Le Congrès de Paris 1911

LE CONGRÈS DE PARIS DE 1911, DIT CONGRÈS DE LA «MODERNISATION DES RITES»

Congrès du 1er mai 1911, le premier qui n’a pas lieu à Blois, Cayenne mère du Tour de France;
Est celui du changement, encouragé par les principaux acteurs du compagnonnage de l’époque.

Comme nous le découvrons dans un article de presse publié dans Le Ralliement des Compagnons du Devoir du 15 mars 1911, signé par son rédacteur Louis Barthès, Plein d’Honneur le Languedocien, compagnon cordier du Devoir :

« Très heureux de constater l’essor nouveau que prend la corporation des compagnons boulangers du Devoir, nous voyons avec plaisir leur congrès de Paris, pour modifier, transformer, moderniser leurs règlements, mœurs et coutumes.

Puissent leurs travaux n’être paralysés par aucun obstacle et que les délégués de toutes leurs cayennes, dignement représentées à ces assises, fassent bonne et utile besogne, évitent les personnalités et travaillent au bien-être général de l’ensemble de la société.

Beaucoup de corporations s’éteignent petit à petit par le progrès du machinisme. Il n’en est pas de même dans la corporation de la boulange, il faut partout et toujours du pain, et partout les boulangers devraient avoir des sièges à l’exemple de certaines villes, telles que Troyes et Blois, très prospères qui ont en grand le monopole du placement.

Depuis quelques années plusieurs villes ont remonté leurs Cayennes grâce à un noyau de compagnons dévoués. Dijon est très prospère, chez la Mère il n’y a pas de flâneurs, et les hommes manquent.

Lyon, Bordeaux ont tenté un effort, leur Cayenne est debout. Nîmes, défendue par une poignée de braves et dévoués compagnons, fait tous ses efforts pour maintenir haut et ferme le drapeau du Devoir.

En un mot la volonté ne manque pas, mais ce qui leur rendra leur vigueur, c’est la cohésion du groupement, l’initiative du Conseil central propageant les bonnes idées des uns et des autres, le plus fort aidant le plus faible, et je me contenterai de signaler l’article du compagnon Élie * de Limoges, démontrant si bien les avantages du groupement.

Compagnons boulangers du Tour de France, jeunes ou anciens, qui avez en tête quelques transformations à apporter à votre société, n’hésitez pas, faites-en part à votre cayenne ou adressez-les à votre administration centrale, 16 rue Charlot, Paris ; le but entrepris par les compagnons de Paris est noble et généreux.

Répondez-y franche- ment, loyalement, échangez maintes lettres, trouvez le bon terrain d’entente et arrivez tous au congrès avec des idées bien définies, bien arrêtées, de travailler de toute votre ardeur, de tout votre cœur, et, tout en vous conformant à la discipline de la majorité, vous aurez amélioré le sort des compagnons boulangers et bien mérité du compagnonnage. »

* Martial Elie, Limousin la Sagesse compagnon passant charpentier du Devoir, Chevalier de l’Ordre de Jacques et Soubise (1930).

Abel Boyer, Périgord Cœur Loyal y mettra aussi de sa plume, dans le journal Le Ralliement des Compagnons du Devoir du 15 avril 1911 :

« À mes amis les boulangers, Asnières, le 8 avril.

Les boulangers, ces chiens enfarinés ne sont pas d’hargneux cerbères. Ce sont les plus jeunes cadets du compagnonnage, et ce n’est pas parce qu’ils n’ont que cent ans d’existence qu’ils seraient indignes d’être parmi nous.

Je crois au contraire qu’ils ont marqué d’une date nouvelle l’histoire terne du compagnonnage. Avant qu’il y ait eu des chiens de cette race, le compagnonnage se concrétisait entre quelques corporations du bâtiment et de l’industrie. En dehors de cette église de l’art, point de salut. Quand les scientifistes maréchaux et cordonniers y furent admis de force et de ruse, on batailla fort sur les champs pour interdire l’accès du temple à ces maudits espontons.

Et toutes ces guerres n’avaient qu’un but, conserver le droit d’association entre quelques métiers perdus entre mille autres. Cet esprit de lutte s’appelle encore de nos jours le corporatisme. Le corporatisme est la synthèse des mots vanité, égoïsme, routine, et c’est ce corporatisme qui fut le meurtrier du compagnonnage.

Je n’ai jamais pu comprendre comment des hommes, qui se reconnaissaient le droit de s’unir et de s’entraider, refusaient, à grand renfort de coups de cannes, cet élémentaire droit à d’autres hommes, parce que ces hommes n’exerçaient pas la même profession qu’eux. Certainement peu de compagnons d’à présent soutiendront pareilles thèses, mais il n’en est pas moins vrai que le corporatisme existe encore dans le compagnonnage et que c’est la plaie qui le ronge et l’anéantira si nous ne réagissons pas.

Quand les boulangers portèrent canne, on leur contesta ce droit, et malgré le fruit de leur travail dont le plus artiste des compagnons ne peut se dispenser, ils furent durement traités. Je puis vous assurer que si quelque corporation perdit le goût du corporatisme, ce fut bien celle-là. Le titre de mitron se payant d’un coup de trique, personne ne s’enorgueillissait.

Ce fut donc pour cela que les boulangers furent peut-être, de tous les compagnons, les plus fraternels. Eux, au moins, n’apportaient pas dans leurs relations avec les autres compagnons, la suprématie de leur art.

Ils ont conservé cette diplomatie corporative qui leur vaut l’estime des générations compagnonniques nouvelles. De tous les compagnons, j’ose dire que ce sont les plus dévoués à la cause générale, les autres corporations s’occupent beaucoup d’elles-mêmes et souvent avec la maladresse qu’engendre un égoïsme fatal.

Ils vont avoir un congrès, ces braves loulous blancs, ils en ont besoin. Chez eux, c’est comme chez tant d’autres, la dispersion des efforts. Des sièges, ils en ont partout, les uns riches, les autres purotins. Le riche serait-il gavé d’or qu’il ne viendra pas en aide à un autre plus malheureux et pourtant il se pourrait parfois que le siège en souffrance fût celui qui procure le plus d’adhérents aux sièges plus heureux que lui.

Cela n’est qu’un côté de tous les côtés défectueux de leur organisation. Aussi l’ont-ils compris depuis longtemps, puisqu’ils se décident à réagir dans un congrès. Un congrès ça coûte, et cela ne s’organise pas en un seul jour.

Il y a des villes qui ne supporteront que difficilement de tels frais, mais il n’en eût pas été de même si leurs fonds eussent été centralisés, la caisse centrale eût pu combler tous les frais au grand soulagement des petites sections comme Nîmes et Montpellier que je connais particulièrement bien.

J’espère, et tous les compagnons espéreront avec moi, que de ce congrès sortira une société unique répartie sur tout le Tour de France en sections. Ils sauront unir leur fonds de caisse pour créer le noyau du futur capital social qui attirera vers lui plus d’adhérents que toutes les conduites et manifestations compagnonniques que l’on puisse imaginer.

Nous espérons aussi que le congrès prendra la résolution de contracter alliance de capitaux avec toute société organisée sur le même pied d’égalité qu’elle, et de participer à tous les congrès intercompagnonniques convoqués en ce sens.

Les boulangers seront peut-être les hardis pionniers qui traceront le sentier nouveau où le compagnonnage doit s’engager sans tarder s’il ne veut pas dépérir comme un vieil arbre que les vents d’automne effeuillent de leur souffle glacé. Mes amis les boulangers qui furent mes premiers éducateurs, mes inspirateurs, pourrais-je dire, ne me sauront point de mal d’avoir ainsi exprimé mon opinion vis-à-vis d’eux.

Je leur dirai, pour m’en excuser, très simplement ceci, ce n’est pas en maréchal que je vous juge, mais en compagnon, car quand nous cesserons d’être des boulangers, des charpentiers, des maréchaux, pour être des compagnons, ce jour-là nous serons réellement tous Frères. Venus à l’aurore d’un siècle de progrès, compagnons boulangers, soyez avec lui, mon cœur est avec vous. »

Photo à Tours, de cette même année 1911, « Commission de la Fête Compagnonnique du 24 septembre 1911 »

Il semblerait que ce congrès ait été « mouvementé », certaines irrégularités concernant le délégué de la Cayenne de Dijon ayant été constatées par certains.

En effet, les compagnons scissionnistes, fondateurs des Enfants de la Vérité, reprochèrent à Claude Poulet, Mâconnais l’Ami du Progrès, P.E.V. de la Cayenne organisatrice, d’avoir laissé pénétrer un profane, le sieur Menaut, dit Bourguignon, délégué au placement de la ville de Dijon, 18e Cayenne du Tour de France. Ce boulanger n’aurait jamais été reçu compagnon boulanger du Devoir et aurait participé à toutes les assemblées de ce congrès.

Puis, second problème, l’interdiction faite à François Magnan, Angoumois l’Exemple de la Justice, délégué de la Cayenne de Rochefort, de siéger à ce congrès. Ce dernier avait pour mission de défendre la proposition de sa Cayenne d’intégrer au compagnonnage du Devoir d’autres métiers de l’alimentation, parrainés par les compagnons boulangers.

L’enthousiasme à rapporter les travaux de ce congrès dans la presse compagnonnique sera bien loin de celui constaté lors de sa préparation, un modeste article sans détail sera publié :

« Paris, le 6 juin 1911,

Après vous avoir salué en Devoirants, L.:P.:E.:T.:F.: et en même temps pour vous prier de vouloir bien insérer la présente dans votre estimable journal, afin de porter à la connaissance du Tour de France que le congrès compagnonnique que vous avez bien voulu annoncer en son temps a eu lieu le premier mai avec un plein succès.

Les travaux du congrès ont porté sur la révision du règlement, l’obligation de la visite médicale pour l’admission des aspirants, la mise à l’étude d’un projet de caisse centrale et surtout la modernisation de la réception compagnonnique.

Une R.: selon le modèle adopté, a eu lieu à la suite du congrès. Elle a été très bien réussie.

Chadeau Claude, Savoyard Cœur Fidèle. Frescaline Louis, Quercy l’Enfant Joyeux. Lacombe Edmond, Rouergue l’Étoile du Devoir. Magnabal Auguste, Albigeois la Bonne Conduite. Penaud Esmain, Bordelais la Vivacité. Sainsart Albert, Guépin la Tranquillité. Scholle Frédéric, Suisse le Courageux. Talou Jean, Montauban le Bien Décidé. Vigne Maurice, Tourangeau le Bien Décidé.

Un banquet suivi d’un bal au Salon des Familles a clôturé ce beau congrès des compagnons boulangers du Devoir.

Avec nos remerciements anticipés, recevez C.: F.: Barthès, nos cordiales poignées de main compagnonniques.

Pour la société et par ordre : A. Barrault, Guépin l’Aimable Conduite, secrétaire adjoint. »

Extrait du livre « Le pain des Compagnons » L’histoires des compagnons boulangers et pâtissiers

Laurent Bourcier, Picard la Fidélité, C.P.R.F.A.D.

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