« Four d’idées ! – Mais c’est toujours de la même farine. »
La Revue comique à l’usage des gens sérieux parut après la révolution de 1848 et disparut lorsque Louis-Napoléon Bonaparte, élu président de la IIe République, forma un coup d’Etat le 2 décembre 1851. La Revue comique avait fait sa tête de turc du neveu du grand Napoléon, mais brocardait aussi toutes les girouettes de l’époque, les arrivistes, les rétrogrades, les militaires autoritaires. C’était une revue ouvertement républicaine dont les articles et surtout les dessins ridiculisaient les conservateurs de tout poil.
Les trois dessins qui suivent associent le pain et sa fabrication à des personnages de l’époque. Ils nécessitent quelques explications pour en comprendre la signification. Publiés au fil de numéros non datés précisément, il est difficile de les situer en 1848-1849.
Ce dessin nous montre un boulanger devant son four, bras nus, couvert d’un tablier. Sur une table, il coupe sa pâte en petits carrés où sont inscrits les noms des idées qu’il propose. Ce personnage est Emile de Girardin (1802-1881), journaliste, fondateur du journal la Presse. La Revue comique se déchaîna contre lui à travers une série de dessins féroces, sous le titre « Vie politique et littéraire de Vipérin, journaliste et industriel ». Ce surnom de « vipérin » vient de ses paroles et écrits venimeux, et explique la longue langue fourchue qui sort de la bouche du pseudo-boulanger. Ce qui pend à son côté, et que l’on retrouve sur les autres dessins, semble être une sorte de fagot plein d’épines, allusion probable à sa méchanceté. S’il est ainsi raillé, c’est en raison de son opportunisme et de son soutien à Louis-Napoléon Bonaparte.
« Fermentation des pétrins ».
Légende : « – On veut nous mettre dans le pétrin ! Nous ne le souffrirons pas !
Allons, enfants de la pâte ri –
ons des efforts de nos tyrans, etc., etc. »
De gauche à droite, on distingue un four ; une hotte à pain ; un instrument difficile à déterminer (un écouvillon ?) ; une espèce de couteau à grandes dents inégales (pour figurer un profil humain), qui pourrait être un couteau à couper le pain cuit ; une brosse à farine ; un sac de farine ; trois pelles de boulanger. Comme la brosse, celle de droite est couverte à mi-hauteur d’un bout de toile comme en portent les boulangers au fournil. Ces instruments ont bras et jambes, parfois figure humaine.
Ils figurent le peuple républicain en révolution, comme l’atteste le bonnet phrygien brandi à l’arrière-plan, le sabre, les pistolets à la ceinture du sac de farine.
Ils se dirigent vers une rangée de pains, qui sont les ennemis, on verra pourquoi plus bas.
Les textes sont une succession de jeux de mots. La banderole porte « A BAS CEUX QUI PATISSENT / A BAS DUPIN ». Je pense qu’il ne faut pas comprendre « pâtissent » au sens de « subir des inconvénients, souffrir », mais au sens de « ceux qui font de la pâtisserie ». Ces « pâtissiers-là » doivent-être les députés. Quant à « A bas Dupin », c’est une allusion à André Dupin (1783-1865), qui fut élu président de l’assemblée législative le 1er juin 1849 grâce aux suffrages des monarchistes, et qui soutint des mesures conservatrices qui irritèrent les républicains.
Jeux de mots aussi avec l’expression « nous mettre dans le pétrin » et le début de la Marseillaise revisitée : « Allons enfants de la pâte », qui s’enchaîne avec « rions des efforts de nos tyrans ».
Décidément, ils s’amusaient bien les dessinateurs de la Revue comique. Ce n’est pas encore du Canard enchaîné, mais presque.
Le troisième dessin est plus sobre. Avec deux autres, il illustre un article paru dans le journal La Liberté du 18 mars 1849, qui relatait d’une plume servile la visite de Louis-Napoléon Bonaparte, le président de la République, à Saint-Leu (Saint-Leu-la-Forêt, dans le Val-d’Oise), là où se trouve le tombeau de son père, Louis Bonaparte, ex-roi de Hollande.
« Il a rompu le pain avec le peuple »
Devant une foule en liesse, esquissée d’un trait de crayon, un paysan (bonnet, blouse et sabots) et le président Louis-Napoléon Bonaparte (bicorne, comme son oncle, redingote et bottes), rompent un pain immense. Le président semble en équilibre, prêt à chuter lorsque le pain sera entièrement rompu.
C’est l’illustration caricaturale de ce passage de l’article « Bientôt la foule a supplié Louis Bonaparte d’accepter une collation. On l’a fait monter dans une chambre d’auberge, et là, il a rompu le pain avec ce peuple qui le couvrait d’embrassements ; c’était un délire impossible à décrire. »
Le pain s’est fait plus rare depuis quelques dizaines d’années dans l’univers politique et le dessin de presse. Le niveau de vie s’étant élevé, il n’est plus l’aliment essentiel à la satisfaction des besoins alimentaires et le symbole de la faim à assouvir.
Laurent BASTARD