Quel titre provocateur surtout pour ceux qui sont dans le monde du compagnonnage. Le bénévolat étant une règle évidente pour ses membres et pourtant…
« Former l’homme par son métier » est la définition la plus courte et la plus avérée du compagnonnage, mais on oublie l’antériorité car pour former l’homme il faut en être un.
Je pense qu’il est important de savoir pourquoi cette transmission du compagnonnage perdure en traversant les siècles, il est amusant de constater que le terme retransmission est presque uniquement employé chez les compagnons.
On peut lire dans notre société, la transmission du métier, le management des compétences et des connaissances, la transmission inter-générationnelle de l’humain en milieu de travail, la reconnaissance du tutorat, tous ces sujets sont récurrents dans les milieux économiques, managériaux et académiques, ils illustrent l’intérêt de nombreuses organisations, à cette retransmission qui définit l’essence même du compagnonnage.
Ce terme, retransmission, comme il est employé presque uniquement dans le compagnonnage, contrairement au terme transmission, j’aime a penser qu’il possède une définition propre au compagnonnage. On reçoit et on donne ce que l’on a reçu de génération en génération, le Larousse nous dit – Transmettre quelque chose de nouveau – transmettre à d’autres ce qui vous a été transmis -.
Mais de quoi parle t’on ?
Du métier bien sûr mais aussi et surtout d’autre chose, un mélange de passion, car si on reçoit par passion et générosité, l’envie de le retransmettre sans contre partie devient alors évidente, un mélange de fierté, d’éthique, d’âme, de valeur, de flamme, il est difficile d’expliquer tout cela, je pourrais le résumer en un mot, le mot Devoir. Voilà pour moi, sans prétention, ce qui se cache derrière ce terme de retransmission qui fait la force et la particularité du compagnonnage qui doit demeurer libre pour perdurer.
Un ami qui vient d’écrire un livre sur l’âme et ce qu’il en reste après la mort, me fait penser que laisser son âme dans ses œuvres, ses actes, ses paroles ou ses écrits, est aussi une forme de cette retransmission, d’où l’importance du passé, du souvenir et de ses écris.
Jean Bernard écrivit ceci dans « Le Compagnonnage – Rencontre de la jeunesse et de la tradition 1972 – Presses universitaires de France »:
« Le vrai problème c’est la formation du caractère et ceci ne peut être obtenu en utilisant les voyages sous forme de loisirs, d’échanges, de rassemblement, voire de dialogues, tout ceci dans le contexte d’organisation fortement » conditionnée » dès le départ que nous repoussons parce que précisément elles n’apportent rien à la formation du caractère. »
Les mots « formation du caractère » prouvent que son auteur cherche à définir cette retransmission. Une organisation fortement conditionnée, cela peut être la définition actuelle de la formation professionnelle dans notre pays, mais bien sûr nous parlons ici de formation pure, de transmission professionnelle, de professeur rémunéré à élève.
Pour les compagnons qui font partie de la fédération des compagnons boulangers, pâtissiers restés fidèles au Devoir, pour le départ officiel de leur tour de France en septembre 2012, cela fut la base de leur motivation, retrouver la possibilité de retransmettre leur métier et leur Devoir sans contre partie, librement et sans utiliser d’organisation fortement conditionnée.
Sans s‘occuper de l’apprentissage du métier, sans utiliser de financement lié à cette formation, les jeunes hommes majeurs s’inscrivent dans les chambres des métiers pour leur diplôme après le CAP. Aucun financement donc, pour revenir aux fondamentaux, pour ne pas louper leur départ et se concentrer uniquement à cette retransmission, d’anciens compagnons à jeunes hommes où l’humain reprend toute sa place.
Accompagner des jeunes hommes dans leur vie ouvrière, de la pratique de leur métier pour qu’ils se perfectionnent auprès des anciens compagnons et deviennent de bons professionnels; Et leur retransmettre les valeurs du compagnonnage que ces anciens compagnons ont reçu.
C’était assez simple comme démarche de repartir sur ces bases, cependant c’était impossible, c’était trop simpliste et c’était irréalisable au XXIème siècle pour certains, pensez vous, sans budget, sans structure, c’était impensable…
Et Pourtant à la moitié de leur deuxième année de tour de France, je ressens dans ce mouvement, un vrai bonheur de pratiquer le compagnonnage, de retransmettre ses valeurs, de voir naître et grandir de nouveaux aspirants et compagnons.
Ce compagnonnage s’épanoui parce qu’il est parti sur de bonnes bases, il y a 18 mois et ses membres en sont fiers et heureux.
Finalement, il semble que cela soit possible…
Laurent Bonneau Normand la Fidélité Compagnon Boulanger Resté Fidèle au Devoir.