Compagnons du Devoir Réunis

Médaille du Club des Compagnons du Devoir Réunis Mars 1848

3 Ter – Jean-Claude THIERRY – Collection C.F. MAUREL

36mm hauteur. Plomb. Médaille non répertoriée dans le Félicien Saulcy 1848 & JP Collignon 1848. Rareté +

Avers : légende en circulaire ; CLUB DES COMPAGNONS DU DEVOIR ; médaillon central orné d’une pique centrale surmontée du bonnet phrygien encadrée de deux drapeaux tricolores, toutes trois plantées dans des décombres ;

A l’exergue : 23 24 / FEVRIER / 1848. Revers : sur cinq lignes : COMPAGNONS / DU DEVOIR / REUNIS / – / MARS / 1848.

 

Encyclopédie du compagnonnage :

La révolution de 1848 porte un nouvel espoir dans le monde ouvrier. Proclamée le 26 février, la IIème

République crée le surlendemain une commission du gouvernement pour les travailleurs. Des réformes immédiates annoncent un changement social. C’est dans cette atmosphère que l’on reparle d’une réconciliation des devoirs ennemis. Un comité chargé de rédiger une constitution fédérale se réunit rue Saint-Germain-L’auxerrois sous la présidence de Dénat, compagnon Etranger tailleur de pierre et ami de Perdiguier. Un appel est lancé pour un défilé chargé d’assurer le gouvernement provisoire du soutien des compagnons. Il est signé de Bardes, compagnon du Devoir. Il s’adresse « aux compagnons de tous les Devoirs et de tous corps d’état ».

Le 20 mars, huit à dix mille compagnons se retrouvent sur l’ancienne place Royale (l’actuelle place de Vosges) pour une fête de la Réconciliation. La cérémonie avec le serment devant l’autel des trois fondateurs, telle que l’a popularisée une lithographie de Perdiguier.

La Réconciliation des Compagnons, gravure de Perdiguier et de Becquet pour commémorer la cérémonie de 1848. Tous les corps de métier sont représentés autour de l’autel aux trois Fondateurs. Nous remarquons les couleurs fleuries au cou de La Franchise de Grenoble, tailleur de pierre Etranger, sur les marches de l’autel. Musée des Arts et Traditions populaires.

De la place, des compagnons se rendent à l’Hôtel de Ville où ils sont reçus par le gouvernement provisoire pour lui remettre une adresse ainsi rédigée : « Citoyens, les sociétés de travailleurs constituées en association compagnonniques ont cru de leur Devoir de venir auprès du gouvernement provisoire de la République pour lui témoigner de toute leur gratitude et le remercier de sa sollicitude avec laquelle il s’occupe de l’amélioration de la classe travailleuse… »

Il est ensuite fondé un Club des compagnons de tous les Devoirs réunis présidé par Dénat. Son manifeste (BNF, LB53-1058), publié le 10 avril, appelle les « soldats de la démocratie, sentinelles des barricades » à se montrer vigilants contre ceux qui tentent de jeter la division dans les rangs des ouvriers. Son programme en dix points met l’accent sur l’organisation, du travail, l’instruction, la retraite, la liberté de parole, de culte, d’association, etc.

Aux élections du 24 avril, ce club présente ses candidats. Seule la candidature de Perdiguier est retenue, et il figurera parmi les six élus de cette liste. La liberté de réunion qui sera officiellement votée dans la constitution de novembre permettra au compagnonnage de sortir de l’ombre, et donc de s’organiser en une société structurée.

Ce rapprochement fut cependant sans lendemain, et l’action de Perdiguier fut critiquée. Le projet de constitution fraternelle rédigé par le Club de tous les Devoirs n’est voté le 3 avril 1849 que par huit des trente-cinq sociétés. On se contentera de créer une symbolique Société des Devoirs réunis qui ne regroupa que des anciens. Mais le souvenir resta longtemps dans le cœur des compagnons, alimenté par des chansons de Dénat ou par les vers de Calas.

Le rêve de réconciliation cependant n’aura pas été vain. On peut remarquer que les rixes deviennent rares, puis disparaissent dans la seconde moitié du siècle. De nouvelles tentatives de fusion verront le jour en 1864 (Lyon), en 1868, en 1874 (voir Union Compagnonnique).

Références : Extrait de « Rites, compagnonnages et politique en 1848 ». Par Cynthia M. Truant Publications de la Sorbonne – Novembre 1998 ISSN : 1276-8707 :

La Révolution de 1848 – Les 23 et 24 février à Paris (dates mentionnées au revers de la médaille)

La révolution française de 1848 se déroule à Paris du 22 au 25 février 1848. Sous l’impulsion des libéraux et des républicains, le peuple de Paris, à la suite d’une fusillade, se soulève et parvient à prendre le contrôle de la capitale. Louis-Philippe, refusant de faire tirer sur les Parisiens, est donc contraint d’abdiquer en faveur de son petit-fils, Philippe d’Orléans, le 24 février 1848.

  • 22 février – 24 février :
  • Révolution à Paris. Ces trois journées révolutionnaires renversent la Monarchie de Juillet, Louis-Philippe abdique.
  • 22 février :
  • Les manifestants (étudiants du Quartier latin et ouvriers des faubourgs) se rassemblent, à l’appel des sociétés secrètes et avancent vers la place de la Concorde. La troupe les repousse, mais l’ébullition demeure. Guizot veut faire appel à la garde nationale pour disperser les manifestants. En fin d’après-midi, des incidents dans le quartier de la Madeleine font un premier mort. La garde pactise avec les manifestants et exige à la fois la réforme et la démission de Guizot, que Louis-Philippe accepte dans l’après-midi du 23.
  • 23 février :
  • Les affrontements se multiplient entre la foule et les gardes nationaux. La plupart des bataillons fraternisent avec la foule et dans l’après-midi reprennent à leur compte l’appel à la « réforme ». Tocqueville est témoin de la démission de Guizot à la Chambre des députés. Dans la soirée, une fusillade fait 52 victimes boulevard des Capucines ; les corps sont promenés à travers les rues de Paris ; les quartiers de l’Est et du centre se couvrent de barricades ;
  • Louis Molé devient Premier ministre. Dans la soirée, pour fêter cette victoire, les Parisiens sortent les lampions et vont manifester leur joie sous les fenêtres du ministère des Affaires étrangères qu’occupe Guizot. La troupe tire, faisant plusieurs morts qui sont immédiatement mis sur des charrettes et montrés dans tout Paris. La promenade des cadavres déclenche la révolution.
  • 24 février :
  • A l’aube, Paris est couverte de barricades ;
  • Au matin, Molé démissionne. Adolphe Thiers, puis Odilon Barrot, partisans de la réforme, refusent de lui succéder. Vers midi, le palais des Tuileries est attaqué par les insurgés. Louis-Philippe Ier abdique en faveur de son petit-fils de neuf ans, le comte de Paris. Lorsque la duchesse d’Orléans arrive au palais Bourbon pour demander la régence, elle y trouve des insurgés victorieux et des députés qui ont accepté, sous la pression, de former un gouvernement républicain provisoire. La famille royale s’enfuit ;
  • Dans la soirée, à l’Hôtel de Ville dont les insurgés se sont emparés, formation du gouvernement provisoire (Dupont de l’Eure, Lamartine, Crémieux, Ledru-Rollin, Louis Blanc, « Albert », Marie, Arago, Marrast, Flocon, Garnier-Pagès, Pyat). Une déclaration précise que ce gouvernement « veut la République ». Louis-Philippe quitte Paris. Naissance de la deuxième République française (fin en 1852) ;
  • Emeute à Rouen : le pont de chemin de fer dit « pont aux Anglais » est incendié par les émeutiers.
  • 25 février :
  • La République est proclamée place de l’Hôtel-de-Ville par Lamartine et Ledru-Rollin. Le gouvernement provisoire crée une garde mobile de 24 000 hommes, recrutés parmi les jeunes chômeurs parisiens ; sous l’influence des idées de Louis Blanc, il s’engage par décret à « garantir l’existence de l’ouvrier par le travail » ;
  • Proclamation du droit au travail ;
  • Le drapeau tricolore est conservé grâce à un discours de Lamartine qui retourne l’opinion de la foule, rassemblée à l’Hôtel de Ville en faveur du drapeau rouge ;
  • Auguste Blanqui revient de Blois à Paris.
  • 26 février, France :
  • Création des « Ateliers nationaux » destinés à résorber le chômage (40 000 ouvriers à la mi-avril). Dans les jours qui suivent, la peine de mort en matière politique est abolie, les délits de presse amnistiés, les titres de noblesse abolis, les biens de la famille royale confisqués. La Commission du Luxembourg, composée de délégués ouvriers, se met en place sous l’autorité de Louis Blanc.
  • 27 février :
  • L’Allemagne du Sud est gagnée par la vague révolutionnaire : à Mannheim se constitue une assemblée de démocrates.
  • France :
  • Parmi les nombreux journaux créés : Le Salut public de Champfleury, Baudelaire et Toubin (il aura deux numéros) ;
  • Victor Hugo félicite Lamartine pour l’abolition de la peine de mort.
  • Institution des ateliers nationaux.
  • 28 février :
  • Création d’une « Commission du gouvernement pour les travailleurs », présidée par Louis Blanc. Louis Bonaparte quitte Londres et arrive à Paris.

Février 1848 – Cette médaille mentionnée par F. Saulcy (Planche XLII N°12) – Souvenirs numismatiques :

« nous apprend qu’à partir de ce bienheureux moment il ne devait plus y avoir d’exploitation de l’homme par l’homme, et que les seuls privilèges devaient être la vertu et le talent. Belles théories, sans aucun doute, mais que nous n’avons pas eu la satisfaction de voir mettre en pratique ».

 

Les compagnons lors de la Révolution de 1848

En 1848, pour fêter la République, plus de dix mille Compagnons et Mères, tous Devoirs confondus, oubliant leurs différences l’espace d’un jour, défilent à Paris, place des Vosges. Devant un autel dédié aux trois fondateurs du Compagnonnage, la Franchise de Grenoble, Compagnon Tailleur de pierre Etranger, prononce un discours reprenant les idées humanistes de Perdiguier.

La controverse autour de l’unification des compagnonnages en 1848 est à la fois un débat indissociable des valeurs attachées aux rituels et aux transformations du travail et un enjeu politique. Il apparaît, alors, que nombre de compagnons, à Paris, souhaitaient donner à leurs associations un caractère plus « moderne », plus proche des organisations fraternelles de la classe ouvrière. Ceci ne devait pas impliquer la disparition de l’énergie créative et du pouvoir de leurs rituels et de leurs traditions corporatives qui, souvent, remontaient au moins à la fin du seizième siècle. Les composantes et valeurs des compagnonnages relèvent de leurs milieux originels : l’église catholique, les confraternités et les pratiques artisanales des corps de métiers.

Toutefois, pendant la Révolution, les compagnons ne purent ni ne s’attachèrent à leurs habitudes et comportements traditionnels. Ils intégrèrent, dans leurs associations, certains modèles politiques d’organisations sociales révolutionnaires ou postrévolutionnaires. Tout en se référant toujours à leurs propres valeurs, ils choisirent de plus en plus, pour leurs associations, le nom de « sociétés » et adoptèrent des terminologies bureaucratiques. Celles-ci renforcèrent leur modalité de fonctionnement, d’organisation et de communication. Une transformation radicale vers leur unification n’eut pas lieu quoique, pendant les premiers mois de 1848, une telle possibilité ait existé.

Le 20 mars 1848, quelques huit à dix mille compagnons, relevant d’une vingtaine de sociétés, se rassemblèrent place de la République dans le but de réaliser une réconciliation historique entre les trois principales organisations compagnonniques. Leurs habits et chapeaux étaient richement ornés de rubans et d’écharpes colorés, autant de symboles de leurs nombreux métiers et sociétés. Dépassant ces particularités, les compagnons formèrent une longue colonne, bras joints, et s’avancèrent vers l’Hôtel de Ville. La presse était enthousiaste. La Gazette des tribunaux, un journal très critique vis-à-vis des rivalités et des querelles entre compagnonnages, considéra cette réconciliation comme : « un des grands actes de l’histoire du compagnonnage (…) l’ordre le plus parfait n’a pas cessé une seconde d’être observé par cette belle légion de travailleurs. Ces milliers de “frères” réconciliés par un saint et solennel serment ont voulu rendre tout Paris témoin de ce grand acte ».

La réconciliation historique des sociétés compagnonniques, le 20 mars, s’inscrit dans le contexte de la déclaration de la délégation de compagnons faite au Gouvernement provisoire. Dépassant les rivalités antérieures, les compagnons déclaraient : « Si quelque jour, cette République que nous avons proclamée, la figure noircie de la poudre des barricades, avait besoin de notre appui pour repousser l’agression intérieure ou extérieure, toutes nos républiques n’en formeraient, sur-le-champ, qu’une seule, pour servir de bouclier à la Commune Mère, et la tyrannie n’arriverait jusqu’à elle qu’après avoir foulé nos corps ensanglantés »

Le journal libéral La Démocratie pacifique souligna le fait que, le 19 mars, les compagnons charpentiers avaient tenu leur fête traditionnelle en l’honneur de Saint Joseph. Dans un sens cette fête était un catalyseur de la fraternité montrée le 20 mars : « Sous l’influence de la fête de la veille, et surtout d’une révolution faite au nom de la fraternité, les compagnons de tous les devoirs, rivaux et presque ennemis jusqu’à ce jour, se sont embrassés en abjurant toutes leurs querelles. » Mais l’esprit du 20 mars s’étiola rapidement. Les compagnons rencontrèrent de nombreuses difficultés pour conformer leurs diverses sociétés tant aux idéaux exprimés dans la déclaration faite au Gouvernement provisoire qu’aux louanges émises par la presse.

 

Le « Club des compagnons » devint le centre du mouvement d’unification. Cependant il n’y eut que 12 sociétés sur 20 qui envoyèrent un représentant à la réunion suivante du Club. La proclamation qui émana de délibérations tranquilles et modérées est loin de « la fusion radicale de tous les Compagnonnages » qu’espérait le secrétaire du Club : Toussaint Guillaumou, un compagnon cordonnier. Les délégués exprimèrent leur souci de maintenir dans toute nouvelle organisation les traditions de leur devoir et métier. Pour la future confédération, ceci suscita des articulations institutionnelles ambiguës. Un membre du Club proposa la création d’un comité central réduit composé de sept membres permanents et d’un délégué de chaque société (article 13). Suivant cette proposition il y aurait des comités régionaux dans les principales villes du Tour de France. Le rôle particulier de ces comités était peu défini.

Ces structures semblaient destinées plus à l’échange d’informations qu’à la prise de décision.

L’article 12 était pratiquement le seul à donner plus d’indications sur les finalités poursuivies. Il concernait les relations économiques entre compagnons de différents devoirs ou sociétés du Tour de France. L’article stipulait que tous les compagnons quel que soit leur rattachement pourraient travailler en tous lieux et qu’il n’y aurait plus de rivalités, échauffourées ou exclusions. Le texte prenait clairement en compte le fait que la concurrence entre ouvriers de la même profession faisait du tort à tous et profitait aux employeurs. Il décréta qu’aucune société n’aurait l’autorisation de travailler dans telle ou telle région si celle-ci acceptait de réduire les salaires demandés ou si elle voulait exclure une autre société. Le but ultime était d’éviter la compétition et d’obtenir de meilleurs salaires et conditions pour tous les travailleurs.

Les membres du Club des compagnons essayaient ainsi d’adapter leurs pratiques et leurs réflexions aux réalités sociales et économiques. Le contrôle de l’embauche n’en restait pas moins leur stratégie privilégiée. Cette option n’impliquait pas nécessairement une limitation du nombre des compagnons ou la perpétuation des divisions hiérarchiques (du novice au « compagnon fini »), mais les initiateurs de la déclaration ne réussirent pas à maîtriser ce problème. De même rien n’était dit au sujet de l’agrément, dans le compagnonnage, de travailleurs moins formés ou de la concurrence croissante en termes d’emploi entre ouvriers qualifiés. Le fait que ces enjeux ne soient pas abordés indique que même un compagnonnage réformé n’avait pas de stratégie en vue d’étendre son influence ou d’accroître le nombre de ses membres.

Comme le Club des compagnons se réunissait en avril et en mai, des membres ainsi qu’un grand nombre de compagnons et autres travailleurs se joignirent à eux pour préparer la Fête de la concorde du 21 mai. Le Club avait envisagé une manifestation paisible et de masse de tous les métiers comme moyen de rassembler à nouveau, comme le 20 mars, un grand nombre de compagnons. Il espérait que cette démonstration de force pourrait apporter un élan suffisant pour dépasser les obstacles qui se dressaient contre l’unification. Les responsables espéraient également qu’elle encouragerait les compagnons à se joindre à la grande « famille des travailleurs », ce que Pagnerre leur avait fortement conseillé de faire le 20 mars.

Dénat, président du Club des compagnons, écrivit même une « Marseillaise des compagnons de tous les devoirs réunis ». Des milliers d’exemplaires furent imprimés et distribués sur le parcours du défilé du 21 mai. Dénat ne parlait pas de sang ou de levée contre le féroce ennemi mais de paix, d’amour et d’unité. En cela il s’inscrivait dans la rhétorique antérieure aux Journées de juin. Les compagnons dorénavant unis marcheraient sous le même drapeau et oublieraient leurs disputes antérieures :

Nous avons franchi la barrière,

Où la sainte Fraternité

Nous montrait de loin sa bannière

Dans les mains de la Liberté. (bis)

Si quelqu’un voulait par faiblesse

Refuser d’être notre ami,

Attendons qu’il soit affermi

Et guidons-le par la sagesse.

Le texte de Dénat, dans son appel adressé à des compagnons unis pratiquant la fraternité et criant « Vive l’égalité », exemple « sublime » pour le monde, associait l’amour chrétien à la vertu républicaine.

De fait, le 21 mai, Paris assista non seulement à une manifestation de compagnons mais à un défilé de masse de près de 300.000 travailleurs, hommes et femmes relevant de tous les métiers et les professions. Les classes ouvrières qui, de neuf heures du matin jusqu’à tard le soir, défilèrent à travers Paris apparurent aux observateurs comme inspirées de cette vision harmonieuse de solidarité et de valeurs partagées. Les articles de presse rendirent compte, en termes élogieux, de cette foule de citoyens, d’ouvriers, hommes, femmes et jeunes.

La Démocratie pacifique, aux vues des participants et des spectateurs, construisit et déconstruisit les oppositions : « La bourgeoisie et le prolétariat, le peuple et l’armée, les hommes et les femmes, toutes les classes de la population, de la nation française ont rivalisé d’enthousiasme, d’union, de dévouement à la patrie républicaine. »

L’importance de cet événement suscita un vif sentiment d’unité et d’égalité. Toutefois ceci ne fut qu’éphémère. Ce ne sera que quelques semaines plus tard que les travailleurs revinrent sur ces moments, les décrivant comme poignants mais emprunts de naïveté et condamnables. La Fête de la concorde fût la dernière des manifestations massive et non violente des classes ouvrières lors de la Révolution de 1848. Elle eut lieu dans le contexte d’un radicalisme croissant et quelques jours seulement après l’échec de l’occupation de l’Assemblée (le 15 mai). La veille, l’Assemblée avait commencé à débattre publiquement du sort des Ateliers nationaux. Dans les jours et les semaines qui suivirent, la colère et les craintes des travailleurs ne firent que s’accentuer. Les paroles d’unité et de modération de l’appel de Dénat n’étaient plus qu’un souvenir. Cependant la version de la Marseillaise de Dénat peut être considérée comme une des expressions significatives des premiers points de vue révolutionnaires en 1848. Malgré les élections d’avril, qui virent la mise en place d’une Assemblée conservatrice, les propositions de Dénat continuèrent, jusqu’en juin, à être partagées par un large secteur de théoriciens et d’activistes, travailleurs et classes moyennes, hommes et femmes. Mais l’abolition des ateliers le 21 juin et les mesures répressives liées aux insurrections du 24-26 juin ne laissèrent plus de place pour des négociations paisibles et une compréhension des besoins et des positions de la classe ouvrière.

Après les Journées de juin, et à quelques exceptions près pour le dix-neuvième siècle, les compagnons écrivirent peu sur leur engagement dans la Révolution de 1848. Aucune tentative d’unification institutionnelle n’eut lieu avant la fin du siècle. La demande faite aux compagnons par Jean-Baptiste Edouard Arnaud, compagnon pâtissier, dans son mémoire de 1859, de « sacrifier leurs idoles sur l’autel du bon sens » resta sans suite. Les compagnons ne pouvaient pas ou ne voulaient pas abandonner leurs rituels qui construisaient et opposaient leurs fraternités.

Par Jean-Claude THIERRY

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