La représentation de l’enfant pauvre des rues, du « Gavroche » est banale dans la littérature au XIXe siècle, Rimbaud s’y essaie en 1870, en proposant ce tableau qui se passe à Paris, cinq enfants agglutinés devant le soupirail d’une boulangerie, il est fortement contrasté, la neige et la nuit, le fournil qui s’allume dans la brume et le froid. Une description merveilleuse, d’époque, du boulanger et de son pain qui nous intéresse ici.
Pour peindre l’intensité du désir qui porte les petits pauvres vers le spectacle du pain qu’on enfourne, Rimbaud fait appel à tous les sens : chaleur du four, odeurs des « croûtes parfumées », chants superposés des garnements qui « grognent », des « croûtes » du pain qui croustillent et du cri-cri des « grillons ». La mère de Rimbaud a cinq enfants et sa description illustre les multiples fugues du jeune Arthur qui en fait aussi, un poème autobiographique.
Les contrastes sont nombreux, l’hostilité de l’hiver contre la convivialité du climat chaleureux du fournil, la froideur du vent, des gens, symbole de l’indifférence sociale contre le chant des grillons, de la nature vivante. Le soupirail clair et chaud comme un sein, la mamelle nourricière contre la nuit sombre et la froidure de la rue a l’atmosphère lugubre. Une sorte de satire sociale et politique qui entrecroise les thèmes de l’enfance et la misère sociale, les misérables de Rimbaud…
À lire ou à écouter ci-dessous, conté par Auguste Vertu.
Noirs dans la neige et dans la brume,
Au grand soupirail qui s’allume,
Leurs culs en rond [,]À genoux, cinq petits, — misère ! —
Regardent le boulanger faire
Le lourd pain blond [.]Ils voient le fort bras blanc qui tourne
La pâte grise, et qui l’enfourne
Dans un trou clair.Ils écoutent le bon pain cuire.
Le boulanger au gras sourire
Chante un vieil air.Ils sont blottis, pas un ne bouge,
Au souffle du soupirail rouge,
Chaud comme un sein.Quand, pour quelque médianoche,
Façonné comme une brioche,
On sort le pain,Quand, sur les poutres enfumées,
Chantent les croûtes parfumées,
Et les grillons,Quand ce trou chaud souffle la vie
Ils ont leur âme si ravie,
Sous leurs haillons,Ils se ressentent si bien vivre,
Les pauvres Jésus pleins de givre,
Qu’ils sont là, tous,Collant leurs petits museaux roses
Au grillage, grognant des choses
Entre les trous,Tout bêtes, faisant leurs prières,
Et repliés vers ces lumières
Du ciel rouvert,Si fort, qu’ils crèvent leur culotte,
Et que leur chemise tremblote
Au vent d’hiver.
ARTHUR RIMBAUD (1854 – 1891)
Laurent Bonneau Normand la Fidélité C.B.R.F.A.D. et Laurent Bourcier, Picard la fidélité C.P.R.F.A.D.