Aujourd’hui est fêté le bicentenaire de la Bataille de Borodino (7 septembre 1812), victoire française sur les troupes russes, ouvrant la route de Moscou à la Grande Armée. Ce bicentenaire m’a donné l’idée de faire une petite étude sur la boulangerie militaire de Napoléon lors de cette période de la campagne de Russie.
La fourniture du pain aux armées est bien sur une priorité de l’Empereur, mais nous allons découvrir que cela ne se faisait pas sans peine. Déjà en 1807, en Pomeranie des difficultés sont rencontrées, Girault, musicien d’état-major, ne peut se nourrir que de pain plein de vers.
Face à ces situations désastreuses pour le moral des troupes, Jérôme Napoléon, roi de Westphalie fit parvenir et distribuer du pain de munition. « Le tout était si mauvais que les soldats n’en voulurent pas, et, si le commis chargé de la distribution ne s’était sauvé sur son cheval au galop, on lui eut fait un mauvais parti. » ecrira Girault *.
Image satirique anglaise de janvier 1806. Napoléon, est dépeint sous les traits d’un boulanger sortant, tout chaud du four, les nouveaux rois de Bavière, de Württemberg et de Baden. Dans un panier, les nouveaux rois, issus de sa famille : Joseph, qui deviendra roi de Naples, Louis, future roi de Hollande, Jérôme, roi de Westphalie en août. Les souverains chassés sont ensevelis sous de la cendre dans le four.
En février 1812 à Stralsund (Pomeranie), la ration quotidienne pour chaque homme logé dans une ferme est la suivante : une livre et demi de pain de munition compose de 2/3 de seigle et 1/3 de froment, 120 g de pain blanc de pur froment, 300g de viandes y comprit la tète et fressure, 240g de légumes secs ou deux livres de pommes de terre, 1/30 ème de livre de sel et 1/16 ème de pinte d’eau de vie. Ce régime de distribution allait bientôt disparaitre avec la dramatique campagne de Russie, et cela malgré toute l’attention que l’Empereur portait sur ce sujet.
Voici quelques extraits de courriers de sa main lors du début de la campagne de Russie :
Au Prince de Neufchâtel et de Wagram, major général de la Grande Armée (Louis Alexandre Berthier), à Vilnius.
« Vilna, le 2 juillet 1812.
Mon Cousin, charge un officier d’état-major de suivre la construction des fours. Depuis cinq jours que nous sommes à Vilna, ils devraient déjà être construits, et cependant ils ne sont pas encore commencés. La cause en est un défaut de chevaux pour transporter les briques. Cependant l’ordonnateur Joinville a des chevaux du service du petit quartier général, le dixième bataillon des équipages est arrivé, et enfin il y a une grande quantité de chevaux de trait attachés au quartier général et aux officiers d’état-major, a commencer même par ceux de ma Maison.
Il était donc convenable que, pour une opération aussi importante que le construction des fours, on commandât des chevaux de corvées.
Mais l’état-major est organisé de manière qu’on n’y prévoit rien.
Napoléon. »
Berthier, major général de la Grande Armée.
Le 11 juillet 1812 a Vilna
Ordre au maréchal Mortier, duc de Trévise, commandant la Jeune Garde, à Vilna:
« …Faire prendre les devants à deux compagnies de sapeurs, et réparer la route. L’officier d’ordonnance en a le croquis tracé par les ingénieurs, il y a un passage dans la forêt qui est mauvais, le mettre en état. A l’arrivée des constructeurs, travailler aux fours, à disposition, un convoi de soixante et quinze voitures du 6e bataillon d’équipages militaires portant un millier de quintaux de farine.
On dit le pays très-bon, se procurer des ressources; avec une ferme discipline, tout porte à penser que des magasins de farine et d’avoine se trouveront. Toute la Garde s’y rendra; écrire tous les jours pour rendre compte de la nature du pays et des nouvelles… »
Le même jour, ordre au maréchal Berthier, Prince de Neuchâtel et de Wagram, major général de la Grande Armée, à Vilna.
« …Demain à 6 heures du matin, le maréchal Mortier partira avec la division Delaborde, ayant huit pièces de canon, 600 chevaux de cavalerie légère de la Garde, chasseurs à cheval, lanciers polonais et hollandais, commandés par le général Lefebvre-Desnouettes. Il aura aussi avec lui tous les constructeurs de fours de la Garde, le parc du génie, composé d’une compagnie du train du génie, d’une compagnie de marins de la Garde, de plusieurs compagnies de mineurs et sapeurs, telles que le général Chasseloup en donnera le compte, et enfin d’une compagnie des ouvriers du Danube avec ses officiers. Il fera en sorte que tout cela se mette en route à 3 heures du matin.
Une heure après, la division Roguet partira pour Lovarichki, Mikhalichki et Kobylnik, puis Gloubokoïé. S’assurer que tout son monde ait des vivres à raison d’une demi ration de pain, d’une once et demie ou deux onces de riz, et d’une livre de viande, pour le 12, le 13, le 14, le 15, le 16, le 17 et le 18. Le général Lefebvre-Desnouettes gagnera deux jours avec sa cavalerie, un commissaire des guerres, les constructeurs de fours, une compagnie de sapeurs et un officier de génie, afin de construire douze fours à Gloubokoïé. »
Le 10 aout 1812 a Vitebsk
Ordre au maréchal Davout, Prince d’Eckmühl, commandant le 1er corps de la Grande Armée, à Doubrovna:
« …Vous ne m’avez pas encore envoyé l’appel du 8e corps, du 5e corps, ni du 4e corps de cavalerie; envoyez-moi ces appels le plus tôt possible. Vous ne m’avez pas fait connaître si vous avez des fours à Orcha, à Mohilef, à Rossasna et à Doubrovna. Je vous prie de me répondre le plus tôt possible. Il serait bien important d’avoir des fours à Orcha, Doubrovna et Rossasna, dans cette dernière ville surtout; s’il n’y en avait pas, faites-en construire douze. J’ai requis, il y a quinze jours, 6000 quintaux de farine à Borisof: 2000 sont arrivés ici, j’ordonne que les autres 4000 soient dirigés sur Orcha. J’en fais requérir 10000 à Minsk, 4000 à Sienno, et j’envoie des agents pour organiser ces convois et les diriger sur Orcha.
Tous les convois de l’armée vont changer de route à Kamen et se diriger également sur Orcha. Est-ce qu’on ne peut pas requérir dans le gouvernement de Mohilef ? Il devrait pourtant offrir la ressource de quelques milliers de quintaux. Il me semble que, depuis le 20, vous n’avez pas suffisamment approvisionné votre point central d’Orcha ou de Kokhanovo. Faites-moi un projet de route d’étape de Kamen à Orcha. Aussitôt que mon mouvement sera démasqué sur Smolensk, Orcha deviendra le point central de l’armée, et il est probable que je prendrai alors ma direction par Borisof, Minsk et Vilna. »
Arrivée en Russie, la situation se complique encore pour la grande armée, Heinrich Ulrich Ludwig Roos, médecin militaire au 3 3ème régiment des chasseurs à cheval Wurtenbougeois, (« Avec Napoléon en Russie: Souvenirs de la campagne de 1812 », publiés en 1832 à Saint-Petersbourg. Roos appartenait comme médecin) dans ses mémoires, nous dit avoir vu faire le pain de la façon suivante :
Des grenadiers français s’étaient emparés d’une jarre à eau dans laquelle ils avaient mis de la pâte, les uns la malaxaient et la mettaient en forme de miche allongée, les autres prenaient ces gâteaux et les déposaient sur des charbons ardents et de la cendre brulante, puis les retournaient avec leur baïonnette pour ne pas se bruler, cette opération était continuée jusqu’a ce que la pâte devint dure et rôtie. Ceci fait, d’autres enlevaient la cendre adhérente au pain, nettoyaient les miches, jusqu’au moment où tout l’approvisionnement de pâte était cuit, alors seulement, on faisait la distribution.
Pour parer à la difficulté de distribuer le pain préparé aux soldats, qui est essentiellement du, non pas à l’absence de fabrication, mais à l’absence, ou tout au moins, à l’insuffisance de fours, Napoléon tente d’en revenir au système romain de distribution de blé en nature, mais sans succès, car l’utilisation de moulins portatifs pose le problème insoluble de la suppression du blutage et parce qu’on considère comme immangeable un pain dont on n’aurait pas extrait le son.
Puis septembre 1812, la bataille de Borodino et l’entrée dans Moscou… et un mois plus tard… la retraite.
Là, il n’est plus question de construction de four… il n’est plus question de pain avec ou sans son… il est juste question de survivre…
Le Tsar et ses généraux donneront ordre de détruire toutes les meules de moulin et tous les fours se trouvant sur le chemin de la retraire, de Moscou à l’Allemagne. Ces ordres seront exécutés…
Une véritable catastrophe pour le soldat de la Grande Armée… Situation difficile aussi pour le soldat Russe, mais de moindre importance, celui-ci étant habitué dans une certaine mesure à se nourrir de céréales cuite à l’eau et/ou en bouillie.
Nous trouvons sur certain site internet dédie à la boulangerie, l’information selon laquelle Napoléon était équipé de boulangerie militaire mobile dites « portatives », ses lignes ci-dessus démontrent que ces affirmations sont erronées, car il est bien question tout au long de ces courriers de construction de fours en briques.
Une confusion certaine à lieu entre la première construction et essai d’un four de campagne en fer par le général Haxo, employé au parc du génie du 1er corps de la grande armée pendant la campagne de 1812, et une imaginaire mise en service dans les armées…
Mais cela est une autre histoire…
* Les Campagnes d’un musicien d’état-major pendant la République et l’Empire, 1791-1810, par Philippe-René Girault, ex-musicien d’état-major au régiment de Perche, au 6e bataillon de la Haute-Saône, au 5e hussards, au 93e de ligne, maître de psallette à la cathédrale de Poitiers. Introduction par Frédéric Masson. Précédé d’une notice sur P.-R. Girault par Charles Girault Editeur : P. Ollendorff (1901)
Laurent Bourcier, Picard la Fidélité C.P.R.F.A.D.
Fichtre ! quelle recherche !
très bel article,instructif et bien documenté!
on en redemande…
Amicalement…
TCF Picard
Merci pour cette page d’ histoire sur la boulangerie.
Ce fut très instructif et j’ai hâte de lire d’autre texte sur ce thème au niveau militaire.
Fraternellement
Bourguignon L’Ami du Tour de France
CPRFAD