Par Thierry Meunier Meilleur Ouvrier de France en Boulangerie et Compagnon Boulanger Resté Fidèle au Devoir.
« Le devoir de retransmission du savoir »
Par Thierry Meunier, Normand la fierté du devoir, Meilleur Ouvrier de France et Compagnon boulanger Resté Fidèle Au Devoir ayant actuellement implanté plusieurs boulangeries dans la capitale après un parcours de formateur/consultant international.
« Ce qui prouve qu’on sait réellement une chose, c’est d’être capable de l’enseigner à autrui ».
Aristote
Richesse immatérielle, le savoir est le fruit de l’intelligence humaine. Il s’est transmis entre les hommes depuis des temps immémoriaux. La transmission des savoirs a connu ses prémices dès le début des premières inventions, à commencer par la démonstration et le partage des techniques de maîtrise du feu par les hommes il y a environ 600 000 ans de cela. Il se développe ensuite avec les mythologies que les hommes perpétuaient oralement. La magie était étroitement liée à la connaissance et le sorcier fut sans doute le premier maître du savoir, fondant son pouvoir sur la possession de techniques qu’il conservait secrètes. Ensuite, l’invention des premières formes d’écritures (à Sumer, à Alexandrie, à Babylone) donne un nouvel élan à la diffusion du savoir. Sa transmission n’a cessé d’être l’enjeu des civilisations dans un souci continuel de sauvegarde des connaissances par la naissance et le développement de l’écrit. Dans cette approche historique, le compagnonnage est le premier dispositif ayant attribué dès ses débuts une importance fondamentale à la transmission des savoirs par l’apprentissage manuel. Cette pratique de professionnalisation aux origines lointaines et forte des inspirations liées aux légendes de la construction du temple de Salomon à Jérusalem ou de la construction des cathédrales, renvoie à la vocation du devoir de transmettre. Tout compagnon se doit de transmettre ce qu’il a lui-même reçu : c’est le principe de la retransmission. L’ensemble de la formation et de la carrière de chaque compagnon se déroule sur la base de ce devoir de retransmission libre et gratuit.
Comme vous l’aurez compris, le savoir fait partie intégrante de l’histoire des civilisations et à l’ère moderne, il participe aujourd’hui au développement de notre artisanat. Cette valeur est plus que jamais au cœur des préoccupations de notre société et permet de lutter contre le dramatique risque d’érosion des savoirs artisanaux.
Tout d’abord, qu’entendons-nous par « REtransmettre » ? Le dictionnaire Larousse nous offre plusieurs définitions : « faire passer quelque-chose de quelqu’un à quelqu’un d’autre », « déléguer un pouvoir (…) en cessant soi-même une fonction », « faire passer quelque chose à ceux qui viennent ensuite, à ses descendants, à la postérité », « communiquer quelque chose à quelqu’un après l’avoir reçu ». Ces premiers éléments nous informent sur le contenu et les enjeux de cette notion de retransmission. On comprend qu’il s’agit de donner à autrui ce que nous avons nous-mêmes capitalisé en terme d’expérience et de connaissances après les avoir reçues, ceci afin que perdure le message, le savoir-faire. Retransmettre, c’est aussi mémoriser et surtout partager des savoirs qui vont permettre à ceux qui les reçoivent de mieux comprendre des objectifs généraux, des procédures, un contexte et des situations particulières de travail. Cette précieuse connaissance favorise l’adaptation et les capacités d’apprentissage. Ainsi, le savoir se développe tout au long de la vie.
Sujette à de multiples évolutions, la transmission des savoirs ne s’arrête ni aux murs des institutions éducatives ni à la fin de la formation initiale dans notre modèle contemporain. Le contexte actuel de société du savoir met en exergue la compétence de l’homme au travail. Les concepts de « Knowledge Management » ou gestion des connaissances, tutorat et autre gestion prévisionnelle des emplois et des compétences (GPEC) démontrent qu’il est aujourd’hui fondamental pour les organisations de (re)penser l’avenir, en particulier celui du métier et de sa retransmission.
Dans ce second article dédié à La Tribune Des Métiers, je vais à travers mes propos essayer de répondre à plusieurs grandes interrogations en vue de vous faire partager mes retours d’expérience sur mon parcours de Compagnon Boulanger Pâtissier Resté Fidèle Au Devoir (CBPRFAD) mais aussi en tant qu’artisan boulanger Meilleur Ouvrier de France, de formateur en école puis de consultant international. J’apporte ici ma vision et surtout ma philosophie du métier.
POURQUOI RETRANSMETTRE ?
« Jusqu’à son dernier souffle, le compagnon doit retransmettre ce qu’il a lui-même appris. »
PAR DEVOIR. C’est la vocation première du compagnon. A titre personnel, c’est une évidence, car c’est dans ma nature. La retransmission permet d’armer nos enfants face aux difficultés du métier et cela contribue parallèlement à enrichir leur savoir. Aussi, en remplissant ce devoir, je renforce les bases de connaissances du jeune. Dans le fournil ou dans une salle de formation, je complète l’éducation parentale et rend hommage à ceux qui m’ont appris mon métier. J’apporte à ma manière le blé à la terre et je garde à l’esprit que je ne pourrais rien y planter si le terrain n’est pas fertile.
PAR ETHIQUE. Dans mon métier, je suis investi d’une mission pour tout type de catégorie sociale : je peux aussi bien travailler pour le mendiant comme pour l’élite parisienne. Quelque soit le profil de ma clientèle, j’applique la même rigueur au travail fini. Tout être a le droit à la même considération. C’est un principe fondamental quand je travaille mes produits. Le boulanger a un véritable rôle sociétal.
PAR PASSION. Ma femme me reproche que j’exerce mon métier de façon égoïste… et elle n’a pas tort ! Je passe beaucoup voire trop de temps sur mon lieu de travail et ne profite pas assez de ma famille. J’en suis conscient. Je suis très perfectionniste dans ma façon de faire, ce qui entraîne chez moi un souci constant du détail. L’anticipation est une priorité, car bien se préparer, c’est se préparer à réussir. Je n’aime pas travailler dans l’urgence et m’impose des contraintes professionnelles, malheureusement au détriment de ma vie de famille. C’est la dure loi du métier, tel un sacerdoce.
POUR APPRENDRE. En effet, quand j’enseigne le métier à un jeune ou quand j’apporte un complément de technicité à un artisan expérimenté, il s’établit une relation, un échange fondé sur la gestuelle et la parole. De cet échange, je vais à chaque fois en retirer une valeur ajoutée. J’observe énormément la gestuelle d’autrui et il m’arrive de détecter des tours de main dont je n’avais pas connaissance. Je les mémorise pour enrichir ma façon de travailler. Ainsi, je vais pouvoir rapporter ces techniques dans mon fournil et développer notre créativité. C’est une aide précieuse afin de rationaliser nos processus de fabrication tout en gardant une volonté d’innovation constante. De ce fait, je poursuis le devoir de retransmission des compagnons.
QUE DOIT-ON RETRANSMETTRE & COMMENT ?
« Le métier est transmission, la transmission est mémoire, la mémoire est postérité. »
Il est nécessaire de retransmettre ce que l’on nous a appris et de n’en garder que le meilleur. Le métier est le cœur de cette retransmission. Mon savoir-faire, ma pratique, mes techniques, mon envie et surtout ma passion, ma philosophie de travail mais aussi mon héritage familial et professionnel sont autant d’éléments qui me permettent de partager mon métier avec amour. Je transmets ainsi une partie de mon âme qui, je l’espère, permettra à la jeune génération de trouver autant de réponses aux questions que j’ai pu me poser dès mes débuts. On ne peut pas transmettre ce que l’on ne connaît pas. C’est une évidence, mais il est nécessaire de le rappeler en vue d’éviter certaines aberrations. Il n’y a pas une seule et unique méthode. C’est une dynamique complexe qui s’établit entre le transmetteur et le récepteur. Il n’y a rien de rationnel. Il faut surtout tirer les enseignements de son expérience pour faire émerger nos savoirs. Notons aussi l’importance du faire-savoir dans la retransmission de la pratique et de la maîtrise technologique. En effet, je pense très sincèrement qu’il ne suffit pas d’être diplômé pour maîtriser son métier. J’estime que l’on n’acquiert cette maîtrise qu’après de nombreuses années d’expérience. J’ai commencé le métier vers 12 ans en suivant mon père dans le fournil. Ce n’est qu’à partir de mon travail de réception chez les compagnons que j’ai eu mon premier ressenti quant à la maîtrise des techniques de fermentation. La maîtrise absolue n’existe pas, mais c’est plutôt une éternelle course au savoir pour les passionnés.
QUI PEUT RETRANSMETTRE ?
« Il n’y a pas de mauvais élèves, il n’y a que des mauvais professeurs… »
Le travail de retransmission est long et difficile. La personnalité de celui ou celle qui s’engage dans cette mission est un critère important. Il faut savoir être à l’écoute des jeunes et se souvenir que notre apprentissage personnel n’a pas toujours été facile. On doit pouvoir s’imposer ce que l’on impose aux autres et effectuer notre devoir de mémoire. Quand je travaille dur et que la fatigue se fait sentir, je pense aux anciens, à tous ceux qui m’ont formé depuis mon plus jeune âge et cela m’aide à poursuivre mes efforts. Le devoir de mémoire est étroitement lié à l’exigence de retransmission. Retransmettre, c’est respecter et rendre hommage à un nom, une histoire unique.
C’est une tâche à haute responsabilité requérant la plus grande compétence. Il ne faut pas déformer le savoir hérité de ses anciens, car celui-ci va voyager et se perfectionner à travers les mains des jeunes que l’on forme. Le message doit rester pur pour traverser les frontières.
LES RAISONS DE MON ENGAGEMENT AUPRES ET POUR LA JEUNESSE
« La jeunesse est la force première de mes ambitions. C’est la clé du succès. »
Le compagnonnage a toujours fait de la jeunesse une valeur centrale, riche d’enseignements et de sens. Faire le choix de s’entourer de jeunes procure un réel bonheur au quotidien. Grâce à leur dynamisme et leur état d’esprit. Mes neurones sont sollicités et maintenus en éveil, limitant de fait la vieillesse physique et intellectuelle. Dans ce contexte, retransmettre est une réelle source de motivation et me conduit à relever de nouveaux challenges avec eux. C’est une fierté intérieure en tant qu’homme dès lors que j’apporte mon aide à des jeunes en provenance de milieux défavorisés ou envers ceux qui méritent une seconde chance. J’admire leurs efforts, ils sont courageux. J’ai retenu la phrase des anciens qui disait la chose suivante : « si un jour l’élève dépasse le maître, alors le maître à été bon ». Si cela se présente, ce jour-là sera ma plus belle récompense et je serai comblé. En outre, le contexte actuel de formation est une raison supplémentaire qui m’incite à réagir. Le rythme et le contenu de formation de nos jeunes est, de mon point de vue, obsolète et non adapté aux exigences et à l’évolution du métier. Trop conditionné et coûteux, il ne répond plus aux attentes des artisans boulangers. Auparavant, un apprenti était formé en 60 h/semaines. Aujourd’hui, 35 heures ne suffisent plus à un jeune de 18ans pour être opérationnel. Bien que je respecte le labeur des ouvriers d’usine, on ne doit pas confondre le travail de celui-ci sur une chaîne continue avec les tâches de l’artisan. Quand je forme mes jeunes, je les destine à devenir à la fois des boulangers-pâtissiers et des gestionnaires doués pour les chiffres. Pour être un bon artisan, il faut allier le manuel et l’intellectuel car « la main est la continuité de la pensée ». Malheureusement, dans le contexte actuel, la bureaucratie a forcé la porte du fournil et s’est installée durablement. Omniprésentes, les normes d’hygiènes et de sécurité, les règles inhérentes au droit du travail et autres réglementations fiscales polluent considérablement notre métier. Ainsi, sans une formation adaptée, le travail devient trop lourd. Le rythme de formation n’est pas en adéquation avec de futures responsabilités d’artisan-dirigeant d’entreprise. La polyvalence est le maître-mot !
QUELS SONT LES BENEFICES DE LA RETRANSMISSION POUR LES JEUNES ?
« Maîtriser un travail, c’est être libre de l’exécuter. »
J’accorde une grande importance à la formation des jeunes. Actuellement, la majorité de mes salariés est âgée de moins de trente ans. Ces jeunes ont l’avenir dans leurs mains et certains ont un réel potentiel qu’il faut absolument développer. Je suis là pour les aider à faire émerger la part de créativité qui est en eux. Pour cela, je leur donne des clés et les incite à penser autrement, à persévérer dans leurs efforts afin qu’ils se révèlent progressivement. Il faut chasser de leur esprit les doutes et les hésitations, corriger les maladresses et les défauts. En outre, il faut savoir les comprendre et leur parler avec transparence. Je leur raconte mes expériences et appuie mes propos avec des anecdotes concrètes, heureuses comme malheureuses. Nous ne sommes pas là non plus pour « leur vendre du rêve », mais bien pour les former à la réalité du terrain, en cassant les préjugés et autres généralités. Mes jeunes hommes et femmes sont tous porteurs d’un potentiel extraordinaire. Or, seuls les pouvoirs de l’épanouissement au travail permettront de réveiller leur dynamique créative. Leur amour du métier fera le reste. Artisan désormais expérimenté, je me dois d’être un détecteur de talent, un déclencheur de créativité. Je suis convaincu que plus ils maîtrisent leur travail et plus ils accèdent à une réelle liberté dans l’exécution des gestes. Chaque jour, mes jeunes s’émancipent un peu plus, ils s’épanouissent par le métier. Il n’y a nulle identité sans métier, nulle intégration sociale sans contrat de travail. Cette identité, vous l’aurez compris, est source d’intégration sociale. Quitter son foyer n’est pas toujours aisé. Le jeune doit apprendre de nouveaux repères en accédant à cette nouvelle vie, plus exigeante et plus incertaine. Mon rôle est proche de celui des parents, sans s’y substituer mais en y apportant un complément à valeur ajoutée socioprofessionnelle. L’apprentissage des règles de travail (hygiène, ponctualité, respect, etc.) est propice à l’acquisition des codes de conduite de notre société. J’insiste régulièrement sur le savoir-être de mes salariés, car se respecter soi-même, c’est aussi respecter les autres. Ils doivent garder à l’esprit que « la discipline est mère du succès ». Réussir, c’est être respecté. Plus le niveau de maîtrise est élevé, plus le respect est imposé.
L’AME, AU COEUR DE LA RETRANSMISSION
« Nos mains sont guidées par celles de nos anciens. Nous avons hérité de leur âme. »
Degré le plus élevé du partage des connaissances, la retransmission est une notion forte et fidèle aux valeurs du compagnonnage. Comme le souligne avec pertinence mon ami Laurent Bonneau dans son article « La retransmission libre et gratuite du savoir » que vous pouvez consulter sur la page www.compagnons-boulangers-patissiers.com, la retransmission du métier est la vocation première de la corporation et sa définition est propre au compagnonnage. Cette dernière trouve son sens avec l’exigence fixée aux compagnons de « retransmettre leur métier et leur Devoir sans contrepartie, librement et sans utiliser d’organisation fortement conditionnée ». Ce mode d’acquisition/diffusion des connaissances continue de faire ses preuves depuis des siècles et la recette est efficace car fondée sur l’entraide désintéressée de tout financement. Oui, cela fonctionne encore malgré les étonnements répétés de certains… L’âme est l’essence même de la retransmission. Je rejoins les propos de Jacques Olivier Gratiot dans son dernier ouvrage « Tu renaîtras », paru aux éditions L’Harmattan: « l’homme possède des trésors qu’il ignore, des terres qu’il parcourt inconsciemment, des territoires qu’il laisse à l’état de friche. Dans ce monde d’une réalité agressive, de dictature cryptée, de médiatisation subversive, une part essentielle de l’être demeure étouffée, ignorée, atrophiée ». Jacques Olivier veut nous faire comprendre que nous devons nous libérer du système d’oppression, de la dictature administrative qui influence nos actions et perturbe nos projets afin d’exprimer toute la richesse de création qui réside en nous. L’âme est cette clé qui nous permettra de nous libérer intérieurement. La réponse est au plus profond de nous, dictée par notre cœur et les paroles des anciens qui résonnent dans l’esprit de l’artisan. C’est ce sentiment profond, cette sensation incroyable que je ressens au quotidien quand je façonne mes produits. Leurs empreintes animent mes créations, elles les font vivre. Il m’arrive très souvent de voir les mains de mon père à travers les miennes quand j’applique ma signature aux baguettes. Je suis convaincu que l’âme des « pères » qui m’ont formé ne disparaît pas mais, bien au contraire, vit en moi et accroît ma passion pour le métier. Elle se diffuse dans mes gênes et se développe dans mes gestes. La retransmission est par conséquent le résultat de l’immortalité de l’âme. C’est une évidence pour tout compagnon, si et seulement s’il a bien accompli son devoir.
NOTRE RÔLE D’AMBASSADEUR DU SAVOIR
« Nous sommes missionnés pour nourrir les peuples et faire perdurer le métier sur le territoire comme au-delà de nos frontières. »
Nous n’arrivons pas sur terre par hasard. Nous avons tous un rôle à tenir au sein de la société afin de la faire évoluer. Certaines personnes viennent parfois me dire « on est heureux que vous soyez là », ce qui signifie que l’on remplit son devoir. Ces propos ont leur importance : ils nous rappellent notre mission journalière et le plaisir que l’on a à s’investir pour le peuple. L’artisan a toujours été un ambassadeur du savoir. Cette fonction n’est pas banale et requiert des qualités certaines. Humilité, exemplarité et régularité sont de rigueur dans mes fonctions. Rester humble m’a permis d’apprendre beaucoup plus. Alors qu’ils m’ont connu compagnon itinérant sur les routes de France, certains jeunes sont revenus me voir plusieurs années après les avoir formé. Un jour, j’ai eu le plaisir de revoir l’un d’eux. Nous travaillons ensemble et je lui ai demandé de me noter sur papier une recette que j’avais pu lui enseigner il y a quelques années. Si impressionné de mon évolution dans le métier après avoir décroché le concours de M.O.F., il tremblait en écrivant. Résultat, il n’a pas été capable de me donner le contenu entier de la recette tant il avait une pression face à moi. C’est à ce moment précis que j’ai saisi la nécessité de rester humble car transmettre, ce n’est pas toujours donner, c’est aussi recevoir. Mon père m’a transmis beaucoup de connaissances et de techniques sans jamais me parler. La retransmission ne consiste pas uniquement à enseigner un savoir, c’est aussi donner l’exemple. En tant qu’artisan et chef d’entreprise, à l’image d’un politicien, on se doit d’être exemplaire. On représente à notre niveau un corps professionnel, une image véhiculée par le métier et notre enseigne en France comme à l’étranger. Les horaires d’ouverture, la tenue et le comportement de mes salariés, la sélection des matières premières, le soin apporté au produit fini, le choix et le service proposé à notre clientèle sont autant d’éléments qui ne peuvent être négligés. En respectant mes produits, je respecte ma clientèle. J’ai à cœur d’être régulier dans ma manière de faire.
« Nous sommes tous les enfants du savoir. »
En résumé, le devoir de retransmission est le prolongement de notre vie. C’est une forme de réincarnation en héritant de l’âme des anciens. Cette aventure du quotidien nous rappelle notre mission, libre et non onéreuse. Je suis très reconnaissant envers ceux qui m’ont apporté leurs connaissances en partageant leurs précieux secrets de fabrication. A mon tour désormais, je retransmets le message et fais voyager mon savoir dans le monde entier à travers les mains des jeunes. J’explique souvent qu’aucun effort n’est vain. Les acquis de la retransmission sont un véritable tremplin quand on sait en faire un bon usage et se donner les moyens de les perfectionner. Ainsi, mon travail m’a permis de m’intégrer à la société et de bénéficier d’une ascension sociale. A plusieurs reprises, j’ai eu le privilège de déjeuner avec des personnalités du monde politique dont des ministres, mais aussi de m’entretenir avec des célébrités de la télévision et de la sphère culturelle. Par ailleurs, j’ai fait le tour du monde pour venir en aide et apporter des conseils à des chefs d’entreprise boulangers. Mais ma plus belle récompense réside dans la reconnaissance qui m’est accordée par celles et ceux que j’ai formés il y a quelques années. Quelle satisfaction personnelle que de constater leur belle réussite ! Un jour, alors que je consultais la revue « La boulangerie française », j’ai été interpellé à la lecture du titre suivant : « Il m’a appris la qualité et le respect du travail bien fait ». A ma plus grande surprise en continuant la lecture, j’ai constaté que cet éloge m’était destiné. En voilà une belle récompense en quelques mots si forts ! Mais la retransmission ne prendrait tout son sens sans une dynamique de recrutement pertinente, or le contexte actuel a ses limites. D’où viennent nos boulangers ? Quel est leur profil scolaire ? Quelles sont leurs motivations ? Je me suis posé ces questions pour y répondre ici en quelques mots. Sans faire de généralités, peu de boulangers-pâtissiers ont la vocation du métier. Souvent en échec scolaire et à la recherche d’une nouvelle orientation ou d’une intégration rapide dans la vie professionnelle, ils se dirigent vers l’artisanat. Image dégradée du secteur ou problème de communication, les difficultés de recrutement sont sérieuses et récurrentes pour nous boulangers-pâtissiers. La profession n’attire plus, elle est davantage considérée chez les jeunes comme l’ultime solution d’emploi. A chacun de mes déplacements dans les centres de formation, j’insiste sur la valeur ajoutée de la profession, sa technicité et son expertise : notre travail ne consiste pas uniquement à mélanger la farine à l’eau ou à faire fonctionner le four et le pétrin comme je l’ai péniblement trop entendu dire par des néophytes. La boulangerie est un art, une alchimie complexe. Nous manipulons et travaillons la pâte en la respectant. Matière vivante évoluant rapidement en fonction de son environnement (temps, chaleur, humidité, tour de main, etc.), il est nécessaire de comprendre et d’anticiper ses réactions afin de livrer un produit de qualité à notre clientèle. De ce fait, le devoir est accompli.
Ne l’oublions jamais : donner c’est recevoir !
Thierry Meunier, Meilleur Ouvrier de France Boulanger
A Boulogne-Billancourt (92).
Propos recueillis et mis en forme par Mathieu Meunier,
Community Manager & photographe pour Thierry Meunier.
Cet article est en ligne aussi ici www.latribunedesmetiers.com/creation-boulangerie-artisanale.