui doit toujours être accompagné du livret de garçon entrant, énonce par une note particulière, qu’il est dû par lui plusieurs droits pour cause d’interruption du travail pendant un ou plusieurs mois entiers, le maître est tenu d’avancer tous ces droits, sauf à les retenir sur le salaire du garçon au premier paiement qu’il lui fait, le maître n’ayant dans tous les cas que dix sous ou cinquante centimes à payer.
Dans le cas où un garçon se présenterait pour entrer chez vous sans livret, il doit toujours être muni d’un bulletin de placement de l’un des préposés. Ce bulletin vous annoncera si le livret du garçon est perdu ou retenu provisoirement pour renseignement à prendre, et pendant combien de jours il peut rester chez vous sans livret. Dans ce cas, vous ne devez pas moins faire la remise de ce bulletin au commissaire de police de votre division.
Quoiqu’il soit libre de vous procurer des garçons par quelques voies que ce soit, il est bien important de vous faire connaître que tous les abus et toutes les contraventions qui existent dans l’exécution de l’ordonnance de police et des dispositions susdatées, prennent plus particulièrement leurs sources dans la manière peu uniforme de se procurer des garçons.
En effet, la majeure partie des maîtres boulangers s’adresse aux placeurs et aubergistes réprouvés par la police, et non aux préposés, ce qui éloigne de chez ces derniers les garçons, de là viennent les abus et les contraventions qui paralysent les mesures prises contre eux, d’après les instructions de monsieur le conseiller d’État, préfet de police, à messieurs les commissaires de police.
Nous croyons devoir vous déclarer que ce magistrat regarde ces établissements de placements des garçons boulangers et d’aubergistes placeurs, comme illicites et que ce n’est pas de seconder ses vues que de préserver à se faire procurer des garçons par d’autres que par les préposés autorisés par le magistrat. »
Arnaud, Libourne le Décidé, dans ses Mémoires, nous informe qu’il est parti sur le Tour de France « sans livret d’ouvrier et sans passeport, n’ayant aucune idée des us et coutumes des émigrations », il se mettra à jour pour son deuxième départ.
L’on voit le préfet de police de Paris, dans une circulaire datée du 27 mars 1818, en faire grief aux employeurs :
« Il arrive souvent que des ouvriers arrivent à se soustraire à cette obligation […] parce que les maîtres qui les emploient consentent, soit par insouciance, soit pour un autre motif, à les recevoir dans leurs fabriques ou ateliers sans livret. »
Bon nombre de ces ouvriers, en effet, se contentent pour voyager de se faire délivrer un passeport ordinaire qui ne mentionne pas leur qualité et profession. Monsieur le préfet de police de Paris sous le couvert d’un autre motif, oublie de dire que c’est tout simplement pour raisons financières que les maîtres boulangers ne fréquentent pas les bureaux de placement officiels, les placeurs et aubergistes placeurs illicites tirant leurs revenus uniquement des garçons à placer, alors qu’avec le placeur légal, le maître doit contribuer à 50 %.
Les ordonnances et circulaires de 1818, du 13 avril 1819, de 1822, du 26 mai 1827, de 1828, de 1829, ordonnant le renouvellement de tous les livrets des garçons boulangers, ou rappelant la réglementation en cours n’y changeront pas grand-chose.
En 1810 sont interdites les coalitions d’ouvriers, le texte ci-dessous était reproduit sur la couverture intérieure des livrets ouvriers de l’époque :
« Toute coalition de la part des ouvriers pour faire cesser en même temps de travailler, interdire le travail dans un atelier, empêcher de s’y rendre et d’y rester avant ou après de certaines heures, et, en général, pour suspendre, empêcher, enchérir les travaux, s’il y a eu tentative ou commencement d’exécution, sera punie d’un emprisonnement d’un mois au moins, et de trois mois au plus.
Les chefs ou moteurs seront punis d’un emprisonnement de deux à cinq ans. Seront punis aussi de la même peine les ouvriers qui auront prononcé des amendes, des défenses, des interdictions ou toutes proscriptions sous le nom de damnations, et sous quelque qualification que ce puisse être, soit contre les directeurs d’ateliers et entrepreneurs d’ouvrages, soit contre les autres.
Dans le cas du présent article et dans celui du précédent, les chefs ou moteurs du délit pourront, après l’expiration de leur peine, être mis sous la surveillance de la haute police pendant deux ans au moins et cinq ans au plus. »
Napoléon III craignant les agitations ouvrières, l’Assemblée décide de renforcer les mesures de restriction. Une loi est votée pour généraliser le livret d’ouvrier. Ce dernier a pour objectif de contrôler le travail et le déplacement des travailleurs, le maire ou le préfet étant maître de sa régularisation.
Voici un extrait du règlement à l’intention des maîtres boulangers d’Orléans (Organisation de la boulangerie de la ville d’Orléans ; Gand, 1853, Gallica.), datant de 1853 :
Art. 25 : Les boulangers sont également assujettis aux visites que le syndic et adjoints feront chez eux pour s’assurer si la quantité de la farine fixée pour leurs approvisionnements respectifs est constamment en réserve, si les farines que les boulangers emploient sont de bonne qualité, si le pain est bien fait, si le poids du pain est juste, si les fours sont en bon état, si les compagnons qui travaillent chez eux sont en règle. Dans le cas où lesdits syndics et adjoints découvriraient quelques négligences ou contraventions, ils en feront de suite leur rapport au maire. S’il y a lieu de dresser procès-verbal, ils requerront au commissaire de police de le faire.
Art. 26 : Tous les compagnons boulangers devront, aussitôt leur arrivée à Orléans, se présenter au bureau central de police établi à la mairie, pour y faire viser leurs passeport et livret dont ils doivent être porteurs.
Art. 27 : Les maîtres boulangers devront, dans les vingt-quatre heures de l’entrée ou de la sortie des compagnons de leur service, en faire la déclaration au bureau de police. Il leur est défendu de recevoir chez eux des compagnons boulangers qui ne leur auront pas justifié de leur inscription au bureau de police. Ils ne pourront également recevoir un compagnon sortant de chez un autre boulanger, si son livret ne porte un certificat visé au bureau de police, constatant la conduite qu’il aura tenue chez ce dernier.
Tous les compagnons servant chez les boulangers d’Orléans au moment de la publication de ce présent règlement devront se faire inscrire dans les huit jours au bureau de police.
Les livrets de compagnons devront rester entre les mains des maîtres boulangers jusqu’à leur sortie, pour être représentés aux syndics et adjoints, et aux commissaires de police toutes les fois qu’ils le requerront. »
Le maître conserve le livret de l’ouvrier pendant toute la période où ce dernier est à son service. L’ouvrier ne peut donc partir quand il le souhaite ; ce n’est qu’à partir de 1854 (loi du 22 juin 1854) que le livret lui est laissé entre les mains.
Le délit de coalition est aboli le 25 mai 1864 par la loi Ollivier, mais le livret d’ouvrier est obligatoire jusqu’en 1890, et certains seront encore délivrés en 1908.
Extrait du livre « Le Pain des Compagnons » L’histoire des compagnons boulangers et pâtissiers
Laurent Bourcier, Picard la Fidélité, C.P.R.F.A.D.