Chapitre 6. Conservation des graines

Chapitre VI Conservation des graines

VI.1. La température, le taux d’humidité et l’aération

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La bonne conservation des grains de blé est une des caractéristiques de cette céréale qui a participé à sa longue suprématie dans l’alimentation occidentale. Contrairement aux fruits et légumes qui ont jusqu’à 90 % d’humidité, le grain ne contient que 10 % à 15 % d’eau. Dans la Communauté européenne, l’idéal pour la bonne conservation de grains à moudre est de ne pas dépasser les 14,5 – 15 % de taux d’humidité[1], ainsi les régions plus au Sud auront toujours plus de facilité à obtenir des taux de 12-13 % que celles du Nord sujettes à une plus forte pluviométrie.

La teneur en eau de la plante blé va décroitre de 90 % à 10-30 %, lors de son cycle de maturation[2].

La figure 1 montre bien l’écart entre les situations minimales à atteindre à la récolte et qui ne sont pas encore les paramètres idéales du stockage. On devra y arriver par une ventilation d’air frais, vue plus loin (fig.11) pour descendre en température et surtout en teneur en eau afin de limiter l’activité biologique.

En seconde interrogation pour la conservation des grains, il faut se préoccuper de la lutte contre les ravageurs de grains et les mycotoxines.

VI.2. Le traitement des semences

Pour réaliser cette difficile tâche de protection des ravageurs des récoltes, au début de l’approche scientifique (fin du xxe siècle) on va créer une des premières familles de produits utilisées pour la désinsectisation des grains conservés. Ce seront des dérivés du mercure, qui vont s’avérer particulièrement efficaces et …toxiques[3].

Lors du drame de Minamata il y eu 900 décès et des milliers de malades avec en plus malformations des bébés. Presque à la même époque, en août 1951, à Pont Saint-Esprit dans la vallée du Rhône, on soupçonne un anticryptogamique (anti-champignons) trouvé dans la farine d’être responsable de la mort de sept personnes et de 30 malades cliniques. Ici, le jugement (rendu plus de vingt ans après) n’aboutit pas comme au Japon à une condamnation. Là-bas, plus de quarante ans après, les responsables s’excusèrent publiquement, à genoux devant les victimes. En France, cela donna lieu à… un non-lieu. Il faut dire que par la réutilisation abusive par des paysans et par souci d’économie de sacs ayant contenu des pesticides organo-mercuriels [4] est seulement qualifiée de «souillure accidentelle » plausible.

Les produits de traitements de stock à l’aide d’organo-mercuriels (ici le Panogen[5]) avaient une symptomatologie assez proche des troubles subis dans la ville du Gard.

On verra écrit qu’on ne retrouve plus ces produits de traitement des semences au bout de la filière, qu’ils n’aboutiront pas dans notre « bol alimentaire », après transformation et cuisson. Ils seront soit dissipés dans l’air que nous respirons, soit transformés par la cuisson en des métabolites, parfois plus toxiques.

Parmi les pesticides utilisés actuellement, ceux qui sont destinés à désinfecter les lieux avant l’arrivage des grains nécessitent des précautions extrêmes à l’emploi (personnes agrées et formées, autorisation officielle). Les phosphures ont un effet-choc, mais se transforment assez vite au contact de l’air (comme les pesticides organo-phosphorés, vu plus loin).

Les pesticides utilisés lors du stockage du grain présentent le plus grand risque de pollution chimique avant mouture et font que le pain complet contenant les enveloppes est souvent mis hors-piste au niveau hygiénique (V.4 à V.7).

En effet, le son du blé joue bien son rôle de matrice protectrice contre la métabolisation et la pénétration de la matière active des pesticides. Pour cette raison, il ne faut pas minimiser les risques de dépassement de limite maximale de résidus (Lmr) pour des molécules de dégradation lente, en particulier pour le pain complet[6]. La dureté du son, qui le rend difficile à digérer, n’est pas à comparer à la fibre des légumes, qui, elle, est prise en phase de croissance avant la lignification des tissus. L’enveloppe des céréales est plus ligneuse et moins perméable, elle accumule en son sein plus les polluants.

Même si, après l’interdiction partielle des organochlorés vers 1970, les organophosphorés qui leur ont succédé ont moins de rémanence, ils sont plus volatils et dès lors devraient être employés avec plus de précautions par les personnes qui pulvérisent.

Inventaire des pesticides réalisé en 2003, nécessitant une mise à jour, utilisé pour mieux connaître les produits de protection des plantes (PPPs). Pour les mises à jour consultez le site https://echa.europa.eu/fr/regulations/reach/understanding-reach
Fig.2 : Produits de traitement des grains lors du stockage
Non de la matière active Dénomination du produit commercial Famille chimique Famille de pesticides DL 50 LMR en mg Commentaires
Biores-méthrine Pyrèthinoïde de synthèse Ins 8.600 mg 5 mg en F La L.M.R. signalée est la limite donnée par la commission de la F.A.O..
Durée d’action 5 mois environ
Bromophos NEXION ASEPTA Organo-phosphoré Ins 3 750 à 7 700 mg 1 mg en D Dangereux pour les abeilles.
Ne peut être utilisé que 15 jours avant récolte
Largement utilisé sur stock en France
Deltamétrine DECIS K-thrine SPUTOP Pyrèthinoïde de synthèse Ins 130 mg Très persistant. Action, 3 à 4 semaines
Malathion MALATHINE MALATHEX SANAC Organo-phosphoré Ins 2800 mg 0,5 mg en F Dangereux pour les abeilles. Recensé régulièrement vu qu’il est choisi fréquemment
Dichlorvos VAPONA Organo-phosphoré Ins 80 mg Utilisé dans les plaquettes insecticides de marque Vapona entre autres
Des plaquettes installées au-dessus des berceaux !!, ont provoqué la mort de bébés aux U.S.A.
(voir Helga WINGERT, p. 175)
Pyrimiphos-Méthyl ACTELLIC Organo-phosphoré Ins 2.050 mg Dangereux pour les abeilles. Recensé régulièrement vu qu’il est choisi fréquemment
Largement utilisé sur stock en France

VI.3. Les anciennes manières de conserver

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La conservation du blé d’antan se pratiquait de deux manières distinctes.

Soit on le gardait en gerbe et on le battait au dernier moment, soit on le battait à la récolte et on le conservait en grains.

Les auteurs du xvie siècle et du xviie siècle en font souvent mention en préférant le pain issu du blé « frais battu », plutôt que celui du « vieil battu ». Toutefois, ils reconnaissent que le grain gardé sans ses enveloppes et endurci par l’air se conserve mieux parce qu’il devient plus sec.

Il devra parfois être remouillé avant (XII.5) de passer au moulin[7]. Ces écrits traitent de petites quantités appropriées pour un usage domestique. La conservation sur le champ en meules est pratiquée de longue date, elle vise à se prémunir des intempéries le temps de l’immédiat d’après récolte avant d’engranger sous toit.

Lorsqu’il fallut stocker de plus grandes quantités, la conservation en tas au fenil (dite silos horizontaux) ne suffit plus et des fosses ou silos (dits verticaux) furent mis en place[8].

On observe dès le xviiie siècle avec les travaux de l’anglais Halles et du français Duhamel de Monceau, que lorsque l’on amoncelle les grains en tas, on doit chercher à éviter une trop grande élévation de la température, pour que les papillons de nuit, charançons et autres coléoptères friands de céréales ne se sentent pas trop à l’aise et ne puissent mieux y proliférer.

Ces auteurs introduisirent en conséquence l’aération régulière des stocks par l’aménagement de souffleries sous la cellule de conservation (actionnées par un système de bascules manuelles, fig.2).

Près de Paris, Guillaume-Louis Ternaux, au début du xixe siècle, fit des expériences sur la conservation en fosses souterraines pour bénéficier de la fraîcheur (environ 10 ° C). Mais il rencontre des difficultés d’accessibilité, d’infiltrations d’eau et d’étanchéité de ces fosses attaquée par les rongeurs. C’est surtout des départs de fermentation avec production de CO² gênant les ouvriers manipulateurs qui ont privé d’avenir ce type de conservation[9]. Plus au Sud, en Sicile, les conservations souterraines dénommées matamore semblent connaître moins de problème qu’à Saint-Ouen[10].

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VI.4. Les nouvelles manières de trier et conserver

De nos jours, la conservation dans des espaces que l’on a étendus en hauteur plutôt qu’en largeur a conduit à une lutte contre l’échauffement par l’aération des silos ou cellules. Et comme les cellules sont grandes et hautes, il faut des débits de 2 500 m³ à 5 000 m³ d’air à l’heure et des puissances motrices de 1,5 Kw à 2,2 Kw pour « traverser la masse » de silos, respectivement de 5 et de 8 m de diamètre[11]. La stratégie de lutte bio contre l’infestation des insectes qui aiment le blé autant que les humains, s’articule de manière préventive et est plus accentuée sur trois axes.

Premièrement, le nettoyage complet des cellules vides ainsi que des gaines de transfert, opérés de manière thermique.

Deuxièmement, une ventilation permettant un refroidissement rapide des grains après récolte au point que certains organismes stockeurs (O.S.) sont même équipés de systèmes de refroidissement d’air.

Et enfin, troisièmement, un système de surveillance principalement sur la température et parfois plus sophistiqué muni de sondes acoustiques[12].

Il faut privilégier la conservation en cellule, puisqu’elle permet de ventiler et faire baisser les températures. Conserver le grain en big-bag (gros sac plastique) occasionne le risque d’échauffement et nécessite, pour bien faire, des transferts fréquents d’un contenant à l’autre pour aérer. Ces aérations fréquentes doivent s’effectuer le soir ou tôt le matin, en profitant d’un écart d’au moins 10 °C entre les températures du jour et de la nuit. On mentionne aussi que dès que l’on observe un écart de 7 °C à 9 °C entre la température du grain et la température extérieure, il est urgent de mettre en route la ventilation[13].

Le grain est en effet toujours susceptible de remonter en température, surtout lorsqu’il vit amassé. L’emploi d’une enceinte réfrigérée est présenté comme plus grande garante d’une conservation idéale, allant même jusqu’à baisser la température de l’air en froid négatif, puisque le charançon, « l’ennemi le plus redoutable du blé[14] » ne se reproduit pas en dessous de 11 °C.

Lors de récoltes d’années ayant subi un printemps pluvieux et un hiver doux, les adventices (plantes indésirables) prennent plus de volume et provoquent un mélange plus important de verdure lors de la récolte, ce qui est cause d’humidité et d’échauffement plus rapide. L’abaissement de la barre de coupe lors de la récolte de blé versé peut aussi fortement accentuer ce problème. Dès lors pour ne pas perdre la récolte, il est important d’agir dans la journée par triage immédiat.

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Pour éliminer les pailles et ce qu’il est convenu d’appeler les « impuretés » qui vont des graines étrangères, contaminées ou abimées jusqu’à des graines de vesces, datura -X.12-, nielle, ivraie -X.17-, ergot -VI.6-, etc. qui peuvent en petite quantité créer de sérieux dérangements nutritionnels. On peut utiliser plusieurs méthodes et outils de tri.

Si la carie du blé peut apparaître lors du passage dans ces appareils de tri, il convient de traiter les appareils, surtout la brosse à blé, afin de ne pas disséminer et contaminer tous les lots, de manière exponentielle (IV.5).

La ventilation d’un tarare (fig.5) permet un premier tri par volatilité et densité des pailles et grains légers, par rapport aux grains bien remplis. Le nettoyage en passant par des grilles superposées et perforées triera les graines grâce à différentes ouvertures.

Et enfin le trieur alvéolaire triant dans un tambour horizontal par discrimination des formes des graines est assez utile dans le cas de triage pour les grains conservés en qualité semences.

Si les opérations de nettoyage n’ont pas éliminé les petites pierres (c’est encore pire et légendaire pour les lentilles), on peut employer une épierreuse – laveuse, avant le passage en mouture. Il faut dans ce cas re-sécher le blé avant de le mettre en stockage.

VI.5. Lutter naturellement contre les nuisibles en apprenant à les connaître.

Les blés intéressent d’autres êtres vivants que les humains.

Il est important d’apprendre à connaître les insectes « granophiles » et leur système de reproduction afin de mieux les éviter.

Pour les rongeurs, on sait qu’il faut bien veiller à l’étanchéité des cellules par l’obturation des voies d’entrée en posant des grillages suffisamment solides et fins.

Il existe aussi des prédateurs primaires, comme le charançon (fig.6) qui, grâce à son rostre (sa trompe), peut forer dans le grain et ouvrir la voie aux prédateurs secondaires, comme les autres coléoptères, et permettre aussi aux mites (fig.7) d’aller pondre leurs œufs à l’intérieur du grain.

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L’œuf du charançon éclot au bout de quatre jours à une température de 30 °C, au bout de vingt jours à 25 °C. Sa larve va évoluer en mangeant l’intérieur du grain en vingt jours à 30 °C ou cent quarante jours à 15 °C. La nymphe pour devenir adulte mettra cinq jours à 30 °C ou vingt jours à 15 °C. Soit un total de vingt-neuf jours de l’œuf à l’adulte à 30 °C et cent quatre-vingts jours à 15 °C. L’activité du charançon ne commençant qu’à 14 °C, on devine aisément que la méthode de lutte

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naturelle est le recours aux températures basses[15] et on comprend mieux le rôle de la ventilation des stocks et du contrôle des températures.

On peut aussi penser écologiquement à la régulation par d’autres prédateurs, mais cela est difficile à appliquer en pratique. Commençons par observer, c’est déjà pas mal. Les mites de la farine sont des papillons de nuit qui, contrairement à leurs parents diurnes, ne se dirigent pas à la couleur, mais à l’odeur. Du coup, les ailes de ces papillons sont plus ternes, ils s’orientent et surtout sont piégés à l’odeur[16]. Les pièges à phéromones peuvent trouver utilité dans le cas de repérage, mais c’est la lutte contre les dépôts de farines « stagnantes » qui est plus importante. C’est ce qui risque de générer le problème de présences des mites dans les meuneries puis boulangeries.

Ainsi le contrôle à l’entrée et la sortie du moulin et de la boulangerie est à suivre de près.

Le ténébrion meunier dont la chenille est appelée le « ver de la farine » (fig.6), bien connu des pêcheurs fait partie des autres coléoptères du grain que le charançon. Ces espèces de hannetons qui ont vu leurs ailes soudées par leur sédentarisation sont des prédateurs secondaires dans le sens où ils ne s’attaquent pas au grain non cassé. Par contre les débris et la farine stagnante sont leur pitance de rêve.

VI.6. Le mal des ardents

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On pourrait dire que le dossier des mycotoxines (toxines produites par des moisissures) commence très tôt dans l’histoire.

Dès le xe siècle en France, dans le Limousin, l’on trouve la trace qui marque le plus la mémoire collective. À l’époque on l’appellera le « mal des ardents » ou le « feu de Saint-Antoine » du fait que les personnes atteintes se plaignent qu’un feu interne les ronge. La consommation pendant quelques jours de farine infestée de 3 à 10 % peut donner deux types de symptômes, soit gangréneuse (jusqu’à la perte de membres), soit convulsif avec hallucinations.

Toutefois, les substances des sclérotes de l’ergot de seigle sont utilisées très tôt en médecine savante (VI.9 et VI.12) en Chine et aussi en Allemagne où l’ergot est connu sous le nom de Mutterkorn, à traduire par grain de la mère, de par son emploi en contrôle et accélération des accouchements, en permettant des contractions de longue durée de l’utérus et des vaisseaux sanguins qui l’irriguent[17].

Il faudra attendre pratiquement une dizaine de siècles et Edmond Tulasne en 1850, pour classifier l’origine du mal avec l’implication des moisissures[18].

Aujourd’hui, l’on sait que l’ergot est dû à un champignon Claviceps Purpurea (soit Clou pourpre), qui n’est pas exclusif au seigle. Cette dernière céréale étant du fait de son type de végétation davantage sujette à l’infection par ce champignon, parce que plus « ouverte » à la floraison et aussi que le climat est souvent plus humide où on le cultive, ce qui est propice au développement des moisissures (X.7).

Très nette est la visibilité de la partie apparente et végétative (les sclérotes) de l’ergot, dit de seigle (fig.8), et dénommée ainsi par sa ressemblance avec l’ergot, (doigt arrière de la patte du coq). Cela fait que l’on peut aisément imaginer la mise hors circuit alimentaire d’un lot trop infesté. En général c’est par ignorance et en période de disette que ces lots évitaient autrefois le déclassement. Ce qui actuellement, par la responsabilisation des acteurs dans la filière agroalimentaire, est pratiquement difficile à imaginer. Rappelons qu’il faut déjà 3 % d’ergot dans une consommation régulière pour subir les dégâts de la toxine.

VI.7. Les pigmentations rouges jusque dans l’hostie

Les pigmentations rouges dans le pain sont dues à un bacille Serratia Marcescens dénommé par Godefroid Ehrenberg (*1795 – †1876) Nomas prodigiosa (soit Monade prodigieuse), ce dernier éclaircit un mystère historique à l’origine de graves erreurs « judiciaires ».

Au Moyen Âge, lorsque l’on découvrait dans le pain azyme consacré (l’hostie), des taches dues à ce bacille, on criait au miracle. En 1263, le « miracle de l’hôte sanglant » eut lieu à Bolsena et la cathédrale d’Orvieto (dans le Latium -Ita) abritant des reliques commémorera et consacrera l’eucharistie des catholiques[19].

à l’opposé, autrefois, dans les réactions vis-à-vis de ce phénomène inexpliqué, on criait parfois au scandale et à la profanation, dont seuls pouvaient être capables des hérétiques aux yeux des catholiques. Dans la ville bavaroise aux trois rivières, à Passau en 1338, les principales victimes toutes désignées sont juives. Lorsque l’hostie « saignait » (et horreur ces taches s’élargissaient), des centaines de juifs furent persécutés, on les torturait pour leur faire avouer le blasphème.

Bien plus tard, un jour de 1818, un docteur italien avait fait couper court aux accusations d’un curé de campagne qui profitant de la crédulité populaire prétendait que le pain et la polenta ne saignaient que chez les non-pratiquants. Au courant du phénomène microbiologique, le docteur Vincenzo Sette fit apporter secrètement chez l’homme d’Église, une assiette de polenta inoculée du fameux bacille. Le lendemain, la polenta fut piquée de rouge et les vociférations du curé contre les « athées » cessèrent aussitôt. Ce fut radical[20].

VI.8. Les mycotoxines des céréales

Ce n’est vraiment que depuis la moitié du siècle précédent qu’une connaissance plus globale des mycotoxines prend forme.

J. Le Bars signale que les mycotoxines résultent du métabolisme secondaire du microorganisme plutôt que du métabolisme nutritif ou dit primaire. C’est-à-dire qu’il s’agit d’un métabolisme de défense de la moisissure, pour imposer sa présence dans le milieu, comme le fait la bactérie avec l’antibiotique qu’elle produit[21]. C’est important de prendre en compte cette considération dans la lutte contre les mycotoxines.

En 1944, apparaissent de nombreux cancers du foie dans l’élevage porcin. Après, c’est 100 000 dindons qui périrent en 1960, sur le sol britannique [22]. Le diagnostic d’hépatite aiguë est aussitôt posé. Et après enquête scientifique, la recherche de la cause de la maladie dite au début X puis dénommée, maladie du dindon identifiera l’aflatoxine comme responsable. Cette toxine est produite par des moisissures (des Aspergillus ou des Penicillium [23]). Mais au début, seule l’aflatoxine d’Aspergillus flavus est mise en cause.

Comme toujours, la connaissance scientifique ne cesse d’évoluer. Si l’appellation mycotoxine est moins précise qu’aflatoxine, cette dernière sera baptisée avec en plus la distinction en ajout Alflatoxine B1 puisqu’il en existe d’autres qui ont moins de toxicité que celle-là. Deux microgrammes (soit 0,000 000 002 kg) d’aflatoxines B1 est la valeur maximale autorisée par la CEE, c’est même 1 microgramme/k., pour les farines infantiles et 4 microgrammes pour les mélanges d’aflatoxines B1, B2, G1 et G2[24]. On est dans d’autres doses que pour l’ergot de seigle.

Il faut encore savoir que pour qu’une moisissure Aspergillus flavus produise sa toxine, il lui faut des conditions optimum de développement ; une température de 35 à 37 °C et une Aw (activité de l’eau) de 0,85, autrement d’autres microorganismes prennent plus facilement le dessus sur le milieu colonisé. Pour mesurer le niveau d’humidité nécessaire à l’activité de la vie, ce qu’il importe de connaître n’est pas le degré d’humidité de la matière, mais le degré de la pression de la vapeur d’eau dans le milieu par rapport à la pression de l’eau distillée à la même température. Cette mesure de pression de la vapeur (ou Water activity résumé en Aw) donne les possibilités que la vie a de migrer dans le produit alimentaire. Ainsi pour le blé, nos ancêtres savaient que le grain se conservait s’il était bien sec. Ce qui scientifiquement s’établit avec une plus grande précision par cette mesure Aw[25] (XVI.9.1).

Les conditions de température précitées sont celles de milieu tropical, pas de contrées tempérées comme nos pays. C’est pourquoi ce sont des tourteaux de soya et surtout d’arachides d’importations alors récentes, qui sont responsables des intoxications d’élevages (dont les didons) de 1960 en Grande-Bretagne. Le problème des aflatoxines est ainsi souvent un problème lié à l’importation de denrées alimentaires, surtout fourragères.

Pour les mycotoxines que l’on rencontre sur le terrain en Europe occidentale ce sera plutôt d’autres que l’aflatoxine, présentes surtout sur les épices et fruits secs (genre pistache et cacahuètes).

En production européenne de céréales, on sera plus attentif aux toxines produites par la moisissure de l’espèce Fusarium et aussi des moisissures dénommées Altenaria, ainsi que certaines Penicillium et d’autres Aspergillus.

C’est en période de disette, à la guerre et l’après-guerre (1941 et 1947), que des auteurs russes signalent les dégâts créés en Sibérie orientale par les Fusariums. Là c’est 10 % de la population qui est atteinte. La consommation en 6 semaines d’un kilo et demi de millet infecté suffit pour provoquer la maladie qui peut être mortelle si elle n’est pas soignée à temps par des transfusions et des doses de vitamines C et K, des sulfamides et du calcium[26].

Les dangers des toxines de Fusarium recensés ont donné lieu à une veille sanitaire débouchant sur des règlementations européennes.

Les moisissures Fusarium sont appelées ainsi du fait que leurs spores sont réunis dans une forme de fuseau. Elle est moins repérable que l’ergot dit de seigle, elle se remarque souvent par une coloration sur l’épi tirant vers le rose.

Fig.9 : Les mycotoxines rencontrées dans les céréales
Moisissures Toxines Céréales concernées
Fusarium Trichothécènes – DON maïs, orge, blé, avoine
Zéaraléones – ZEN maïs, blé, sorgho
Fumonisines – FB maïs, blé
Aspergillus ochraceus Ochratoxine A blé, orge, maïs
Penicillium viridicatum
Penicillium citrinum Citrinine orge, seigle, avoine, maïs
Penicillium expansum Patuline maïs, blé
Aspergillus versicolor Stérigmatosystine blé
Apergillus flavus Aflatoxines arachide, maïs, sorgho
D’après CAHAGNIER, 2001.

Reprenons dans un tableau les moisissures et leurs toxines susceptibles de coloniser les champs de céréales (fig.9).

Cette liste non exhaustive des moisissures et toxines datant de 1997 doit bénéficier d’une mise à jour. En effet, les toxines de Fusarium ont une classification plus précise aujourd’hui. Les trichothécènes se subdivisent en désoxynivalénol (résumé par les initiales, DON), appelée encore parfois de son premier nom Vomitoxine puisqu’elle provoque un « facteur de refus », constaté chez l’animal[27]. Il existe aussi des formes dites acétylées de trichothécènes, dénommée nivolénol (NIV). À part ces deux trichothécènes, les Fusariums peuvent produire d’autres mycotoxines, les zéralénones (ZEN) et les fumonisines (FB). Dans la figure 9, nous trouvons également l’ochratoxine produite par deux types de moisissures différentes et que l’on observe dans des climats froids et humides. Après ce recensement un peu succinct des mycotoxines[28], voyons ce qu’elles peuvent provoquer et à quelle dose.

VI.9. La toxicité des mycotoxines et la règlementation

Ce qu’il faut surtout savoir en matière de mycotoxines, c’est que, si la moisissure est tuée à la cuisson, les mycotoxines elles, sont thermorésistantes et résistent à ce que l’on pourrait croire être épurateur par effet de pyrolyse[29]. Notons qu’en cas de lots infestés, on peut parfois nettoyer les grains par triage[30]. La technique consiste à éliminer les grains fusariés (plus petits et rapetissés).

Dans le cas de figure où l’on ne s’aperçoit pas de la contamination et au seul cas de dépassement de doses de mycotoxines ingérées, l’effet carcinogène est reconnu pour l’aflatoxine, la stérigmatocystine[31], l’ochratoxine ou des fumonisines. Le cancer du foie est recensé plus fréquemment en Afrique et en Asie, à cause du climat et implicitement de plus fortes présentes d’aflatoxine. Ces dernières avec les patulines et les ochratoxines peuvent attaquer les cellules du foie (hépatotoxicoses), mais également les cellules de l’autre organe filtreur de notre appareil digestif qu’est le rein.

Les mycotoxines peuvent également, détruire le système nerveux (neurotoxicoses) par les patulines et fumonisines et pour finir la gamme de leurs potentialités toxicologiques, des mutations génétiques (les trichothécènes entrainent des malformations de l’embryon) ou des effets œstrogènes (par les zéréalénones). Quand à l’ergot dit de seigle c’est la mycotoxine la moins alarmante au niveau de la dose. Le mal de l’ergot dit de seigle était si fréquent autrefois dans les terres humides de la Sologne, qui est appelé « mal des solognots » par Pierre Larousse dans son dictionnaire en 15 volumes du xixe siècle, tome VII (vers 1870). Une carte des contaminations à l’ergot est présentée par C. Billen et donne des dates d’épidémies en Sologne, les années 1630, 1676, 1709 1747, 1755, 1770 & 1777 [32].

Pour que tous ces risques deviennent réalité, il faut consommer une certaine dose qu’il est difficile, si pas impossible de fixer pour chaque individu. Surtout pour les enfants en bas âge puisque la dose toxique est en fonction du poids corporel de la personne qui l’ingère et dès lors, il risque chez l’enfant d’atteindre plus vite des seuils nocifs. La référence pour les doses reste la législation européenne en la matière, qui a pris en compte ce qui est d’abord une recommandation avant d’entrer dans la législation comme directive. Cette directive, comme beaucoup, a évolué en fonction de l’état des connaissances et de ce fait, a mis en évidence ces derniers temps les fusariotoxines.

Les doses à ne pas dépasser sont données en µg, soit microgramme, en chiffré cela donne 0,000 000 001 kg/sur un kilo de matière alimentaire. La dose d’aflatoxine B1 à ne pas dépasser pour des préparations d’enfants en bas âge est de 0,1 µg. Heureusement dans ce dernier cas, les techniques de dosage sont devenues plus fines et précises[33].

VI.10. Les analyses des fusariotoxines

Les analyses pour doser les teneurs en mycotoxines évoluent. Dans ce sous-chapitre, on se focalise toujours sur les toxines de Fusarium. Précisons d’abord que le protocole d’analyses doit être consciencieux sur l’échantillonnage pour que celui-ci soit le moins contestable possible. Les techniques d’analyse qui ont recours à la suspension/dilution favorisent plutôt les moisissures très sporulantes, comme les aspergillus et penicillium présentes à la périphérie des grains. Et cela au détriment des espèces moins sporulantes (XV.5, XV.8 et XVII.6.4), comme les fusariums, dont le mycélium s’implante et s’incruste dans les tissus périphériques [34].

Comme toujours aussi, le test rapide est choisi par sa facilité opérationnelle et surtout son moindre coût. Il devrait conduire à plus de prudence d’interprétation même s’il est valable en termes d’identification de lots infestés ou premières analyses. Il semble bien qu’il faille déjà préférer les dosages chromatographiques aux kits immuno-enzymatiques qui peuvent être utilisés comme méthode de repérage. Ces tests évaluent la teneur par coloration et il faut être prudent pour les dosages quantitatifs. D’autant plus que des « faux positifs » peuvent élever jusqu’à 6 fois la valeur réelle[35].

En spécialiste, B. Cahagnier écrit[36] ; « on décèlera presque toujours quelques ppb (partie par billiards équivalent au microgramme/µg) de l’une ou l’autre mycotoxine sans que ce soit péjoratif pour le produit au niveau de la santé publique. Parfois malheureusement, la détection de ces métabolites toxiques dans certains produits de base a essentiellement pour but d’obtenir des avantages soit financiers, soit commerciaux ».

On remarquera aussi que dès qu’un marché se mondialise, certains pays ou acheteurs n’hésitent pas à sortir des limites assorties de normes de salubrité plus stricte afin de faire barrière aux importations. En somme, c’est une autre forme de lutte contre les accords internationaux d’ouverture de marché.

VI.11. Pour la lutte préventive, il faut appréhender…

… les méthodes de culture.

… le climat que subit la récolte.

… les pratiques de stockage.

Ces trois points ont leurs importances quant à la production de mycotoxines.

Il faut d’abord citer par ordre chronologique les méthodes de culture. Ici la méthode du non-labour garde plus que les méthodes de labour des reliquats de la récolte précédente, où les chances de survie sont plus fortes pour l’innoculum (V.9).

Le maïs compte plus d’humidité à la récolte que le froment par ex. D’où plus de sensibilité à la contamination et conduit à une affinité du maïs pour une plus grande variété de fusarium.

Le prédateur primaire des grains est celui qui fait des ouvertures dans le grain et permet aux prédateurs secondaires et aux moisissures d’entrer. Il est bien connu sur maïs, il s’agit de la pyrale, un papillon pondant ses larves à l’intérieur des graines ou pailles. Voilà pourquoi le maïs transgénique Bt avec le gène du Bacille thurengiensis, luttant contre ces pyrales est parfois mis en avant comme argument positif dans la recherche pour éviter les mycotoxines. Avec le temps, les succès du procédé d’introduction de gène de bacille sont à relativiser.

06_031_Rendement et traitement en France.jpg

L’Afssa va jusqu’à proposer en 2003 que c’est ce précédent maïs (fort prisé en conventionnel) dans l’assolement qui semble expliquer que les terres en agriculture biologique ont moins de fusariose[37].

La fertilisation azotée semble aussi favoriser des niches à contamination lorsque des acides aminés libres ne sont pas assimilés par la plante. F. Chaboussou signale[38] que l’excès d’apport d’azote soluble qui ne pourra pas être protéosynthétisé joue un rôle néfaste dans la résistance de la plante vis-à-vis des parasites.

Une observation que Tubajika & coll. ont également sur la culture du maïs en Louisiane (U.S.A.) avec détection d’aflatoxine. D’autres références précisent que le « forçage » de la fertilisation azotée occasionne des membranes de graines qui s’amincissent, qui deviennent plus exposées aux contaminations mycologiques, ce qui est cité par deux enquêtes reprises par Magkos[39]. Il s’agit de recherches de Heaton et de Watts en 2001.

D’autres personnes, défenseurs des pesticides et d’agriculture dite « raisonnée », diront que le traitement aux pesticides appropriés aux moisissures (les fongicides) réduit fortement le risque, ce qui est contredit (XI.13). Dans le cas de la protection chimique contre les fusariums est assurée par deux molécules actives de synthèse (la triazole et la strobilurine). Les triazoles font chuter au mieux de moitié la fusariose et les désoxynivalénols (DON). Par contre les strobilurines favorisent le développement des fusariums en éliminant un concurrent de celui-ci sur le substrat, le Microdochium nivale (ex – Fusarium nivale). C’est pourquoi on conseille par précaution en agriculture subissant des traitements, d’employer un mélange Triazole/Strobilurine[40]. Il est à noter qu’au Canada, une recherche tente de comprendre pourquoi l’emploi du désherbant Roundup entraîne l’apparition de fusarium, responsable de maladies cryptogamiques[41]. Francis Chaboussou a passé en revue un des premiers constats des effets des pesticides sur la croissance des plantes cultivées et notamment le froment. Il observe que les herbicides sont responsables de l’inhibition de la protéosynthèse et favorise les maladies fongiques. Les traitements fongicides qui prennent souvent un caractère systématique doivent aussi être considérés sous l’aspect des risques de résidus dans les nappes phréatiques et surtout dans l’appauvrissement de la flore microbienne entourant les racines (la rhizosphère comme on l’appelle), atteignant négativement une voie importante de la fertilité naturelle du sol[42].

La revue Agreste primeur (fig.10), écrit en 2003, qu’un tiers des agriculteurs désherbent et traitent aux produits fongicides sans observation préalable[43].

Enfin la réponse de résistance aux maladies fongiques peut être différente au niveau des variétés des types de céréales.

Les moisissures, type fusarium, sont plutôt hygrophiles (qui aiment l’humidité), c’est principalement dans les champs qu’elles se forment et produiront leurs toxines. Bien sûr, une année pluvieuse va favoriser le développement des désoxynivalénols, nivolénols, zéralénones et fumonisines propres à cette moisissure. Il existe ainsi des années à fusarioses suivant le climat que la région de culture a subi.

C’est alors qu’il faut être plus vigilant et éventuellement porter son attention sur le triage quand il est encore temps. Ce critère du climat a une prévalence sur les autres cités dans ce chapitre de lutte préventive, même s’il est inévitablement subi.

Au stockage, c’est un autre milieu, principalement plus propice à la production d’aflatoxines et autres ochratoxines puisque les Aspergillus s’y développeront mieux. Par contre pour les moisissures fusarium et altenaria ce n’est pas leur « tasse de thé », puisque la microflore du stockage est dite xérotolérante (qui supporte les milieux secs).

fig.11. Temps de ventilation nécessaires pour le stockage des céréales
Céréales et autres graines Durée exprimée en heures
Maïs, pois 40 à 50 h.
Blé 50 à 60 h.
Orge, tournesol 60 à 75 h.
Sorgho, colza 80 à 100 h.
Avec un débit de renouvellement de 20 m³/h. pour 1 m³ de grains
D’après G.NIQUET et al., 2002

Avec les connaissances sur les mycotoxines, on a tendance à éviter les réserves en cribs traditionnels encore fort présentes dans les pays chauds. Ce genre d’entreposage, s’il peut être efficace contre les rongeurs, manque d’un système d’aération servant au refroidissement de la masse.

Avant le stockage d’un lot, il est important de nettoyer par séparation

Pour permettre de longues et saines conservations des céréales, un refroidissement par aération des céréales (fig.11) conservées va se réaliser en plus de 50 heures et parfois plus, jusqu’à 100 à 120 heures[44].

Un système qui doit « traverser » la masse du bas vers le haut, qui sera utile également dans la lutte contre d’autres nuisibles (VI.5).

VI.12. Mycotoxines et armes de guerre

Dans la lutte contre le fléau de la drogue, on utilise en terme d’« agent vert », des moisissures répandues sur les zones de culture de coca, pavot et marijuana.

Celles-ci sont issues de Microorganismes Génétiquement Modifiés (M.G.M.) à partir de Fusarium papaveracesse et Fusarium oxysporum [45].

L’agent « green » a donné lieu à des oppositions que rencontrent de tels projets parfois classés « secrets d’État », les dégâts dits « collatéraux » étant importants.

En 1981, le général Alexander Haig fit à Berlin une révélation en déclarant que les trichothécènes de fusarium étaient l’arme appelée « pluie jaune » dans les « guerres chaudes » d’Asie du Sud-Est pendant ce temps de guerres « froides » ici en Europe [46].

Dans le même registre, secret d’état et guerre avec armes biologiques, l’intoxication au pain de Pont-Saint-Esprit dans le Gard en août 1951 a été citée. Comme le procès au pénal se termina en justice par un non-lieu, cela a laissé place à l’imagination requise pour le suspens de livre, Le pain maudit[47], et de film, Le pain du diable[48]». Ce mystère d’empoisonnement où l’ergot dit de seigle et des fongicides d’origine mercurielle ont été soupçonnés puis écartés après enquête, reste finalement non élucidé. Il a rebondi aux États-Unis en mars 2010, par la sortie du secret d’archives de l’état après cinquante ans. L’extrait rendu public concernait l’assassinat en 1953 de l’agent de la CIA, Frank Olson. Un livre du journaliste d’investigation, HP Albarelli Jr.[49], va jusqu’à émettre la potentialité d’une action « expérimentale » d’arme biologique et incapacitante par l’Agence Centrale de Renseignement (Cia) en collaboration avec la firme phytopharmaceutique, Sandoz.

Cette firme suisse a en effet obtenu des contrats avec l’armée américaine dans ces années 1950.

Sandoz a, grâce à un de ses chercheurs, Albert Hofmann, découvert en 1938 le « Lyserge säure diethylamid », plus connu sous le nom de Lsd, un dérivé synthétisé à partir de l’ergot dit de seigle.

La firme spécialisée en pharmacie exploita cette substance en médecine psychiatrique sous le nom de « Delysid ». Molécule prometteuse décrite comme « traitement miraculeux » dans les années 1950, elle deviendra très vite dans les années 1960, avec sa présence dans la rue sous forme de buvard, un moyen d’effectuer des « trips » ou voyages dont beaucoup de personnes dépendantes ne reviendront pas. Elle prend alors le statut de substance dangereuse et Sandoz arrête sa distribution en 1966, année où le Lsd fut également déclaré illégal aux États-Unis.

Les experts de Sandoz (dont A. Hofmann) viendront lors du drame dans le Gard comme spécialiste de l’ergot de seigle[50]. Le peu d’investigations et parfois les dossiers uniquement à charge n’aident pas à la validation de cette thèse d’essai d’armes biologiques. Notons qu’à l’époque de l’après-guerre 40-45, les exemples d’expérience sur population ne sont toutefois pas rares. Ainsi dans les années 1950, sont testés des flocons de céréales avec ajout de substance radioactives par de prestigieuses universités en collaboration avec la firme Quakers Oats Company, la population test étant composée de personnes handicapées mentales américaines[51].

VI.13. La comparaison entre monde de production conventionnelle et bio

On retrouve dans ce dossier mycotoxines tous les ingrédients qui peuvent opposer ceux qui supportent l’agriculture biologique exempte de fertilisation chimique et de traitements fongicides et de l’autre côté, ceux qui endossent la thèse de l’intensification avec ses doses d’intrants. Grosjean et ses collaborateurs en juillet 2005 écrivent à propos de cette dualité bio versus « raisonné », que le débat « manque d’arguments probants à défaut de manquer de partisans ». Toujours d’après ces auteurs, les résultats sont contradictoires du fait que l’analyse valable au niveau comptage de certaines toxines est récente et se situe sur un nombre limité d’années, avec des méthodologies d’analyse différentes. Les chercheurs[52] démontrent assez régulièrement que les teneurs en mycotoxines venant de fusarium sont moins relevées en agriculture biologique qu’en agriculture conventionnelle. Dans des années encore floues au niveau des analyses de fusiarotoxines, une étude française[53] de 2002 décèle, 40 % de fréquence en moins de désoxynivalénol (DON) en céréaliculture bio par rapport à la céréaliculture conventionnelle, mais avec de fortes disparités de teneurs maximales, qui sont parfois plus hautes en bio. Une étude allemande étalée de 1990-1996 relevait 80% de DON en moins en Agriculture bio[54].

Cela contredit le postulat que le traitement de fongicides en agriculture conventionnelle, laissait croire aux pratiquants de cette dernière pratique, qu’en lutant contre les moisissures on réduisait les mycotoxines. On est en fait dans le constat inverse et c’est probablement à imputer à une réponse de la moisissure, notamment face au stress émis lors des attaques d’anti-fongiques (VI.8). Dans chaque analyse comparative, il faut toujours discerner si l’on parle de fréquences de présence dans les lots et surtout dans les chiffres cités, savoir si la dose vaut la peine d’alerter.

Le décorticage et le blutage enlèveront jusqu’à plus de la moitié de la teneur en mycotoxines[55].

Comme pour les résidus de pesticides, le pain et la farine complète seront l’objet d’un contrôle plus suivi (V.7). Certains procédés de lavage-brassage des grains ou de traitements de ceux-ci avant mouture apportent des réductions diverses des teneurs en mycotoxines[56].

Le pain n’est pas le seul produit céréalier à être transformé en aliment. Les autres produits dérivés des céréales, utilisés au petit déjeuner en « flakes » ou en maïs soufflé, font également l’objet de surveillance sanitaire. Comme les mycotoxines sont plus dues à des interventions précédant la transformation, seule différence enregistrée dans les veilles sanitaires, une propension du maïs (du fait de sa culture, et sa teneur en humidité) à contenir plus de présence de fusiarotoxines et autres mycotoxines[57]. Ce qui a été révélé sur pop-corn, polenta et pétales de maïs[58].

Dans la décontamination des arachides (fortement sujettes à l’aflatoxine), des méthodes de tri essayeront de se mettre en place, mais paradoxalement sans trop de succès. En 1982, G. Viroben signale[59] que la méthode d’identification dite de Dickens qui entraînait « le rejet de 70 % des lots lors des très mauvaises récoltes, n’a pas eu d’application pratique » ! (sic).

Si on analyse la nécessité du recours à des procédés de détoxification autorisés dans l’alimentaire. Certains procédés ou méthodes de détoxification se feraient à l’aide de produit basique (ammoniaque) par voie chimique.

Un système baptisé « Qualista » sera commercialisé en premier par une minoterie du Morbihan. Elle possède, d’après les promoteurs du procédé, des « périfibres » et des « nourrifibres » non seulement blanchies par oxydation mais aussi nettoyées des résidus de pesticides et de contaminations microbiennes et de mycotoxines[60]. La teneur en DON par exemple est réduite de 40 à 70 % et celle d’ochratoxine A de 60 à 90 %. Ce procédé utilisant l’ozone semble surtout répondre à l’exigence de taux de mycotoxines extrêmement bas quand il est destiné à l’alimentation infantile et lorsque les teneurs limites sont pratiquement difficiles à respecter, par exemple, le cas de la teneur limite légale de l’aflatoxine.

Mais dans ce procédé, quelque part l’hyper-sanitaire (en oxydant par l’ozone) se dispute avec le nutritionnel qui ne recherche pas d’apport d’oxydant. L’oxydation se remarque aussi avec l’amélioration du comportement des protéines (gluten) devenant plus tenaces.

Par la voie biologique, qu’il nous faut signaler, des recherches australiennes en 1997, puis une enquête de 2004 intitulée Réduction de l’aflatoxine dans la fermentation du pain au levain indiquent qu’en fermentation au pH plutôt acide on remarque une réduction de 92 % et 79,16 % pour deux types d’aflatoxines au bout des 6 heures de fermentation au levain à 30 °C[61]. Cette dernière information est peu répercutée, tout comme le fait que l’aspergillus flavus et l’aspergillus niger sont présents en Malaisie dans les cultures, alors qu’en fabrication artisanale de sauce de soya en fermentation naturelle (sans emploi de culture pure de microorganismes), aucune aflatoxine n’a été décelée dans ce produit local [62] (XVII.4.1 et XIX.5).

Bibliographie du Chapitre VI Conservation des graines

 

  1. P. Chasseray, p. 88 ; F.Fleurat-Lessard, 2015, p.39-40.
  2. G.Martin, p. 125.
  3. Fernand Gigon.
  4. H.Gounelle de Pontanel et D.Prandini-Jarre, p.190.
  5. Georges Barbarin, citant entre autres sources, le journal Le Monde des 2 et 4 septembre 1954.
  6. J. Adrian, p. 31 ; F.Fleurat-Lessard, 1998, p.10 et 135-136.
  7. O. De Serres, p. 816, 817. Ch. Estienne et J. Liebault, p. 534, 535.
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  9. G. L. Ternaux, 1825 ; A.Balland, 1902, p. 207-211.
  10. M. Benoit, p. 69.
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  17. J. Wolff, 1992.
  18. Jean Lederer, Tome IV, 1986, p. 64.
  19. Site : http ://www.collasius.org/
  20. H.- J. Jacob, p. 163-173.
  21. J. Le Bars, 1982.
  22. Jean Lederer, Tome IV, 1986, p. 52.
  23. A. Breton, p. 104, 108, 111, 119, 168, 176, 188.
  24. F. Peyruchaud, p. 20.
  25. Larpent, 1990, p. 90, 264 et 265.
  26. Jean Lederer, Tome IV, 1986, p. 60-61.
  27. Frayssinet, p. 325.
  28. Grosjean, 7/2005, p. 4 ; Frayssinet, p. 331 et Cahagnier, 05/2001, p. 22, 23 et 28.
  29. Cahagnier, 05/2001, p. 23, Richard-Molard & Cahagnier, p. 408.
  30. Grosjean, 12/2006, p. 12.
  31. Cahagnier, 5/2001, p. 22.
  32. Claire Billen, Renaud Zeebroek & Michèle Populer, 1994 ; S.Kaplan, 2020, p.60.
  33. Cahagnier, 05/2001, p. 24.
  34. F. Grosjean, 12/2006, p. 13, et Richard-Molard & Cahagnier, p. 403.
  35. Cahagnier, 05/2001, p. 26 et Raimbault, 2005, p. 28 à 30.
  36. Cahagnier, 05/2001, p. 24.
  37. Grosjean, 7/2005, p. 5 & 6.
  38. F. Chaboussou, p. 227.
  39. Magkos et al., p. 39.
  40. Grosjean, 7/2005, p. 5.
  41. Myriam Ferandez. Andy Coghlan.
  42. F. Chaboussou, p. 26, 125 & 140.
  43. V. Rabaud.
  44. F.Fleurat-Lessard, 2015, p.145.
  45. G.-E. Seralini, 2010, p. 108.
  46. C. Moreau, p. 129.
  47. Steven Lawrence Kaplan, 2008. Neuf cents pages d’enquêtes minutieuses.
  48. Film Le pain du diable, réalisé par Bertrand Arthuys à Pont Saint-Esprit en septembre/octobre 2009 pour France 3 qui le diffusera le 2 février 2010.
  49. H.P. Albarelli Jr.
  50. S.L. Kaplan, 2008, p. 554 à 564.
  51. Journal Le Monde du 13 janvier 1994.
  52. Revue Alter-Agri de novembre 2000.
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  55. G. Rios et coll., p. 13.
  56. François Grosjean et coll., mars 2008, p. 16.
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  58. Un rapport de l’Afsca (l’Afssa belge) donne pour 2006-2007 des dépassements pour des pop-corn et polenta.
  59. G. Viroben, 1982, p. 843.
  60. Anne-Gaëlle Pernot, Michel Dubois & Christian Coste, 2007.
  61. Kankaanpää et col. ; El Nezami publiée en 1997 et 1998 mentionnée par Y. Dacosta, 2000, p. 165 ; Abdellah Zinedine et col.
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